4. Les vecteurs de réforme de la comptabilité de l'Etat
Le champ de la loi organique n'est pas limité par la Constitution à la définition des grands principes de la comptabilité de l'Etat, puisque l'article 34 dispose que " les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ". Il est donc légitime - voir supra II-B. - qu'une réforme de l'ordonnance organique vise à rénover cette comptabilité. Il convient néanmoins de souligner que, texte essentiel et, par conséquent, appelé à être pérenne, la loi organique n'a pas vocation à détailler l'ensemble du système comptable de l'Etat. Elle nécessitera donc, de toute évidence, elle aussi, des textes réglementaires d'application.
La réforme de la comptabilité de l'Etat ne saurait donc s'effectuer sans que la loi organique relative aux lois de finances en traite, même si elle ne saurait se limiter à ce seul vecteur.
Force est de constater que des évolutions significatives sont d'ores et déjà proposées et mises en oeuvre par le gouvernement, sous la pression des parlementaires et de l'opinion publique, afin de moderniser le système financier de l'Etat, en dehors de toute disposition normative. La réforme de la comptabilité de l'Etat doit donc s'inscrire et s'ancrer dans la loi organique, même si sa mise en oeuvre détaillée incombe pour l'essentiel et très directement aux services de l'Etat, et en particulier, au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. L'impulsion donnée par le gouvernement en faveur de la réforme de l'Etat constituera donc un facteur déterminant de la modernisation de son système financier et comptable, dont il appartient à la loi organique de fixer les règles et les principes.
Ceux-ci s'inspirent de plusieurs objectifs : une meilleure gestion de l'argent public, une plus grande lisibilité, transparence et sincérité des comptes, une image fidèle de la situation financière de l'Etat, une possibilité de rendre les comptes auditables et une information fiable et disponible en temps utile sur lesdits comptes.
Votre commission se félicite de la modernisation de la comptabilité de l'Etat engagée par le gouvernement. Celle-ci met en oeuvre les réflexions engagées depuis plusieurs années, en particulier sous l'impulsion de M. Jean Arthuis, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances. La réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances doit permettre de développer les travaux engagés, en les inscrivant dans un cadre cohérent permettant d'améliorer la qualité de l'information comptable nécessaire aux parlementaires pour éclairer leur vote.
Les enjeux de la poursuite du programme de travail
1) - L'articulation budget-comptabilité Une orientation de principe a été prise, consistant à conserver l'articulation de base entre la présentation et le suivi budgétaire, qui ne seraient modifiés que marginalement, et la présentation en comptabilité générale qui, en revanche, serait enrichie pour la rapprocher des règles et pratiques en vigueur pour les entreprises, et pour permettre à la France de se conformer à ses engagements dans le cadre du règlement européen SEC 95. Cette orientation mérite d'être explicitée afin que les enjeux réels soient clairement perçus par toutes les parties concernées, en particulier le Parlement et l'ensemble des gestionnaires publics, des administrations centrales et des services déconcentrés. 2) - Le passage généralisé à une comptabilité en " droits constatés " La définition et la mise en oeuvre de nouvelles règles de comptabilisation en " droits constatés " vont pouvoir s'opérer en mettant à profit la rénovation des systèmes d'information de comptabilité et de gestion des administrations de l'Etat, à l'occasion de la mise en place d'un progiciel intégré de gestion. Le projet interministériel ACCORD, dont la phase pilote débute en mars 2001 (ministère de l'intérieur) sera ensuite étendu à tous les ministères, à leurs services centraux durant les années 2002-2003, et ultérieurement aux services déconcentrés. En matière de dépenses , deux préalables devront faire l'objet de décisions claires, après concertation avec les acteurs concernés. Il s'agira en premier lieu de définir précisément le fait générateur provoquant l'enregistrement de la dépense en comptabilité. Les options à prendre se situent à plusieurs niveaux : - comparé à la procédure actuelle, le fait générateur pourra être soit la livraison, soit la réception de la facture, soit le service fait, soit la liquidation ; - un choix complémentaire devra être opéré entre l'enregistrement des nouveaux " droits constatés " en cours d'année, d'une part, et l'enregistrement dans le cadre d'inventaires de fin d'année, d'autre part. Selon les options prises, l'organisation des services et les procédures comptables, y compris les relations entre l'ordonnateur et le comptable, devront, le cas échéant, être révisées et, sans doute, conduire à modifier les textes actuels. Dans les organisations modernes, les nouveaux systèmes d'information comptable et financière ont tous introduit la saisie unique de l'information comptable de base : c'est donc le second préalable qu'il convient de régler. Une option claire en ce sens permettra à la fois d'améliorer la fiabilité des divers tableaux et présentations agrégeant les données comptables élémentaires. Elle permettra, d'autre part, des économies de moyens, en personnels notamment, tout en conduisant à l'enrichissement des tâches des agents. En matière de recettes , l'innovation introduite dans le CGAF 19 ( * ) 1999, sous la forme d'un provisionnement, déterminé sur une base statistique, de la plus grande partie des créances fiscales, serait prolongée logiquement : - par le provisionnement des autres créances de l'Etat, en particulier les créances recouvrées par l'administration des douanes et l'enregistrement, - par le passage à des provisions individualisées, par " dossier " de contribuable ou de redevable. Une telle évolution, qui doit conserver toute leur rigueur aux procédures de recouvrement en matière d'impôts, ne sera véritablement utile que si elle est soutenue par une refonte des procédures de gestion des dossiers d'arriérés fiscaux, une meilleure coordination des actions des différents services de recouvrement et la réalisation accélérée des simplifications attendues par les citoyens. 3) - Une gestion publique plus performante a) - Le patrimoine immobilier La nouvelle présentation comptable des immobilisations corporelles constitue un incontestable progrès, mais elle appelle encore d'importantes améliorations. Le Tableau général des propriétés de l'Etat doit constituer la référence commune entre le ministère des finances et les services centraux ou déconcentrés affectataires ou utilisateurs de constructions, installations, ouvrages ou équipements. Une gestion active du patrimoine de l'Etat doit être engagée, en en rendant responsables les niveaux administratifs les plus directement concernés. Le suivi comptable des immobilisations doit permettre de fournir à chaque service les coûts standard des actifs immobiliers qu'il utilise, pour réussir une gestion économe, dans la durée, des moyens fournis. b) - Les comptabilités de gestion des ministères et les " coûts complets " Le projet interministériel ACCORD a été conçu pour permettre une détermination claire et opérationnelle des coûts des administrations, en fournissant un suivi de la totalité des coûts exposés dans l'année, à tous les niveaux utiles. Il permet en particulier d'intégrer facilement les coûts actuellement omis, sous forme de charges calculées : charges complètes de personnel, frais de locaux, charges financières. Ces orientations ambitieuses, évoquées dans le programme de travail sur la modernisation de la comptabilité de l'Etat, ne pourront être mises en oeuvre efficacement qu'au moyen d'actions de longue durée. Pour garantir le succès d'un tel projet, la Cour estime qu'il doit être érigé en action prioritaire du Premier ministre et du Gouvernement, inscrite dans la durée. Il conviendra en outre de prendre les dispositions suivantes : - doter la direction générale de la comptabilité publique de l'organisation nécessaire pour mener à bien les travaux correspondants à ce vaste " chantier " ; - préciser le rôle confié au " comité des normes " et y faire participer des représentants des principaux ministères concernés. 4) - La qualité de l'information financière sur l'Etat Les commentaires et suggestions formulés ci-dessus sur les dotations et participations (compte 26) et sur le " hors-bilan " montrent que les progrès réalisés dans le cadre du CGAF doivent être prolongés et amplifiés. Il serait dangereux de cantonner les informations publiées, notamment quand elles sont étayées de chiffrages, à des périmètres dont le caractère arbitraire n'échappera pas aux observateurs. En ce domaine, le Comité des normes dont l'une des fonctions importantes est d'établir la liaison entre les règles comptables du secteur public et celles du secteur privé et d'expliciter, si besoin, les différences, pourrait être investi d'une fonction de régulation pour déterminer le périmètre des informations à publier ainsi que le degré de finesse des chiffrages à fournir. Il lui appartiendrait de se déterminer en fonction des pratiques couramment observées dans les Etats de l'Union européenne ainsi qu'au plan international. La Cour, tout en reconnaissant l'importance des innovations ainsi introduites, se réserve de mener ultérieurement un examen plus complet des dispositions déjà prises et de celles qui sont annoncées. Elle estime souhaitable que la démarche engagée s'inscrive dans un projet d'ensemble visant à doter l'Etat d'un système d'information comptable et financier rénové. (Source : rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour l'année 1999) |
Si votre commission reconnaît que la réforme de la comptabilité de l'Etat requiert une volonté politique forte du gouvernement, elle affirme avec la même force qu'il revient au législateur organique d'en fixer les règles essentielles.
* 19 Compte général de l'administration des finances.