II. LA CONVENTION DU 17 DÉCEMBRE 1979, UN INSTRUMENT SOUHAITABLE DANS LA LUTTE CONTRE LA PRISE D'OTAGES
La
convention, dont il vous est demandé d'autoriser la ratification, est
une
convention d'incrimination
qui définit une infraction au
niveau international, demande aux Etats de l'ériger en infraction
pénale et qui comporte un
dispositif juridique de coopération
internationale fondé sur le principe " juger ou
extrader "
, classique dans ce type de convention et que l'on retrouve
à l'alinéa 4 du préambule : " quiconque commet
un acte de prise d'otages doit être poursuivi ou extrader ".
Cette convention se fonde sur deux grands principes du droit international
public rappelés dans le préambule de la convention et qui sont
amenés à se compléter.
Tout d'abord, la convention reconnaît aux individus la jouissance de
droits reconnus internationalement dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme de 1948 et dans le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Parmi ceux-ci, elle se réfère
particulièrement aux droits à la vie, à la liberté
et à la sécurité des personnes.
Toutefois, ces droits reconnus aux personnes au niveau international doivent
s'exercer dans la mesure où leur mise en oeuvre ne fait pas obstacle au
principe de souveraineté des Etats. C'est l'objet de l'alinéa 3
du préambule de la convention qui rappelle les principes de
l'égalité des droits des peuples et du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes. Ces principes sont également rappelés
dans l'article 14 de la convention qui affirme que " rien dans la
présente convention ne peut être interprété comme
justifiant la violation de l'intégrité territoriale ou de
l'indépendance politique d'un Etat en contravention de la Charte des
Nations unies ". Ces dispositions ont été demandées
par les pays non-alignés qui, à l'époque, avaient un
souvenir récent de la colonisation, et se montraient toujours
très attentifs à leur souveraineté et refusaient toute
intervention extérieure fondée sur les droits de l'homme en tant
que principe transnational. Ils voulaient éviter tout risque d'un retour
de l'ancien colonisateur dans leurs affaires intérieures. Cette
inquiétude est encore largement partagée aujourd'hui par les pays
du Sud qui restent méfiants à l'égard des
interventions des pays occidentaux.
Il faut rappeler que selon les dispositions finales de la convention, elle a
été ouverte à la signature des Etats du 18 décembre
1979 au 31 décembre 1980 et est ouverte à l'adhésion de
tous les autres Etats (article 17). Elle est entrée en vigueur le 3 juin
1983, soit le trentième jour après la vingt-deuxième
ratification (article 18-1). Elle entrera en vigueur en France le
trentième jour après son éventuelle ratification (article
18-2). Enfin, selon l'article 19, tout Etat peut dénoncer la convention
et cette dénonciation prend effet un an après celle-ci.
Les 20 articles de la convention déterminent successivement son domaine
et la compétence des Etats en vue de réprimer les prises
d'otages. La convention précise ensuite la portée du principe
" juger ou extrader " et les modalités de la
coopération judiciaire. Elle instaure enfin un processus en vue de
régler les différends entre Etats parties.
A. LE CHAMP D'APPLICATION DE LA CONVENTION ET LA COMPÉTENCE DES ETATS
La convention contre la prise d'otages a pour but de définir une infraction et d'engager les Etats parties à la considérer comme une infraction pénale dans leur propre législation, afin qu'ils poursuivent les individus soupçonnés lorsqu'ils sont compétents.
1. Une définition large de l'infraction de prise d'otages mais limitée par l'article 12
a) Une définition large
La
convention vise à donner une définition universelle, claire et
précise et qui puisse servir de base de référence pour la
mise en oeuvre des poursuites pénales dans les Etats partie. Elle donne
également une définition aussi large que précise de la
prise d'otages pour pouvoir
couvrir toutes les situations
et ne pas
conduire à une impunité par omission.
Selon l'article 1
er
: " commet l'infraction de prise
d'otages au sens de la présente convention, quiconque s'empare d'une
personne, ou la détient et menace de la tuer, de la blesser ou de
continuer à la détenir afin de contraindre une tierce partie,
à savoir un Etat, une organisation internationale, une personne physique
ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou
à s'en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la
libération de l'otage. "
L'article 1
er
de la convention prévoit une
incrimination sous trois conditions cumulatives
:
- s'emparer ou détenir une personne, ou menacer de la tuer, de la
blesser ou de continuer de la détenir ;
- afin de contraindre une tierce partie (Etat, une organisation internationale
intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de
personnes) ;
- à accomplir un acte quelconque ou à s'en abstenir (en tant que
condition explicite ou implicite de la libération de l'otage).
La convention protège très largement toutes les personnes
physiques ou morales qui pourraient être victimes d'une prise d'otages ou
faire l'objet d'un chantage. Cette formule large, bien qu'ancienne, est
à même de couvrir les évolutions récentes des
pratiques en matière de prise d'otages. En effet, comme nous l'avons
relevé, les motivations et les revendications l'organisation des groupes
terroristes ont fortement évolué. Cette disposition
protège aussi bien les Etats dont les personnels diplomatiques peuvent
être exposés que ceux des organisations non gouvernementales qui
sont souvent les victimes de ces nouvelles formes de prises d'otages. Moins
bien protégés, ce sont des cibles plus faciles.
La tentative et la complicité de prise d'otages
sont
également
réprimées
par la convention. De ce fait,
elle prend en compte l'ensemble du phénomène.
Aucune modification de la législation française ne sera
nécessaire sur ce point
, puisque l'enlèvement et la
séquestration arbitraire ont toujours été interdites en
France. Depuis la loi de septembre 1986 (article 706-16 de l'ancien code
pénal puis article 421-1 du nouveau code pénal de 1994), ces
infractions sont poursuivies et jugées dans le cadre des dispositions
spécifiques qui régissent la poursuite, l'instruction, et le
jugement des infractions en relation avec une entreprise terroriste.
b) Un champ d'application limité par l'article 12
L'article 12
est une exception au caractère
global de
la définition de l'infraction de prise d'otages. En effet, il
affirme
que la convention ne s'applique pas à un acte de prise d'otages commis
au cours d'un conflit armé dans lequel les peuples luttent contre la
domination coloniale, la domination étrangère ou contre les
régimes racistes, dans l'exercice du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
Cet article est le résultat de l'influence des pays du Sud aux Nations
Unies à l'époque. Il vise à légitimer un certain
type de violence internationale en raison de motifs dont l'appréciation
peut être très politique. Les dominations coloniale ou
étrangère peuvent se prêter à des
interprétations divergentes. En effet, si les preneurs d'otages sont
considérés par certains comme des " combattants de la
liberté ", ils sont considérés par beaucoup d'autres
comme des terroristes. Cette exception risquerait de faire obstacle à la
répression de la prise d'otages au niveau international, les pays
protégeant des ravisseurs ou leurs complices pouvant s'en
prévaloir pour refuser toute poursuite et toute extradition. Elle
légitime également la prise d'otages comme un moyen possible
alors que le but de la convention serait plutôt de l'exclure en toutes
circonstances.
C'est en tout cas le but de la
déclaration interprétative
que fait la
France
à ce propos. Elle
estime que la prise
d'otages doit être interdite et donc réprimée en toute
circonstance et ne doit jamais être un moyen possible de lutte
. Elle
donne ainsi à la convention une dimension plus grande en rendant
totalement illicite au niveau international ces actes au même titre que
les actes de piraterie par exemple. Elle n'est pas seule à formuler
cette réserve puisqu'elle a été également
formulée par le Chili, la République dominicaine et Israël.
Cet article paraît ne plus avoir aujourd'hui qu'un aspect historique, il
n'y a pas d'articles semblables dans des conventions récentes et
notamment pas dans celles sur la répression des attentats terroristes
à l'explosif.
Réserve faite de l'article 12, tout Etat partie à la convention
s'engage à réprimer l'infraction de prise d'otages ainsi
définie en lui appliquant des peines appropriées à sa
gravité (article 2). Il s'engage également à prendre les
mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de
connaître de ces infractions à chaque fois que la convention le
reconnaît compétent.
2. Une compétence très vaste des Etats qui conduira à modifier certaines règles françaises en matière de compétence pénale
a) La compétence des Etats selon la convention
La
convention contre la prise d'otages donne une compétence très
large aux Etats pour poursuivre cette infraction. Cette compétence
très vaste a pour objectif de donner à la convention la plus
grande efficacité possible en donnant aussi souvent que possible la
possibilité aux Etats concernés par une prise d'otages de la
réprimer eux-mêmes.
Ainsi, les Etats parties sont compétents si les infractions
prévues sont commises (article 5) :
" a) Sur son territoire ou à bord d'un navire ou d'un
aéronef immatriculé dans cet Etat ;
b) Par un quelconque de ses ressortissants, ou, si cet Etat le juge
approprié, par les apatrides qui ont leur résidence habituelle
sur son territoire ;
c) Pour le contraindre à accomplir un acte quelconque ou à s'en
abstenir ; ou
d) A l'encontre d'un otage qui est ressortissant de cet Etat lorsque ce dernier
le juge approprié ; ". Ils sont également
compétents dans le cas où l'auteur présumé de
l'infraction se trouve sur son territoire et où l'Etat ne l'extrade
pas. "
La convention prévoit également les cas où l'Etat est
compétent, parce que l'infraction de prise d'otage n'a pas de
caractère international (article 13),ou parce que sa législation
interne le prévoit, par exemple en vertu du principe de
territorialité (article 5-3).
Ces dispositions ont un impact en matière de procédure
pénale puisqu'elles permettent aux juridictions pénales
françaises de bénéficier d'une compétence quasiment
" universelle ". Elles entraîneront la modification de
l'article 689 du nouveau code de procédure pénale, qui fait
mention de la volonté de la France d'appliquer les conventions qui ont
un impact en la matière. La Chancellerie prévoit d'effectuer
cette modification prochainement, en même temps que celles exigées
par la ratification d'autres conventions.
b) Les principes français de compétence internationale en matière de terrorisme
La
détermination de la compétence internationale varie en France en
fonction du fait que l'infraction est commise ou réputée commise
sur le territoire de la République ou commise en dehors de ce territoire
(nouveau code pénal, application de la loi pénale dans l'espace,
articles 113-1 à 113-11).
-
Les actes commis en France
:
Les actes commis en France relève de la compétence des
juridictions françaises par application du principe de
territorialité (article 113-2). Il s'agit dans le code pénal
d'une conception extensive de la territorialité de telle sorte que de
nombreux actes peuvent être jugés par les juridictions
françaises. Le code pénal adopte également en
matière de terrorisme une " territorialité par
assimilation ". C'est à dire que toute infraction est en effet
réputée commise sur le territoire de la République
dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire
(article 113-2 al.2), ce qui rend compétentes les juridictions
françaises pour connaître d'actes de terrorisme dont une partie
seulement aurait eu lieu en France.
-
Les actes commis en dehors du territoire de la République
:
Hors du territoire de la République, la compétence des
juridictions françaises repose sur un double fondement (article 689 du
nouveau code de procédure pénale, loi n°92-1336 du 16
décembre 1992). Les auteurs ou les complices d'infractions commises hors
du territoire de la République peuvent être poursuivis et
jugés par les juridictions françaises soit, lorsqu'en vertu d'un
texte législatif, la loi française est applicable, soit
lorsqu'une convention internationale donne compétence aux juridictions
françaises pour connaître de l'infraction. Il y a donc deux
critères : le critère substantiel par application de la loi
pénale française, d'une part, et d'autre part, un critère
formel par référence aux conventions internationales attributives
de cette compétence.
Comme votre rapporteur l'avait rappelé à propos de la convention
réprimant les attentats terroristes à l'explosif,
l'article
689 du nouveau code de procédure pénale
se décline en
différents indices tirant chacun les conséquences en
matière de procédure pénale de la ratification par la
France d'une convention internationale. Il
devra être
complété
car les dispositions de la convention ont un impact
en matière de procédure pénale puisqu'elles permettent aux
juridictions pénales françaises de bénéficier d'une
compétence quasiment " universelle ". La Chancellerie
prévoit d'effectuer cette modification prochainement, en même
temps que celles exigées par la ratification d'autres conventions.