N°
473
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 30 juin 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'adhésion de la République française à la convention internationale contre la prise d'otages ,
Par M.
André ROUVIÈRE,
Sénateur,
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir le numéro :
Sénat
:
339
(1998-1999).
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi tend à autoriser la ratification d'une
convention internationale contre la prise d'otages,
adoptée à
New-York
, dans le cadre des Nations-Unies,
le 17 décembre
1979
. Elle est à la suite du dépôt du 22
e
instrument de ratification et reste ouverte à
entrée en
vigueur le 3 juin 1983
l'adhésion de tout Etat.
77 Etats y ont adhéré
dont tous ceux du G 8 et de l'Union
européenne sauf la Belgique, dont la ratification est prévue en
1999, l'Irlande, qui l'a signée, et la France, qui n'étant pas
signataire devra y adhérer directement.
Il convient, dès à présent de s'interroger sur les
raisons qui ont justifié que notre pays tarde autant à ratifier
cette convention dont l'objectif est évidemment conforme à la
politique de lutte contre le terrorisme, au sens le plus large, poursuivie
depuis de nombreuses années.
Deux motifs principaux avaient jusqu'à présent conduit la France
à ne pas ratifier cette convention :
- Datant de la fin des années 1970, cette convention est marquée
par la position diplomatique du groupe des pays non-alignés aux Nations
Unies qui refusaient de condamner les actes de terrorisme, et notamment les
prises d'otages, dans la mesure où ils étaient un moyen dans les
luttes de libération contre le colonialisme ou la domination
étrangère et dont ils avaient pour certains un souvenir proche et
vif. Les pays non-alignés tout en soutenant ou tout au moins en
exprimant une certaine solidarité ou compréhension vis à
vis de certains mouvements, souhaitaient surtout écarter toute
disposition de droit international risquant de justifier une intervention
extérieure ou de limiter leur souveraineté. C'est là le
principal motif de la rédaction de l'article 12 de la convention qui
paraît, dans un certain nombre de cas, considérer la prise
d'otages comme un moyen d'action légitime. Cet article que l'on ne
retrouve pas dans d'autres conventions similaires, apparaît aujourd'hui
comme un article " historique ". La France reste fermement
opposée à cette disposition et n'accepte aujourd'hui de ratifier
la convention qu'en refusant d'être liée par l'article 12.
- De plus, l'article 16 organise un règlement des différends
entre Etats qui conduit in fine à reconnaître la compétence
de la Cour internationale de justice. Or depuis 1974, à la suite d'un
jugement défavorable rendu à propos des essais nucléaires
dans le Pacifique, la France ne reconnaissait plus la compétence de la
CIJ. Elle a amorcé une évolution partielle, ponctuelle et
prudente avec la ratification de la convention internationale sur la
répression des attentats terroristes à l'explosif qui
présente une rédaction similaire. Cette réserve
aujourd'hui levée, il est possible d'envisager la ratification de la
présente convention.
Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée du projet de loi visant
à autoriser la ratification de la convention internationale pour la
répression des attentats terroristes à l'explosif en date du 12
janvier 1998. La convention internationale contre la prise d'otages fait partie
d'un ensemble de conventions internationales générales ou
spéciales contre le terrorisme que votre rapporteur a déjà
étudié dans le rapport sur la convention internationale sur la
répression des attentats terroristes à l'explosif. Elle vise
à assurer grâce à la coopération internationale la
répression des prises d'otages.
Cette convention s'inscrit dans un contexte qui a beaucoup évolué
depuis son adoption qui, quoique déjà largement
évoqué dans le précédent rapport, doit être
rappelé pour mieux analyser et dégager les principaux points de
la convention contre la prise d'otages.
I. LA PERMANENCE DE LA MENACE ET LA RECHERCHE DE RÉPONSES INTERNATIONALES ADAPTÉES
Votre
rapporteur rappellera ici brièvement l'analyse qu'il avait
déjà effectuée dans le rapport sur le projet de loi
autorisant la ratification de la convention internationale sur la
répression des attentats terroristes à l'explosif.
En effet, la prise d'otages est un des nombreux modes d'actions terroristes. Il
faut donc voir comment ce risque particulier prend place dans la menace
terroriste en général et comment la présente convention se
situe dans un dispositif déjà très développé
de moyens de lutte contre le terrorisme.
A. LA PRISE D'OTAGES, UNE MENACE TERRORISTE SPÉCIFIQUE
1. La prise d'otages est un acte terroriste typique
Selon la
définition donnée par Paul Wilkinson, directeur du centre
d'études du terrorisme et de la violence politique de
l'université de St-Andrews (Ecosse), le terrorisme est une forme
particulière de violence dont le but est de créer un climat de
peur dans un groupe cible plus large que les victimes directes,
généralement à des fins politiques. L'objectif des
terroristes est d'obtenir une publicité massive et immédiate,
d'obtenir des concessions de l'organisme, étatique ou non, sur lequel
ils font pression et de provoquer une chaîne d'effets tel qu'une
répression répressive disproportionnée, l'adhésion
de nouveaux adeptes et la commission de nouveaux actes terroristes.
A ce titre, la prise d'otages est bien un acte terroriste typique permettant
d'atteindre ces objectifs. Dans la prise d'otages, la dramatisation et la
médiatisation sont des aspects très importants qui permettent aux
terroristes d'arriver à leurs fins. En effet, les terroristes ont besoin
des médias pour donner le retentissement souhaité à leur
action. Si ce n'était pas le cas, leur action n'aurait que peu
d'influence. L'effet de peur, que recherchent les terroristes, ne peut
être obtenu qu'avec la collaboration des médias. La prise d'otages
se prête parfaitement à cette exploitation médiatique du
fait de sa durée et de son caractère émotionnel.
Gérard Chaliand, directeur du centre européen d'études des
conflits, a mis en exergue le traitement médiatique de
l'enlèvement pendant 55 jours d'Aldo Moro avant son assassinat en 1979,
ou encore pendant 17 jours le détournement de l'avion de la TWA en 1985.
Durant ces prises d'otages, le décompte des jours avait
été quotidiennement rappelé à la
télévision et les médias avaient fait de nombreuses
interviews dramatiques des proches des victimes. Ce fut également le cas
des prises d'otages très longues au Liban durant les années 1980.
Durant le détournement de l'avion de la TWA, les preneurs d'otages
avaient fait " monter la pression " en libérant à
chaque escale et progressivement leurs otages pour ne plus garder finalement
que 39 Américains. La pression médiatique avait été
telle que l'administration américaine avait été contrainte
de demander à l'Etat d'Israël de libérer les 776 militants
chiites prisonniers.
La prise d'otages est un moyen classiquement utilisé par les terroristes
depuis de nombreuses années. Le personnel diplomatique a
été beaucoup touché par ces actes terroristes. Les
Tupameros en Amérique du Sud, au début des années 1970,
ont ainsi enlevé les ambassadeurs d'Allemagne au Guatemala et au
Brésil et l'ambassadeur de Suisse au Brésil. L'ambassadeur
d'Allemagne au Guatemala a été assassiné ainsi que le chef
de la sécurité de l'Ambassade des Etats-Unis au Brésil.
D'autres prises d'otages ont eu un retentissement politique très
important tels que la prise d'otages des membres de la délégation
israélienne aux Jeux olympiques de Munich en 1972 par des terroristes de
l'OLP, celle des ministres de l'Opep à Vienne en 1975 par Carlos, ou
encore du personnel de l'Ambassade des Etats-Unis en Iran en 1979-1980.
Il faut d'ailleurs noter que la recrudescence des prises d'otages durant les
années 1970 est un des motifs qui ont inciter à conclure cette
convention.
Ces
prises d'otages des années 1970 ou 1980 avaient essentiellement
un but politique
et étaient,
soit en relation avec un conflit
national
tel que le problème palestinien ou la guerre du Liban,
soit en relation avec un mouvement révolutionnaire
armée
voulant prendre le pouvoir ou étant arrivée au pouvoir comme en
Amérique du Sud ou en Iran. Ce dernier cas étant
spécifique puisque l'Iran a incarné un nouveau type de terrorisme
du fait que son fondement était essentiellement religieux et qu'il a
développé ses actions de déstabilisation à
l'extrême au Moyen-Orient et en Occident.
2. L'évolution des conditions des prises d'otages
Depuis
la fin des années 1980, le contexte international a profondément
évolué. La chute du " bloc communiste " à l'est
a déstabilisé un grand nombre de pays et a permis que se
développent des organisations criminelles. Se sont également
développées des crises ou des guerres internes à des
Etats affaiblis favorisant le recours à des activités
terroristes. Enfin, les organisations mafieuses sont apparues comme de nouveaux
acteurs du terrorisme international. Ces évolutions ont eu un impact
important sur l'évolution du nombre et des caractéristiques des
prise d'otages.
La présente convention vise ainsi à réprimer
une
menace, en extension
. Elle représente
désormais 15% des
actes du terrorisme international
(source : Département d'Etat
des Etats-Unis, statistiques 1997). En outre, ce phénomène
présente des caractéristiques nouvelles :
- les motivations des preneurs d'otages sont certes parfois
"terroristes ", mais de plus en plus ressortent purement du
crime
organisé
;
- les
membres des ONG ou les salariés des grandes entreprises
en
constituent les
victimes principales
;
- la coopération entre Etats favorise la résolution de la crise,
le rôle et l'intervention des Etats extérieurs ne pouvant
s'exercer que dans les limites de la souveraineté - et de la
capacité à réagir et contrôler son propre territoire
- de l'Etat sur le territoire duquel se déroule la prise d'otages ;
De plus, un nombre assez important de Français est victime de ce type de
terrorisme.
15 Français ont été retenus en otages en
1997
en Tchétchénie (1), au Daghestan (4), au Tadjikistan
(5), au Yémen (5) et au Niger (3). Pour le
premier trimestre 1998, 9
Français
ont été retenus en otages, en Ossétie
(1), au Tchad (4), au Sierra Leone (1), au Niger (1) et en Colombie (2). La
France pourra par conséquent utilement bénéficier des
mesures prévues par cette convention.
On peut remarquer que la répartition géographique des prises
d'otages ces dernières années met en lumière
trois
zones principales : les pays de l'ex-URSS, d'Afrique et d'Amérique
du Sud
. Ce sont des pays où s'est développé un
véritable " commerce " des otages occidentaux. Des
organisations criminelles enlèvent des étrangers afin de
rançonner des ONG ou des Etats et sans autre but affiché que
d'obtenir une rançon. On est loin des motivations politiques et
idéologiques des premières prises d'otages terroristes.