CHAPITRE III
LA FUSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES ET DE LA
COOPÉRATION ET SES CONSÉQUENCES SUR LA GESTION ET LE PERSONNEL
I. LE PERSONNEL
A. L'EXCÈS DU RECOURS AUX RECRUTÉS EN CONTRAT LOCAL
1. Le développement du recours aux recrutés locaux
La mise en oeuvre d'un " schéma quinquennal d'adaptation des effectifs " a provoqué une réduction des effectifs du ministère des affaires étrangères de 8 % entre 1994 et 1998. Au cours de la même période, le nombre d'agents recrutés localement a augmenté de plus de 12 %. Le remplacement de personnel expatrié par du personnel de recrutement local constitue une conséquence directe de la diminution des ressources du ministère des affaires étrangères, le coût d'un agent local étant largement inférieur à celui d'un expatrié. La gestion des effectifs a consisté à substituer progressivement des personnels recrutés en contrat local aux agents expatriés remplissant des tâches d'exécution, concernant essentiellement les corps de catégorie C. Au terme de cette politique, 75 % des postes d'exécution des postes diplomatiques et consulaires sont occupés par des agents recrutés en contrat local.
2. Les carences de la gestion des recrutés locaux
L'étude effectuée par M. Patrick Amiot, ministre
plénipotentiaire, s'ouvre sur la reconnaissance d'un problème
réel de gestion des recrutés locaux, qui se traduit par :
- le désarroi des postes qui souffrent des aléas liés
au mode de gestion et sont exposés à une fragilisation de leur
propre sécurité ;
- la complication du travail de l'administration centrale qui doit
gérer une population disparate avec des moyens limités ;
- l'inquiétude et l'impatience des recrutés locaux qui se
considèrent comme médiocrement traités.
Les écarts de rémunération entre les recrutés
locaux de nationalité française et ceux de nationalité
étrangère peuvent aller de 1 à 6, à niveau de
recrutement égal et à ancienneté comparable. Or, il
convient de souligner que les différences de traitement entre les
recrutés locaux français et étrangers ne sauraient
être légitimement fondées que sur la nature des fonctions
et des responsabilités exercées.
L'hétérogénéité des conditions statutaires
pour un même poste et l'inexistence ou l'insuffisance des protections
contre les risques sociaux majeurs sont d'autres sources de
mécontentement.
On constate un décrochage des rémunérations servies par
rapport aux marchés locaux du travail, de telle sorte que les missions
diplomatiques et consulaires ont souvent acquis une image de mauvais
payeur.
Ces politiques de recrutement local " sauvage "
(non-respect de la législation sociale, salaires inférieurs
à ceux pratiqués par les employeurs de la place les plus en
vue...) portent atteinte à notre politique extérieure en exposant
de surcroît l'Etat à des contentieux onéreux.
Le rapport Amiot propose de nombreuses pistes de réforme pour
améliorer la gestion des recrutés locaux :
- Une nomenclature des emplois pourvus ou à pourvoir par la
filière du recrutement local devrait être établie par
chaque mission ;
- Le ministère des affaires étrangères devrait
s'engager sur la voie du recrutement d'agents locaux qualifiés ou
spécialisés (consultants, experts...) comme la Direction des
relations économiques extérieures (DREE) ;
- Des actions de formation à l'intention des recrutés locaux
devraient être développées au niveau
décentralisé (visas, comptabilité, gestion de personnel,
accueil, langue...), dans des centres à vocation régionale, ou
avec l'appui des moyens d'enseignement à distance.
La technique budgétaire utilisée pour prévoir et
gérer les crédits de rémunération des
recrutés locaux se caractérise par l'ambiguïté et la
rigidité. Les rémunérations sont regroupées sur une
ligne unique et globale, de la même manière que les
dépenses de matériel informatique. Ces crédits de
fonctionnement sont limitatifs, soumis à ordonnancement provisionnel et
ne donnent pas lieu à report. Ils sont extrêmement
vulnérables aux variations monétaires mais ne peuvent
bénéficier des gains au change au delà de l'exercice.
La recherche une gestion unifiée du recrutement local dans les
représentations françaises à l'étranger doit
être poursuivie, et une programmation pluriannuelle des effectifs des
recrutés locaux pourrait être " négociée "
avec la Direction du Budget, car ces éléments permettront une
meilleur rentabilité du réseau.
La France est parfois sensiblement en deçà de la " pratique
habituelle des bons employeurs " du lieu en matière de
rémunérations. La commission ministérielle du coût
de la vie a décidé d'accorder un crédit de
7,2 millions de francs en 1999 pour ajuster à la hausse les
rémunérations des recrutés locaux dans 77 pays. Si le
ministère s'efforce de corriger les disparités les plus criantes,
mais les remises à niveau relèvent de l'examen au cas par cas, et
ne font pas l'objet d'une politique globale.
Enfin, la politique suivie en matière de protection sociale n'est pas
satisfaisante puisque, dans 22 pays, les recrutés locaux ne
bénéficient d'aucune protection sociale légale.
3. La situation critique des consulats et des services des visas
En 1999,
5.820 agents de recrutement local sont employés dans les
représentations diplomatiques et consulaires françaises, dont
1.229 Français, soit 21 % du total. Dans les consulats et les
sections consulaires, la situation est particulièrement sensible :
- le nombre de recrutés locaux est légèrement
supérieur à celui du personnel expatrié, mais la
proportion de recrutés locaux de nationalité française y
est supérieure (47 %), du fait des fonctions sensibles, qui
nécessitent une certaine confidentialité et la prise en compte de
critères de sécurité ;
- entre 1994 et 1999, si le nombre d'écritures comptables et de
pensionnés ont diminué, les autres activités consulaires
sont en augmentation : les immatriculations (+ 10 %), les actes
d'état civil (+ 30 %), les actes de notariat
(+ 3,9 %), la délivrance de cartes d'identité
(+ 44,6 %) et de passeports (+ 30,9 %).
Le ministère procède actuellement à une
réactualisation des ratios utilisés au début des
années 1980 pour déterminer les affectations des agents de
catégorie B et C dans les postes diplomatiques et consulaires. La mise
en oeuvre des nouveaux ratios devrait conduire à une meilleure
adéquation entre les effectifs et l'activité consulaire
enregistrée dans les différents postes à
l'étranger. Le ministère des affaires étrangères
prévoit la création de 20 emplois dans son réseau
consulaire à l'étranger pour l'an 2000, à la suite des
92 supports budgétaires dégagés à l'occasion
de la fusion, et afin de renforcer un encadrement fortement mis à mal au
cours de ces dernières années.
Un renforcement du personnel d'encadrement dans les sections consulaires et, en
particulier, les services des visas, est indispensable. Le rapport du
rapporteur spécial des crédits des affaires
étrangères à l'Assemblée nationale, intitulé
" Les services des visas, parents pauvres des Affaires
étrangères ", souligne que "
150 titulaires et
environ 600 recrutés locaux gèrent plus de 2,3 millions de
demandes de visas par an (...) les services des visas connaissent effectivement
à la fois des problèmes d'effectifs et des problèmes
d'aménagement des locaux, questions qui, si elles ne sont pas
résolues, ne manqueront pas d'affaiblir les positions de la France
à l'étranger et d'accroître les risques d'immigration
irrégulière
". Plus loin, ce rapport remarque que
"
20 postes ne disposent d'aucun agent titulaire du
ministère des affaires étrangères au service des visas.
20 autres disposent seulement d'un agent titulaire de catégorie C,
alors qu'ils délivrent un nombre élevé de visas et se
trouvent dans des pays sensibles sur le plan migratoire
".
L'extension des attributions des recrutés locaux leur permet souvent
de pénétrer dans les secteurs traditionnellement
" sanctuarisés "
des missions diplomatiques et
consulaires, et accroît la perméabilité et la
vulnérabilité de celles-ci (dans certaines d'entre elles, les
recrutés locaux ont une liberté de circulation qui n'est pas
conforme aux instructions en vigueur, puisqu'ils sont facilement admis dans les
périmètres de sécurité).
En matière de
traitement des visas, une enquête réalisée par la Direction
des Français à l'étranger et des Etrangers en France a mis
en évidence les risques encourus dans certains pays du fait de la
proportion trop élevée d'agents étrangers ressortissants
du pays de résidence ayant à instruire les demandes, de la
faiblesse du taux d'encadrement français, et plus
généralement de l'insuffisance de l'effectif
. De
récents audits de la Direction du chiffre, de l'équipement et des
communications ont également établi que l'infrastructure
informatique, est, dans certains postes, accessible à des
recrutés locaux dépourvus de toute habilitation, en mesure de se
procurer les mots de passe nécessaires et d'accéder à des
informations classées " confidentiel Défense ".
Votre rapporteur considère qu'un effort financier global du
ministère des affaires étrangères est inéluctable.
A défaut, une réduction du nombre des emplois sera
nécessaire pour dégager des capacités de financement. Une
remise à niveau des rémunérations dans certains pays ne
pourra qu'améliorer l'image de la France qu'une réputation de
mauvais employeur peut contrarier
.
Lors de ses missions à l'étranger, votre rapporteur a pu
constater les risques de dérive du manque de personnel d'encadrement
français dans certains services des visas.
Cette situation est
particulièrement préjudiciable à la politique de
maîtrise des flux migratoires et n'exclut pas le risque de
négligences pouvant porter atteinte à la sécurité
de l'Etat
. L'absence ou la faiblesse du personnel français est
d'autant plus regrettable que les faibles niveaux de rémunération
du personnel recruté en contrat local par le ministère des
affaires étrangères peut le rendre sensible à certaines
tentations, d'autant qu'il est plus facile pour un Français de refuser
un visa que pour un agent local.
Pour l'année 2000, le ministère des affaires
étrangères s'est engagé à maîtriser le nombre
d'emplois et à les réduire pour dégager des
capacités de financement, en contrepartie d'un maintien de l'enveloppe
budgétaire consacrée aux rémunérations des
recrutés en contrat local.
Votre rapporteur considère qu'un effort financier important doit
être engagé rapidement pour aligner la grille de
rémunération du ministère des affaires
étrangères sur celle de la Direction des relations
économiques extérieures.
Le développement des postes
mixtes à l'étranger rend cet effort plus que jamais
indispensable, car il est difficilement concevable que des personnes
travaillant sur un même lieu puissent, à qualification
égale, connaître des écarts de
rémunérations
.