III. OBSERVATIONS SUR LA TUNISIE
A. APPRÉCIATION GLOBALE DE LA SITUATION DU PAYS
L'impression générale laissée par la Tunisie est celle d'un pays en croissance rapide, sans guère d'équivalent avec la situation de ses deux voisins, ni sur le plan économique, ni sur le plan social, associée, il est vrai, à un régime politique qui demeure celui d'un " régime présidentiel à l'autorité sans partage ". Il est clair que cette modernisation accélérée, dont -il faut le souligner- les bénéfices semblent " descendre " assez loin dans la population, s'est faite, et se fait encore, au prix d'une démarche politique autoritaire, qui donne, certes, le sentiment d'un pays " tenu ", où tout fonctionne, mais qui suscite des critiques sur les thèmes récurrents des droits de l'homme et du respect des libertés fondamentales.
De fait, les commentaires parfois un peu rapides, approximatifs ou imprudents des médias, notamment français, sur la situation des droits de l'homme et sur les élections de novembre 1999 ont instauré un malaise réel, et une incompréhension qui semble sincère de la part de nos partenaires 23 ( * ) .
En outre, on perçoit finalement assez mal une réelle différence dans ces domaines entre la Tunisie d'une part, l'Algérie et le Maroc d'autre part, alors que, dans d'autres domaines auxquels la majorité de la population est à bon droit attachée -pouvoir d'achat, chômage, éducation, santé- les différences sont nettement en faveur de la Tunisie.
Avec un revenu par habitant de 2.300 dollars -à comparer à l'Algérie : 1.600 dollars par habitant, et surtout au Maroc : 1.200 dollars par habitant-, un taux de croissance exceptionnel de 5 % en moyenne annuelle depuis dix ans et de 6,2 % en 1999, un stock de dette extérieure modéré -moins de 50 % du PIB-, une inflation maîtrisée -aux environs de 3 %-, et une diversification économique nettement plus avancée que celle des autres pays de la région, la Tunisie se détache nettement de ses voisins sur le plan économique et social.
Les acquis sociaux de la Tunisie la situent en très bon rang parmi les pays des rives sud et est du pourtour méditerranéen, qu'il s'agisse de la mortalité infantile, de l'espérance de vie ou du taux de scolarisation, particulièrement élevé -97 % de la population en âge scolaire-. La Tunisie a en outre maîtrisé son taux de fécondité, ce qui représente un atout pour la résorption du chômage.
De fait, les agences de rating internationales classent ce pays parmi les meilleurs risques sur le continent africain, et il bénéficie d'afflux importants de la part de la quasi-totalité des bailleurs de fonds bi- et multilatéraux 24 ( * ) .
Les opérateurs économiques français rencontrés ont -de façon assez traditionnelle-, déploré d'une part, la place trop importante de l'Etat dans le fonctionnement de l'économie -13 % du PIB-, considérée comme un frein pour le développement de l'emploi et pour la nécessaire diversification du tissu économique, et d'autre part la médiocrité de l'environnement des affaires et l'insuffisante libéralisation du fonctionnement de l'économie, notamment au niveau de la transparence et de la sécurité des règles du jeu.
Enfin, la mise en oeuvre de l'Accord d'Association conclu avec l'Union européenne en juillet 1995 représente pour la Tunisie, qui a anticipé dès janvier 1996 le démantèlement tarifaire, un enjeu important, mais aussi une source de difficultés non négligeables.
L'impression rapide retirée d'un séjour très bref et limité à la capitale et à ses environs est effectivement celle d'une modernisation accélérée, d'un ordre assuré à tout prix, d'une multiplication des chantiers de construction -mais cette fois maîtrisée et opérationnelle- d'une population véloce, presque " pressée " -très peu de gens " traînent " l'air désespéré ou désoeuvré et très peu mendient sur la voie publique-, qui contraste avec celle qu'on éprouve chez les voisins algériens et marocains.
A vrai dire, cette " célérité " tunisienne contraste aussi avec l'impression générale laissée par le poste français, qui, avec des effectifs surdimensionnés, paraît plutôt préférer se situer en position d'observateur, que jouer véritablement la carte de l'accompagnement souhaitable du processus démocratique et du développement économique et social.
Le sentiment diffus d'une certaine forme de " démaillage " des services français, qui vivent de façon cloisonnée, voire " alvéolaire ", en communiquant par courrier et selon un très protocolaire voussoiement, souligne la nécessité de renforcer à la fois le dialogue et surtout la mise en cohérence, autour d'objectifs clairement définis et coordonnés sous l'autorité du chef du poste.
Ce côté un peu " en arrière de la main " -nécessairement perçu par nos partenaires et nos " concurrents "- amène à formuler quelques réserves, à tout le moins certaines interrogations, sur le caractère très luxueux de la nouvelle Chancellerie, rénovée à grands frais (environ 70 millions de francs), au regard du volume de son activité.
A côté de cette munificence solitaire, l'impression laissée par la visite de l'emblématique Lycée Pierre Mendès-France est mauvaise. Les bâtiments souffrent d'un manque d'entretien au niveau du gros oeuvre, qui, lorsqu'il est effectué, ne l'est pas complètement : certes on a rebouché les fissures les plus importantes en façade, mais sans les repeindre- comme des travaux courants de maintenance. Un mois après sa fermeture pour les congés d'été, le Lycée ressemble à un établissement qui vient d'être précipitamment fermé pour cause de coup d'Etat militaire 25 ( * ) :placards du laboratoire béants et en désordre, paillasses non nettoyées, livres ouverts par terre, chaises cassées empilées à la diable, sanitaires dans un état indescriptible, tableaux non effacés...
Or, clairement engagée dans le développement économique et même social, manifestant un intérêt réel et déjà concrétisé au partenariat euro-méditerranéen, et vecteur sans doute " incontournable " des relations intermaghrébines, en raison notamment de ses affinités particulières avec la Libye, la Tunisie constitue, à l'évidence, un partenaire déjà très opérationnel.
Il paraît donc nécessaire, pour gérer efficacement l'ampleur des flux importants d'aide publique qui lui sont consacrés, que la France puisse s'appuyer sur des structures de terrain pleinement " opérationnelles ".
Tunisie
- Superficie : 163.610 km², dont 15 % de désert - Population : - 9,5 millions d'habitants (1999) (+1,4 % par an) - 46 % de la population a moins de 20 ans - taux de chômage : 15,6 % - taux d'urbanisation : 70 % (1998) - taux d'analphabétisme : 30 % pour les plus de 15 ans(1998) - PIB : - 21,3 milliards de dollars (1999) (+6 % en 2000) - 2.300 dollars/habitant (1999) - Déficit budgétaire : - moins 2,7 % du PIB (2000) - Dette publique : - 12 milliards de dollars (2000) (53 % du PIB) - service de la dette : 16 % des exportations - Inflation : - 2,7 % (2000) - Exportations françaises vers la Tunisie : 14,3 milliards de francs, soit 27 % du total des importations tunisiennes (premier fournisseur) - Importations françaises en provenance de Tunisie : 10,5 milliards de francs, soit 27 % du total des exportations tunisiennes (premier client) - Entreprises françaises présentes en Tunisie : environ 400, essentiellement des PME-PMI - 12.500 Français vivant en Tunisie, dont deux-tiers de binationaux. |
* 23 Cf. notamment l'impression retirée d'un long entretien avec M. Tahar Sioud, Secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères.
* 24 La dernière Revue du FMI (article 4) du 2 septembre 1999, très élogieuse, souligne les acquis d'une " croissance solide et stable ", et d'une " politique sociale éclairée ".
* 25 A vrai dire, le lycée de Brazzaville, visité précisément dans ces circonstances, laissait une impression plus " ordonnée ".