4. La question du champ de l'évaluation des recettes
Si la loi de finances comporte une autorisation généralisée de percevoir les impositions de toutes natures, elle ne saurait bien évidemment prévoir le produit et évaluer le montant de l'ensemble de celles-ci dans la mesure où la Constitution a confié cette tâche aux collectivités territoriales pour les impôts locaux, et aux lois de financement de la sécurité sociale pour les recettes dont bénéficient les organismes de sécurité sociale. A l'inverse, la loi de finances doit expressément prévoir le produit et évaluer le montant non seulement de l'ensemble des autres impositions de toutes nature, mais aussi de l'ensemble des autres ressources de l'Etat.
On peut néanmoins imaginer une exception pratique pour les rémunérations de services rendus. D'une part, elle peut se justifier par le texte de l'article 34 de la Constitution, qui ne les fait pas figurer dans le domaine de la loi, même s'il paraît sage et juridiquement fondé de laisser à la loi organique le soin de choisir une autre solution. D'autre part, il n'est pas infondé d'autoriser le pouvoir réglementaire, pour des raisons légitimes de souplesse et de bonne gestion administrative, à établir une telle rémunération et à en percevoir le produit sans que cela ait été préalablement prévu dans la loi de finances de l'année. En revanche, pour respecter le pouvoir d'autorisation du Parlement en matière de perception des recettes par l'Etat, il convient d'établir une caducité des actes créant ces rémunérations, en l'absence de ratification dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'exercice concerné.
La question de l'évaluation renvoie également aux modalités de cette dernière. Le Parlement ne saurait se prononcer sur l'évaluation détaillée du produit de chacune des ressources. En revanche, il a besoin d'être informé et de voter ce produit en ayant une connaissance exacte et précise de ce qu'il autorise. Ainsi, le projet de loi de finances devra-t-il comporter un état annexé, semblable à l'état A actuel, pour retracer ces recettes, et être accompagné de documents d'information indiquant aux parlementaires le produit attendu des autres impositions de toutes natures non évaluées en loi de finances, celles des collectivités territoriales et celles des organismes de sécurité sociale.
5. La question de l'affectation
a) Consacrer la notion de " prélèvement sur recettes "
L'usage a établi la pratique des prélèvements sur recettes , fortement décriée et qui, apparaît pourtant à maints égards justifiée, autant par les nécessités de la mécanique budgétaire que par celles du débat démocratique.
La Cour des comptes a émis, à de multiples reprises, de fortes réserves voire des critiques sur la pratique des prélèvements sur recettes. Néanmoins, votre commission ne partage pas sur ce point l'avis de la haute juridiction financière. La jurisprudence du 29 décembre 1982 du Conseil constitutionnel autorisant cette pratique a indiqué que le fait que l'état A évalue la totalité des recettes brutes de l'Etat rendait les prélèvements sur recettes conformes à l'ordonnance organique et, notamment, à son article 18. Il s'agit en effet moins d'une affectation de recettes que d'une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes recouvrées par l'Etat afin de couvrir des charges qui ne lui incombent pas.
Au cours de l'histoire et de la pratique constitutionnelle, l'Etat s'est dessaisi de certaines de ses missions au profit d'organismes extérieurs ; en contrepartie, il a pu soit affecter directement des ressources (impôts locaux, ressources des organismes de sécurité sociale), soit rétrocéder une partie des ressources recouvrées par lui. Le prélèvement sur recettes permet cette rétrocession.
Le prélèvement sur recettes semble ainsi le moyen technique le mieux adapté pour faire apparaître de la manière la plus lisible qui soit des prélèvements obligatoires qui, sans cette technique, échapperaient à la décision du Parlement.
Cet élément de clarté existe déjà pour deux catégories : les collectivités territoriales, et l'Union européenne, la contribution de la France au budget de celle-ci n'étant pas une charge à proprement parler 26 ( * ) .
b) Etendre cette notion à tous les " satellites " de l'Etat
Ces catégories doivent être maintenues et inscrites en tant que telles dans la loi organique. Il conviendrait sans doute d'y ajouter une nouvelle catégorie de prélèvement sur recettes, correspondant à l'affectation de ressources publiques aux personnes morales autres que les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Les établissements publics, les associations, les structures de formes diverses qui bénéficient aujourd'hui directement de tels prélèvements (taxes parafiscales et autres) bénéficieraient ainsi chaque année d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat retracé en loi de finances.
Ce mécanisme est logique, puisqu'il déduit des ressources brutes de l'Etat les produits qui ne lui reviennent pas. Il est également conforme à la vocation du législateur financier d'autoriser les recettes et de le faire en pleine connaissance de cause. Le dessein de votre commission n'est pas de revenir sur les mécanismes de délégation de ses missions de service public par l'Etat, qui peuvent parfois correspondre à un souci de bonne gestion. Mais ces délégations ne doivent pas déboucher sur des débudgétisations. Le Parlement doit pouvoir autoriser les affectations de recettes, disposer du droit de les évaluer lorsque la Constitution ne s'y oppose pas et être informé de l'ensemble du champ des prélèvements obligatoires.
Votre commission vous propose donc non seulement de prendre acte de la pratique heureuse des prélèvements sur recettes, comme le fait à juste titre la proposition de loi organique de notre collègue député Didier Migaud, mais aussi d'en créer une catégorie nouvelle, permettant d'identifier, et de débattre, les flux financiers entre l'Etat et ses " satellites " 27 ( * ) .
* 26 Cette technique permet de faire apparaître le prélèvement au profit de l'Union européenne parmi les prélèvements obligatoires, ce qu'il est effectivement.
* 27 Selon votre commission, l'enjeu de la création de cette catégorie nouvelle est plus importante à ce stade que celui de l'éventuelle suppression des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor (voir supra A.).