EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le
jeudi 4 novembre 1999
sous la
présidence de M. Alain Lambert, président
, la commission a
procédé à
l'examen
des
crédits
de la
défense
:
exposé d'ensemble et
dépenses en capital
et article 41
, sur le rapport de
M. Maurice Blin, rapporteur spécial.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a rappelé que depuis dix
ans, date de la chute du mur de Berlin, les armées subissaient un
profond bouleversement. Elles se préparaient alors à un conflit
massif avec l'Union soviétique alors que la géostratégie
leur impose maintenant de mener des opérations, ponctuelles et
lointaines, où la technologie et le professionnalisme prennent une part
majeure. Les armées françaises se sont depuis
professionnalisées, celles de nos voisins ont suivi ou s'engagent sur la
même voie.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a indiqué que le
projet de budget de la défense pour 2000 s'élève à
241,8 milliards de francs et, hors pensions, à 187,4 milliards de
francs. En francs courants, il est en réduction de 1,4 %, et en francs
constants, de 2,2 %. Cette évolution surprend alors que les
dépenses publiques dans leur ensemble sont par ailleurs stables en
francs constants.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a précisé que
le déséquilibre entre le titre III et les titres V et VI continue
de s'accroître. En effet, en francs courants, le titre III
s'accroît de 0,5 % alors que les titres V et VI régressent de 3,6
%.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a précisé le
montant de la sous-consommation des crédits de paiement des titres V et
VI. En 1997, pour une loi de finances initiale de 88,7 milliards de francs, 76
milliards de francs seulement ont été consommés soit une
sous-consommation de 12,7 milliards de francs. En 1998, par l'effet de
" l'encoche ", la loi de finances initiale a été
ramenée à 81 milliards de francs mais 69 milliards de francs
seulement ont été consommés, soit une sous-consommation de
12 milliards de francs. En 1999, la loi de finances initiale se montait
à 86 milliards de francs et il semble que la consommation des
crédits ne dépassera guère 75 milliards de francs. La
sous-consommation sera donc proche de 11 milliards de francs.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a alors
présenté les titres V et VI du projet de budget pour 2000. Il a
regretté que les crédits de paiement soient ramenés
à 82,9 milliards de francs et exprimé la crainte que
d'éventuels reports de crédits de 1999 sur l'année 2000 ne
puissent atténuer les effets d'une telle réduction.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a fait part des
leçons qu'il tirait de cette situation :
-
la
sous-consommation de 10 % des crédits aboutit
à une perte moyenne de 8 milliards de francs par an ;
- la loi de programmation militaire n'est pas respectée puisque
82,9 milliards de francs sont substitués à 86,7 milliards de
francs, soit une perte de 4 % ;
- le décret d'avance du 2 septembre 1999 a opéré une
ponction de 4 milliards de francs au profit du titre III.
M. Maurice Blin
a rappelé qu'il avait souvent été
dit par le passé que le titre V du budget du ministère de la
défense constituait " une variable d'ajustement " du budget
général. Il a regretté que cette situation perdure au
moment où les ressources budgétaires connaissent une augmentation
spectaculaire.
Il a précisé que, à l'exception de la gendarmerie, les
crédits des titres V et VI de toutes les composantes du ministère
de la défense étaient en réduction, en moyenne de 4,9 %.
Il a ajouté en outre, qu'en infraction formelle à la règle
posée par la loi de programmation militaire, des crédits
continuaient à être versés au " budget civil de
recherche et de développement " (BCRD) : en 1997,
2 milliards de francs ; en 1998, 0,5 milliard de francs ; en
1999, 0,9 milliard de francs et, en 2000, 1,5 milliard de francs.
Le rapporteur spécial a regretté de ne pouvoir mesurer
précisément l'évolution des crédits de recherche du
ministère de la défense.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a présenté les
principaux programmes d'équipement des armées. Il a
indiqué que les crédits du secteur nucléaire diminuaient
dans la même proportion que les crédits du titre V et que la
moitié d'entre eux était destinée à la composante
océanique. Il a rappelé que l'objectif était de constituer
une flotte de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de
nouvelle génération (SNLE-NG), le troisième devant
être admis au service actif en 2004 et le quatrième en 2008. En
outre, le missile M 45 sera remplacé par le missile M 51. Enfin, pour le
programme de simulation qui doit remplacer les essais nucléaires, il a
noté que les crédits étaient en régression de 3,5 %.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a regretté la
situation dans laquelle se trouve le domaine spatial dont les crédits
sont en repli de 15,25 %. L'abandon du programme de satellite Horus,
à la suite de la défection de la partie allemande, et celui du
programme Trimilsatcom, à la suite de l'abandon de la partie
britannique, expliquent cette chute regrettable des crédits. Il semble
que les pays européens n'aient pas tiré la leçon de leurs
difficultés en matière de renseignement lors des
opérations du Kosovo.
M. Maurice Blin
a rappelé que la cible de 406 chars Leclerc
était maintenue et que les livraisons de ce blindé seront de 22
en 2000, et les commandes de 44. L'hélicoptère de combat Tigre,
construit par la société Eurocopter, a fait l'objet d'une
première commande en 1999 partagée avec l'Allemagne
(80 hélicoptères pour chaque pays). La situation de
l'hélicoptère de transport et de lutte anti-sous-marine
NH 90 est moins satisfaisante. Des doutes existent sur le financement de
cet appareil qui doit équiper les armées française,
allemande, italienne et néerlandaise. Pour la marine, il a noté
le nouveau retard de la mise en service du porte-avions Charles de Gaulle en
raison, notamment, des difficultés liées à la durée
de sa construction. Trois avions Rafale de série équiperont la
marine en 2000. La construction d'un second porte-avions ne figure pas dans
l'actuelle loi de programmation militaire et il faudra attendre 2003,
première année de la future loi de programmation militaire, pour
connaître la décision portant sur la construction d'un second
porte-avions. Pourra-t-on construire en même temps des frégates et
un second porte-avions ? Ce bâtiment peut-il être
réalisé en coopération avec les Britanniques ? Une
première frégate Horizon sera commandée en 2000. Elle
aurait dû l'être en 1998 mais la défection britannique l'a
retardée. En revanche, le système d'arme principal sera construit
en commun avec la Grande-Bretagne et l'Italie. L'armée de l'air ne
bénéficiera d'aucune commande d'avion en 2000 et le premier
escadron de Rafale ne sera constitué qu'en 2005 alors que la conception
de cet avion remonte à une vingtaine d'années et que des
réductions de coût sont imposées à l'industriel. Les
avions de transport Transall français sont usés. Leur coût
d'entretien augmente chaque année de 10 %. La loi de programmation
militaire indique que " l'avion de transport futur " (ATF) fera
l'objet d'une première commande en 2002, dernière année de
la loi de programmation militaire actuelle. Une dotation de 614 millions de
francs figure pour ce programme dans le projet de budget pour 2000. Les offres
déposées en janvier 1999 par Boeing-Lockheed, Airbus et Antonov
n'ont pas encore été dépouillées. Airbus a fait
savoir que ce programme ne pouvait être lancé que si la commande
était supérieure à 280 avions. En raison des divergences
qui existent entre les sept pays associés à ce programme, sa
réussite n'est en rien assurée. Le général Kelche,
chef d'état-major des armées, a rappelé devant la
commission de la défense de l'Assemblée nationale que le projet
de budget 2000 ne prévoyait aucun financement pour quatre programmes
majeurs : le missile M 51, l'hélicoptère NH 90, l'avion de
transport futur et le véhicule blindé de combat de l'infanterie.
Un financement intervenant au cours de l'année 2000 pour l'un ou
plusieurs de ces programmes paraît très aléatoire.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a ensuite exprimé son
avis sur la situation de l'industrie française d'armement. Elle emploie
250.000 salariés et 40 % de son chiffre d'affaires viennent des
exportations. Elle est en mutation : les équipements lourds sont
remplacés progressivement par ceux qui sont nécessaires à
l'acquisition du renseignement et à la projection des forces. Les
industriels français livrent du matériel sophistiqué, de
haute qualité, mais coûteux. Or, l'exigence de réduire les
coûts s'impose partout. Le prix d'acquisition des armes devient
dorénavant un critère de choix déterminant. Les
États-Unis ont indiqué qu'il en serait ainsi pour le choix de
leur futur avion de combat le Joint Strike fighter (JSF) qui doit être
produit à 3.000 exemplaires pour les seuls besoins
américains.
M. Maurice Blin
a exprimé son inquiétude pour
GIAT-Industries et la Direction des constructions navales. Depuis 1996,
GIAT-Industries a bénéficié de recapitalisations d'un
montant de 17,4 milliards de francs. Mais dans quelles conditions la
société pourra-t-elle exporter le char Leclerc en Arabie
Saoudite ? La production d'armes légères et de munitions est
soumise à une concurrence redoutable. Il semble, par ailleurs, que la
société ne soit pas véritablement associée au
projet de fabrication du " véhicule blindé de combat de
l'infanterie " (VBCI) qui devrait pourtant représenter un chiffre
d'affaires, en Europe, de 90 milliards de francs. L'entente avec la
société britannique Vickers paraît sans lendemain, celle-ci
étant sur le point de se rapprocher d'entreprises sud-africaine et
suisse. Le char Leclerc est soumis à la concurrence du char britannique
Challenger et surtout à celle du char allemand Léopard II.
Ainsi, la société GIAT-Industries est non seulement en situation
difficile mais risque d'être bientôt isolée.
En ce qui concerne la Direction des constructions navales, ni la qualité
de son personnel, ni ses compétences ne sont en cause, mais le
coût de ses fournitures est trop élevé. Le ministre de la
défense s'est engagé dans une réforme de cette direction,
mais il n'est pas certain que sa transformation en " service à
compétence nationale " puisse conduire à une
véritable amélioration. Un rapport de M. Jean-Yves Le Drian,
député de Lorient, met en relief les insuffisances de cette
réforme. La constitution d'un " établissement public
à caractère industriel et commercial " qui aurait
noué des liens avec Thomson-CSF semble préférable à
ce parlementaire.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial,
a déclaré que
les choix de l'industrie britannique seraient déterminants pour l'avenir
de l'industrie d'armement européenne. En effet, celle-ci a des
intérêts à la fois aux États-Unis et en Europe.
A l'issue de cet exposé, et en raison des insuffisances et des
incertitudes touchant le projet de budget de la défense pour 2000,
M.
Maurice Blin
a recommandé, avec regret, le rejet des titres V et VI.
M. François Trucy, rapporteur spécial des crédits du
titre III,
s'est interrogé sur la proposition d'un
député de renoncer à la construction du quatrième
sous-marin nucléaire lanceur d'engins au profit d'un second
porte-avions. Il s'est demandé si le titre V n'était pas devenu
purement et simplement la " variable d'ajustement " du budget de la
défense pour permettre notamment de financer le coût des
opérations extérieures. Il en veut pour preuve les gels et les
annulations de crédits, qui ne portent que sur le titre V.
M. Denis Badré
a indiqué qu'il partageait les conclusions
de M. Maurice Blin, rapporteur spécial. Il s'est demandé s'il
était possible d'établir une relation entre un sous-marin
nucléaire lanceur d'engins et un porte-avions. Il a estimé qu'il
était nécessaire d'approfondir la question du second
porte-avions. Il a regretté que pour appliquer une loi de programmation
qui donne priorité à la mission de projection,
c'est-à-dire au renseignement et aux transports, aucun financement
véritable de ces deux domaines ne figure dans la loi de finances. Il a
également fait observer que la diminution des crédits de
recherche militaire ne serait pas sans conséquences sur les
progrès scientifiques à venir. Il s'est interrogé sur la
possibilité de préparer une véritable Europe de
défense alors que les programmes aussi importants que Horus,
Trimilsatcom et Horizon n'ont pu être conduits à terme. Il a enfin
demandé quel était le coût des opérations du Kosovo.
M. André Vallet
a fait part de ses observations sur une
" journée d'appel à la préparation de
défense " à laquelle il a participé. Il y a
rencontré des jeunes gens pour qui une telle journée ne
paraissait présenter aucun intérêt et des officiers, requis
un samedi, qui paraissaient très désabusés par l'auditoire
auquel ils s'adressaient. Il lui est apparu que cette journée
était un gâchis et a demandé à en connaître le
coût.
Mme Marie-Claude Beaudeau
a souhaité connaître les
conséquences de la réduction de plus de trois milliards de francs
des crédits d'équipement des armées. Elle a demandé
également quel était le degré de réalisation du
programme d'élimination des mines antipersonnel : quel est
notamment le nombre de mines antipersonnel qui restent à
éliminer, quels crédits sont consacrés à cette
opération, ces crédits incluent-ils l'aide qui doit être
apportée aux pays devant mener des actions de déminage ?
En réponse à M. François Trucy,
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial,
a indiqué qu'il n'y avait guère de
points de comparaison entre le sous-marin nucléaire lanceur d'engins et
un porte-avions si ce n'est, approximativement, un coût comparable. Il a
confirmé que le titre V était effectivement devenu la
" variable d'ajustement " du budget de la défense et, donc, du
budget général.
En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau,
M. Maurice Blin
a
précisé que les réductions de crédits avaient pour
conséquence des retards dans la conduite des programmes, ou même
des abandons de programmes. Dans ces conditions, elles ne sont pas sans
conséquences sur l'emploi dans l'industrie d'armement.
En réponse à M. Denis Badré,
M. Maurice Blin
a
confirmé que la mission de projection ne pouvait être correctement
remplie sans moyens de renseignement ni de transports adaptés. Il a
également précisé que les crédits de défense
des États-Unis étaient deux fois supérieurs à
l'ensemble des crédits de défense européens. Or, aux
États-Unis, les crédits de recherche sont proportionnellement
plus importants qu'en Europe. Le risque est donc très important que ne
se creuse un véritable fossé dans l'évolution des forces
entre les deux rives de l'Atlantique.
En réponse à M. André Vallet, le rapporteur
spécial
a indiqué qu'il était effectivement
nécessaire de dresser un premier bilan des journées d'appel de
préparation à la défense. Il lui a semblé difficile
de retenir l'intérêt des jeunes gens pendant toute une
journée s'ils n'ont pas reçu préalablement une longue
préparation à l'école dans ce domaine.
A Mme Marie-Claude Beaudeau, il
a indiqué qu'il rassemblerait les
données relatives à la destruction des mines antipersonnel.
A l'issue de ces examens, la commission a décidé de proposer au
Sénat de
rejeter les crédits de la Défense (articles 40
et 41 du projet de loi de finances pour 2000).
Réunie le
jeudi 4 novembre 1999
, sous la
présidence de
M. Alain Lambert, président
, la commission a décidé de
proposer au Sénat
le rejet des crédits de la défense
(dépenses en capital) ainsi que de l'article 41 du projet de loi de
finances pour 2000.