PREMIÈRE PARTIE
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LE PROJET PRÉSENTÉ PAR LE
GOUVERNEMENT
Votre
commission estime tout d'abord que le projet généreux du
Gouvernement, fondé sur un double constat, procède aussi d'un
double oubli.
Elle souhaite ensuite évoquer quatre défauts majeurs du projet de
loi, qui ne peuvent être acceptés : il repose sur des erreurs
d'analyse, s'attaque aux fondements de la protection sociale, est
inégalitaire et déresponsabilisant, et porte en germe, à
très court terme, de graves dérives financières.
I. UN PROJET GÉNÉREUX, FONDÉ SUR UN DOUBLE CONSTAT ET UN DOUBLE OUBLI
Le projet de loi du Gouvernement est un projet de loi ambitieux et généreux : il vise à restaurer l'égalité d'accès aux soins, garantie par les principes constitutionnels, en donnant à tous les résidents réguliers l'accès à une couverture de base et à ceux dont les revenus sont les plus faibles une couverture complémentaire gratuite couvrant 100 % des dépenses engagées.
A. UN DOUBLE CONSTAT
1. Environ 150.000 personnes ne bénéficient pas, en pratique, de la sécurité sociale et celle-ci rembourse de plus en plus mal les dépenses de soins
a) 150.000 personnes exclues : une question d'accès aux droits plus que de droits
La
sécurité sociale a été fondée, à la
Libération, sur une logique professionnelle qui était
demandée par tous les acteurs. Le besoin d'universalisation s'est
traduit, au fil des ans, par de nombreuses améliorations
législatives qui ont conduit au rattachement aux régimes
existants de professions non couvertes, à l'élargissement de la
notion d'ayant droit, à l'extension des périodes de maintien des
droits mais aussi à la prise en charge de cotisations d'assurance
maladie pour les bénéficiaires de certaines prestations, à
la définition de droits à l'assurance maladie pour les personnes
au chômage et à l'assouplissement des conditions d'affiliation aux
régimes professionnels.
L'assurance personnelle, pour toutes les personnes ne relevant à aucun
autre titre d'un régime professionnel, et l'aide médicale, pour
celles qui sont dans le besoin, étaient de nature à
" boucler " le dispositif pour assurer, en pratique,
l'universalité de la couverture de base dans des régimes
demeurés professionnels.
Pourtant, quelque 150.000 personnes, aujourd'hui, demeurent dépourvues
de toute couverture de base. Est-ce à dire pour autant qu'elles n'ont
droit à rien ?
Certes, non. Elles doivent pouvoir, si elles ont suffisamment de revenus,
adhérer à l'assurance personnelle et, si elles n'en n'ont pas,
bénéficier de l'aide médicale.
La question est, dès lors, moins une question de droit que
d'accès au droit :
il convient, notamment pour les personnes
défavorisées, voire désocialisées, de
prévoir des mécanismes simples, rapides d'affiliation et des
mécanismes continus d'accès aux droits.
C'est ce qu'ambitionne le projet de loi, dans son titre premier consacré
à l'assurance de base. Supprimant le régime de l'assurance
personnelle pour le transformer en régime de résidence, il
prévoit l'affiliation immédiate et l'immédiateté du
versement des prestations. En dissociant paiement des cotisations et versement
des prestations, il assure en outre la continuité de ces droits.
Le projet de loi procède donc à la simplification des
procédures plutôt qu'à la création d'une
" assurance maladie universelle ".
C'est pourtant à la mise en place d'une telle " assurance maladie
universelle " qu'avait aspiré le précédent
Gouvernement en travaillant à la définition d'une assurance
maladie ouverte à tous et dont les caractéristiques auraient
été harmonisées entre les différents régimes.
Simplification de l'accès au droit, dans le cadre du présent
projet de loi, contre assurance maladie universelle assortie d'une
harmonisation des droits : votre commission aurait, bien entendu,
préféré la seconde solution.
Elle ne critiquera cependant pas le contenu de la première, qui
constitue un moyen utile pour rendre effectifs les droits à l'assurance
maladie.
b) L'assurance maladie n'assure plus, comme le prévoit le premier article du code de la sécurité sociale " la couverture des charges de maladie " : elle devient elle-même un facteur d'exclusion
Selon
une étude réalisée par le service des statistiques, des
études et des systèmes d'information du ministère de
l'emploi et de la solidarité consacrée aux revenus sociaux de
1981 à 1996, la part des revenus sociaux dans le revenu des
ménages a progressé de 3 % par an au cours de cette
période mais la couverture des dépenses de soins par la
sécurité sociale a été ramenée de
76,5 % à 73,6 %.
Cette proportion moyenne cache en outre de profondes disparités :
si l'hospitalisation est globalement très bien prise en charge par la
sécurité sociales, les soins ambulatoires et les biens
médicaux sont très mal remboursés.
|
Total |
Hôpital |
Soins ambulatoires |
Biens médicaux |
Financement socialisé |
81,4 |
92,2 |
69,3 |
71,5 |
Sécurité sociale |
73,5 |
88,9 |
57,5 |
57,8 |
Etat et collectivités locales |
0,9 |
1,0 |
0,7 |
0,7 |
Mutuelles |
7,0 |
2,3 |
11,1 |
13,0 |
Assurances et institutions de prévoyance |
4,7 |
1,4 |
8,2 |
8,4 |
Ménages |
13,8 |
6,4 |
22,6 |
20,1 |
Source : SESI, chiffres 1996
Ce tableau permet de dresser trois conclusions :
1/ Il est aujourd'hui indispensable, en France, d'être couvert par
une mutuelle, une société d'assurance ou une institution de
prévoyance,
non seulement si l'on considère l'ensemble
des dépenses de santé, prises en charge à hauteur de
11,7 % par ces trois types d'organismes, mais aussi, en leur sein :
- pour les soins ambulatoires et les biens médicaux : la prise en
charge par les organismes de protection sociale complémentaire
s'élève, en effet, respectivement à 19,3 % et
à 21,4 % ;
- mais également, pour les soins hospitaliers. En effet, si la prise en
charge des dépenses y afférentes par la sécurité
sociale est plus élevée, les 10,1 % de frais qui demeurent
à la charge des ménages représentent des sommes
très élevées, en valeur absolue. De fait, les organismes
de protection sociale complémentaire interviennent pour 3,7 %,
laissant 6,4 % des dépenses à la charge des ménages.
2/ Même après l'intervention des organismes de protection
sociale complémentaire, 13,8 % des dépenses de santé
demeurent à la charge des ménages.
Ainsi, sur une moyenne
de 12.015 francs dépensés annuellement, malgré
l'intervention de la sécurité sociale et des mutuelles et
assurances pour l'intervention desquelles les Français paient des
cotisations, des impôts et des primes, environ 1.700 francs demeurent
à leur charge.
3/ La sécurité sociale, paradoxalement, devient facteur
d'exclusion et d'inégalité.
Ainsi, beaucoup de
résidents acquittent, en tant que salariés ou
indépendants, des cotisations et la CSG mais, dépourvus de
couverture complémentaire, ils ne peuvent en pratique accéder
à tous les soins ou acquérir tous les biens médicaux dont
ils auraient besoin.
Ils paient donc en pure perte ces contributions, ne pouvant accéder aux
soins pour lesquels ils ne bénéficient que d'une couverture
très partielle.
Pour justifier les dispositions du projet de loi, le Gouvernement a
cité, dans l'étude d'impact, des chiffres selon lesquels
17 % de la population française déclarent avoir
renoncé à des soins pour des raisons financières au cours
de l'année précédente. Ces chiffres doivent être
avancés avec prudence : il conviendrait plutôt en effet de
connaître la proportion de Français ayant renoncé pendant
longtemps à des soins utiles, proportion qui n'est certainement pas
négligeable mais qui ne peut être chiffrée avec
précision.
De même, les autres chiffres cités par le Gouvernement selon
lesquels la consommation médicale de ville des plus démunis est
inférieure à la moyenne ne veut pas dire grand chose dans
l'absolu. Il conviendrait plutôt de démontrer que la consommation
médicale moyenne des plus démunis est inférieure à
celle qui serait nécessaire pour satisfaire les besoins utiles de
prévention et de soins.
2. Tous les résidents ne bénéficient pas encore d'une couverture complémentaire
a) Le taux de couverture est inégal
Si la
part des résidents couverts par une assurance complémentaire
santé a très sensiblement augmenté depuis 20 ans,
parallèlement à l'élévation du niveau de vie
-notamment des retraités- et surtout du désengagement de la
sécurité sociale dans la prise en charge des dépenses de
santé, ce taux de couverture est très inégal en fonction
des statuts (salarié ou non, contrat à durée
indéterminée ou non) et des niveaux de revenus.
Ainsi, si l'on considère les professions, 90 % des cadres
supérieurs bénéficient d'une couverture
complémentaire, contre 82 % environ des ouvriers qualifiés
et des artisans commerçants, et 70 % pour les ouvriers non
qualifiés.
Toutefois, sur 100 personnes ne bénéficiant pas d'un contrat
complémentaire, 13 % bénéficient de l'aide
médicale gratuite, 10 % d'une prise en charge à 100 %
par la sécurité sociale pour les dépenses liées
à une affection de longue durée, et 2 %
bénéficient à la fois des " 100 %
sécurité sociale " et de l'aide médicale gratuite.
Les difficultés d'accès aux soins ne se rencontrent donc pas chez
tous les résidents dépourvus d'une couverture
complémentaire mais, ce qui est déjà beaucoup trop, chez
les trois quarts d'entre eux.
Si l'on s'intéresse aux inégalités de couverture en
fonction des revenus, des enquêtes du CREDES ont montré que sont
couverts :
- 47 % des personnes disposant de revenus par unité de
consommation inférieurs à 2.000 francs par mois ;
- 72 % pour un revenu mensuel compris entre 2.000 et 3.000 francs par
unité de consommation ;
- et 91 % pour des revenus supérieurs à 3.000 francs.
Il est intéressant d'observer que, dans la première
catégorie (revenus inférieurs à 2.000 francs), la
couverture complémentaire résulte d'une initiative personnelle,
et non pas de celle d'une entreprise.
b) Beaucoup de personnes, dépourvues de couverture complémentaire, ne peuvent accéder aux soins
Les
chiffres fournis par des associations comme Médecins du monde sont,
à cet égard, édifiants : ils montrent que des
personnes qui ne sont, a priori, pas désocialisées peuvent,
à la suite d'un accident de la vie ou parce qu'elles ne disposent pas de
couverture complémentaire, accéder aux soins dans des conditions
de droit commun. Ainsi, 40.000 patients ont fréquenté, en 1996,
les dispensaires ouverts en France à l'initiative de cette association,
soit 30 % de plus qu'en 1995.
Si l'on examine de près les caractéristiques sociales de ces
personnes, on observe que :
- 20 % ont fait des études jusqu'au collège ;
- plus de 12 % ont fait des études supérieures ;
- un quart d'entre eux bénéficient d'une couverture maladie de
base, mais ne peuvent faire face à l'avance de frais ou à
l'absence de remboursements complémentaires.
Il est ainsi particulièrement injuste et choquant, à l'aube du
troisième millénaire et compte tenu de l'ampleur des
prélèvements sociaux en France, que la protection sociale soit
aussi peu efficace et laisse autant de personnes au bord du chemin.