C. DES EXCÉDENTS FUTURS CONFISQUÉS
Si les décisions du Gouvernement ont pour effet immédiat de dégrader de 4,7 milliards de francs le solde de la branche famille en 2000, elles ont également pour effet de priver cette branche du bénéfice de ses excédents futurs.
1. Une pré-affectation des excédents futurs
En
annonçant la prise en charge totale, à terme, de la majoration de
l'allocation de rentrée scolaire par la branche famille, le Gouvernement
décide du même coup de l'affectation des excédents futurs
de la branche.
En effet, le coût total de la MARS est aujourd'hui de 7,2 milliards de
francs par an ; c'est donc cette somme très importante qui sera,
à terme, intégralement prise en charge par la branche famille. Il
est vraisemblable que la participation de la branche au financement de la MARS
ira croissant au fur et à mesure des années, en fonction des
excédents prévisionnels.
A terme, les excédents de la branche sont donc déjà
engagés à hauteur de 6,2 milliards de francs si l'on fait
l'hypothèse d'une prise en charge effective du FASTIF par l'Etat.
Si, par aventure, la branche parvenait à dégager un nouvel
excédent après le financement d'une si lourde charge, le
Gouvernement pourra alors très aisément, comme il vient de le
faire à l'occasion de ce projet de loi, modifier les règles
d'affectation du produit du prélèvement social de 2 % sur
les revenus de placement pour diminuer -voire supprimer- les recettes dont
bénéficie la branche famille.
Il n'y a que le premier pas qui coûte et le Gouvernement semble
aujourd'hui bien disposé à utiliser ce prélèvement
de 2 % comme un instrument de gestion et d'affectation
prévisionnelle des soldes des différentes branches.
L'avenir de la branche famille est désormais tout tracé :
elle financera, selon le choix du Gouvernement, la majoration de l'allocation
de rentrée scolaire ou, via le fonds de réserve pour les
retraites, les " 35 heures ".
2. Un réexamen hypothétique du périmètre des dépenses financées par la branche famille
La
contrepartie de la prise en charge de la MARS par la branche famille -et de la
débudgétisation afférente- devait normalement être
un réexamen d'ensemble du périmètre des dépenses
supportées par la branche.
La CNAF avait en effet fait valoir très justement qu'elle supportait,
pour le compte de l'Etat, un certain nombre de charges qui pouvaient être
qualifiées d'indues (gestion du RMI, de l'AAH et des tutelles,
financement du FASTIF...).
Lors de son intervention devant la Conférence de la famille, le
7 juillet dernier, le Premier ministre avait ainsi reconnu :
" se pose aussi la question du périmètre des
dépenses financées par la branche famille ".
Cette déclaration n'a cependant été suivie d'aucun effet
concret.
Le Gouvernement a certes promis que le FASTIF serait financé par l'Etat
à compter de l'année 2000. Cette annonce ne trouve cependant sa
traduction dans aucun document législatif ou budgétaire.
Votre
rapporteur s'étonne notamment que cette mesure, pourtant
décidée au début du mois de juillet 1999 et dont le
coût pour le budget de l'Etat sera de 1 milliard de francs par an, ne
figure pas dans le projet de loi de finances pour 2000.
Interrogée par votre rapporteur sur ce point, Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité, a indiqué pour sa part
que cette mesure figurerait dans le collectif budgétaire de 2000.
Votre rapporteur juge par conséquent vraisemblable de considérer
que cette mesure, si elle est effectivement proposée, figurera dans
le collectif de décembre 2000
, qui sera probablement
promulgué le 30 ou le 31 décembre 2000. La branche famille se
verrait ainsi remboursée de la charge du FASTIF le dernier jour de
l'année 2000 ou dans les premiers jours de l'année 2001.
Dans ces conditions, il paraît illusoire d'espérer que le
Gouvernement entreprendra un véritable réexamen d'ensemble des
charges indûment supportées par la branche famille. Dans le
meilleur des cas, l'opération de débudgétisation totale de
la MARS se fera sans autre contrepartie pour la branche famille que la prise en
charge par l'Etat du FASTIF.
3. Une nouvelle garantie de ressources très illusoire
La
nouvelle garantie de ressources pour la branche famille instituée par
l'article 9 du projet de loi paraît, dans ces conditions, très
illusoire.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cet article
" a pour
objet de donner une meilleure lisibilité aux ressources de la branche
famille, en instituant une garantie de ressources au regard de la richesse
nationale ".
Il fait partie des mesures annoncées par le
Gouvernement lors de la Conférence de la famille du 7 juillet 1999.
Cet article reprend une idée ancienne consistant à assurer
à la branche famille une certaine pérennité de ses
ressources et qui a trouvé sa traduction législative dans
l'article 34 de la loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à
la famille.
L'article 34 de la loi famille dispose que
" les ressources de la
Caisse nationale des allocations familiales sont au moins égales chaque
année, pour la période du 1
er
janvier 1994 au
31 décembre 1998, au montant qu'elles auraient atteint à la
fin de l'année considérée en cas de maintien des
dispositions législatives et réglementaires applicables le
1
er
janvier 1993 aux taux, à l'assiette et au champ
d'application des cotisations et contributions énumérées
à l'article L. 241-6 du code de la sécurité sociale.
" S'il est constaté par la Commission des comptes de la
sécurité sociale que les ressources de cette caisse sont
inférieures au titre d'une année civile au montant
déterminé dans les conditions définies à
l'alinéa précédent, un versement de l'Etat
équivalent à cette différence intervient selon des
modalités prévues par la loi de finances établie au titre
de l'année suivante ".
Cet article entendait mettre fin à des pratiques récurrentes qui
avaient abouti à des baisses ou à des exonérations de
cotisations non compensées, obérant d'autant les ressources de la
branche famille.
Cette garantie de ressources n'a cependant jamais joué, les
différentes parties concernées (CNAF, ACOSS, Direction de la
sécurité sociale, ministère de l'agriculture, Direction du
Budget) ne parvenant pas à s'accorder sur l'évaluation des pertes
ou des gains de recettes enregistrés par la branche famille.
Le présent article prévoit pour sa part que la Caisse nationale
des allocations familiales (CNAF) bénéficie d'une garantie de
ressources pour une période de cinq années courant du
1
er
janvier 1998 au 31 décembre 2002.
Le deuxième alinéa précise que les ressources de la CNAF
perçues au titre de l'année 2002 ne seront pas inférieures
aux ressources de cette caisse pour l'année 1997 revalorisées,
déduction faite de la subvention versée par l'Etat au titre de la
majoration de l'allocation de rentrée scolaire (MARS) et d'un montant
équivalent aux ressources transférées en 2000 à la
CNAMTS en vertu de l'article 10 de la loi n° 99-641 du 27 juillet
1999 portant création d'une couverture maladie universelle.
Dans le cas contraire, constaté par la Commission des comptes de la
sécurité sociale à l'issue de la période, un
versement à la CNAF permet, dans des conditions prévues par la
loi de financement de la sécurité sociale, de combler la
différence observée.
La revalorisation évoquée au deuxième alinéa de
l'article est égale à l'évolution du produit
intérieur brut en valeur aux prix courants sur l'ensemble de la
période 1998-2002, mentionnée dans le rapport sur les comptes de
la Nation.
Même si l'objectif se veut probablement identique, le dispositif
proposé par le Gouvernement est très différent de celui
institué en 1994 :
• l'approche est globale : seul est visé le niveau
absolu des ressources de la branche alors que l'article 34 de la loi famille de
1994 prévoyait que ces ressources seraient comparées au montant
qu'elles auraient atteint en cas de maintien des dispositions
législatives et réglementaires applicables le
1
er
janvier 1993 aux taux, à l'assiette et au champ
d'application des cotisations et contributions énumérées
à l'article L. 241-6 du code de la sécurité sociale ;
• le constat est désormais dressé en fin de
période alors que l'article 34 de la loi famille de 1994
prévoyait une évaluation
" chaque année "
: les ressources peuvent donc éventuellement baisser en cours de
période ;
• les modalités d'application restent très floues
puisqu'il est fait mention d'un versement à la CNAF pour compenser une
éventuelle perte de ressources, versement dont on ignore la
provenance : s'agit-il d'un versement de l'Etat, comme c'était le
cas dans le dispositif de 1994 ? Pourquoi alors ne pas le dire ?
S'agit-il d'un versement d'une autre branche de la sécurité
sociale, voire de l'ACOSS ?
Votre rapporteur est naturellement favorable à l'institution d'une
garantie de ressources pour la branche famille. Toutefois, il ne peut que
s'étonner que le Gouvernement propose un nouveau dispositif de garantie
de ressources alors même qu'il s'est refusé à appliquer la
garantie de ressources existante.
Il remarque en outre que l'année 1997 qui a été choisie
par le Gouvernement comme année de référence est une
année peu favorable pour les ressources de la branche. Il s'interroge
sur les raisons du choix de l'année 1997 alors que les comptes
définitifs de 1998 sont aujourd'hui disponibles et qu'il aurait donc
été possible de faire porter cette garantie sur les années
1999-2003.
Il émet des doutes sur l'effectivité du dispositif proposé
dans la mesure où la provenance du versement compensateur n'est pas
mentionnée.
Enfin, il se demande quelle peut être l'utilité réelle
d'une garantie de ressources si l'on multiplie parallèlement les
ponctions sur la branche sous la forme de dépenses nouvelles, telles que
la prise en charge de la majoration de l'allocation de rentrée
scolaire.
Votre rapporteur exprime donc sa crainte que cette nouvelle garantie de
ressources ne soit très rapidement vidée de toute portée.
Le Gouvernement attache d'ailleurs si peu d'importance à cette
disposition qu'il n'a pas crû bon de la modifier par coordination avec le
vote, par l'Assemblée nationale, de la diminution des ressources
affectées à la branche au titre du prélèvement
social de 2 % sur les revenus du patrimoine.
*
* *
La
branche famille se retrouve une nouvelle fois victime des décisions du
Gouvernement. Lorsqu'elle est en déficit, ce dernier prend
prétexte de cette situation pour imposer des mesures drastiques
pénalisant les familles ; lorsqu'elle est en excédent, on la
prive du bénéfice de cet excédent sans pour autant revenir
sur les mesures décidées.
Votre rapporteur ne peut que se désoler d'avoir pressenti ce
" mauvais coup " porté à la branche famille.
Dans son rapport sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998, votre rapporteur s'inquiétait
déjà des tentations que pouvait générer la
perspective d'excédents structurels de la branche famille. Aussi
avait-il, lors de l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, formulé
une mise en
garde :
" Il serait inacceptable que ces excédents servent
à combler d'éventuels déficits futurs des autres branches
de la sécurité sociale. (...) Il ne serait pas davantage
concevable que ces excédents aillent alimenter le fonds de
réserve pour les retraites créé par le présent
projet de loi. Le Gouvernement a en effet évoqué la
possibilité d'abonder ce fonds par " les excédents de la
sécurité sociale ". Compte tenu de la situation
financière des branches vieillesse et maladie, il est clair que cette
hypothèse visait explicitement la branche famille... Votre rapporteur
souhaite rappeler à cette occasion qu'une politique familiale ambitieuse
est aussi un moyen d'assurer les équilibres futurs de nos régimes
de retraite par répartition.
" Les errements du passé où l'on voyait les excédents
répétés de la branche famille financer les autres branches
de la sécurité sociale ne doivent pas se reproduire. "
Votre rapporteur regrette que les faits lui aient donné raison.
En limitant artificiellement l'excédent affiché de la branche
famille, la Gouvernement évacue la question politique du devenir de ces
excédents. Quatre options peuvent en effet être envisagées
et mériteraient d'être débattues :
- accroître les dépenses en faveur des familles, par la
création de nouvelles prestations familiales ou l'assouplissement des
conditions d'obtention de prestations existantes ;
- baisser les cotisations familiales à la charge des employeurs ou
la CSG famille ;
- rembourser les dettes accumulées au titre de la branche, dettes
reprises par la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) ;
- mettre ces excédents en réserve, afin de faire face
à une dégradation ultérieure de la situation de la branche.
Il n'appartient pas à votre rapporteur de trancher aujourd'hui entre ces
différentes options.
Votre rapporteur juge que la question de l'affectation des excédents
doit faire l'objet d'un très large débat. Il regrette par
conséquent que le Gouvernement ait choisi d'esquiver ce débat
pourtant essentiel pour l'avenir de notre pays en apportant une mauvaise
réponse : celle de la confiscation des excédents futurs de
la branche au profit d'un allégement des charges de l'Etat et du
financement du fonds de réserve pour les retraites.
A tout le moins, la prudence et le respect de l'autonomie des branches
voudraient que ces excédents soient dans un premier temps
affectés en réserve de la branche.