Chapitre 1 - L'information économique sur les administrations publiques françaises est très insuffisante
Il y a une vingtaine d'années, l'initiative de diversifier les compétences macroéconomiques concentrées à l'époque dans une administration économique publique unique et très fermée avait fait franchir un pas significatif au débat sur les prévisions et les politiques macroéconomiques. Plusieurs instituts indépendants ont alors été créés. Un véritable débat à pu s'ouvrir sur les prévisions macroéconomiques et la Commission des Finances de la Haute Assemblée en a souvent été l'initiateur. Mais d'une part ce pas en avant reste inachevé, d'autre part peu de progrès ont été accomplis pour ce qui concerne l'accès aux données sur le secteur public. Le pas en avant reste inachevé parce que l'information sur les calculs et les données budgétaires reste très peu accessible aux institutions indépendantes. Le dernier rapport économique et financier ne fournit même plus les comptes prévisionnels détaillés de la nation. D'autre part, la masse des données recueillies par l'administration reste sous-exploitée et inaccessible aux chercheurs et aux économistes. Par exemple, il n'est pas possible pour les centres de recherche privé d'accéder aux données permettant de faire des simulations fiscales alternatives. De façon plus générale, l'accès à des données pertinentes sur les administrations publiques s'avère difficile. Les rares publications (tardives mais périodiques) qui existaient telles Statistiques et Etudes financières, ont même disparu conduisant à un recul de l'information économique publique en France.
Les rapports sur la fonction publique sont nombreux et dénoncent tous l'inexistence d'informations nécessaires à une bonne connaissance du personnel (voir deuxième partie, étude 4). De nombreux concepts coexistent tant en matière de masse salariale que d'emploi public sans qu'il soit généralement possible d'en comprendre l'articulation et la portée exacte, ni de trouver l'ensemble des données correspondantes. En matière de masse salariale, il faut bien sûr distinguer les crédits ouverts par les lois de finances et les paiements effectivement constatés. En matière d'emplois, il faut distinguer les emplois budgétaires et les personnes physiques effectivement rémunérées sur les budgets publics.
L'effectif des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale est de 5 700 000 environ. Le rapport sur la Fonction Publique de l'Etat publié par la Cour des Comptes en décembre 1999 mentionne une estimation d'environ 5 millions de personnes pour les effectifs des trois fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière pour 1998. Le total des emplois créés ou financés dans les services de l'Etat par la loi de finances pour 1998 est de 2.374.230. Selon le rapport annuel du Ministère de la Fonction Publique, de la Réforme de l'Etat et de la Décentralisation (la Documentation Française), les effectifs réels des agents de l'Etat au 31 décembre 1997 étaient de 2.234.481 dont 1.660.514 titulaires, 69.081 ouvriers d'Etat, 204.798 non titulaires et 300.088 militaires. La dernière publication INSEE-résultats disponible à l'été 2000 recense (en décembre 1996) 3.118.993 salariés de l'Etat, les salariés des collectivités locales et des établissements hospitaliers étant exclus de ce chiffre. Il est normal que ces chiffres diffèrent puisque leurs champs sont différents, mais il s'avère difficile d'établir un raccordement clair entre ces différents chiffres.
Sur le champ des effectifs recensés, l'INSEE 14 ( * ) établit et publie un an sur deux des statistiques exhaustives donnant notamment des répartitions des effectifs selon plusieurs décompositions : 1) par ministère, par sexe, par type d'emploi, statut (et niveau hiérarchique détaillé) en distinguant les effectifs à temps complet et les effectifs à temps partiel, 2) par âge, par indice de traitement, par corps de la fonction publique, par région et département.
L'INSEE publie aussi dans un deuxième document 15 ( * ) un ensemble de tableaux sur les salaires bruts, les salaires nets, les prestations et les cotisations sociales reçues et versées, ainsi que sur les primes et taux de primes par catégories d'emplois. On trouve notamment les taux de prime par catégories d'emplois (les « primes » sont définies par l'INSEE comme l'ensemble des rémunérations imposables autres que le traitement, l'indemnité de résidence et le supplément familial de traitement et elles sont rapportées au traitement). Cependant, l'INSEE met en garde le lecteur sur le fait que les données publiées ne correspondent pas toujours aux rémunérations effectives des agents.
L'information sur le patrimoine public est de façon générale déficiente (voir deuxième partie, étude 5). Cette déficience est d'autant plus paradoxale en France que notre système foncier est très centralisé (Conservation des hypothèques, service des domaines, cadastre qui a le monopole des levés à grande échelle mais n'avance que lentement dans la numérisation du territoire). Un effort de prise en compte des données de bilan dans la comptabilité générale de l'Etat est en cours mais il reste très largement perfectible et les données sur les collectivités locales et les administrations sociales restent tardives, éparses et d'un accès peu aisé.
Peu d'analyse de la dépense par mission ou fonction d'intervention n'est disponible (voir deuxième partie, étude 2). Le budget fonctionnel n'a été en fait qu'un cadre de regroupement des dépenses publiques en quelques grandes rubriques sans grande signification et sans utilité aucune. Il n'est d'ailleurs plus établi compte tenu de son faible intérêt.
En matière de statistiques budgétaires rétrospectives, la dernière initiative prise par le Ministère des Finances est très ancienne. Elle a consisté à annexer au projet de loi de finances un dossier statistique de référence qui retrace l'évolution des masses budgétaires et des soldes en lois de finances initiales et en lois de règlement. Cette initiative a été saluée à l'époque comme un progrès, mais elle date de la fin des années soixante-dix et aucune amélioration n'a été apportée depuis. On soulignera à titre de comparaison que l'administration américaine annexe chaque année au projet de budget un document de 284 pages (les Historical Tables ) qui fournit une information rétrospective large, continue et détaillée sur les finances publiques américaines.
Une enquête qualitative a été conduite auprès d'une vingtaine d'économistes universitaires et bancaires ainsi que des responsables d'instituts d'études économiques indépendants. L'enquête ne visait pas à la représentativité mais plutôt à faire émerger des suggestions et des propositions. Les principales idées qui ressortent de cette enquête sont les suivantes.
Pour ce qui concerne la connaissance conjoncturelle des administrations en cours d'année, la disparité entre l'information sur l'administration centrale et l'information sur les administrations de Sécurité sociale et locales de l'autre est généralement soulignée. Un effort d'information statistique devrait dès lors porter sur les points faibles qui concernent surtout les administrations de Sécurité sociale (assurance maladie notamment) et les administrations locales. On peut en effet se faire une bonne idée du besoin de financement de l'Etat en suivant la balance mensuelle du Trésor, accessible sur Internet. Pour l'ensemble des administrations publiques, un objectif de suivi trimestriel peut paraître ambitieux, mais c'est dans cette direction qu'il faut aller. On suit assez bien l'Etat, mais mal les comptes sociaux, les ODAC (CADES notamment...) et moins encore les collectivités locales. C'est sans doute compliqué pour ces dernières du fait du nombre et de l'hétérogénéité des comptes à suivre, toutefois on pourrait imaginer de ne suivre à un rythme infra annuel qu'un échantillon représentatif d'entre elles. Une meilleure connaissance de la dette de la Sécurité sociale et des collectivités locales serait également souhaitable.
Du point de vue de l'accès, il est généralement considéré que l'information sur les soldes des administrations devrait être disponible via internet avec des liens entre les divers secteurs des administrations publiques. Le chercheur qui se connecte sur le site du Trésor devrait trouver un lien facile avec le site équivalent des administrations de Sécurité sociale (qui n'existe pas actuellement). Enfin, il est quelquefois demandé par les économistes financiers que l'information soit bilingue (français/anglais).
On souligne aussi que l'information statistique ne saurait se limiter à des séries et des tableaux. Un minimum d'interprétation est nécessaire, les services du gouvernement étant de loin les mieux placés pour la fournir. Un autre souhait exprimé est que soient publiés (et disponibles sur le web) des rapports d'analyse sur les principales variables du compte des administrations publiques. Tant que nous n'aurons pas en France l'équivalent du Bureau de contrôle du Congrès des Etats-Unis ( Congressional Budget Office ), il semble que ce sont les services administratifs qui sont les mieux placés pour préparer cette information.
Une revue rendant compte rapidement et de façon détaillée de l'état des « finances publiques », administrée par le Ministère de l'Economie et Finances et le ministère du Travail (disponible sur le web et à nouveau en français et en anglais), diffusant à la fois information statistique et analyses, permettrait de gagner d'appréciables parts de marché » dans la concurrence européenne pour attirer les capitaux grâce à une meilleure qualité de notre information.
Il est en outre jugé impératif de publier à l'avance des calendriers prévisionnels précis de diffusion des informations.
Pour ce qui concerne les données plus structurelles, plusieurs économistes sont conduits à juger très sévèrement le système d'information sur les coûts et les résultats de l'action publique et estiment qu'un effort énorme d'investissement statistique devrait être accompli afin de pouvoir analyser la « productivité » des administrations publiques.
Les données comptables concernant le secteur public devraient apporter une information au moins aussi précise, aussi détaillée et aussi rapidement disponible que celle que l'Etat exige en général du secteur privé. L'effort de comparabilité et d'explication doit être amplifié, à la fois au niveau international et entre les différents niveaux de gouvernement (Etat central et collectivités locales). Il faudrait aussi essayer d'établir un système permettant d'appréhender l'activité de l'Etat selon une logique beaucoup plus proche de celle du secteur des entreprises - l'Etat doit être comptablement « banalisé » si l'on veut qu'il soit mieux analysé. La qualité et le détail des informations sur les effectifs employés et sur les aspects patrimoniaux (éléments d'actif et de passif) doivent être considérablement améliorés.
Les informations sur la fiscalité et les transferts doivent être facilement disponibles à un niveau de désagrégation suffisant (notamment pour les classes de revenu). Un effort doit aussi être fait pour suivre des séries statistiques désagrégées longues (par région et par classe de revenu par exemple) pour permettre un développement des études économiques. Enfin, il convient d'exploiter au maximum les capacités d'Internet pour permettre un accès large et peu coûteux au « service public » de l'information statistique. En d'autres termes, il faut supprimer le plus grand nombre possible des multiples « barrières à l'entrée » financières ou matérielles qui limitent l'accès à l'information sur les administrations publiques.
* 14 INSEE Résultat : Les agents de l'Etat.
* 15 INSEE Résultat : Les salaires des agents de l'Etat.