Proposition de loi à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
DERYCKE (Dinah)
RAPPORT 354 (98-99) - commission des lois
Tableau comparatif au format Acrobat .Table des matières
N°
354
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 mai 1999
RAPPORT
FAIT
au nom
de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du Règlement et d'administration
générale (1) sur :
- la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
tendant à la création de
délégations
parlementaires
aux
droits des femmes
et à
l'
égalité des chances
entre les
hommes et
les femmes
;
- la proposition de loi de Mmes Hélène LUC, Marie-Claude
BEAUDEAU, Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, Odette TERRADE, MM. Jean-Luc
BÉCART, Robert BRET, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD,
Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT, Jack RALITE, Ivan RENAR
et Paul VERGÈS portant création d'une
délégation aux droits des femmes
au Parlement ;
-
la proposition de loi de Mmes Danièle POURTAUD, Maryse
BERGÉ-LAVIGNE, Yolande BOYER, Monique CERISIER-ben GUIGA, Dinah DERYCKE,
Marie-Madeleine DIEULANGARD, Josette DURRIEU, Gisèle PRINTZ, M. Claude
ESTIER et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant
à compléter l'ordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires
pour créer une délégation
parlementaire aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes
,
Par Mme.
Dinah DERYCKE,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Mme Dinah
Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour,
vice-présidents
; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
;
Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José
Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel,
Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye,
Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier,
Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques
Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex
Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
1261
corr
.,
1363
et T.A.
245
.
Sénat
:
221
,
39
et
119
(1998-1999).
Femmes. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le 12 mai 1999 sous la présidence de M.
Jacques
Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur
le rapport de Mme Dinah Derycke, la proposition de loi, adoptée par
l'Assemblée nationale, tendant à la création de
délégations parlementaires aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
.
Le rapporteur a constaté que l'égalité en droit,
établie par la Constitution, n'avait pas suffi à
l'établissement d'une complète égalité des chances
entre les hommes et les femmes.
Il est apparu souhaitable à la commission des Lois d'instituer, au sein
de chaque assemblée parlementaire, un organe permanent
spécialement chargé de veiller au respect de cet objectif
d'égalité des chances, dont la composition assurerait une
représentation proportionnelle des groupes, une représentation
équilibrée des commissions permanentes ainsi que des hommes et
des femmes.
Cet organe devrait cependant accomplir sa mission sans préjudice des
compétences reconnues aux commissions permanentes par l'article 43 de la
Constitution pour l'examen des projets et propositions de loi.
Les délégations parlementaires aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes auraient
pour mission d'informer les assemblées de la politique suivie par le
Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et
sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et
assureraient le suivi de l'application des lois dans ce domaine.
A cet effet, les délégations pourraient être saisies
par :
- le Bureau de l'assemblée concernée ;
- une commission, le cas échéant sur les projets et propositions
de loi dont elle est saisie ;
- la délégation pour l'Union européenne sur les textes
communautaires soumis aux assemblées en application de l'article 88-4 de
la Constitution.
Le Gouvernement leur communiquerait les informations utiles et les documents
nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi d'une proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale à l'initiative de M. le président
Laurent Fabius et du groupe socialiste, tendant à la création
dans chaque assemblée d'une délégation parlementaire aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les
hommes et les femmes.
Il s'agirait de doter chaque assemblée d'un organe permanent
chargé de suivre les projets et propositions de loi ainsi que les textes
communautaires soumis au Parlement en application de l'article 88-4 de la
Constitution, au regard de leurs conséquences sur les droits des femmes
et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Ces délégations parlementaires auraient aussi pour mission
d'informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement
dans l'ensemble des domaines intéressant les droits des femmes et
l'accès à l'égalité, notamment professionnelle.
Elles seraient donc chargées de veiller à ce que cette politique
intègre pleinement l'objectif de l'égalité en droit mais
aussi celui de l'égalité des chances.
En dépit de progrès sensibles enregistrés au fil des
années, chacun convient que de nouvelles évolutions sont
nécessaires pour parvenir à une égalité effective
entre les sexes dans tous les domaines.
A cet effet, il est proposé que le Parlement dispose d'organes de veille
qui ne doivent ni porter préjudice aux compétences des
commissions permanentes ou spéciales ni affecter la procédure
législative telle qu'elle résulte de la Constitution.
Votre commission des Lois a examiné cette proposition de loi
adoptée par l'Assemblée nationale conjointement avec les
propositions de loi présentées au Sénat sur le même
sujet par Mme Danièle Pourtaud et les membres du groupe socialiste,
d'une part, et par Mme Hélène Luc et les membres du groupe
communiste, républicain et citoyen, d'autre part.
La proposition de loi du groupe socialiste du Sénat est en tous points
similaire à celle examinée par l'Assemblée nationale et
qui n'a connu que des modifications de caractère rédactionnel.
Celle du groupe communiste, républicain et citoyen tend à la
création dans chaque assemblée d'une délégation de
45 membres désignés à la représentation
proportionnelle des groupes, chargée d'informer l'assemblée de
l'état des droits des femmes et de l'application des lois en la
matière. Les délégations proposeraient les initiatives
nécessaires au développement de ces droits. Chaque
délégation soumettrait à l'Assemblée nationale ou
au Sénat suivant le cas, lors d'un " débat public ",
ses observations sur un rapport annuel qui serait présenté par le
Gouvernement.
Avant d'analyser les propositions qui nous sont soumises, votre rapporteur
souhaite illustrer par quelques exemples significatifs la
nécessité de cette veille parlementaire et démontrer
l'insuffisance des moyens mis à la disposition du Parlement.
I. L'ÉGALITE EN DROIT NE GARANTIT PAS L'ÉGALITÉ DES CHANCES
La
valeur constitutionnelle du principe d'égalité sans distinction
de sexe ne fait aucun doute.
L'article premier de la Déclaration de 1789 affirme que "
les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit
".
Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946, en prévoyant que "
la loi garantit à la femme, dans
tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme
",
a interdit toute discrimination.
Le droit communautaire intègre, lui aussi, l'égalité des
droits et des chances.
La directive 76/207 du 9 février 1976, concernant
l'égalité professionnelle, a imposé aux Etats membres de
proscrire, dans leur législation, toute discrimination fondée sur
le sexe, tout en autorisant l'adoption de dispositions "
visant
à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes,
en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui
affectent les chances des femmes
".
Le Traité d'Amsterdam, entré en vigueur le
1
er
mai 1999, prévoit que, dans la limite de ses
compétences, l'Union européenne peut prendre les mesures
nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur
le sexe.
Il stipule également que "
pour assurer concrètement une
pleine égalité entre hommes et femmes dans la
vie
professionnelle
, le principe de l'égalité de traitement
n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures
prévoyant des avantages spécifiques destinés à
faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe
sous-représenté ou à prévenir ou compenser des
désavantages dans leur carrière professionnelle
".
On remarquera que, dans sa décision n° 97-394 du
31 décembre 1997 sur la conformité à la
Constitution du Traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel n'a
formulé aucune objection à cette disposition qui permet (sans les
y contraindre) aux Etats de prendre des mesures de discrimination positive
dans le domaine professionnel
.
Les principes constitutionnels et communautaires, pour indispensables qu'ils
soient, n'ont pas permis à eux seuls de parvenir à une
égalité réelle des chances.
Le récent débat au Sénat sur le projet de loi
constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et
les hommes a montré, malgré des divergences concernant les
solutions, l'existence d'un accord sur ce constat.
Certes, depuis le début des années 1960, le code civil a
progressivement placé les femmes et les hommes sur un plan
d'égalité en droit (autorité parentale substituée
à la puissance paternelle, par exemple). La législation sur la
contraception, en 1967 et sur l'interruption volontaire de grossesse en 1975, a
doté les femmes de droits qui ne sont plus remis en cause aujourd'hui.
L'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe,
établie par les articles L. 225-1 à L. 225-4 du
code pénal, n'a pourtant pas eu pour effet de supprimer totalement ces
discriminations.
De même, la loi n° 83-635 du 13 juillet 1983
relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et
les hommes n'a pas atteint tous ses objectifs.
L'écart entre les salaires des femmes et des hommes se situe à
24 % et le chômage frappe 14,5 % des premières et
10,6 % des seconds.
8,3 % des femmes et 7,2 % des hommes occupent un emploi
précaire dans le secteur privé (intérim, contrats à
durée déterminée, apprentissage, stages) mais pour les
salariés non statutaires de l'Etat et des collectivités
territoriales, les proportions s'établissent respectivement à
28,7 % et 16,7 %. La proportion des salariées travaillant
à temps partiel est de 29,8 % (pour les hommes : 5,1 %)
tandis que 9,7 % des femmes appartiennent à la catégorie des
cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 16 % pour
les hommes.
Par ailleurs, 13,2 % des emplois de direction et d'inspection
générale de la fonction publique de l'Etat sont occupés
par des femmes (8,1 % seulement pour les emplois laissés à
la discrétion du Gouvernement)
1(
*
)
.
Selon des chiffres communiqués à votre rapporteur par le
ministère de l'Education nationale, de la recherche et de la
technologie, les filles composent, au cours de la présente année
scolaire, 81,6 % de l'effectif des classes terminales littéraires
(L) et 42,5 % de celui des classes scientifiques (S).
A formation égale, la probabilité d'occuper un emploi de cadre,
à diplôme identique et niveau d'emploi égal, est plus
faible pour les femmes.
Selon un récent rapport du Conseil d'analyse économique
2(
*
)
, un salarié ayant dix ans d'expérience
professionnelle et titulaire d'un diplôme de deuxième ou
troisième cycle universitaire a 76 % de chances d'occuper un emploi
de cadre s'il s'agit d'un homme et 57 % s'il s'agit d'une femme.
85% des familles monoparentales ont une femme à leur tête et 17 %
de ces familles ont un niveau de vie inférieur à 3.800 F net par
unité de consommation, ce qui peut parfois conduire à des
situations d'exclusion.
Dans son récent rapport
3(
*
)
, Mme
Irène Théry, après avoir souligné
l'inégalité persistante des sexes, considère que
"
la focalisation sur la seule inégalité entre les sexes
peut tromper. En réalité, le risque majeur qu'elle crée
est désormais celui d'une forme nouvelle d'inégalité entre
les femmes elles-mêmes. On peut percevoir aujourd'hui l'amorce d'une
véritable dualisation des destins féminins. A un pôle, les
femmes qui bénéficient à la fois d'une carrière
intéressante et bien rémunérée, d'une prise en
charge de leurs enfants compatible avec leurs horaires de travail, d'un service
domestique et de conditions de logement favorables, parviennent sans grande
difficulté à concilier féminité, maternité
et accomplissement personnel. A l'autre pôle, les femmes qui subissent de
plein fouet la précarisation de l'emploi, le manque de moyens pour la
garde des enfants, les heures passées dans les transports et la
totalité des tâches ménagères, se sentent
flouées aussi bien comme femmes et mères que comme
salariées
".
L'effort pour parvenir à une meilleure égalité des chances
doit donc se poursuivre. Certains préconisent l'adoption de mesures de
discrimination positive que M. Ferdinand
Mélin-Soucramanien
4(
*
)
définit
comme "
une différenciation juridique de traitement,
créée à titre temporaire, dont l'autorité normative
affirme expressément qu'elle a pour but de favoriser une
catégorie déterminée de personnes physiques ou morales au
détriment d'une autre afin de compenser une inégalité de
fait préexistante entre elles
".
Ainsi, en est-il de la majoration de deux ans par enfants élevés
de la durée de cotisation, accordées aux mères de famille
(77% des retraitées en bénéficiaient au 31 décembre
1995).
Par ailleurs certaines mesures ayant formellement vocation à
bénéficier à tous, pour mieux se concilier avec le
principe d'égalité, concernent, dans les faits et le plus
souvent, les femmes.
Ainsi, l'allocation parentale d'éducation, destinée à
compenser la suspension d'une activité professionnelle pour
élever un jeune enfant, est-elle attribuée à la
mère dans 99 % des cas.
On notera aussi que des mesures, considérées à l'origine
comme protectrices des droits des femmes, ont pu apparaître ensuite, pour
certains, comme à la source de nouvelles discriminations.
Ainsi en est-il de l'interdiction du travail de nuit des femmes dans certains
secteurs d'activité, principalement l'industrie, établie par
l'article L. 213-1 du code du travail issu d'une loi de 1892, qui a
pu être considérée comme un frein à l'emploi des
femmes.
Ces dispositions ne sont pas applicables aux emplois de responsabilité
et peuvent être suspendues, depuis la loi n° 87-423 du
19 septembre 1987, par un accord professionnel étendu par
arrêté.
La commission européenne a demandé à la Cour de justice
des Communautés européennes, le 21 avril 1999,
d'infliger une astreinte à la France en vue d'obtenir une modification
de cette législation qu'elle considère, en s'appuyant sur son
arrêt du 25 juillet 1991, comme contraire à la directive
précitée de 1976 sur l'égalité professionnelle.
Au demeurant, l'égalité entre les sexes pourrait, dans certaines
hypothèses, appeler des dispositions compensant un
déséquilibre au détriment des hommes, par exemple pour les
conditions d'attribution de la pension de réversion au conjoint d'un
fonctionnaire ou encore en ce qui concerne une présence masculine
parfois jugée insuffisante dans les professions au contact de la
jeunesse.
Dans le cadre de sa mission, tant législative que de contrôle de
l'action du Gouvernement, le Parlement a vocation à veiller à la
mise en oeuvre du principe d'égalité.
Il reste à savoir si les moyens dont les assemblées disposent ne
leur permettent pas d'ores et déjà d'assurer cette
mission.
II. LA NÉCESSITÉ D'UNE VEILLE PARLEMENTAIRE
Si
chaque ministre doit intégrer l'égalité des droits dans
son action, une secrétaire d'Etat est, depuis le décret du 17
novembre 1998, spécialement chargé des droits des femmes et
préside plusieurs fois par an un comité interministériel
pour coordonner la politique gouvernementale en la matière.
Il s'agit Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des
femmes et à la formation professionnelle, qui exerce par
délégation les attributions de la ministre de l'Emploi et de la
solidarité dans ces domaines.
Les services administratifs de l'Etat comportent des instances
spécifiquement chargées du traitement de cette question
transversale, une fragmentation des compétences risquant de ne pas
permettre d'apporter une réponse globale.
Le service des droits des femmes, relayé par des
déléguées régionales et des chargées de
mission départementales, assure un travail d'information et de
proposition, en particulier dans le domaine social.
Il existe aussi des instances d'étude et de proposition dans des
domaines spécifiques, comme le Conseil supérieur de
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,
créé en 1983, et le Conseil supérieur de l'information
sexuelle, de la régulation des naissances et de l'éducation
familiale, depuis 1973.
L'Observatoire de la Parité, institué en 1995, s'est vu confier
une mission d'avis sur les projets de textes législatifs et de
proposition de réforme. Il présente tous les deux ans un rapport
au Premier ministre et au Parlement.
Les résultats encore insuffisants enregistrés par ces
différentes instances paraissent devoir être reliés
à la faiblesse de leurs moyens.
Le Parlement ne dispose pas, en revanche, d'instances
spécialisées pour les droits des femmes.
Les domaines couverts par la question de l'égalité des droits
entre les femmes et les hommes relèvent, en réalité, de
chaque commission permanente, qu'il s'agisse de celle des affaires sociales
(travail, santé, prestations sociales), des lois (droit civil,
pénal ou de la fonction publique), des affaires économiques
(agriculture, commerce et artisanat), des affaires culturelles (enseignement),
des finances (fiscalité) ou des affaires étrangères et de
la défense (conventions internationales, service national).
Les délégations pour l'Union européenne ont aussi pour
mission de traiter de l'égalité des droits, qui figure parmi les
priorités de la politique communautaire.
Il ne fait pas de doute que les commissions et délégations pour
l'Union européenne sont et resteront compétentes chacune dans
leurs domaines. L'article 43 de la Constitution établit au demeurant la
compétence des commissions pour l'examen des projets et propositions de
loi.
Mais la fragmentation des compétences illustre le caractère
transversal de la question de l'égalité des droits. Elle peut
entraîner un défaut préjudiciable de vision globale et
constituer un obstacle au suivi indispensable. L'examen de textes successifs
par différentes commissions peut ne pas pleinement permettre
d'intégrer l'objectif d'égalité entre les sexes.
Cet objectif serait d'autant mieux pris en compte qu'il existerait une instance
spécialisée et permanente, qui ne serait pas pour autant le guide
exclusif des choix de politique publique. Aussi les compétences de ces
instances ne devraient-elles pas affecter celles des commissions, sauf à
risquer de créer d'autres distorsions.
Certes, les assemblées disposent toujours de la possibilité de
constituer des commissions d'enquête, des missions d'information, des
groupes d'étude ou de travail sur des sujets qu'elles entendent
approfondir.
A cet égard, votre rapporteur tient à souligner
l'intéressant travail d'investigation accompli par la mission commune
d'information chargée d'étudier la place et le rôle des
femmes dans la vie publique, présidée par
Mme Nelly Olin et dont le rapporteur était M.
Philippe Richert
5(
*
)
.
Toutefois, il apparaît souhaitable, pour un meilleur suivi de la
question, que le Parlement dispose désormais d'instances permanentes
capables d'informer régulièrement ses membres.
Ces instances permanentes auraient vocation à disparaître lorsque
les principales inégalités auraient cessé.
L'importance croissante des questions européennes -sujet
également transversal- a justifié la création d'une
délégation parlementaire dans chaque assemblée, sans que,
pour autant, la compétence des commissions permanentes soit remise en
cause.
La création au sein du Parlement d'instances chargées
spécifiquement de veiller à ce que la législation et
l'action du Gouvernement ne contredisent pas l'objectif de
l'égalité des droits et de formuler toute proposition utile,
serait indispensable aux assemblées qui ne doivent pas, en effet, s'en
remettre à l'analyse émanant d'organes gouvernementaux.
Il en va aussi de l'indépendance du Parlement.
Au demeurant, les Parlements de six pays membres de l'Union européenne
(Espagne, Autriche, Irlande, Belgique, Portugal et Luxembourg) se sont
dotés d'instances spécialisées ainsi que le Parlement
européen (commission des droits de la femme).
*
* *
Pour ces raisons, votre commission des Lois a approuvé la présente proposition de loi, sous réserve de plusieurs amendements de précision.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
(article 6
sexies
de
l'ordonnance
n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires)
Délégations
parlementaires aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes
L'article unique de la proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale compléterait par un article 6
sexies
l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires, dans laquelle figurent
déjà les dispositions concernant quatre délégations
et offices parlementaires (article 6
bis
à 6
quinquies
de
l'ordonnance), à savoir :
- les délégations parlementaires pour l'Union européenne
(loi n° 79-564 du 6 juin 1979) ;
- l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques (loi n° 83-609 du 8 juillet 1963) ;
- l'office parlementaire d'évaluation de la législation (loi
n° 96-516 du 14 juin 1996) ;
- l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques (loi
n° 96-517 du 14 juin 1996).
Par ailleurs, des délégations parlementaires pour la
planification ont été instituées par la loi n° 82-653
du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification et une
délégation parlementaire pour les problèmes
démographiques, par la loi n° 79-1204 du 31 décembre 1979
relative à l'interruption volontaire de grossesse.
Enfin, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire et portant modification de la loi
n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement
et le développement du territoire, en cours de discussion au Parlement,
comporte une disposition tendant à créer des
délégations parlementaires à l'aménagement et au
développement durable du territoire (article 8
bis
du projet). Ce
projet de loi prévoyant aussi d'insérer cette disposition dans un
article 6
sexies
nouveau de l'ordonnance du 17 novembre 1958
précitée, il appartiendrait aux deux assemblées de veiller
in fine
à harmoniser l'insertion des deux textes.
Le dispositif proposé pour les délégations parlementaires
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les
hommes et les femmes est, pour l'essentiel, similaire à celui applicable
aux délégations parlementaires pour l'Union européenne.
En effet, les délégations parlementaires pour l'Union
européenne, constituées dans chaque assemblée et
composées de 36 membres, interviennent en amont de la
procédure législative sur l'ensemble des questions relevant de
leurs compétences, qui ont aussi un caractère transversal, et
sans porter préjudice à celles des commissions permanentes.
En revanche, les offices, constitués d'une seule instance pour les deux
assemblées, suivant les cas avec ou sans délégation propre
à chacune d'entre elles, sont composés d'un nombre réduit
de membres (quinze ou seize par office ou par délégation propre).
Ils remplissent principalement une mission d'expertise sur des dossiers
déterminés et n'interviennent pas dans la procédure
législative.
1- Composition
Celle-ci serait définie par les
paragraphes I et II
du texte
proposé pour l'article 6
sexies
de l'ordonnance
précitée du 17 novembre 1958.
Comme les délégations parlementaires pour l'Union
européenne, les délégations parlementaires aux droits des
femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes seraient constituées,
dans chaque assemblée
, de
36 membres
désignés en leur sein par celles-ci, au
début de chaque législature pour l'Assemblée nationale et
après chaque renouvellement triennal pour le Sénat.
Les délégations devraient être composées de
manière à assurer une
représentation proportionnelle
des groupes politiques
, ce principe étant déjà retenu
pour les délégations ou offices existants, y compris dans les cas
où des membres de droit sont prévus. Ce critère
traditionnel est naturellement indispensable.
Ayant une vocation transversale, ces délégations devraient, tout
comme celles pour l'Union européenne, assurer une
représentation équilibrée des commissions
permanentes
.
Cette disposition apparaît importante pour préserver les
compétences des commissions mais aussi pour l'efficacité des
délégations, qui serait subordonnée, pour une part
déterminante, à l'activité de leurs membres tant au sein
des délégations que des commissions.
Enfin, et compte tenu des missions spécifiques de ces
délégations, elles devraient assurer une
représentation
équilibrée des femmes et des hommes
, ce qui constituerait une
innovation.
Comme l'a relevé M. Jacques Floch, rapporteur de la commission des Lois
de l'Assemblée nationale sur la présente proposition de loi, la
notion de représentation équilibrée peut être
entendue de deux manières.
Le texte peut être compris comme garantissant la participation des femmes
et des hommes en proportion de leur nombre au sein des assemblées, ce
qui, en l'état actuel de la composition du Parlement, ne permettrait
pas, en réalité, une composition véritablement
équilibrée des délégations, puisque 63 femmes sur
577 sont membres de l'Assemblée nationale (10,9 %) et 19 sur 321
siègent dans la Haute Assemblée (5,9 %).
Aussi, M. Jacques Floch estime-t-il que la représentation
équilibrée impliquerait une composition paritaire des
délégations, qui devrait se combiner avec les deux autres
critères proposés (représentation proportionnelle des
groupes et équilibrée des commissions permanentes).
Votre commission des Lois constate que la représentation paritaire doit,
en l'état actuel
, être conçue comme un
objectif
à la charge de chaque groupe
, compte tenu du fait que
l'adoption
définitive du projet de loi constitutionnelle
sur
l'égalité entre les femmes et les hommes pourrait permettre
ensuite d'assurer de manière plus sûre cette
représentation équilibrée.
Votre commission des Lois approuve les paragraphes I et II (sous réserve
d'un
amendement
de cohérence) du texte proposé. En raison
du renouvellement triennal du Sénat le mandat des membres des
délégations ne peut prendre fin qu'à chaque renouvellement
de la délégation et non à la fin du mandat du
parlementaire.
Les délégations de l'Assemblée nationale et du
Sénat pourraient tenir des réunions conjointes (paragraphe V non
modifié).
Elles définiraient leur règlement intérieur (paragraphe
VI, sur lequel votre commission des Lois vous propose un
amendement
rédactionnel).
2- Missions des délégations
Selon les paragraphes III et IV du texte proposé pour
l'article 6
sexies
de l'ordonnance précitée du
17 novembre 1958, trois missions seraient confiées à
ces délégations parlementaires :
a) Le suivi des textes soumis au Parlement
Les délégations devraient suivre les projets et propositions de
loi ainsi que les textes communautaires soumis aux assemblées en
application de l'article 88-4 de la Constitution, au regard de leurs
conséquences sur les droits des femmes et l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes.
Il s'agirait donc de veiller aux conséquences de l'ensemble des textes
soumis au Parlement, sur le principe d'égalité et sur sa mise en
oeuvre.
Il n'y a donc pas lieu de prévoir -comme pour les
délégations pour l'Union européenne, chargées de
suivre les travaux conduits par les institutions de l'Union européenne-
une communication des textes par le Gouvernement à cet effet, ceux-ci
étant, par définition, transmis au Parlement.
Cette mission de suivi des textes devrait être accomplie sans
préjudice des compétences des commissions permanentes ni de
celles des délégations pour l'Union européenne.
Cela signifie que l'actuelle procédure d'examen des textes, tant en
commission, qu'en séance publique ne serait en aucune façon
modifiée, mais simplement complétée éventuellement
par une analyse de la délégation aux droits des femmes et
à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Pour accomplir leur mission de suivi, les délégations pourraient,
comme les délégations pour l'Union européenne, être
consultées par une commission
permanente ou spéciale sur
tout projet ou proposition de loi dont elle est saisie.
La consultation
d'une commission constituerait une procédure
souple, puisqu'elle
ne donnerait, semble-t-il, pas obligatoirement lieu
à la publication d'un rapport
, la proposition de loi
prévoyant que chaque délégation organise la
publicité de ses travaux dans les conditions définies par le
règlement de l'assemblée (paragraphe V du texte
proposé).
Outre cette simple consultation, la proposition de loi prévoit aussi une
procédure plus formelle de saisine
, toujours dans le cadre de la
mission de suivi sur les projets et propositions, donnant obligatoirement lieu
à la
publication de rapports
comportant des
recommandations
déposées sur le Bureau de l'assemblée
dont elles relèvent et transmis aux commissions parlementaires
compétentes ainsi qu'aux délégations pour l'Union
européenne.
Le caractère systématique de l'élaboration de rapports, en
cas de saisine formelle, serait de nature à garantir un certain niveau
d'activité de la délégation.
Cette procédure de saisine est prévue pour les offices mais pas
pour les délégations pour l'Union européenne, qui
examinent, il est vrai, les propositions d'actes communautaires de leur propre
initiative.
Comme pour les trois offices parlementaires, la délégation
pourrait être saisie
par le Bureau de l'assemblée
.
Elle pourrait aussi être saisie
par une commission
permanente ou
spéciale ou par la
délégation pour l'Union
européenne
en particulier pour assurer la publication des
conclusions de la délégation sur un projet ou une proposition.
En revanche, contrairement aux textes en vigueur sur les
délégations ou offices parlementaires, les
délégations pourraient être saisies
directement
par les groupes politiques
(pour les offices, l'initiative des groupes
doit être prise en considération par le Bureau de
l'assemblée, compétent pour décider de la saisine).
Enfin,
les délégations pourraient se saisir
elles-mêmes
, ce qui n'est actuellement pas prévu pour les
offices ou délégations précédemment
instituées.
b) Information du Parlement sur l'action du Gouvernement
Les délégations aux droits des femmes et à
l'égalité des chances devraient aussi informer les
assemblées de la politique suivie par le Gouvernement dans l'ensemble
des domaines intéressant les droits des femmes et l'accès
à l'égalité, notamment professionnelle.
Votre rapporteur a précédemment exposé que les structures
transversales mises en place, toutes placées sous l'autorité du
Gouvernement, ne disposaient pas de moyens suffisants, en particulier pour
informer les assemblées et leur permettre d'exercer leurs
prérogatives de contrôle..
Au demeurant, l'indispensable indépendance du Parlement requiert
qu'il se dote de moyens ne relevant pas de l'autorité du
Gouvernement.
Pour remplir ce rôle d'information du Parlement, les
délégations pourraient entendre les ministres et recevraient
communication de tous renseignements de nature à faciliter leur mission.
Elles seraient habilitées à se faire communiquer tous documents
de service de quelque nature que ce soit, sous les réserves habituelles
tenant, d'une part, à leur caractère secret concernant la
défense nationale, les affaires étrangères et la
sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, et,
d'autre part, au principe de la séparation de l'autorité
judiciaire et des autres pouvoirs.
Ces prérogatives sont reconnues à l'office d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques ainsi qu'à l'office
d'évaluation des politiques publiques.
c) Rapport public
Indépendamment des rapports sur les questions dont elles auraient
été saisies et des autres travaux dont elles organiseraient la
publicité dans les conditions fixées par les règlements
des assemblées, les délégations devraient publier chaque
année un rapport dressant le bilan de leur activité et
comportant, le cas échéant, des propositions
d'amélioration de la législation dans leurs domaines de
compétence.
*
* *
Il est
apparu à votre commission des Lois qu'il n'était pas
nécessaire de superposer
deux procédures distinctes
d'interrogation des délégations
aux droits des femmes sur
les textes soumis au Parlement (
saisine formelle et simple consultation
).
Plus fondamentalement, l'article 43 de la Constitution confère aux
commissions permanentes ou spéciales seule compétence pour
l'examen des projets et propositions de loi.
Le respect de cette règle constitutionnelle suppose que les missions des
délégations soient définies d'une manière qui les
distingue clairement de celles des commissions et n'alourdisse pas inutilement
la procédure législative en risquant de retarder l'examen des
textes inscrits à l'ordre du jour.
S'inspirant des dispositions prévues pour les autres
délégations et offices, votre commission des Lois
considère que les délégations aux droits des femmes
doivent pouvoir être saisies par le Bureau de l'Assemblée
concernée, par les commissions, le cas échéant sur les
projets et propositions de loi dont elles sont saisies, et par les
délégations pour l'Union européenne sur les textes qui
leurs sont soumis.
Enfin, votre commission des Lois propose que les méthodes
d'accès à l'information des délégations soient
comparables à celles des délégations pour l'Union
européenne lesquelles, pas plus que les commissions permanentes, ne
disposent de prérogatives réservées aux commissions
d'enquêtes.
En conséquence, elle vous propose par
amendement
une
nouvelle
rédaction
du texte proposé pour le
paragraphe III
de l'article 6
sexies
de l'ordonnance du
17 novembre 1958 précitée.
Sans préjudice des compétences des commissions et
délégations pour l'Union européenne, les
délégations aux droits des femmes se verraient reconnaître
la mission d'
informer
les assemblées sur la politique suivie par
le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes
et sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et
d'assurer le suivi de l'
application des lois
dans ce domaine.
Les délégations pourraient être saisies par le Bureau de
l'assemblée concernée, par une commission permanente ou
spéciale, le cas échéant sur les projets et propositions
de loi dont elle est saisie ou par les délégations pour l'Union
européenne sur les textes soumis aux assemblées en application de
l'article 88-4 de la Constitution.
Les délégations aux droits des femmes pourraient demander
à entendre les ministres et le Gouvernement devrait leur communiquer les
informations et les documents nécessaires à l'accomplissement de
leurs missions.
Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article unique de la
proposition de loi ainsi modifié.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter la présente proposition de loi.
1
Rapport de Mme Anne-Marie
Colmou :
" L'encadrement supérieur de la fonction publique : Vers
l'égalité entre les hommes et les femmes "-février
1999
2
Egalité entre femmes et hommes : aspects
économiques, par Mme Béatrice Majnoni d'Intigneno -
mars 1999.
3
Couple, filiation et parenté aujourd'hui -Le droit face aux
mutations de la famille et de la vie privée-mai 1998.
4
" Le principe d'égalité dans la jurisprudence
du Conseil constitutionnel " -Economica, octobre 1997 -
février 1999.
5
Document Sénat n° 384
(1996-1997).