C. LA POURSUITE DE CETTE STRATÉGIE PASSE PAR LA PRIVATISATION D'AIR FRANCE

Elément de cette stratégie de redressement, l'ouverture du capital d'Air France a été un relatif succès.

L'opération d'échange " salaire contre actions " a été un succès. L'accord du 29 octobre 1998, certes difficilement atteint après une grève du personnel navigant technique qui a duré du 1 er au 30 juin 1998, prévoyait que cet échange serait mis en oeuvre sur une base volontaire et qu'il serait conditionné par la cotation du titre Air France sur le premier marché.

Après avoir été consultés par l'entreprise, les pilotes d'Air France ont choisi, pour 78,8 % d'entre eux, de réduire leurs salaires sur sept ans afin de recevoir des actions de leur entreprise pour un montant d'environ 1,4 milliard de francs. Leur participation s'élève donc à environ 6,8 % du capital dilué de l'entreprise.

Deux accords ont également été signés, l'un avec le personnel au sol et l'autre avec le personnel navigant commercial, qui détiennent désormais plus de 4,5 % du capital social de la société. Au total, plus de 72 % des salariés d'Air France et plus du quart des anciens salariés de la société ont acheté des actions dans le cadre de l'ouverture de son capital. Air France est ainsi devenue l'entreprise française cotée dont l'actionnariat salarié est le plus important.

Par ailleurs, l'ouverture minoritaire du capital de la société à des actionnaires autres que l'Etat et les salariés peut, elle aussi, être considérée comme un succès
: lors de sa première cotation sur le marché à règlement mensuel, la société comptait 2,4 millions d'actionnaires particuliers. Le succès de cet ouverture s'est confirmé auprès des investisseurs institutionnels dont la demande de titres a été quarante fois supérieure à l'offre.

Quant à l'Etat, il est resté actionnaire majoritaire de la société. Sa part devrait cependant se réduire dans les années à venir, sans pour autant descendre en-dessous du seuil de 53 % du capital d'Air France .

En effet, l'établissement de sa part à 62,8 % ne constituait qu'une étape transitoire, une dilution supplémentaire devant intervenir lors du dénouement de deux opérations : les droits ouverts par les obligations remboursables en actions prises par la BNP à hauteur de 1,3 milliard de francs et les bons de souscription d'actions accordés aux salariés en 1994 jusqu'à 1,7 milliard de francs pouvaient être exercés jusqu'au 1 er janvier 2000. A l'heure où le présent rapport est rédigé, la part de l'Etat s'élève à moins de 57 %. Enfin, il est prévu que des actions gratuites soient distribuées au plus tard jusqu'en 2003 aux employés et notamment aux pilotes d'Air France ; à l'issue de cette distribution, la part de l'Etat serait alors réduite à 53 % du capital de la société.

ESTIMATION DE LA RÉPARTITION DU CAPITAL
AU 1 ER JANVIER 2000

Etat : 56,7 %

Salariés identifiés dans des fonds ou par code Socovam : 9,9 %

Autres salariés : 1,3 %

BNP : 3,0 %

Autre flottant : 29,1 %

L'actionnariat d'Air France s'est donc ouvert à de nouveaux investisseurs ; cette évolution est allée de pair avec un redressement financier de la société. Ainsi, au premier semestre de l'exercice 1999-2000 (avril-septembre 1999), le résultat net du groupe a progressé de 52 % par rapport au premier semestre de l'exercice précédent ; le résultat d'exploitation a, quant à lui, augmenté de près de 85 % sur la même période.

La poursuite du redressement d'Air France passe par sa privatisation

Si la compagnie paraît aujourd'hui redressée, son devenir reste dépendant de sa capacité à relever les défis qui s'imposent à elle, à assurer sa croissance et son plein rétablissement financier dans le contexte de concurrence très vive qui est celui du transport aérien. Cela implique que l'entreprise soit en mesure d'être guidée par un actionnaire capable d'exercer entièrement les responsabilités d'un gestionnaire d'entreprise, c'est-à-dire d'accompagner financièrement son développement et d'assumer sans faiblesse les décisions propres à favoriser son succès.

En 1993, le Gouvernement de M. Edouard Balladur avait estimé qu'un tel objectif ne pouvait être atteint que par le transfert d'Air France dans le secteur privé. Dans cette perspective, le Parlement avait, lors de l'adoption de la loi de privatisation du 19 juillet 1993, fait figurer Air France parmi la liste des sociétés " privatisables " par décret.

La majorité actuelle issue des élections de 1997 n'a pas abrogé ces dispositions. Cette attitude dont il faut louer la sagesse, illustre la prise de conscience parmi l'ensemble des acteurs concernés de la nécessité d'ouvrir tôt ou tard plus largement le capital d'Air France aux investisseurs privés.

Si le gouvernement n'a pas souhaité se priver de la possibilité de privatiser, il n'a cependant pas procédé à cette privatisation. C'est la raison pour laquelle le Président d'Air France en 1997, M. Christian Blanc, estimant qu'en refusant la privatisation, le gouvernement ne lui donnait pas les moyens de redresser la compagnie avait alors démissionné.

Le Gouvernement ne s'est malheureusement pas contenté de limiter l'ouverture du capital d'Air France, mais s'est engagé par la voix du Premier ministre et du ministre des transports à ne pas ouvrir aux investisseurs privés une deuxième tranche du capital de la compagnie. Cet engagement, destiné à satisfaire une composante minoritaire d'une majorité très plurielle fige, semble-t-il, la situation d'Air France jusqu'aux prochaines élections législatives et présidentielle.

Devant le refus d'aller plus loin dans un processus que l'ensemble des acteurs du secteur juge inéluctable, votre rapporteur a la naïveté de penser que l'opportunité de privatiser Air France ne devrait pas être apprécié au regard de motifs uniquement idéologiques.

Force est, en effet, de constater que dans un secteur marchand soumis à une concurrence de plus en plus active des différents opérateurs, les transporteurs aériens à statut public ne sont plus que des exceptions.

On observe, en effet, comme le montre le tableau suivant, un désengagement progressif de l'Etat dans l'ensemble des grandes compagnies aériennes européennes. Si British Airways et Lufthansa sont déjà privatisées à 100 %, l'Etat italien, par le biais du holding IRI, a annoncé sa volonté de se désengager partiellement d'Alitalia, de même, l'Etat espagnol a commencé à se désengager totalement d'Iberia.

Si l'on s'en tient aux seules compagnies aériennes européennes, où l'Etat a longtemps eu une présence majoritaire, Air France risque à la fin 2000 d'être la seule compagnie encore publique. Votre rapporteur estime que l'attachement louable du Gouvernement à l'exception française aurait pu trouver à s'exercer dans d'autres domaines, ou du moins autrement qu'en freinant une évolution qu'il sait, par ailleurs, nécessaire.

STATUT, ACTIVITÉ ET RÉSULTATS FINANCIERS DES PRINCIPALES COMPAGNIES EUROPÉENNES

 

STATUT

ACTIVITE

ANNEE CIVILE 1998

RESULTATS DU DERNIER EXERCICE

 

Répartition du capital au 31/12/98 sauf mention contraire

Passagers

(milliers)

98/97

%

Passagers-km Transportés

(millions)

98/97

%

Tonnes-km transportées Fret (millions)

98/97

%

Tonnes-km transportées total (millions) 2( * )

98/97

%

Recettes d'exploitation

(millions US$)

Résultat net

(millions US$)

Air France

56,6 % Etat, 39,3 % privé, 6,4 employés,
4 % BNP

33 498

+15,2 %

74 598

+9,8

4 596

-6,3 %

11 500

-4,6 %

9 695

266

Alitalia

53 % Etat (holding IRI), 20 % employés, 27 % privé

24 178

-1,5 %

35 561

-1,2 %

1 473

+2,3 %

4 709

-0,1 %

4 971

260

British Airways

100 % privé

36 593

+7,0 %

116 001

+9,7 %

4 047

+3,4 %

14 658

+7,8 %

14 360

332

Iberia

53 % Etat (holding SEPI), 10 % BA+AA

22 259

+38,5 %

32 496

+17,6 %

746

-4,9 %

3 708

+11,9 %

4 214

235

KLM

75 % privé,
25 % Etat

14 991

+3,8 %

57 279

+3,4 %

3 709

-1,8 %

9 017

+1,1 %

6 323

216

Lufthansa

100 % privé

38 503

+9,1 %

75 438

+5,7 %

6 221

+0,9 %

13 010

+2,1 %

10 167

764

Certes, l'appartenance au secteur public n'empêche en apparence ni la conclusion d'alliances stratégiques ni la mise en oeuvre de programmes d'investissement ambitieux. Si la majorité des compagnies ont cependant rejoint le secteur privé, c'est que l'appartenance au secteur public limite l'autonomie de gestion des entreprises. La double tutelle du ministère des finances et du transport pèse ainsi sur Air France, ralentit les décisions et parfois empêche les mesures d'adaptation qui se révéleraient nécessaires. Les choix industriels peuvent être biaisés et le dialogue social faussé, dès lors que les ministres apparaissent comme des recours d'autant mieux mobilisables que pèsent sur deux des contraintes électorales et politiques, étrangères aux enjeux de l'entreprise.

Le choix du secteur privé permettrait, en outre, de disposer de moyens financiers suffisants pour développer une entreprise fortement capitalistique qui se doit d'avoir un programme d'investissement ambitieux pour faire face à la concurrence internationale. L'Etat n'a pas les moyens financiers de cette ambition ; l'ouverture récente du capital aux investisseurs privés en est, à cet égard, un aveu.

Il faut, en outre, noter que l'Etat opérateur du transport aérien n'est pas en mesure de jouer pleinement son rôle de régulateur et d'arbitre dans un secteur où il est juge et partie. De ce point de vue, la privatisation permettrait également une clarification.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page