N°
373
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 20 mai 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission spéciale (1), sur le projet de loi d' orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture,
Par MM.
Gérard LARCHER, Claude BELOT et Charles REVET,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jean
François-Poncet,
président
; Jacques Bellanger, Jean-Paul
Delevoye, Jean Huchon, Paul Masson, Jean-Pierre Raffarin,
vice-présidents
; Mme Janine Bardou, MM. Gérard Le Cam,
Bernard Piras,
secrétaires
; Gérard Larcher, Claude
Belot, Charles Revet,
rapporteurs
; Jacques Baudot,
Mme
Marie-Claude Beaudeau, MM. Georges Berchet, Roger Besse, Didier Borotra,
André Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Bernard Cazeau, Léon Fatous,
Bernard Fournier, Alfred Foy, François Gerbaud, Georges Gruillot, Pierre
Hérisson, Daniel Hoeffel, Jean-Paul Hugot, Serge Lagauche, Gérard
Miquel, Jacques Oudin, Jean-Marc Pastor, Jacques Peyrat,
Jean-Claude
Peyronnet, Jean Puech, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Alain Vasselle.
Voir les numéros :
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
Première lecture :
1071
,
1288
et T.A.
244
.
Deuxième lecture :
1527
.
Commission mixte paritaire :
1528
.
Nouvelle lecture :
1527 rect
.,
1562
et
T.A.
289
.
Sénat
: Première lecture :
203
,
272
et T.A.
103
(1998-1999).
Commission mixte paritaire
: 298
(1998-1999).
Nouvelle lecture :
347
(1998-1999).
Aménagement du territoire. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes saisis, en nouvelle lecture, du projet de loi d'orientation
d'aménagement et de développement durable du territoire, la
commission mixte paritaire n'étant pas parvenue à élaborer
un texte commun.
La procédure d'urgence retenue par le Gouvernement n'avait donné
au Parlement que deux mois pour débattre d'un texte dont l'objectif
était pourtant de fixer pour vingt ans un cadre à la politique
d'aménagement du territoire.
Votre commission spéciale tient, à ce propos, à souligner
combien cette procédure a, une nouvelle fois, bridé le
nécessaire dialogue entre les deux assemblées de la
République, privant ainsi les travaux du Parlement du
bénéfice d'une écoute réciproque. Le
déroulement de la commission mixte a été, à cet
égard, caricatural, débouchant sur un échec par trop
prévisible.
En première lecture, le Sénat avait souhaité manifester
une attitude constructive et placer sa démarche sous trois signes :
l'équilibre, l'innovation et la réaffirmation de la
nécessité de la péréquation.
Cette approche s'est notamment traduite par l'acceptation d'un certain nombre
d'orientations importantes du projet de loi.
Bien qu'ayant notablement contribué à l'élaboration de la
loi " Pasqua ", le Sénat a ainsi accepté le principe de
la suppression du schéma national.
Il a aussi fait sien le concept de développement durable
déjà évoqué dans la loi " Pasqua " mais
revenant comme un " leitmotiv " tout au long du texte.
Il a jugé intéressante la notion de " services aux
usagers " que le projet introduit dans les schémas de secteurs et
que la précédente loi avait insuffisamment pris en compte.
Le Sénat a enfin dit oui aux dispositions qui " consacrent "
les pays et les communautés d'agglomérations, principales
innovations de la réforme. S'agissant des premiers, il a toutefois voulu
préserver la liberté des collectivités locales en dehors
de tout carcan préfectoral, fut-il régional ou
départemental.
La Haute Assemblée a voulu marquer sa volonté d'équilibre.
Equilibre entre les prérogatives du Gouvernement et les droits du
Parlement. Le Sénat a souhaité renforcer les droits du Parlement
en matière d'aménagement du territoire afin de mettre un terme
à une situation où les assemblées ne sont
" consultées " que pour délibérer d'orientations
très générales, le Gouvernement (notamment à
travers ses comités interministériels), la DATAR et les
organismes qui lui sont liés, détenant la réalité
du pouvoir de décision dans la préparation, la conceptualisation
et la mise en oeuvre de la politique d'aménagement du territoire. A cet
égard, les sénateurs ont vivement regretté les conditions
dans lesquelles ont été définies les nouvelles
orientations gouvernementales. Pour remédier à cette situation,
la Haute Assemblée a approuvé et renforcé le dispositif
introduit par les députés sur les délégations
parlementaires, mais surtout souhaité que le Parlement puisse
délibérer, comme en matière de loi de plan, sur les
schémas sectoriels.
Equilibre entre zones urbaines et espaces ruraux. Soupçonné en
permanence de vouloir en revenir à un " ruralisme "
archaïque, le Sénat a néanmoins souhaité
rééquilibrer un projet dont toute la philosophie semble prendre
son parti de la " métropolisation " inévitable d'une
France qui se décomposerait en grands ensembles urbains d'une part et en
espaces naturels vides, à protéger contre les pollutions, d'autre
part. C'est contre cette logique que les sénateurs se sont
élevés en appelant de leurs voeux un " schéma des
territoires ruraux et des espaces naturels ", où la
préoccupation du développement rural accompagnerait celle de la
dimension environnementale.
Equilibre entre services et équipements. Aux " schémas de
services collectifs " fondés sur le refus d'une logique qui serait
exclusivement celle de l'offre, la Haute Assemblée a substitué
des " schémas directeurs d'équipements et de services "
qui acceptent l'idée de " services " mais insistent sur la
nécessité de doter notre pays de nouveaux équipements dans
les domaines culturel, universitaire, sanitaire, et des infrastructures de
transport. Sur ce dernier point, le Sénat a jugé indispensable de
mettre en place des schémas directeurs spécifiques :
schéma directeur d'équipements et de services routiers,
schéma directeur d'équipements et de services fluviaux,
schéma directeur d'équipements et de services ferroviaires,
schéma directeur d'équipements et de services maritimes,
schéma directeur d'équipements et de services
aéroportuaires.
Equilibre entre environnement et économie. En même temps qu'il
adoptait un ton résolument " environnementaliste ", le projet
de loi a semblé laisser de côté un aspect essentiel de
l'aménagement du territoire : l'économie. Pour le
Sénat au contraire, il n'est pas d'aménagement véritable
du territoire sans développement économique et création
d'emplois. C'est dans ce souci qu'il a adopté tout une série de
dispositions favorisant le développement économique des
territoires.
Le Sénat a voulu, en second lieu, innover en enrichissant le projet
transmis par l'Assemblée.
C'est ainsi qu'il a souhaité établir une
" présomption de compétence " territoriale en
introduisant la notion de " chef de file ". Il s'agit d'assurer une
meilleure lisibilité des contrats à travers lesquels
départements, régions et d'autres collectivités ou
groupements participent, par des financements croisés, à
l'élaboration de projets locaux d'intérêt commun.
La Haute Assemblée a aussi initié une reconquête des
espaces périurbains dans le cadre d'une politique tendant à
protéger ce qu'elle a appelé les " terroirs urbains et
paysagers ". A cet égard, elle a notamment appelé de ses
voeux l'institution d'un délai de 10 ans avant le terme duquel, sauf
circonstances exceptionnelles, le POS ne sera révisable que dans les
communes dotées d'un schéma directeur.
La Haute Assemblée a par ailleurs décidé la
création d'un schéma d'équipements et de services sportifs.
Autre innovation proposée, l'inscription dans le schéma de
l'information et de la communication, de l'ensemble des technologies haut
débit, terrestres, hertziennes ou satellitaires, ainsi qu'une mesure
autorisant les collectivités locales, dans le respect de la libre
concurrence, à mettre leurs infrastructures de
télécommunications à la disposition des opérateurs
de télécommunications.
La Haute Assemblée a encore adopté une série de
dispositions tendant à poser les principes d'une réforme
statutaire et financière de notre système autoroutier.
La " fertilisation " économique des territoires a enfin
constitué pour le Sénat une préoccupation majeure. Onze
articles additionnels ont inséré un volet économique dense
et cohérent, autour, notamment, de la création de fonds communs
de placement de proximité, sur le modèle du fonds commun de
placement dans l'innovation, pour drainer l'épargne de proximité
des particuliers vers les entreprises des zones fragiles, ou encore de la mise
en place d'incubateurs territoriaux et de fonds d'amorçage locaux, qui
ont vocation à être des catalyseurs de la création
d'entreprises. Un soutien aux " grappes d'entreprises " et des
mesures fiscales sélectives ont également été mis
en place.
Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont opposé une fin de
non-recevoir à l'ensemble de ces articles, qui ont été
supprimés sans qu'intervienne, pour la majorité d'entre eux, de
véritables discussions sur le fond.
L'argumentation s'est souvent résumée à l'invocation de
" droits d'auteurs " du Gouvernement pour toutes les dispositions de
nature économique, en raison du dépôt attendu d'un projet
de loi sur les interventions économiques des collectivités
locales.
Pourtant, certains des articles, rejetés par l'Assemblée
nationale pour ce motif, se rattachent directement à
l'aménagement du territoire, alors qu'ils seraient de véritables
" cavaliers " dans le texte en préparation. Ainsi en est-il de
la fiscalité des transmissions d'entreprises, proche de l'article 44 non
modifié de la loi du 4 février 1995, ou de la prorogation des
exonérations de l'article 44 sexies du code général des
impôts, introduit par la même loi, ou des missions du FNDE
1(
*
)
, qui modifie son article 43. Pour
cet article, le Gouvernement a d'abord émis un avis favorable à
son introduction au Sénat avant d'émettre un avis tout aussi
favorable à sa suppression à l'Assemblée nationale.
Enfin, le calendrier de la négociation des contrats de plan
Etat-régions ne permet pas à la réflexion sur le devenir
économique de nos territoires, d'attendre un projet de loi dont la
discussion serait, au mieux, à peine entamée à l'automne.
Les incubateurs territoriaux labellisés, les fonds d'amorçages,
les fonds propres de proximité, sont nécessaires dès
à présent, pour la négociation de la future
génération des contrats 2000-2006. Quelle cohérence y
a-t-il à vouloir faire des territoires des " porteurs de
projets ", en refusant de leur en donner les moyens ? Le Gouvernement
ne s'est-il pas servi abondamment de l'argument de l'échéance des
contrats de plan pour imposer au Parlement la discussion en urgence de ce
projet de loi ? Pourquoi refuser alors aujourd'hui au Sénat, pour
des raisons de calendrier, d'enrichir leur contenu ?
En troisième lieu, le Sénat a réaffirmé son souci
de voir mettre en oeuvre les dispositions de la loi " Pasqua "
concernant la péréquation des ressources financières des
collectivités territoriales.
En nouvelle lecture, sous réserve de quelques précisions ou
modifications, parfois inspirées par les votes du Sénat,
l'Assemblée nationale a rétabli les dispositions qu'elle avait
adoptées en première lecture en ce qui concerne les articles de
principe, les schémas de services collectifs, les pays et les
agglomérations.
Elle n'a pas retenu les principales innovations apportées par le
Sénat en première lecture en ce qui concerne notamment les
infrastructures de télécommunications, les schémas de
transports, les dispositions concernant les autoroutes, celles relatives aux
terroirs urbains et paysagers, non plus que le volet économique.
En ce qui concerne les transports, le Gouvernement a, à plusieurs
reprises, manifesté le désir de favoriser un report du transport
de marchandises de la route vers le rail. Or, selon les dernières
informations recueillies par vos rapporteurs, le transport combiné,
alors qu'il avait progressé de 67 % de 1992 à 1997, a
régressé de 3 % en 1998 et, pire encore, de 10 % sur
les quatre premiers mois de 1999. Ces éléments suscitent la
très vive préoccupation de votre commission spéciale qui
considère que les déclarations d'intention du Gouvernement ne
sont guère suivies d'effet.
On relèvera malgré tout quelques avancées de
l'Assemblée nationale en direction du Sénat : la composition du
Conseil national d'aménagement et de développement du territoire,
le statut des délégations parlementaires à
l'aménagement et au développement du territoire, la prorogation
de la loi sur les expérimentations en matière de
télécommunications ou, enfin, le schéma des services
sportifs, sous réserve d'une nouvelle rédaction.
D'une manière générale, les votes de l'Assemblée
nationale en nouvelle lecture ne peuvent donc apparaître comme
constructifs par rapport aux propositions et innovations de la Haute
Assemblée.
Aussi bien, votre commission spéciale vous proposera, sous
réserve de quelques points mineurs, de rétablir l'ensemble des
textes adoptés par le Sénat en première lecture.
Pour conclure, il ne semble pas inutile de citer certains résultats de
l'enquête d'opinion réalisée par l'IFOP sur "
Le
regard des Français sur l'aménagement du territoire
".
Cette enquête nous semble, en effet, confirmer les évolutions
constatées par la commission spéciale lors du débat en
première lecture, en ce qui concerne les aspirations de nos
compatriotes, s'agissant de leur habitat et de leurs conditions de vie et
s'opposer à la philosophie du " tout urbain " qui
caractérise, à de nombreux égards, le projet de loi
d'orientation tel que conçu par ses inspirateurs initiaux.
Ainsi, 44 % des personnes interrogées indiquent qu'elles
préféreraient vivre dans une petite commune rurale (contre
9 % dans une grande ville de province et 4 % à
Paris-même) ; 43 % d'entre elles, précisent qu'elles
préféreraient vivre " à la campagne " contre
14 % " en ville ".
48 % des personnes interrogées considèrent qu'il sera plus
moderne de vivre à la campagne dans dix ans (contre 25 % qui
estiment la même chose pour " le cadre périurbain " et
23 % pour la ville).
Une proportion équivalente de sondés (24 %) considère
que l'équilibre entre la ville et la campagne et la protection de
l'environnement sont, l'un comme l'autre, deux enjeux prioritaires de la
politique d'aménagement du territoire.
Enfin, si 40% des personnes interrogées jugent que la politique
d'aménagement du territoire doit aider en priorité les zones
urbaines en difficulté, 33 % estiment, pour leur part, que les
zones rurales doivent faire également l'objet d'actions prioritaires.
Les résultats complets du sondage figurent en annexe du présent
rapport.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle présente, la commission spéciale propose au Sénat d'adopter, en nouvelle lecture, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.