AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'année 1999 va donc s'achever sans qu'aucune décision n'ait
été prise sur les retraites. Les véritables
réformes sont une fois encore différées et rien ne
garantit d'ailleurs qu'elles seront un jour effectivement engagées.
On peut dès lors se demander à quoi aura servi le rapport
Charpin. Il apparaît en effet que ce travail remarquable n'a fait que
confirmer ce que l'on savait déjà : l'impérieuse
nécessité de réformer nos régimes de retraite par
répartition qui seront confrontés à un choc financier
inéluctable à partir de 2006.
Ce rapport aurait pu remplir une fonction pédagogique et faciliter la
prise de conscience, par les partenaires sociaux et l'opinion publique, de
l'ampleur des défis qui menacent notre système de retraite. Cela
n'a pas été le cas : le diagnostic, contrairement aux
ambitions initiales, n'est pas " partagé ".
Ce rapport aurait également pu constituer une aide utile à la
décision pour le Gouvernement. Il n'en a rien été.
L'accent mis sur l'urgence des décisions à prendre n'a pas
convaincu le Gouvernement : ce dernier entreprend une nouvelle
concertation et annonce des
" orientations
générales "
de réforme pour le début de
l'année 2000.
Le projet de loi de financement pour 2000 est à l'image de cet
attentisme. La branche vieillesse du régime général se
voit doublement ponctionnée pour alimenter le fonds de réserve
pour les retraites et financer ainsi indirectement les " 35 heures ",
le fonds de solidarité vieillesse (FSV) sort fragilisé des
arbitrages gouvernementaux et le fonds de réserve se voit
conforté dans son rôle d'alibi - le Gouvernement ne saurait
être accusé d'immobilisme puisqu'il glane de-ci, de-là,
quelques milliards chaque année pour l'alimenter.
Pour sa part, la branche vieillesse jouit aujourd'hui d'une situation
exceptionnellement favorable résultant de la conjugaison d'une
croissance économique forte, d'un nouveau mode d'affectation des
recettes de la sécurité sociale plus avantageux pour elle et
d'une croissance très modérée des dépenses
liée au creux démographique des générations
d'avant-guerre.
Tel le calme qui précède la tempête, cette situation
relativement faste de la branche ne doit pas faire illusion : en affirmant que
rien ne presse, en privilégiant l'attentisme et l'inaction, le
Gouvernement prend implicitement des décisions graves pour l'avenir de
notre pays et reporte sur les générations futures le poids des
ajustements nécessaires.
I. LA BRANCHE VIEILLESSE : LE CALME AVANT LA TEMPÊTE
La
branche vieillesse rassemble les prestations d'assurance vieillesse
correspondant à des droits directs ou dérivés, les
prestations d'assurance veuvage, et les prestations d'invalidité servies
à des bénéficiaires de droits directs âgés de
plus de soixante ans, ou des bénéficiaires de droits
dérivés.
L'objectif de dépenses de la branche vieillesse-veuvage pour 1999,
prévu à l'article 27 du projet de loi, s'élève
à 801,7 milliards de francs après adoption du projet de loi par
l'Assemblée nationale en première lecture.
L'objectif de dépenses figurant dans le projet de loi initial
était de 803,3 milliards de francs. Il a été minoré
de 1,6 milliard de francs après l'abandon de la contribution de 1,77
milliard de francs à la charge de la branche pour le financement de la
réduction du temps de travail et l'annonce, par le Gouvernement, d'une
revalorisation de 1 % du minimum vieillesse au 1
er
janvier
2000, dont le coût est estimé à environ 200 millions de
francs.
La définition des dépenses de vieillesse est
précisée dans l'annexe C du projet de loi : leur champ
couvre l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de
vingt mille cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres.
L'objectif de dépenses porte sur l'ensemble des dépenses des
régimes, et non sur les seules prestations.
Ces dépenses comprennent :
- les prestations sociales légales ou extra-légales ;
- les prestations des services sociaux (notamment la prise en charge
partielle des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux) ;
- les frais de gestion engagés par les organismes de
sécurité sociale ;
- les transferts entre régimes de protection sociale ;
- les frais financiers et les autres dépenses.
Les objectifs de dépenses par branche du projet de loi de financement
sont définis à partir du total des dépenses de l'ensemble
des régimes de base obligatoires, de la façon suivante :
- sont enlevées les dépenses des régimes de moins de
20.000 cotisants ou bénéficiaires, les transferts internes aux
régimes de base considérés, ainsi que les dépenses
constituant la contrepartie des cotisations prises en charge par la
sécurité sociale ;
- sont ajoutées les dépenses dans les départements
d'outre-mer (DOM) qui, dans les comptes de la sécurité sociale,
sont consolidées avec les recettes perçues dans les DOM.
Pour la branche vieillesse, l'opération de passage est la
suivante :
Passage des dépenses de l'ensemble des régimes
de
base
à l'objectif de dépenses de la branche
vieillesse
Emplois de l'ensemble des régimes de base dans la nomenclature des comptes de la sécurité sociale |
896,8 |
Recettes DOM |
5,9 |
Transferts internes à consolider |
- 97,3 |
Dépenses des régimes de moins de 20.000 cotisants ou bénéficiaires |
-2,1 |
Objectifs de dépenses par branche (régimes de plus de 20.000 cotisants ou bénéficiaires) avant examen par l'Assemblée nationale en première lecture |
803,3 |
Avant
d'analyser la situation des régimes de retraite les plus importans, il
convient de souligner le rôle déterminant joué par
les
transferts de compensation entre régimes.
L'éclatement de notre système de retraite et sa gestion en
répartition -consistant à distribuer, chaque année, aux
retraités les cotisations prélevées sur les actifs- ont
rendu nécessaire la mise en place de mécanismes de
solidarité financière au bénéfice des
régimes dont le nombre de cotisants baissait structurellement. Trois
techniques ont été utilisées: l'intégration
financière de certains régimes au sein du régime
général (par exemple les salariés agricoles), les
compensations entre régimes et, quand ceci ne suffisait pas, le recours
à la solidarité nationale par des transferts de l'Etat ou
l'affectation de taxes (part de TVA pour les exploitants agricoles, C3S pour
les régimes de non-salariés non agricoles).
Les compensations ont pour objectif de corriger, dans le respect de l'autonomie
des régimes de protection sociale, les déséquilibres de
financement provoqués par les mutations socio-économiques et les
déplacements de population active entre secteurs professionnels.
Trois mécanismes se superposent dans le domaine de la vieillesse :
- la compensation généralisée vieillesse entre
régimes de salariés,
- la compensation généralisée vieillesse entre
salariés et non-salariés,
- la surcompensation entre régimes spéciaux de
salariés.
Les deux premiers, institués par la loi n° 74-1094 du
24 décembre 1974, représentent ce qu'on appelle la
compensation " démographique " ou
" généralisée " vieillesse.
Le troisième mécanisme est de création plus récente
(1986). Il est aussi désigné sous le terme de " compensation
spécifique ".
A. LE RÉGIME GÉNÉRAL EN EXCÉDENT
1. 1999 : RACINE ou le retour à l'excédent
En
1998, la branche vieillesse du régime général a connu un
redressement spectaculaire de ses comptes.
La Commission des comptes de la sécurité sociale prévoyait
pourtant en septembre 1998 que le déficit de la branche atteindrait
cette année-là 5,6 milliards de francs. Les comptes
définitifs font en réalité apparaître un
déficit de seulement 224 millions de francs en 1998, soit une situation
proche de l'équilibre.
Solde
1998 de la branche vieillesse du régime général
(en
millions de francs)
|
Tendanciel 1998
|
LFSS 1998 |
1998
|
1998
|
CNAVTS |
|
|
|
|
Recettes |
377.790 |
381.100 |
380.811 |
385.386 |
Dépenses |
386.026 |
385.359 |
386.405 |
385.610 |
Solde |
- 8.236 |
- 4.259 |
- 5.593 |
- 224 |
La
différence entre ces deux chiffres (5,37 milliards de francs) provient
pour l'essentiel d'une augmentation de 4,56 milliards de francs des recettes
attendues (+ 1,2 %), largement imputable à l'instauration, en
1998, du nouveau système de répartition des recettes entre
branches, dit RACINE.
L'affectation des recettes entre les différentes branches du
régime général et les organismes concourant à leur
financement (FSV, CADES) s'effectuait avant 1998 au niveau central de l'ACOSS
selon des clefs de répartition au caractère parfois un peu
arbitraire.
Cette affectation est désormais réalisée selon le
système RACINE qui ventile à la source -au niveau des URSSAF- les
recettes de la sécurité sociale.
Cette modification introduit une rupture dans la série des encaissements
recensés, ce qui rend non significatives les évolutions entre
1997 et 1998 et rend difficile la compréhension du niveau même de
ces encaissements.
RACINE a profondément modifié la répartition des
encaissements entre branches du régime général.
Cette
modification, défavorable à la branche maladie, a
été au contraire très favorable à la branche
vieillesse, qui a bénéficié en 1998 d'un surcroît de
recettes de 5,22 milliards de francs.
Comparaison attributions RACINE / attributions forfaitaires - année 1998
|
Répartition comptable RACINE |
Attributions forfaitaires
|
|
||
|
Montant
|
% |
Montant
|
% |
Ecart (milliards de francs |
CNAVTS |
277,128 |
25,64 |
271,904 |
25,14 |
+ 5,224 |
L'impact de RACINE sur les recettes de la branche s'est
répercuté par un effet de base sur 1999.
Les
prévisions pour 1999 du rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale de septembre 1999 intègre donc des
modifications de répartition des encaissements qui n'étaient pas
connues en septembre 1998.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
prévoyait ainsi un déficit de la branche vieillesse de 3,87
milliards de francs en 1999 : le solde devrait être finalement
excédentaire de 4,4 milliards de francs,
les recettes
s'avérant supérieures de 7,67 milliards de francs à ce qui
était anticipé un an plus tôt.
Solde
1999 de la branche vieillesse du régime général
(en
millions de francs)
|
Tendanciel 1998
|
LFSS 1999 |
1999
|
1999
|
CNAVTS |
|
|
|
|
Recettes |
393.062 |
397.042 |
403.663 |
404.700 |
Dépenses |
399.069 |
400.910 |
400.077 |
400.304 |
Solde |
- 5.977 |
- 3.868 |
3.586 |
4.396 |
Cette
amélioration spectaculaire et inattendue du solde de la branche
vieillesse résulte de recettes qui s'avèrent beaucoup plus
élevées que prévues. Pour leur part, les dépenses
de la branche évoluent de manière prévisible : le
rythme d'évolution en volume des prestations financées par le
régime général poursuit son fléchissement de 1996
à 1999, passant pour l'ensemble des droits directs de + 3,2 %
en 1996, à + 3,0 % en 1997, à + 2,9 % en 1998
et à + 2,8 % en 1999.
Ce fléchissement tient d'abord à une évolution
démographique favorable du nombre des bénéficiaires,
caractérisée par l'arrivée à l'âge de la
retraite des générations peu nombreuses des années
précédant la seconde guerre mondiale.
Il s'explique également par les premiers effets de la réforme de
1993 dont l'impact financier est évalué à
1,5 milliard de francs en 1997, 2 milliards de francs en 1998 et
2,5 milliards de francs en 1999.
A législation constante, cette tendance à la moindre progression
des dépenses ne devrait commencer à s'inverser qu'avec
l'arrivée à l'âge de la retraite des
générations nombreuses d'après-guerre.
2. 2000 : un excédent " spontané " de 8,3 milliards de francs
Selon le
rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de
septembre 1999, les recettes atteindraient, en 2000, 416,019 milliards de
francs tandis que les dépenses s'élèveraient à
409,505 milliards de francs. La branche serait par conséquent
excédentaire de 6,513 milliards de francs.
Cet excédent serait ramené à 2,65 milliards de francs
après les différentes mesures nouvelles annoncées par le
Gouvernement et dont l'impact total est estimé à 3,85 milliards
de francs dans l'annexe C du projet de loi.
L'assurance vieillesse des salariés du secteur privé
Leur
protection est assurée par différents régimes.
- Un régime de base obligatoire
Dit régime général, créé en 1945 et qui fait
suite aux premières tentatives des " rentes ouvrières et
paysannes " en 1910 et des " assurances sociales " en 1928 et
1930.
Il est géré, pour les salariés de l'industrie et du
commerce, par seize caisses régionales fédérées par
la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés
(CNAVTS) et, pour les salariés agricoles, par les caisses de
Mutualité sociale agricole (MSA) compétentes au niveau de chaque
département pour l'ensemble des branches de la sécurité
sociale des salariés et des exploitants agricoles.
- Des régimes complémentaires
Gérés paritairement, de manière autonome par les
partenaires sociaux, obligatoires depuis la loi du 29 décembre 1972 et
créés :
. en 1947 pour les cadres : l'AGIRC
Le régime général ne prévoit en effet de
cotisations, et donc de prestations, que sur la tranche de salaire
inférieure au " plafond de la sécurité
sociale ". Au-delà et jusqu'à huit fois ce plafond (quatre
fois avant le 1
er
janvier 1991), une convention collective
nationale en date du 14 mars 1947 a créé un régime
unique pour les cadres, géré par une quarantaine de caisses
organisées sur une base interprofessionnelle, professionnelle,
nationale, régionale ou encore d'entreprise et
fédérées par l'Association générale des
institutions de retraites des cadres (AGIRC).
. en 1961 pour les non-cadres : l'ARRCO
Ceux-ci cotisent sur la totalité de leur rémunération dans
la limite de trois fois le plafond de la sécurité sociale
à 46 régimes, distincts bien que très proches,
compensés par l'Association des régimes de retraite
complémentaires (ARRCO) qui seront, au 1
er
janvier 1999
fondus en un régime unique. Depuis 1976, les cadres cotisent jusqu'au
plafond dans ces mêmes régimes.
Quelques régimes complémentaires obligatoires restent en dehors
des compensations qu'organisent l'ARRCO et l'AGIRC : ceux des agents non
titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC), du
personnel navigant de l'aviation civile (CRPNPAC). Le régime des caisses
d'épargne ne participe que partiellement à la compensation ARRCO
et pas du tout à la compensation AGIRC.
- Des régimes supplémentaires facultatifs
Au-delà de ces deux étages obligatoires, les salariés du
secteur privé peuvent bénéficier d'un étage
facultatif sous la forme de régimes collectifs supplémentaires.
Il s'agit d'abord des régimes d'entreprise ou interentreprises
qualifiés de régimes " chapeau " dans la mesure
où ils complètent les prestations des régimes obligatoires
: régimes anciens des grandes entreprises qui se sont maintenus
après l'intégration de leurs affiliés dans les
régimes ARRCO et AGIRC, ou régimes exclusivement
réservés aux cadres supérieurs ou aux dirigeants. Ils
peuvent être gérés au sein d'une institution de retraite
supplémentaire (
titre IV du Livre IX du code de la
sécurité sociale
) créée à cet effet, ou
donner lieu à la souscription d'un contrat ou d'une convention
auprès d'un organisme habilité (
institution de
prévoyance du titre III du Livre IX, mutuelle ou compagnie
d'assurance
) ou peuvent encore être gérés par les
entreprises elles-mêmes.
Les estimations du rapport de la Commission des comptes tiennent en effet
compte d'un certain nombre d'hypothèses qui affectent de manière
très significative les comptes de la branche, à la fois en
recettes comme en dépenses :
- la revalorisation au 1
er
janvier des pensions de
+ 0,2 %, compte tenu d'un rattrapage négatif de
- 0,5 % au titre de l'évolution des prix de 1999 ;
- la prise en compte, à titre provisionnel, d'une contribution de
1,771 milliard de francs de la branche vieillesse au financement de la
réduction du temps de travail.
Si la première hypothèse est traditionnelle, la seconde n'avait
pas vocation à être intégrée dans les comptes de la
branche pour 2000, dans la mesure où elle ne résulte en rien
d'une évolution " spontanée " de la branche mais d'une
décision du Gouvernement affectant l'équilibre de la branche.
Si l'on souhaite avoir une idée de la situation de la branche plus
conforme à la réalité, il convient par conséquent
de
retraiter les comptes publiés dans le rapport de la Commission des
comptes.
Ce retraitement consiste à soustraire du montant des
dépenses la somme relative au financement de la réduction du
temps de travail, soit 1,771 milliard de francs.
On obtient alors un total de dépenses
" spontanées ", c'est-à-dire avant toute mesure
nouvelle décidée par le Gouvernement, de 407,734 milliards
de francs, soit, pour un montant de recettes inchangé, un solde
excédentaire de 8,285 milliards de francs.
Evolution
" spontanée " de la branche vieillesse
(hors mesures nouvelles)
(en milliards de francs)
|
Année 2000 |
Evolution (2000/1999)(1) |
|||
Recettes |
416,019 |
+ 2,8 % |
|||
Dépenses |
407,734 |
+ 1,9 % |
|||
Solde |
+ 8,285 |
|
(1) hors majoration de l'allocation de rentrée scolaire (MARS)
En 2000,
les recettes continuent à croître plus vite (+ 2,8 %) que les
dépenses (+ 1,9 %).
A l'évidence, la branche vieillesse du régime
général jouit aujourd'hui d'une situation exceptionnellement
favorable résultant de la conjugaison d'une croissance économique
forte, d'un nouveau mode d'affectation des recettes de la
sécurité sociale plus avantageux pour elle et d'une croissance
très modérée des dépenses liée au creux
démographique des générations d'avant-guerre.
Ce calme relatif avant la tempête ne doit pas faire illusion : les
menaces subsistent et leurs effets se feront sentir de manière
inéluctable à partir de 2006.