B. UNE BRANCHE PONCTIONNÉE
Si l'excédent spontané de la branche famille
s'élève à plus de 6 milliards de francs,
l'excédent prévisionnel après le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000 ne
s'élève plus qu'à 1,41 milliard de francs.
Cette dégradation de 4,65 milliards de francs du solde de la branche
famille ne se traduit en réalité que par 1,14 milliard de francs
de mesures nouvelles en faveur des familles, le solde restant -3,5 milliards de
francs- provenant des décisions du Gouvernement de diminuer le montant
des ressources affectées à la branche et de lui imposer la prise
en charge progressive de la majoration de l'allocation de rentrée
scolaire, auparavant financée par le budget de l'Etat.
1. Une ponction de 1 milliard de francs pour alimenter le fonds de réserve pour les retraites
Le
Gouvernement avait prévu initialement un prélèvement
affecté au financement de la réduction du temps de travail.
L'article 2 du projet de loi prévoyait ainsi la création d'un
fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale qui devait être notamment alimenté
par une contribution versée par les organismes de protection
sociale
4(
*
)
.
Pour le Gouvernement
5(
*
)
, cette
contribution
" est justifiée, car ces organismes profitent des
effets favorables de la réforme sur l'emploi, notamment en percevant des
recettes de cotisations supplémentaires ".
Le montant des contributions des organismes de protection sociale devait
être fixé par voie de convention conclue entre l'Etat et chacun
des organismes intéressés. Toutefois, l'article 2 du projet de
loi précisait :
" A défaut de signature d'une
convention avant le 31 janvier 2000, la contribution de chacun des organismes
est déterminée à partir du surcroît de recettes et
d'économies de dépenses induites par la réduction du temps
de travail pour cet organisme. Les règles servant à calculer le
montant et l'évolution de ces contributions sont définies par
décret en conseil d'Etat ".
Comme le souligne le rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale de septembre 1999,
" une telle
estimation pose des problèmes délicats et ne peut être que
très imprécise ".
A titre de " provision ",
dont on ignorait sur quels fondements elle reposait, le rapport retenait
l'hypothèse d'une contribution du régime général de
5,5 milliards de francs en 2000. Pour la branche famille, la
" provision " de ce prélèvement était
fixée dans les comptes figurant dans le rapport à 1,010 milliard
de francs.
Ce prélèvement, qui prenait la forme d'une dépense des
différentes branches du régime général, a fait
l'objet d'un rejet unanime de la part des partenaires sociaux.
Après une négociation engagée en catastrophe le 20 octobre
1999, le ministère de l'emploi et de la solidarité
annonçait le 25 octobre, en fin d'après-midi, que le Gouvernement
renonçait désormais aux prélèvements sur les
organismes sociaux.
Contraint de reculer sur cette mesure, le Gouvernement n'a pas pour autant
renoncé à ponctionner le régime général.
Les branches du régime
général de la sécurité sociale devaient logiquement
" récupérer " les 5,5 milliards de francs
" provisionnés " par le rapport de la Commission des comptes
de la sécurité sociale. Mais le Gouvernement a
décidé de
diminuer les ressources affectées aux
différentes branches de 5,5 milliards de francs pour alimenter le fonds
de réserve pour les retraites.
La contribution des organismes de sécurité sociale est donc
maintenue ; elle devient désormais indirecte.
Le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale, en
première lecture, un nouveau dispositif qui permet de ponctionner la
branche famille de manière plus subtile et sans doute moins voyante.
L'amendement présenté par le Gouvernement à l'article 10
du projet de loi modifie la clé de répartition applicable au
prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine.
Cette répartition avait déjà été
modifiée -il faut le souligner- en juillet dernier par la loi portant
création d'une couverture maladie universelle (CMU).
Cette loi prévoit notamment la suppression au 1
er
janvier
2000 de l'assurance personnelle et la prise en charge par la CNAMTS de la
couverture maladie de base sur le critère de la résidence. Elle
devait se traduire par des conséquences financières non
négligeables pour la branche famille.
Les caisses d'allocations familiales prennent en effet en charge, de
manière totale ou partielle, les cotisations des titulaires de
prestations familiales non couverts par un régime d'assurance maladie
et, de manière totale, celles des bénéficiaires de
l'allocation de parent isolé (API) et des personnes veuves ou
divorcées ayant eu au moins trois enfants à charge.
La loi portant création de la CMU a donc affecté à la
CNAMTS de nouvelles recettes afin de compenser la suppression des cotisations
d'assurance personnelle qui étaient auparavant prises en charge par les
CAF, le fonds de solidarité vieillesse (FSV), les départements ou
l'Etat.
Pour compenser la suppression de la prise en charge d'une partie des
cotisations d'assurance personnelle par les caisses d'allocations familiales,
la loi a modifié l'affectation du prélèvement social de 2
% sur les revenus du patrimoine, réparti alors pour moitié entre
la CNAF et la CNAVTS.
Elle prévoit, à compter du 1
er
janvier 2000,
l'attribution d'une partie de ce prélèvement à une
troisième branche du régime général : la
CNAMTS.
La répartition serait de 50 % pour la CNAVTS (situation
inchangée), 28 % pour la CNAMTS et 22 % pour la CNAF.
La perte de recettes aurait été, pour la CNAF, de 2,7 milliards
de francs, pour une moindre dépense de 2,4 milliards de francs.
L'opération n'était donc pas neutre pour la branche
famille : elle devait en effet se traduire par une dégradation de
300 millions de francs de son solde en 2000.
On ajoutera qu'elle privait la branche famille d'une part importante d'une
recette très dynamique -le rendement du prélèvement social
de 2 % sur les revenus du patrimoine a progressé de 25 % en 1999- en
contrepartie de la suppression d'une charge qui augmentait à un rythme
très modéré.
Avant même d'être entrée en vigueur, cette disposition
est remplacée par une nouvelle répartition prévue dans le
présent projet de loi :
• 49 % pour le fonds de réserve pour les
retraites ;
• 30 % pour la CNAVTS ;
• 13 % pour la CNAF ;
• 8 % pour la CNAMTS.
Après avoir vu sa part du prélèvement de 2 % sur les
revenus du patrimoine passer de 50 % à 22 % dans la loi
" CMU ", la branche famille enregistre une nouvelle diminution des
sommes qui lui seraient affectées puisque sa part tomberait à
13 % !
Le prélèvement de 2 % devrait rapporter 11,3 milliards de
francs en 2000 : la branche famille ne percevra finalement que 1,47
milliard de francs contre 2,49 milliards prévus dans le cadre de la loi
CMU. Cette perte de 1,017 milliard de francs est sensiblement
équivalente, à 7 millions près, à la somme qui
devait lui être prélevée pour financer la réduction
du temps de travail (1,01 milliard de francs).
La branche famille sera toujours ponctionnée de plus d'un milliard de
francs.
Dans le schéma initial, la branche famille se voyait imposer une
dépense nouvelle : la participation au financement des " 35
heures " ; dans le nouveau schéma, elle perd le
bénéfice d'une recette qui lui était affectée
initialement pour moitié. Les nouvelles propositions du Gouvernement
font véritablement tomber la branche famille de Charybde en Scylla !
Aucune des deux solutions n'est préférable ;
elles
aboutissent toutes deux au même résultat : ponctionner la
branche de plus d'un milliard de francs. La branche famille finançait
les " 35 heures ", elle finance désormais le fonds de
réserve pour les retraites.
En réalité, elle continue à financer indirectement les
" 35 heures " .
En effet, la contribution du régime
général au fonds de réserve est justifiée par
l'affectation au financement des " 35 heures " d'une partie des
droits sur les alcools qui constituait une recette du Fonds de
solidarité vieillesse (FSV).
Le FSV se voyant privé d'une recette importante, il ne pourra plus
alimenter le fonds de réserve pour les retraites. C'est donc au
régime général qu'incombera désormais cette charge.
La boucle est bouclée !
La logique s'y perd définitivement dans ces combinaisons
destinées à vider de toute signification le principe de
séparation des branches de la sécurité sociale.
2. Une débudgétisation de 2,5 milliards de francs pour financer la majoration de l'allocation de rentrée scolaire
L'allocation de rentrée scolaire est une prestation
attribuée au ménage ou à la personne dont le revenu net
catégoriel de 1998 ne dépasse pas 102.049 F pour un enfant, plus
23.550 F par enfant supplémentaire. L'enfant ouvrant le droit à
la prestation doit avoir atteint son sixième anniversaire avant le
1
er
janvier de l'année suivant celle de la rentrée
scolaire. Au-delà de seize ans, l'allocation reste due pour chaque
enfant poursuivant des études ou placé en apprentissage, n'ayant
pas atteint l'âge de 18 ans révolus au 15 septembre de
l'année considérée.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a
étendu son versement à toutes les familles d'un enfant, sous
réserve qu'elles remplissent les conditions de ressources, d'âge
et de scolarisation de l'enfant. Désormais, le versement de l'ARS n'est
plus limité aux seules familles bénéficiant d'une
prestation familiale ou d'une allocation logement.
Le montant de l'ARS par enfant, pour la rentrée scolaire 1999,
était égal à 20 % de la base mensuelle de calcul des
allocations familiales, soit 429 francs. Ce montant est cependant
majoré systématiquement par une décision gouvernementale
depuis 1993 et atteint finalement 1.600 francs depuis 1997.
Reconduite dans son principe d'année en année, cette majoration a
été prise en charge par le budget de l'Etat depuis 1994, qui
rembourse, généralement avec retard, cette dépense
à la branche famille. Il en résulte une charge de
trésorerie non négligeable pour la branche.
Jusqu'en 1997, les pouvoirs publics avaient procédé, pour assurer
son financement, par décret d'avances. Cette pratique n'a pas
été reconduite en 1998. Un montant de 5,8 milliards de
francs a, ultérieurement, été inscrit en loi de finances
rectificative de fin d'année, un versement de 6,1 milliards de francs
ayant été opéré le 22 janvier 1999. Le versement
1999 devrait également être inscrit dans la loi de finances
rectificative pour 1999.
Evolution du montant de l'allocation de rentrée scolaire
|
Montant |
Montant total |
1993 |
1.097 F |
1.500 F |
1994 |
1.089 F |
1.500 F |
1995 |
830 F |
1.500 F |
1996 |
580 F |
1.000 F |
1997 |
1.180 F |
1.600 F |
1998 |
1.176 F |
1.600 F |
1999 |
1.173 F |
1.600 F |
Le
coût total de l'allocation de rentrée scolaire
s'élève à 9,7 milliards de francs, dont 2,5 milliards
de francs à la charge de la branche famille et 7,2 milliards de
francs pris en charge par l'Etat au titre de la majoration.
Lors de la Conférence de la famille du 7 juillet dernier, le Premier
ministre a annoncé la pérennisation de la majoration de
l'ARS :
" la majoration de l'ARS a donc vocation à devenir
une prestation familiale. De ce fait, son financement sera pris en charge par
la branche famille, selon un calendrier à définir.
Parallèlement, l'Etat reprendra à sa charge le financement du
Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs
familles. "
Les modalités de cette prise en charge progressive ne sont pas
connues : tout juste sait-on qu'elle se fera à hauteur de 2,5
milliards de francs en 2000. La branche famille verra par conséquent ses
dépenses au titre de l'ARS augmenter de 2,5 milliards de francs en 2000
pour atteindre, selon le rapport de la Commission des comptes, 5 milliards de
francs.
En contrepartie, la prise en charge par l'Etat du FASTIF, si elle a
effectivement lieu, ne déchargerait la branche famille que de 1 milliard
de francs par an. Le coût net pour la branche famille de cette
opération est donc au moins de 1,5 milliard de francs en 2000.
Le Gouvernement a beau jeu de présenter cette mesure comme un
" progrès " pour les familles : en réalité,
l'ARS était déjà,
de facto
,
pérennisée au niveau de 1.600 francs depuis 1997. Il apparaissait
en effet politiquement risqué pour un Gouvernement de ne pas confirmer
cette majoration exceptionnelle à caractère annuel.
La prétendue pérennisation de l'ARS n'apportera donc rien de
plus aux familles. Elle constitue surtout le prétexte d'une
opération massive de débudgétisation aux dépens de
la branche famille. L'Etat se décharge ainsi sur la
sécurité sociale d'une dépense qu'il a lui-même
créée.
Votre rapporteur observe qu'il est toujours facile, pour l'Etat, de faire le
généreux avec l'argent de la sécurité sociale...
3. 1,1 milliard de francs seulement de mesures nouvelles en faveur des familles
Seules les mesures effectivement favorables aux familles
sont recensées dans l'annexe C du projet de loi de financement, qui doit
pourtant détailler l'impact des différentes mesures
décidées par le Gouvernement. Ces mesures seront
analysées, sur le fond, de manière approfondie dans la partie II
du présent rapport ; on se limitera ici à examiner leur
impact sur l'équilibre de la branche famille.
Ces différentes mesures accroissent les dépenses
de
la branche famille :
- le " coup de pouce " de 0,3 % accordé en
matière de revalorisation des prestations familiales :
340
millions de francs
;
- le relèvement de 20 à 21 ans de l'âge limite
d'ouverture du droit au complément familial :
330 millions de
francs
;
- le relèvement de 20 à 21 ans de l'âge limite
d'ouverture du droit à l'allocation de logement familial (ALF) et
à l'aide personnalisée au logement (APL) :
220 millions
de francs
;
- la dotation supplémentaire au Fonds d'action sociale de la
CNAF :
250 millions de francs.
L'ensemble de ces mesures se traduit par une augmentation de 1,14 milliard
de francs des dépenses de la branche famille en 2000
; le coût
pour les années ultérieures de certaines mesures, notamment le
relèvement des âges limites, sera cependant plus
élevé.
L'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2000 sur les recettes, les dépenses et le solde de la branche
famille est résumé dans le tableau suivant :
Incidence des mesures annoncées par le Gouvernement
sur l'équilibre de la branche famille en 2000
(en milliards de francs)
|
Recettes |
Dépenses |
Solde |
Evolution spontanée en 2000 |
268,194 |
262,141 |
+ 6,053 |
• Prise en charge progressive de la majoration de l'ARS par la CNAF |
|
+ 2,5 |
- 2,5 |
• Diminution des ressources affectées à la branche famille au titre du prélèvement de 2% |
- 1,017 |
|
- 1,017 |
• " Coup de pouce " de 0,3 % de la BMAF |
|
+ 0,34 |
- 0,34 |
• Aides au logement jusqu'à 21 ans |
|
+ 0,22 |
- 0,22 |
• Complément familial jusqu'à 21 ans |
|
+ 0,33 |
- 0,33 |
• Augmentation de la dotation au FNAS |
|
+ 0,25 |
- 0,25 |
Total des mesures : |
- 1,017 |
+ 3,64 |
- 4,657 |
Total général : |
267,177 |
265,781 |
+ 1,396 |
Par les diverses mesures annoncées, le Gouvernement dégrade
de 4,7 milliards de francs le solde de la branche famille en 2000 qui passerait
ainsi de 6,1 milliards de francs en évolution spontanée à
seulement 1,4 milliard de francs
Par rapport à l'évolution spontanée, les recettes
diminueraient d'un milliard de francs (- 0,4 %) pour atteindre 267,2
milliards de francs tandis que les dépenses progresseraient de 3,6
milliards de francs (+ 1,4 %) pour s'établir à 265,8
milliards.
L'objectif de dépenses de la branche famille était, quant
à lui, fixé initialement par l'article 27 du projet de loi
à 265,0 milliards de francs. L'Assemblée nationale a
rectifié ce chiffre pour tenir compte des modifications intervenues
quant aux modalités de la contribution des différentes branches
de la sécurité sociale au financement de la réduction du
temps de travail. Le nouvel objectif de dépenses intègre donc
l'abandon du versement de 1 milliard de francs de la branche famille au fonds
de financement de la réforme des cotisations patronales et se voit
désormais fixé à 264,0 milliards de francs.