C. LE MODE DE SCRUTIN POUR L'ÉLECTION DES SÉNATEURS
L'article L. 294 du code électoral
établit
le mode de scrutin majoritaire pour l'élection des sénateurs dans
les départements ayant jusqu'à 4 sièges de
sénateurs.
Selon l'article L. 295 de ce code, les sénateurs sont
élus au scrutin proportionnel suivant la règle de la plus forte
moyenne dans les départements représentés par au moins
5 sénateurs.
Par dérogation à ces dispositions, le scrutin proportionnel a
été maintenu, lors de la création des nouveaux
départements de la région parisienne, dans le département
du Val d'Oise (issu de l'ancienne Seine-et-Oise), par l'article 3 de la
loi n° 66-504 du 12 juillet 1966, bien que ce
département élise 4 sénateurs.
Le projet de loi et quatre propositions de loi tendent à abaisser le
seuil à partir duquel serait appliqué le scrutin proportionnel,
tout en maintenant la règle de la plus forte moyenne et l'exclusion du
panachage et du vote préférentiel.
Il existe donc un accord du Gouvernement et de tous les groupes du
Sénat pour abaisser ce seuil, mais des divergences importantes se sont
manifestées sur la fixation du nouveau seuil :
- la
proposition de loi n° 230 de
M. de Raincourt
propose d'établir le mode de scrutin
proportionnel dans les départements comptant
au moins
4 sièges à pourvoir
;
- le
projet de loi n° 260
et les
propositions de loi
n° s 209 et 152 de M. Jean-Michel Baylet et de
Mme Hélène Luc
tendent à fixer ce seuil aux
départements élisant
au moins 3 sénateurs
. Une
proposition similaire, issue d'un projet de loi, avait été
rejetée par le Sénat le 19 décembre 1991 ;
- la
proposition de loi n° 458 de
M. Guy Allouche
opte pour l'adoption du scrutin proportionnel
dans les départements disposant d'
au moins 2 sièges
.
Il convient donc de comparer les effets de ces différentes propositions
à ceux résultant de la situation en vigueur, en mesurant l'impact
du mode de scrutin proportionnel à partir de 5, 4, 3 ou
2 sièges de sénateurs.
Un tableau récapitule, pour chaque cas de figure le nombre et la
proportion de sièges qui serait attribués selon l'un ou l'autre
des modes de scrutin. Il indique aussi, pour chaque hypothèse, le nombre
de départements et la population concernés
35(
*
)
.
L'application du scrutin proportionnel à partir de
5 sièges (situation actuelle) conduit à l'attribution de
deux tiers des sièges (67,76 %) au scrutin majoritaire et d'un
tiers des sièges au scrutin proportionnel (32,24 %)
, la
population représentée selon l'un ou l'autre de ces modes de
scrutin s'établissant respectivement à 63,49 % et
36,51 %.
L'établissement du scrutin proportionnel à partir de
3 sièges -solution rejetée par le Sénat en 1991-
renverserait cette proportion.
En effet, elle entraînerait l'élection de deux tiers des
sénateurs (212 sièges) à la proportionnelle
(69,74 %) et d'un tiers d'entre eux au scrutin majoritaire (30,26 %),
la population représentée étant selon les cas
respectivement de 77,01 % et de 22,99 %.
Cette proposition impliquerait un changement de mode de scrutin dans
35 départements et porterait sur 114 sièges.
Le scrutin proportionnel serait mis en oeuvre pour 212 sièges
(69,74 %), représentant 77,01 % de la population.
L'accroissement du " champ de la proportionnelle " pour les
élections sénatoriales se trouverait naturellement
renforcé par d'autres dispositions contenues dans les propositions
formulées par M. Guy Allouche tendant à réviser la
répartition des sièges entre les départements, en
conséquence de la création de 17 sièges et de la
suppression de 4 sièges.
A la suite de cette opération, trois départements
supplémentaires atteignant 3 sièges seraient
concernés (Ain, Drôme, Vaucluse) et, au total, compte tenu des
sièges créés ou supprimés dans les
départements pour lesquels le mode de scrutin est déjà
proportionnel ou le deviendrait par la suite de l'abaissement du seuil
proposé, 55 sièges supplémentaires seraient
attribués à la proportionnelle.
Donc, le scrutin proportionnel serait applicable pour 267 sièges
attribués dans les départements (87,82 % de ce
sièges).
Le " champ de la proportionnelle " se trouverait encore
amplifié si le seuil pour l'élection des
délégués des conseils municipaux était
abaissé de 9.000 habitants à 1.000 habitants, comme
cela est proposé par le projet de loi ou à 3.500 habitants,
selon les propositions de loi de M. Guy Allouche et de
M. Jean-Michel Baylet, la proposition de loi de
Mme Hélène Luc ne prévoyant aucune disposition
nouvelle sur ce point.
On serait donc loin de la suggestion d'"
instiller de la
proportionnelle
" dans les scrutins majoritaires, émise par le
Président François Mitterrand.
Ses membres étant très majoritairement élus à la
proportionnelle, donc sur une base essentiellement partisane et, de ce fait,
moins proches des électeurs, le Sénat perdrait sons doute
beaucoup de son indépendance par rapport aux partis politiques et sa
spécificité serait réduite en conséquence.
La fonction du Sénat et, partant, le bicaméralisme, tel qu'il est
mis en oeuvre grâce à son travail attentif, s'en trouveraient
gravement altérés.
L'introduction massive du mode de scrutin proportionnel atténuerait
sensiblement la portée réelle de la représentation des
collectivités par le Sénat, dont le caractère politique
prévaudrait alors sur cette représentation prescrite par la
Constitution.
L'instauration d'un scrutin proportionnel à partir de
2 sièges conduirait à l'élection de la quasi
totalité des sénateurs au scrutin proportionnel,
le scrutin
majoritaire n'ayant plus qu'une place résiduelle, dans les huit
départements représentés par un seul sénateur.
Un seuil inférieur ne pourrait, par définition, pas être
envisagé.
Cette règle impliquerait l'élection de 97,37 %
sénateurs à la proportionnelle et de 2,63 % d'entre eux au
scrutin majoritaire, la population représentée selon l'un ou
l'autre de ces modes de scrutin s'établissent respectivement à
98,31 % et 1,69 %.
En d'autres termes, 296 sénateurs seraient élus au
scrutin proportionnel... et 8 d'entre eux au scrutin majoritaire.
Dans un département ayant deux sièges à pourvoir, si les
deux listes en présence obtenaient respectivement les deux tiers et le
tiers des suffrages exprimés, chacune d'entre elles
bénéficierait d'une représentation égale de
1 siège chacune.
Sauf domination exceptionnelle de l'une de ces listes, l'élection
conduirait donc inévitablement toujours au même résultat,
sans correspondance avec la volonté exprimée par les
électeurs puisque la représentation des deux tiers d'entre eux
pourrait être égale à celle du tiers des votants.
L'abaissement de 5 à 3 ou 2 sièges du seuil d'application du
scrutin proportionnel ne pourrait donc pas être accepté, sauf
à vouloir remettre en cause gravement la spécificité du
Sénat et donc le bicaméralisme.
Pour autant, le maintient à 5 sièges du seul d'application
de la proportionnelle ne semble pas devoir être considéré
comme une règle intangible.
L'établissement d'un scrutin proportionnel à partir de 4
sièges constituerait une solution intermédiaire permettant une
composition équilibrée du Sénat entre ses membres
élus au scrutin proportionnel et ceux procédant du scrutin
majoritaire.
Cette solution entraînerait en effet l'attribution de
170 sièges (55,92 %) au scrutin majoritaire et de
134 sièges (44,08 %) au scrutin proportionnel.
L'équilibre en sièges serait amplifié aussi en termes de
population représentée, puisque 49,43 % de la population serait
représentée par des sénateurs élus au scrutin
majoritaire et 50,57 % par des sénateurs élus au scrutin
proportionnel.
Les 9 départements concernés seraient les suivants :
Alpes-Maritimes, Finistère, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine,
Isère, Loire, Meurthe-et-Moselle, Bas-Rhin, Seine-et-Marne.
Votre commission des Lois a donc marqué sa préférence pour
des dispositions permettant une meilleure représentation des
minorités dans les départements les plus peuplés, tout en
assurant un équilibre global entre les deux modes de scrutin.
Elle vous propose donc, comme la proposition de loi n° 230 de
M. de Raincourt, d'abaisser de 5 sièges à
4 sièges le seuil à partir duquel serait appliqué le
scrutin proportionnel.