EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi n° 325 (1998-1999) de M. Bernard Joly tendant à permettre la dévolution directe de tous les biens vacants et sans maître à la commune en lieu et place de l'Etat.
Aux termes de l'article 713 du code civil, en effet, les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à l'Etat. Ces dispositions doivent être rapprochées de celles de l'article 539 du même code qui établit que " tous les biens vacants et sans maître et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent au domaine public . "
Le code du domaine de l'Etat ( article 27 bis ) prévoit pour sa part une procédure d'appréhension permettant l'attribution à l'Etat d'un immeuble qui n'a pas de propriétaire et dont les contributions foncières y afférentes n'ont pas été acquittées depuis plus de cinq années.
Malheureusement un peu anciennes puisqu'elles remontent au début des années 80, les statistiques font état de 2 500 à 3 000 parcelles dont le propriétaire est inconnu, qui seraient appréhendées par l'Etat chaque année.
Le droit ainsi reconnu à l'Etat sur les immeubles vacants ou sans maître - qui est le plus souvent rattaché à la notion de souveraineté - a néanmoins été contesté, notamment après les lois de décentralisation et au regard de la nouvelle organisation administrative que celles-ci ont mise en place.
La présence de biens vacants sur leur territoire peut, en effet, poser à certaines communes des difficultés spécifiques auxquelles elles souhaiteraient répondre par des moyens mieux adaptés. Elles peuvent, en outre, trouver un intérêt propre à pouvoir récupérer ces biens.
Plusieurs propositions de loi ont ainsi tendu à transférer aux communes la dévolution des immeubles vacants. Force est néanmoins de constater que les réflexions menées dans ce sens n'ont pas abouti, en raison d'un certain nombre de difficultés juridiques mais aussi financières qui ont pu être identifiées.
La présente proposition de loi s'inscrit -à tout le moins dans son inspiration- dans la continuité des précédentes propositions sur le même thème . Se fondant sur le constat que les communes seraient mieux à même de savoir quels sont les biens susceptibles d'être vacants et sans maître et quel usage en faire au profit de la communauté, son auteur suggère de leur permettre, d'une façon générale, de se substituer à l'Etat et d'obtenir la dévolution directe de tous les biens vacants et sans maître selon un dispositif similaire à celui actuellement prévu pour l'Etat.
Avant de présenter les travaux de votre commission des Lois, le présent rapport s'attachera à rappeler les différentes procédures de dévolution à l'Etat des biens vacants ou sans maître.
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Appelés indistinctement biens " vacants " ou " choses non appropriées ", les biens sans maître présentent la caractéristique d'être des choses qui, par leur nature, sont susceptibles de propriété privée mais qui n'ont jamais fait l'objet d'un rapport juridique parce que personne n'a jamais songé à se les approprier ou qui ont cessé d'en faire l'objet parce que celui qui avait un droit de propriété l'a perdu.
En dépit de sa formulation générale, l'article 713 du code civil ne s'applique qu'aux immeubles. Dès qu'un immeuble n'a plus de maître, sa propriété est attribuée à l'Etat.
Le fondement de cette règle est, en général, recherché dans le droit souverain de l'Etat. Celui-ci disposerait sur tous les biens situés sur son territoire, d'une sorte de droit éminent qui se réaliserait uniquement lorsque ces biens sont abandonnés ou en déshérence.
Le Doyen Jean Carbonnier a parfaitement résumé cette conception en justifiant la règle de la dévolution des biens vacants à l'Etat par le fait que les immeubles " sont une portion du territoire national . "
Elle trouve sa pleine expression en matière de succession . Le droit souverain de l'Etat permettrait de prévenir les désordres que ne manqueraient pas de provoquer les prétentions concurrentes de ceux qui chercheraient à être les premiers occupants des successions vacantes.
Portalis analysait en ces termes le pouvoir souverain reconnu à l'Etat dans ce domaine : " sur des biens vacants par la mort du propriétaire, on ne voit d'abord d'autre droit proprement dit que le droit même de l'Etat. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, ce droit n'est pas et ne peut pas être un droit d'hérédité, c'est un simple droit d'administration et de gouvernement. Jamais le droit de succéder aux fortunes privées n'a fait partie des prérogatives attachées à la puissance publique (...). L'Etat ne succède pas. "
La Cour de cassation a clairement établi dans ce sens la nature des droits de l'Etat qui reçoit une succession en déshérence en qualité, non point d'héritier, mais de souverain appelé à recueillir les biens vacants et sans maître ( 1 ère chambre civile, 6 avril 1994 ).
Pour autant, appelé à combler un vide générateur de désordre, l'Etat est écarté dès lors que se manifeste un successeur. Cette solution, déjà admise dans l'ancien droit, a été confirmée par le code civil.
Le domaine des successions vacantes ou en déshérence ( articles 723 et 168 du code civil) constitue l'illustration la plus courante des cas où l'Etat recueille des biens sans maître. Les dispositions de l'article 768 du code civil qui précise qu'" à défaut d'héritier, la succession est acquise à l'Etat " ne sont qu'une variante du droit plus général de celui-ci de recueillir les biens vacants, droit qui est posé par les articles 539 et 723 du même code, dont la proposition de loi suggère la modification.
Lorsqu'une personne décède sans laisser de successeur, l'Etat peut avoir recours à la procédure des successions en déshérence en requérant l'envoi en possession ou plus simplement demander à ce que la succession soit déclarée vacante. Obligatoirement désigné en qualité de curateur de la succession vacante, le service des domaines en assure la liquidation en se conformant à la plupart des règles qui s'imposent à l'héritier bénéficiaire.
L'envoi en possession se définit, pour sa part, comme l'ensemble des formalités que l'Etat doit satisfaire, en raison de l'incertitude de son titre, pour entrer en possession. Ces formalités ont pour but à la fois d'avertir de l'ouverture de la succession les successeurs que le défunt peut avoir laissés et de garantir leurs intérêts au cas où ils se présenteraient ultérieurement.
Afin d'établir officiellement la consistance de la succession, l'article 769 du code civil impose deux formalités préalables : l'apposition de scellés et la confection d'un inventaire qui précède normalement la demande d'envoi en possession. L'envoi en possession est de la compétence du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la succession s'est ouverte ( article 770 du code civil).
Saisi par le directeur des Domaines d'une demande d'envoi en possession, le tribunal de grande instance rend un jugement préparatoire prescrivant " une publication et affiche dans les formes usitées " ( article 770 du code civil). Trois mois et quarante jours après l'accomplissement dûment justifié de la dernière formalité de publicité, le directeur présente une requête d'envoi en possession définitive . Pour le succès de sa demande, l'Etat doit démontrer qu'il n'existe pas de successeur en rang préférable. La décision du tribunal est soumise aux voies de recours de droit commun.
En requérant l'envoi en possession d'une succession en déshérence, l'Etat manifeste sa volonté de la recueillir. Comme toute succession, celle-ci doit être administrée, ce qui signifie que le service des Domaines doit en gérer l'actif et en liquider le passif.
Au titre de la gestion de l'actif , le service des Domaines peut, avant l'envoi en possession définitive, effectuer tous actes conservatoires nécessaires, administrer provisoirement la succession et exercer tous les droits et actions qui en dépendent. Il peut également, s'il y est autorisé, procéder aux aliénations d'immeubles nécessaires pour se procurer les fonds indispensables au paiement des dettes ou des legs et des réparations urgentes. Enfin, s'il y est autorisé par le jugement d'envoi en possession provisoire ou par décision spéciale, il peut poursuivre le recouvrement des créances venues à échéance avant l'envoi en possession définitive.
Après l'envoi en possession définitive, l'Etat est dans la même situation qu'un héritier saisi.
S'agissant de la liquidation du passif , l'Etat est soumis à l'exercice de toutes les actions qui auraient pu être dirigées par des tiers contre le défunt. Son obligation d'acquitter les dettes et les charges de la succession limite la valeur des biens recueillis. Il n'est cependant jamais tenu de payer le passif successoral au-delà des forces de la succession.
Outre qu'il doit supporter les charges qui peuvent peser sur la succession, l'Etat envoyé en possession reste dans une situation précaire à l'égard de celle-ci puisque la restitution de la succession peut être réclamée pendant trente ans , à compter de l'ouverture de la succession. En effet, au cas où des successeurs légaux ou testamentaires se font connaître, postérieurement à l'envoi en possession et réclament la restitution, la question est réglée soit à l'amiable , soit par une action en pétition d'hérédité contre l'Etat.
Si l'action est accueillie, l'administration des domaines restitue les biens encore entre ses mains, dans l'état où ils se trouvent, sans être comptable des dégradations. Si elle a aliéné les biens héréditaires, elle n'en doit que le prix qu'elle a touché quelle que puisse être leur valeur.
Au cas où les formalités de l'envoi en possession n'auraient pas été observées, l'article 772 du code civil permet de condamner l'administration des domaines à des dommages-intérêts envers les héritiers.
Ces différents aspects de la procédure applicable aux successions en déshérence mettent donc en évidence qu'il s'agit d'une procédure lourde pour l'Etat et marquée par une assez forte précarité tenant tout à la fois aux charges qui peuvent affecter la succession et à la durée pendant laquelle celle-ci peut être réclamée.
En dehors des cas de successions vacantes, il est plus rare qu'un immeuble n'ait pas de maître.
Cependant, l'article L. 27 bis du code du domaine de l'Etat établit que lorsqu'un immeuble n'a pas de propriétaire connu et que les contributions foncières y afférentes n'ont pas été acquittées pendant plus de cinq ans , un arrêté préfectoral constate la situation, après avis de la commission communale des impôts directs. Cet arrêté est publié et affiché. S'il y a lieu, il est également notifié au dernier domicile ou résidence connus du propriétaire. En outre, si l'immeuble est habité ou exploité, l'arrêté est aussi notifié à l'intéressé.
Si le propriétaire ne s'est pas fait connaître dans les six mois qui suivent la date d'accomplissement de la dernière de ces mesures de publicité, l'immeuble est alors présumé sans maître par application des dispositions de l'article 539 du code civil. Un nouvel arrêté préfectoral en attribue la jouissance au service des Domaines. L'Etat peut alors aliéner ou utiliser le bien ainsi appréhendé mais son droit de propriété ne se trouve consolidé que passé trente ans. En pratique, cette procédure semble se dérouler en moyenne sur une période de vingt quatre mois.
Dans le cas où le propriétaire, ou ses ayants cause, révèlent leur présence dans le délai de trente ans, ils ne peuvent plus en exiger la restitution si l'immeuble a été aliéné entre temps ou utilisé d'une manière qui met obstacle à sa restitution. Si l'Etat est devenu propriétaire de droit, il est seulement tenu de payer une indemnité égale à la valeur de l'immeuble.
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Si elles datent désormais, les données recueillies en 1984 à l'occasion d'une enquête menée auprès de directions des services fiscaux de France métropolitaine permettent d'avoir une représentation de l'ampleur de la question des biens vacants. Il faut regretter que ces données n'aient pas fait l'objet d'une mise à jour qui aurait été fort utile. Des statistiques communiquées à votre rapporteur mettent en évidence que 4.813 immeubles vacants et présumés vacants et sans maître auraient appréhendés en 1998. Toutefois, la part des biens vacants proprement dits dans cette statistique doit être considérée comme marginale.
L'enquête menée en 1984 avait fait ressortir que le nombre de biens identifiés à la matrice cadastrale à la rubrique " Domaine, propriétaire inconnu " s'élevait au 1 er janvier 1984 à 71 967 immeubles comprenant pour les communes rurales 61 268 parcelles de terrains et 535 immeubles bâtis et pour les communes recensées 9 457 parcelles de terrains et 707 immeubles bâtis. Le nombre global de parcelles de toute nature inscrites au cadastre sur l'ensemble du territoire s'élevait à la même date à 97 107 576.
Au total, 3 113 parcelles avaient été appréhendées par l'Etat en 1982 et 2 576 en 1983. Toutefois, les procédures engagées avaient donné lieu respectivement en 1982 et 1983 à 54 et 44 revendications ayant abouti pour chacune de ces années à 13 restitutions ou indemnisations de la part de l'Etat.
En outre, les enquêtes préalables à la mise en oeuvre de la procédure d'appréhension avaient permis de retrouver un certain nombre de propriétaires, dans une proportion variable d'un département à l'autre, mais qui était de 50% en moyenne.
Compte tenu du nombre d'appréhensions effectuées, le coût total de la procédure était estimé à environ 6 500 000 F par an dont près de 2 800 000 F correspondant à des dépenses de personnel. La durée moyenne de la procédure état de l'ordre de vingt quatre mois.
A la suite des lois de décentralisation, une réflexion interministérielle a été entreprise afin de déterminer dans quelle mesure il serait envisageable de rendre les communes bénéficiaires des biens vacants et sans maître.
Cette réflexion a mis en évidence deux séries de difficultés qu'une telle mesure pourrait poser.
Les difficultés recensées ont été, en premier lieu, d'ordre juridique . Les communes disposent, en effet, de procédures pour acquérir des biens vacants, à travers l'expropriation et la déclaration d'abandon manifeste ( article L. 2243-1 et suivants du code général des collectivités territoriales).
Or, si les biens vacants leur étaient dévolus en lieu et place de l'Etat, elles seraient confrontées à plusieurs obstacles : apprécier si le bien relève d'une succession et mettre en oeuvre le cas échéant la procédure de succession en déshérence ; faire supporter par les élus locaux une éventuelle responsabilité pénale pour les dommages causés par les biens à des tiers ; supporter le risque d'une réclamation du bien par un propriétaire qui n'avait pas été identifié au début de la procédure.
A ces difficultés juridiques se sont ajoutées des interrogations sur l'étendue du transfert de charges financières qui résulterait pour les communes de la gestion des procédures relatives aux biens vacants.
Ces différentes difficultés expliquent qu'à ce jour, la proposition de transférer de l'Etat aux communes la dévolution des biens vacants n'ait pas abouti. On y ajoutera l'interrogation qui porte sur la possibilité de remettre en cause le droit souverain de l'Etat sur ces biens vacants.
Il reste que, même si cette question ne semble pas avoir une grande ampleur, les communes qui ont des biens vacants sur leur territoire rencontrent des difficultés objectives.
Elles peuvent tout d'abord être confrontées à l'inertie de l'Etat pour diligenter les procédures qui permettent d'aboutir à une dévolution du bien vacant à la collectivité publique. Or, elles se trouvent, dans ce cas, démunies pour obtenir le déclenchement de la procédure.
En outre, face à des situations qui se sont prolongées pendant des années, les délais de mise en oeuvre des procédures de dévolution du bien à l'Etat apparaissent souvent trop longs.
Le même sentiment est ressenti par beaucoup d'élus à l'égard des procédures propres aux communes, telles que l'expropriation ou la déclaration d'abandon manifeste, laquelle peut aboutir à une expropriation mais sous réserve que le but de cette dernière soit la construction de logements ou la réalisation d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement.
Enfin, des communes qui ont dû engager des frais dans le cadre de procédures de péril peuvent avoir légitimement le sentiment que leurs efforts financiers ne sont pas payés de retour.
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Considérant que les communes sont mieux placées que l'Etat pour savoir quels biens sont susceptibles d'être vacants et sans maître et quel usage il convient d'en faire au profit de la collectivité, la proposition de loi de M. Bernard Joly prévoit de transférer de l'Etat aux communes la dévolution des biens vacants et sans maître.
Composée de quatre articles, elle modifie à cette fin, les articles 539 et 713 du code civil ainsi que les articles L. 27 bis et L. 27 ter du code du domaine de l'Etat, afin de substituer la commune à l'Etat dans chacun de ces articles.
Cette modification du régime de dévolution des biens vacants et sans maître aurait donc une portée générale . Le transfert s'opérerait de plein droit à la commune, que celle-ci l'ait ou non accepté.
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Il convient d'observer que des textes spéciaux attribuent déjà certains biens à des personnes morales de droit public qui priment l'Etat et les recueillent au même titre que lui. Ainsi, l'article L. 714-39 du code de la santé publique prévoit que les effets mobiliers (vêtements, linges) apportés par les personnes décédées dans les hôpitaux et hospices appartiennent à ceux-ci, à l'exclusion des Domaines, en cas de déshérence lorsque le malade a été soigné gratuitement. De même, le département du domicile de secours succède en cas de déshérence aux pupilles de l'Etat ( article 64 du code de la famille et de l'aide sociale). Les caisses et sociétés de secours mutuels acquièrent, pour leur part, le montant des livrets de caisse d'épargne ouverts chez elles par des personnes dont la succession est en déshérence, tandis que la caisse des invalides de la Marine a droit aux deniers et effets des marins et autres personnes décédées en mer sans héritiers.
En outre, s'agissant des terres improductives , l'article 1401 du code général des impôts prévoit que leurs propriétaires peuvent s'affranchir de l'imposition à laquelle elles doivent être soumises en renonçant à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.
Cependant ces cas spécifiques et bien délimités ne suffisent pas à remettre en cause le principe général de la compétence de l'Etat pour les biens vacants et sans maître.
D'une toute autre portée serait l'adoption d'une mesure générale transférant cette compétence aux communes.
Votre commission des Lois a souhaité évaluer la portée d'une telle mesure au regard d'une double préoccupation : d'une part, apprécier quel pourrait être son impact sur le régime des successions ; d'autre part, déterminer l 'intérêt que les communes pourraient y trouver, compte tenu des charges nouvelles qu'elles devraient supporter.
En ce qui concerne le régime des successions, force est de constater que la proposition de loi aurait un impact sur les règles en vigueur et sur les caractéristiques mêmes des successions.
En effet, dès lors qu'il serait spécifié à l'article 713 du code civil que les biens sans maître appartiennent non plus à l'Etat mais à la commune, une telle modification aurait des conséquences sur les dispositions de l'article 723 du même code qui précisent, qu'à défaut d'héritiers légitimes ou naturels ou du conjoint survivant, les biens passent à l'Etat. Il serait, en effet, nécessaire de déroger à cette dernière règle pour les immeubles qui reviendraient désormais à la commune sur laquelle ils sont situés, étant précisé qu'une même succession peut contenir des biens situés sur plusieurs communes différentes.
Or une telle modification s'accorderait mal avec les principes du droit successoral, puisqu'elle aboutirait à une dévolution en fonction de la nature des biens en contradiction avec les principes d'ordre successoral et d'universalité du patrimoine.
Sans préjuger des résultats d'un examen complémentaire permettant d'évaluer toutes les conséquences d'un tel transfert des biens vacants de l'Etat aux communes, examen qui pourrait prendre place dans le cadre de la réflexion plus globale sur les successions engagée depuis plusieurs années déjà, votre commission des Lois a jugé préférable de ne pas retenir des dispositions qui pourraient avoir des effets sur le régime des successions.
Cette première préoccupation d'ordre général sur les conditions d'application des règles relatives aux successions se double d'une seconde préoccupation qui concerne les conséquences des dispositions proposées pour les communes.
La dévolution des biens vacants aux communes aurait pour effet de leur transférer la gestion des procédures y afférentes dont votre rapporteur a déjà souligné la lourdeur. Outre la complexité de ces procédures, la commune devrait en subir le coût qui, comme l'a mis en évidence l'enquête réalisée en 1984, n'apparaît pas négligeable.
Par ailleurs, dans le cas des successions, les communes devraient, le cas échéant, supporter le poids sur la succession de la liquidation du passif, certes dans la limite des forces de la succession.
La commune resterait également exposée au risque d'une réclamation du bien pendant la période trentenaire requise pour la prescription de l'action.
En outre, la commune devrait supporter le coût de la gestion des biens, notamment les frais de remise en état des sites et de manière générale l'entretien. Les différentes charges grevant le bien - qui perdurent après la dévolution de celui-ci - seraient transférées à la commune comme elles le sont actuellement à l'Etat.
Enfin, la dévolution directe des biens vacants à la commune se traduirait par un transfert de responsabilité pour les dommages causés par les biens qui sont souvent de faible valeur et non entretenus. Ainsi, la responsabilité de la commune, voire celle de ses responsables, pourrait être recherchée, par exemple, si le bien qui lui a été dévolu était pollué et provoquait des dommages à l'environnement.
Pour tous ces motifs, une dévolution directe sans que la commune n'ait pu le cas échéant faire connaître son opposition, paraît devoir être écartée.
De manière générale, la gestion par la commune de procédures actuellement prises en charge par l'Etat pourrait présenter pour elle plus d'inconvénients que d'avantages.
Pour ces motifs et sous réserve des résultats d'une réflexion plus globale souhaitée par votre commission des Lois, il n'apparaît pas opportun de remettre en cause le régime actuel de dévolution des biens vacants.
Toutefois, soucieuse de répondre aux difficultés rencontrées par certains maires ayant des biens vacants sur le territoire de leur commune, votre commission des Lois a estimé que, sans remettre en cause le principe de la dévolution des biens vacants à l'Etat, il était possible de renforcer la prise en compte des intérêts des communes dans les procédures existantes.
C'est pourquoi, elle vous propose de modifier et de compléter l'article L. 27 bis du code du domaine de l'Etat avec un triple objectif.
D'une part, la procédure d'appréhension du bien vacant pourrait être déclenchée à la demande du maire de la commune concernée. Cette précision permettrait au maire qui, au vu du rôle des contributions directes, a constaté que le bien était vacant de pallier l'éventuelle carence de l'Etat à diligenter ces procédures.
D'autre part, il paraît nécessaire de prévoir l'information directe du maire de la commune concernée, à chacun des arrêts préfectoraux pris dans le cadre de la procédure d'appréhension. Même si ces arrêtés font l'objet d'une publication et d'un affichage, force est de constater, en effet, que les communes sont souvent mal informées de l'existence d'une procédure en cours.
Enfin, un droit de priorité pour l'acquisition du bien vacant devrait être reconnu à la commune dès lors que l'Etat a décidé de céder le bien.
Tout en fixant le principe de l'adjudication publique pour l'aliénation des biens du domaine privé de l'Etat, le code du domaine de l'Etat permet qu'elle puisse dans certains cas se faire à l'amiable ( articles R. 129 et suivants , R. 148-3 ).
La loi du 31 juillet 1991 d'orientation pour la ville ( article 30 ) a, de manière plus affirmée reconnu un droit de priorité aux communes lorsqu'elles souhaitent réaliser des équipements publics ou des logements à usage locatif.
Cette disposition pourrait être généralisée . En conséquence, l'Etat serait obligé de notifier à la commune son intention d'aliéner l'immeuble et de lui indiquer le prix de mise en vente. La commune pourrait alors exercer un droit de priorité pour l'acquisition de l'immeuble dans un délai de deux mois à compter de cette notification. A l'expiration de ce délai, l'aliénation serait faite dans les conditions de droit commun.
Ces propositions sont formalisées à l'article 1 er des conclusions que votre commission des Lois vous soumet.
En outre, dès lors que le bien a fait l'objet d'une déclaration d'état d'abandon manifeste , il paraît possible de permettre son expropriation selon les dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique sans exiger des conditions supplémentaires quant au but de l'expropriation.
On rappellera que lorsque, dans une commune, des immeubles, parties d'immeubles, installations et terrains sans occupant à titre habituel ne sont manifestement plus entretenues, le maire, à la demande du conseil municipal, engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d'abandon manifeste ( article L. 2243-1 du code général des collectivités territoriales).
Au terme d'une procédure de constat provisoire et à l'issue d'un délai de six mois à compter de l'exécution des mesures de publicité et des notifications au propriétaire, le maire constate par un procès-verbal définitif l'état d'abandon manifeste de la parcelle et saisit le conseil municipal qui décide s'il y a lieu de déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et d'en poursuivre l'expropriation au profit de la commune pour une destination qu'il détermine ( articles L. 2243-2 et L. 2243-3 ).
Dans sa rédaction issue de la loi n° 89-550 du 2 août 1989, l'article L. 2243-4 du code général des collectivités territoriales exige néanmoins que l'expropriation ait pour but soit la construction de logements, soit tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement.
Ces conditions supplémentaires paraissent inutilement restrictives. L'utilité publique de l'expropriation peut certes être fondée sur de tels motifs. Elle peut également reposer sur d'autres motifs d'intérêt général tels que les nuisances causés à l'environnement et au paysage par le bien abandonné.
Il pourrait être dès lors envisagé de prendre en compte ces motifs dans la rédaction du second alinéa de l' article L. 2243-4 qui serait complétée à cette fin. Toutefois, jugeant préférable d'éviter une complexité excessive, votre Commission des Lois a privilégié un renvoi au droit commun de l'expropriation, suggérant, en conséquence, l'abrogation de cet alinéa.
Les communes pourraient alors être davantage incitées qu'elles ne le sont actuellement à utiliser la procédure de déclaration d'abandon manifeste pour résoudre les problèmes que leur pose la présence d'un bien vacant sur leur territoire. Soulignons que cette procédure très encadrée permet d'assurer le respect des droits du propriétaire, à charge pour ce dernier de remplir ses obligations.
Cette proposition est formalisée à l'article 2 des conclusions que votre commission des Lois vous soumet.
Enfin, l'intitulé de la proposition de loi doit être modifiée, d'une part, pour ne faire référence qu'aux immeubles qui sont seuls concernés et, d'autre part, pour tenir compte du nouveau dispositif qui vous est proposé.
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Sous le bénéfice de ces observations, la commission des Lois vous propose d'adopter la présente proposition de loi dans les conclusions qu'elle vous soumet.