III. L'INTERVENTION DU LEGISLATEUR
Les
mesures envisagées en faveur des communes forestières
relèvent pour la plupart de la compétence du pouvoir
exécutif, qui procède par redéploiement de crédits,
attribution de subventions et édiction de dispositions
réglementaires ou infra-réglementaires.
Néanmoins, le Parlement constitue une force de proposition et un relais
des attentes des citoyens.
Sans surestimer l'influence du Sénat, on peut constater que plusieurs
mesures suggérées par le président et le rapporteur
général de votre commission des finances, dans un
communiqué de presse daté du 11 janvier 2000, ont par la suite
été reprises par le gouvernement. Il s'agit notamment de
l'accélération des remboursements du FCTVA et de la
réduction à 5,5 % du taux de TVA sur les travaux forestiers.
Nous y reviendrons.
De même, sans le dépôt de la proposition de loi de nos
collègues Huriet, Delevoye et Fourcade, qui a pour objet de permettre
aux communes forestières de placer ailleurs qu'au Trésor le
produit de la vente des chablis, le gouvernement n'aurait peut-être pas
été aussi prompt à mettre au point des produits financiers
destinés à répondre aux besoins des collectivités
locales.
A. ELARGIR LES POSSIBILITÉS DE PLACEMENT DES FONDS PROVENANT DE LA VENTE DES CHABLIS
Annonçant devant le Sénat le 3 février
2000 la
possibilité pour les communes forestières de placer le produit de
la vente des chablis en bons du Trésor, le ministre de
l'intérieur ajoutait : "
Je sais que, sur ce dernier point,
plusieurs membres de la Haute Assemblée avaient déposé une
proposition de loi et j'espère que la mesure prise permettra de
répondre aux besoins dont ils se faisaient l'écho
".
Pourtant, dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi,
MM. Huriet, Delevoye, Fourcade et les autres signataires de la proposition
de loi n° 172 regrettaient que la loi impose aux communes
forestières de laisser les fonds provenant de la vente des chablis
"
au Trésor, ce qui ne leur apportera aucun
intérêt, ou de placer en bons et obligations d'Etat qui
rapporteront un intérêt peu important
".
L'objectif est donc bel et bien de permettre aux collectivités locales
forestières sinistrées de réaliser des placements
financiers en dehors du réseau du Trésor. Ce qui ne signifie pas
qu'elles saisiront cette opportunité pour se livrer à des
placements spéculatifs sur des marchés à risque.
Dans le droit actuel, le ministre des finances est en mesure d'admettre une
telle dérogation aux règles en vigueur. Devant les
réticences de celui-ci, votre rapporteur est conduit à suivre les
auteurs des deux propositions de loi et à proposer une modification de
l'article 15 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois
de finances.
1. Le principe et les dérogations à l'obligation de dépôt au Trésor des disponibilités des collectivités locales
Un
principe au coeur des relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales
L'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances
constitue le socle de notre droit budgétaire. Elle n'a jamais
été modifiée. Outre qu'elle affirme la primauté du
pouvoir exécutif en matière de finances publiques en limitant de
manière drastique la marge de manoeuvre du Parlement, elle reprend, en
son article 15, le principe posé par le décret impérial du
27 février 1811 imposant le dépôt au Trésor des
" fonds libres " des collectivités locales :
"
Sauf dérogation admise par le ministre des finances, les
collectivités territoriales de la République et les
établissements publics sont tenus de déposer au Trésor
toutes leurs disponibilités
". Ces dépôts ne sont
pas rémunérés.
L'obligation de dépôt au Trésor des disponibilités
s'inscrit dans le cadre global des relations financières entre l'Etat et
les collectivités locales. Les dépôts des
collectivités locales procurent à l'Etat une trésorerie
qui lui permet d'économiser les frais financiers qui
résulteraient d'un refinancement sur les marchés. En
contrepartie, l'Etat s'engage à verser aux collectivités locales,
par le biais d'un compte spécial du Trésor dit " compte
d'avance ", le produit de leur fiscalité directe par
douzième et leur garantit la perception du produit voté. La
charge pour l'Etat résultant de la gestion des impôts locaux est
atténuée par la perception sur le produit de ces impôts de
frais d'assiette et de recouvrement et de frais de pour
dégrèvement et non valeur.
En 1990, notre collègue Paul Loridant a analysé ces relations
dans un remarquable rapport d'information
4(
*
)
. Il en ressortait que, au total, le
bilan du coût de gestion des impôts locaux et des gains
résultant du dépôt non
rémunéré au Trésor des fonds libres des
collectivités locales se traduisait par une charge nettes pour l'Etat
d'environ 1 milliard de francs.
Il ressortait également que, grâce aux techniques de gestion de
trésorerie, les grandes collectivités bénéficiaient
des avantages du versement des " douzièmes provisoires " tout
en ne déposant au Trésor qu'un montant réduit de leurs
fonds. En revanche, les petites communes, dont le volume d'investissement est
réduit, étaient contraintes de laisser " dormir " leurs
excédents sur leur compte non rémunéré au
Trésor public.
Aujourd'hui,
l'inégalité entre collectivités
perdure
et, en outre, il n'est plus certain que la gestion de la
fiscalité locale se traduise encore par une charge nette pour l'Etat,
compte tenu de l'excédent dégagé par le compte d'avance
depuis 1996, dont le montant est estimé à 1,7 milliard de francs
en 2000.
Toutefois, l'objet de la présente proposition de loi n'est pas d'ouvrir
le débat sur les relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales mais de créer une nouvelle
dérogation à l'obligation de dépôt au Trésor
des disponibilités des collectivités territoriales de la
République.
Les dérogations " admises " par le ministre des
finances
L'article 15 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 prévoit que le
ministre des finances peut admettre des dérogations à
l'obligation de dépôt au Trésor des disponibilités.
Cela signifie que, dans certains cas, les collectivités locales sont
autorisées à utiliser leurs disponibilités pour
réaliser des placements qui leur rapportent un intérêt,
plutôt que de les déposer " gratuitement " au
Trésor.
Ces dérogations ont été prévues par une circulaire
des ministres de l'intérieur et des finances en date du 5 mars 1926,
dite " circulaire Doumer-Chautemps ". Elles ont été
rappelées dans l'instruction de la direction de la comptabilité
publique n° 63-16 - MO relative au placement des fonds libres des
collectivités locales.
Les dérogations admises sont de deux types :
- les
placements de trésorerie
: "
les fonds
recueillis par voie d'emprunt, en vue de l'exécution de travaux, peuvent
faire l'objet d'un placement lorsque leur emploi vient à être
différé pour des raisons indépendantes de la
volonté des collectivités locales qui empruntent
". Ces
placements concernent la trésorerie des collectivités, ne
figurent pas dans leur budget, et n'ont donc pas à être soumis
à l'approbation de l'assemblée délibérante. Ils
doivent cependant être approuvés par le trésorier-payeur
général (TPG). Ces placements peuvent être
réalisés en bons et obligations du Trésor.
- les
placements budgétaires
: "
les
assemblées délibérantes ne sont pas tenues de demander des
autorisations spéciales pour
placer les excédents de recettes
non absorbées par les dépenses de l'exercice en cours
, dans
la mesure où les fonds proviennent de
libéralités
(dons et legs), de
l'aliénation d'un élément de
patrimoine
ou correspondant à un excédent définitif
non susceptible d'être utilisé autrement, c'est-à-dire
d'être employé à réduire les charges des
administrés, soit directement par l'allégement des impositions,
soit indirectement par amortissement de la dette
. " Puisque ces
placements figurent au budget de la collectivité, l'intervention de
l'assemblée délibérante est requise. En revanche, ces
placements ne sont pas soumis à une autorisation du TPG.
Les fonds provenant de la vente de bois chablis par les communes
forestières sinistrées par la tempête entrent dans la
catégorie des fonds susceptibles de faire l'objet de placements
budgétaires, puisque la destruction des forêts constitue une
aliénation d'un élément de patrimoine.
Selon une instruction de la direction de la comptabilité publique de mai
1976, "
ces placements ne peuvent être effectués qu'en
rente ou valeurs autorisées. Sur ce dernier point, on notera que la
liste des valeurs autorisées englobe, désormais, non seulement
les titres des emprunts d'Etat et les diverses catégories de bons du
Trésor mais également les titres des emprunts garantis par
l'Etat
".
Les collectivités locales peuvent également être
autorisées à "
employer les fonds provenant de
libéralités en toutes valeurs mobilières inscrites
à la cote officielle d'une bourse française
". Cette
possibilité est soumise à des conditions particulièrement
restrictives. Les placements doivent être autorisés par le TPG et
concernent uniquement les fonds provenant de libéralités (les
fonds provenant d'une aliénation de patrimoine en sont donc exclus)
bénéficiant à des collectivités dans lesquelles de
telles libéralités présentent en caractère
" habituel ". De plus, "
cette autorisation sera
subordonnée à la condition, d'une part, que la personne publique
n'emploie pas plus de 10 % des sommes disponibles pour ses placements, en
titre d'une même collectivité, d'autre part, qu'elle
n'acquière pas plus de 10 % des titres, évalués
à leur valeur nominale, émis par une collectivité, ni plus
de 10 % du nombre des titres sans valeur nominale émis par une
même collectivité, et qu'elle ne dispose de plus d'un
dixième des droits de vote dans une société
".
2. Une obligation qui doit être assouplie mais encadrée
La
nécessaire modification de l'ordonnance organique de 1959
L'objectif des auteurs des deux propositions de loi, auquel souscrit votre
rapporteur, est de permettre aux collectivités forestières
sinistrées de placer le produit de la vente des chablis de
manière à faire fructifier cette ressource pour atténuer
les conséquences financières de la destruction des forêts.
Les placements dans le réseau du Trésor, s'ils présentent
l'avantage d'une sécurité totale, n'offrent pas des taux
d'intérêt très rémunérateurs. Le
21 février 2000, le taux à un mois s'élevait à
3,28 % et le taux à 5 ans s'établissait à
5,22 %. Les établissements financiers privés peuvent servir
des rémunérations supérieures pour des placements
très faiblement risqués.
Les communes forestières pourraient bénéficier de tels
produits si le ministre des finances " admettait " que les communes
victimes d'une aliénation forcée d'un élément de
patrimoine puissent se voir appliquer un régime comparable à
celui des communes qui reçoivent habituellement des
libéralités, et qui sont autorisées à placer les
fonds provenant de ces libéralités en "
valeurs
mobilières inscrites à la cote de toute bourse
française
".
Malheureusement, et même si le champ d'application de la mesure
proposé est très limité
5(
*
)
, le ministre des finances ne semble pas
envisager une telle évolution qui, il est vrai, aurait pour
conséquence de réduire la trésorerie de l'Etat et donc
d'accroître ses frais financiers.
Ainsi, en réponse à une question adressées au
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
("
Quelle est la nature exacte des produits que le gouvernement
envisage de proposer aux collectivités locales forestières
victimes de la tempête pour placer le produit de la vente des
chablis ? Quel est (approximativement) le taux auquel ces produits sont
rémunérés ?
"), votre rapporteur a obtenu la
réponse suivante : "
Les communes pourront souscrire des
bons du Trésor à taux fixe (BTF) pour un montant minimum de 1.000
euros, soit 6.550 francs (au lieu de 1 MF jusqu'ici).
"
Au total, il apparaît donc que
, juridiquement, une modification de
l'ordonnance organique ne serait pas nécessaire pour atteindre
l'objectif fixé par les auteurs des propositions de loi
. Toutefois,
en raison de l'absence de volonté politique du gouvernement, votre
rapporteur a été conduit à reprendre dans ses conclusions
la modification proposée de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
tendant à rendre facultatif le dépôt au Trésor des
disponibilités des collectivités lorsque ces fonds proviennent
d'une aliénation forcée de patrimoine (
Article 1er
).
Le refus du gouvernement est regrettable à plusieurs titres :
- il contraint le Parlement à engager une réforme de l'ordonnance
organique " par la petite porte ", alors même que des
réflexions globales à ce sujet sont en cours au sein des
commissions des finances des deux Assemblées ;
- il témoigne du fait que, vingt ans après que le vote des taux
des impôts locaux par les collectivités locales et douze ans
après la liberté d'emprunt, et alors même que les
performances des collectivités locales en matière de gestion
financière n'ont rien à envier à celles de l'Etat
6(
*
)
, celui-ci ne considère toujours
pas les élus locaux comme des gestionnaires responsables.
L'assouplissement de l'obligation de dépôt au Trésor
des disponibilités doit être encadré
Dans l'esprit de votre rapporteur, la mise en place d'une liberté de
placement pour les fonds des collectivités locales provenant d'une
aliénation forcée d'un élément de patrimoine ne
doit pas signifier que les collectivités locales concernées
pourront s'affranchir de toute règle prudentielle.
En conséquence, il appartiendra au ministre des finances de
définir, par voie réglementaire, la liste des produits que les
collectivités locales seront autorisées à souscrire. En
somme,
la dérogation introduite par la proposition de loi doit
être interprétée comme une nouvelle étape dans le
processus, en cours depuis 1926, d'allongement de la liste des
dérogations admises par le ministre des finances à l'obligation
de dépôt des fond libres des collectivités locales
prévue à l'article 15 de l'ordonnance organique du 2 janvier
1959.