D. LES CONSÉQUENCES POLITIQUES ET CULTURELLES
" Le virtuel s'installe dans nos vies. Le mot,
en
très peu de temps, a envahi les médias. Il est devenue magique,
tout puissant, nous promettant l'accès à un monde radicalement
nouveau.
(...)
Le mot ne parle pas seulement à la raison, il
éveille les passions. Il a ses adeptes et ses détracteurs. Il
renvoie à un phénomène culturel et social dans lequel nous
sommes inexorablement emportés.
(...)
Notre nouvel univers est
désormais le
cyberespace
, impalpable, immatériel. Un
univers innervé par l'électronique, avec ses propres exigences et
ses lois. Nouvelle appartenance, nouveau langage. Un autre monde, un autre mode
de vie... "
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*
)
Deux sujets peuvent être évoqués :
la manipulation des images,
la société au temps du virtuel
Deux sujets sensibles, sur lesquels les opinions sont
a priori
tranchées, optimistes et confiantes, ou pessimistes et
inquiétantes.
1. La manipulation d'images
L'image transmet un message. La manipulation d'images a pour
objet de diriger ce message en fonction de l'objectif poursuivi. De même
que lorsqu'il y a des armes, il y a presque toujours usage des armes, lorsqu'il
y a image, il y a souvent manipulation d'images. L'image de synthèse ne
fait que faciliter une déviance qui n'a pas attendu le numérique
pour apparaître.
Avant d'analyser les différents procédés de manipulations
d'images, il paraît utile de rappeler brièvement les raisons pour
lesquelles celle-ci ont été et restent "tentantes". Une tentation
qui s'appuie sur le "pouvoir de l'image" qui, même s'il est
évident, doit être évoqué en quelques mots :
l'image a un contenu informationnel infiniment plus riche et plus rapide
que le texte, le commentaire ;
l'image est le processus de communication le plus fort, le plus
chargé d'émotion ;
l'image peut être directement interprétée par tout le
monde, par toutes les couches de la population, alors que le texte passe par
des filtres (presse, revue...) et l'intelligence.
L'image n'est qu'une forme de représentation, une imitation toujours
suspecte de déformation et de trahison. Une suspicion d'ailleurs
parfaitement fondée sur l'abondance et la variété des
illustrations de manipulations en tous genres, que ce soit pour des motifs
esthétiques, techniques, mais aussi économiques, financiers (avec
la perspective de "vendre"
la
bonne image et de faire la
"une" du
journal de 20 heures) et politiques. Le poids de chacun varie selon la
nature des régimes. S'il est vrai que les régimes totalitaires
ont usé et abusé des manipulations d'images, plusieurs exemples
récents montrent que les régimes démocratiques en ont, eux
aussi, leur part...
Il convient de distinguer la manipulation
des
images, des manipulations
par
l'image, avant de s'intéresser aux conséquences
possibles des images de synthèse.
a) Les manipulations d'images traditionnelles
Au tout début de la photographie, les commentateurs se
sont réjouis de l'apparition d'une technique qui "garantissait
l'authenticité". Avant de s'apercevoir que la photographie, pas plus que
tout autre procédé de création d'images, n'était
à l'abri des mensonges par omission (cadrage approprié) ou par
montage.
La "gamme" de manipulations d'images est très large
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*
)
.
le cadrage
est la plus simple. Faire un gros plan sur huit
ou dix personnes peut donner l'illusion d'une foule innombrable ou, à
l'inverse, un gros plan sur un groupe peut faire oublier les masses autour de
lui (lors de la première visite du Pape en Pologne, en 1979, la presse
officielle avait cadré le Pape accompagné de quelques religieuses
pour éclipser les foules de plusieurs centaines de milliers de personnes
venues l'écouter) ;
la retouche technique
. La photo peut être
corrigée pour l'adapter aux contraintes de la publication : rapprocher
deux personnages pour gagner en largeur par exemple ;
la "retouche esthétique"
a pour but de gommer les
petites imperfections de la photo, embellir le sujet (allonger les jambes,
agrandir les pupilles, colorier l'iris...). Le procédé est
courant et même systématique en publicité. Il existe une
"variante politique" de ce type de retouche, lorsque celle-ci porte
sur
l'aspect extérieur d'un personnage politique (rides masquées,
taille agrandie
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*
)
...)
" La publication d'une photographie de Ceaucescu avec le
président Valéry Giscard d'Estaing avait provoqué une
crise avec les autorités roumaines car on n'avait pas le droit en
Roumanie de publier une photo où Ceaucescu paraissait plus petit que la
personne qu'il rencontrait... " ;
le détourage ou la retouche de mise en valeur
. Il
s'agit alors de supprimer des détails ou un fond qui peuvent attirer
l'attention sur d'autres choses que le personnage principal (une
épinglette sur un costume, un vase...) ;
l'effaçage
. C'est une application du
détourage qui ne porte plus cette fois sur un détail secondaire,
mais sur un personnage de la photo. Tous les dictateurs du XXe siècle
ont fait exécuter, par image interposée, les dissidents et les
indésirables. Une façon de maîtriser le futur par le
contrôle du passé. L'effaçage peut porter sur un
détail que l'intéressé(e) ne désire pas montrer
(une bague de Raïssa Gorbatchev lors d'un voyage officiel à New
Delhi) ;
le photomontage
. C'est la forme la plus aboutie du montage,
de la manipulation d'images, puisqu'elle combine souvent toutes les autres
techniques : cadrage, effaçage, détourage, mixage de photos.
Toutes ces manipulations ont une constante : l'intention de leurs auteurs.