Proposition de loi sur les droits de l'enfant dans le monde
RICHERT (Philippe)
RAPPORT 224 (98-99) - commission des affaires culturelles
Table des matières
- I. LE TRAVAIL DES JEUNES ENFANTS : UN PHÉNOMÈNE MONDIAL ET UNE COMPOSANTE MAJEURE DE L'ÉCONOMIE DES PAYS À BAS SALAIRES
- II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : D'UN TEXTE IMPÉRATIF INAPPLICABLE À UN TEXTE INCITATIF D'INTENTION
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE :
CHARTE DU JEUNE CITOYEN DE L'AN 2000
ADOPTÉE PAR LES " SÉNATEURS-JUNIORS "
LE 28 MARS 1998
N°
224
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 février 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, visant à inciter au respect des droits de l'enfant dans le monde , notamment lors de l'achat des fournitures scolaires ,
Par M.
Philippe RICHERT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Adrien Gouteyron,
président
; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis
Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar,
vice-présidents
; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. François Abadie, Jean Arthuis, Jean-Paul Bataille, Jean
Bernard, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Michel
Charzat, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Michel
Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre
Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger
Hesling, Pierre Jeambrun, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre,
Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc,
MM. Pierre Martin
,
Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar,
Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux,
Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, Franck Sérusclat,
René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
1069, 1201
et T.A.
199
.
Sénat : 80
(1998-1999).
Enfants. |
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est conduit à examiner cette proposition de loi
adoptée par l'Assemblée nationale le 19 novembre 1998 qui vise
à inciter au respect des droits de l'enfant dans le monde, notamment
lors de l'achat des fournitures scolaires.
Cet intitulé qui peut apparaître singulier s'explique en fait par
la genèse même du texte qui est soumis à l'examen du
Sénat.
La proposition de loi résulte en effet directement des derniers travaux
du Parlement des enfants qui s'est réuni le 16 mai 1998 à
l'Assemblée nationale ; à cette occasion les 57
" députés-juniors " ont adopté une proposition
de loi présentée par des élèves de la classe de CM2
de l'école Saint-Exupéry de Sarcelles, visant à interdire
l'achat par les établissements scolaires et les collectivités
locales concernées des fournitures fabriquées par des enfants
dans des pays où les droits de l'enfant ne sont pas respectés.
Ce dernier texte a été repris et déposé dans sa
rédaction initiale, par Mme Raymonde Le Texier, député de
la huitième circonscription du Val d'Oise où est située
cette école.
Votre commission tient d'abord à rappeler que, comme l'Assemblée
nationale, le Sénat a déjà organisé deux
opérations similaires, dites " sénateurs-juniors " en
1997 et en 1998 qui ont rassemblé des collégiens de diverses
académies de métropole et d'outre-mer et qu'un nouveau concours
" sénateurs-juniors " devrait se tenir le 27 mars 1999.
Il convient à cet égard de saluer la qualité des chartes
qui ont été successivement adoptées dans
l'hémicycle du Sénat ; celles-ci témoignent de
l'intérêt porté par ces jeunes collégiens à
la démocratie parlementaire et à la vie publique.
S'agissant du dispositif même de la proposition de loi, celui-ci a
été profondément remanié à la suite de son
examen par l'Assemblée nationale, son texte initial, de caractère
impératif étant apparu manifestement en contradiction avec les
engagements internationaux qui s'imposent à notre pays et les
règles des marchés publics ; il lui a été
substitué un dispositif moins ambitieux, de nature incitative, qui prend
en compte ces contraintes mais dont la portée est singulièrement
amoindrie.
Tout en saluant le message de générosité et de
solidarité exprimé par les
" députés-juniors ", votre commission ne peut que faire
part de sa perplexité à l'égard d'une proposition de loi
dont la valeur normative lui apparaît des plus incertaines, même si
sa portée pédagogique est évidente, et qui
relèverait, pour certaines de ses dispositions, davantage de la simple
circulaire que de la loi, le problème de sa mise en oeuvre effective
restant en tout état de cause posé.
Cet embarras a d'ailleurs été partagé par les
députés des groupes de l'opposition qui se sont abstenus lors du
vote sur cette proposition qu'ils ont jugé " illusoire et sans
vraie portée pratique " et qui ont exprimé
explicitement l'espoir que le Sénat en améliore la
rédaction.
Il convient enfin de noter que le gouvernement, représenté par
Mme Ségolène Royal, ministre délégué
à l'enseignement scolaire qui a montré depuis son entrée
en fonctions tout l'intérêt qu'elle portait au respect des droits
de l'enfant, a apporté son entier soutien à ce texte, sans
fournir cependant à l'Assemblée nationale les précisions
nécessaires quant à sa mise en oeuvre effective.
Avant d'examiner le détail des trois articles de la proposition de loi,
il conviendra de rappeler les données disponibles permettant de mesurer
l'importance prise par le travail des jeunes enfants dans le monde, d'exposer
les principales initiatives prises pour prévenir les formes les plus
extrêmes de ce fléau et de retracer les obligations
internationales qui s'imposent à la France et qui limitent en fait de
manière très restrictive les initiatives que pourrait prendre le
législateur en ce domaine.
*
* *
I. LE TRAVAIL DES JEUNES ENFANTS : UN PHÉNOMÈNE MONDIAL ET UNE COMPOSANTE MAJEURE DE L'ÉCONOMIE DES PAYS À BAS SALAIRES
A. UN PHÉNOMÈNE QUI N'ÉPARGNE AUCUN CONTINENT
1. La mesure du phénomène
D'après les données fournies à
l'Assemblée nationale par Mme Carol Bellamy, directeur
général de l'UNICEF, 250 millions d'enfants entre cinq et
quatorze ans effectueraient dans le monde un travail pouvant être
considéré comme une exploitation.
Ces estimations sont confirmées par l'Organisation internationale du
travail qui indique que le phénomène touche plus
particulièrement les pays en développement mais n'épargne
pas certains pays industrialisés ou en économie de
transition : 153 millions d'enfants travailleraient ainsi en Asie, 80
millions en Afrique, 17 millions en Amérique latine.
Le travail des enfants se développe notamment aujourd'hui dans les pays
de l'Est et d'Asie qui libéralisent leur économie.
En l'absence de toute politique sociale, les familles
déshéritées de Bolivie, du Brésil, du
Sénégal, de l'Inde, du Népal, des Philippines, de
Thaïlande... n'ont aucun moyen de scolariser leurs enfants : 141
millions d'enfants dans le monde ne seraient pas ainsi en mesure d'apprendre
à lire, à écrire, et donc de préparer leur avenir,
cette réalité constituant en fait un obstacle majeur à un
véritable développement de ces pays.
Dans la majorité des situations, ces enfants, et notamment les filles,
participent aux tâches agricoles et domestiques et tiennent une place
importante dans l'économie de leur pays.
Ils constituent par ailleurs une main-d'oeuvre peu coûteuse dans les
activités industrielles, qu'il s'agisse de l'extraction du charbon dans
plusieurs pays d'Amérique latine, de la fabrication d'articles de
sports, de tapis, de vêtements, de meubles, de briques dans les plus
grands pays d'Asie comme la Chine, l'Inde, le Pakistan, ou le
Bangladesh
(1(
*
))
.
Ce phénomène n'épargne pas les pays industrialisés
(Italie, Portugal voire États-Unis pour des activités de
services) : le récent rapport de la commission " Low Pay
Unit " révèle ainsi que deux millions d'enfants travaillent
au Royaume-Uni dont les trois quarts sont employés illégalement
et 25 % sont âgés de moins de treize ans.
Il convient de noter à cet égard que le Royaume-Uni n'a toujours
pas transposé la directive communautaire du 1
er
juillet 1994
interdisant le travail des enfants de moins de quinze ans.
2. La nécessité de solutions réalistes
Compte
tenu de la place importante occupée par le travail des jeunes enfants
dans l'économie de la plupart des pays concernés il convient de
se garder en ce domaine de tout angélisme et de remèdes à
l'emporte-pièce qui auraient pour conséquence d'aggraver encore
la situation de ces enfants et de remettre en cause les avantages comparatifs
des économies à bas salaires. C'est ainsi que les menaces de
boycott lancées par les États-Unis à l'égard des
produits fabriqués dans les usines du Bangladesh utilisant des mineurs
ont entraîné des vagues de licenciement qui ont contraint les
enfants à chercher du travail dans des conditions encore plus sordides,
voire à s'adonner à la prostitution.
Diverses initiatives ont été engagées au cours des
dernières années pour éviter ces effets pervers.
La chambre syndicale des industriels pakistanais du textile qui emploient une
forte main-d'oeuvre enfantine a signé en 1995 avec l'OIT et l'UNICEF un
accord au terme duquel ces derniers s'engagent à offrir à leurs
plus jeunes employés une formation scolaire en alternance :
8 000 enfants bénéficieraient aujourd'hui de cet accord.
Dans le même sens, plusieurs dizaines d'entreprises américaines
ont conclu en 1997 un accord avec le Pakistan, l'OIT et l'UNICEF pour
éliminer l'emploi de 7 000 enfants dans la fabrication de ballons de
football, dont les trois quarts de la production mondiale sont fabriqués
dans ce pays.
Dans la même perspective, la fédération syndicale
européenne du textile et de l'habillement a élaboré un
code de bonne conduite encourageant ses entreprises à respecter les
droits sociaux fondamentaux définis par l'OIT, et notamment
l'interdiction du travail des enfants de moins de quatorze ans.
B. LES INITIATIVES PRISES AU PLAN INTERNATIONAL ET EUROPÉEN POUR RÉDUIRE LE TRAVAIL DES JEUNES ENFANTS
Depuis
plus de 150 ans, de nombreux pays se sont efforcés de réduire
l'exploitation des enfants au travail et de développer une scolarisation
obligatoire.
En France, dès 1837, le docteur Villermé dénonçait
le traitement infligé aux enfants de six à huit ans
employés dans l'industrie, parfois plus de 16 heures par jour.
En fait, c'est le travail des enfants qui a révolté les
consciences de l'époque et qui a donné naissance aux
premières lois sociales : la loi du 22 mars 1841 a ainsi
fixé l'âge minimum d'admission aux travaux industriels à
huit ans.
S'agissant de leur scolarisation, la loi dite Ferry du 28 mars 1882 sur
l'enseignement primaire a institué le principe de l'instruction
obligatoire de 6 à 13 ans.
Comme l'a rappelé opportunément notre collègue Jean-Claude
Carle dans son récent rapport
2(
*
)
sur la
proposition de loi tendant à renforcer le contrôle de l'obligation
scolaire, et dont les conclusions ont été reprises sans
modification par l'Assemblée nationale, l'adoption de ce principe encore
inconnu dans de trop nombreux pays, et qui avait pour conséquence
pratique d'éloigner les enfants pendant sept ans des travaux agricoles,
a suscité dans la France très majoritairement rurale des
années 1880 de très vives oppositions des tenants de la tradition.
D'une manière plus générale, diverses initiatives prises
au niveau international, et plus récemment au niveau européen,
témoignent du souci des Etats de réduire les formes les plus
inacceptables d'exploitation des enfants.
1. Les initiatives prises par l'Organisation internationale du travail
Dès 1919, l'OIT a considéré que la
protection
des enfants et des adolescents constituait l'une de ses tâches
prioritaires et a inscrit cette priorité dans le préambule et la
constitution de l'Organisation.
Depuis la naissance de l'OIT, douze conventions ont eu pour objet d'interdire
le travail forcé et de fixer l'âge en-dessous duquel il
était interdit de faire travailler les enfants.
Parmi ces textes, la convention n° 138 du 6 juin 1973, qui n'a
été ratifiée que par 62 Etats, reste la norme fondamentale
de l'OIT dans le domaine du travail des enfants et fixe les âges limites
avant lesquels ce travail est interdit, soit 15 ans dans les pays
développés et 14 ans dans les pays en développement pour
une activité régulière, 13 ans dans les pays
développés et 12 ans dans les pays en développement pour
le travail occasionnel, 18 ans dans tous les pays pour les travaux dangereux.
Dans la réalité, de nombreux Etats autorisent un travail
dangereux avant cet âge et leur législation ne précise pas
clairement les secteurs d'activité interdits.
Afin de renforcer l'efficacité de la convention de 1973, le BIT a
été chargé de préparer pour la 87
e
session de la conférence générale de l'OIT de juin 1999
une convention et une recommandation visant à interdire et à
éliminer les formes extrêmes de travail des enfants,
c'est-à-dire l'esclavage, la prostitution et la pornographie enfantine,
ainsi que les travaux compromettant leur santé, leur
sécurité et leur moralité.
Cette convention entraînerait pour les Etats signataires l'obligation
d'établir des mécanismes appropriés pour surveiller
l'application de ses stipulations, conformément aux conclusions
adoptées par la conférence sur ce thème en juin 1998.
Il convient enfin d'ajouter que l'OIT s'est engagée depuis 1991 dans une
aide au développement sous la forme d'un programme international pour
l'abolition du travail des enfants, dite IPEC, dont les principaux donateurs
sont l'Allemagne et l'Espagne : l'IPEC gère à ce titre
plusieurs centaines de programmes d'actions dans plus de 50 pays et entend
contribuer à l'abolition progressive du travail des enfants en donnant
la priorité à l'élimination des formes extrêmes de
ce travail et en privilégiant les mesures préventives.
2. Les initiatives prises par l'Organisation des Nations Unies
Dix ans
après la déclaration universelle des droits de l'homme, l'ONU a
adopté à l'unanimité en 1959 la déclaration des
droits de l'enfant qui indiquait notamment que "
l'enfant ne doit pas
être admis à l'emploi avant d'avoir atteint un âge minimum
approprié ; il ne doit en aucun cas être astreint à
prendre un emploi nuisible à sa santé ou à son
éducation
".
Le 20 novembre 1989, soit trente ans plus tard, l'Assemblée
générale des Nations Unies a adopté la convention
internationale relative aux droits de l'enfant.
Son article 32 dispose que :
" 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant d'être
protégé contre l'exploitation économique et de
n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou
susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa
santé ou à son développement physique, mental, spirituel,
moral ou social.
" 2. Les Etats parties prennent des mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives pour assurer l'application du
présent article. A cette fin, et compte tenu des dispositions
pertinentes des autres instruments internationaux, les Etats parties, en
particulier :
" a) fixent un âge minimum ou des âges minimums d'admission
à l'emploi ;
" b) prévoient une réglementation appropriée des
horaires de travail et des conditions d'emploi ;
" c) prévoient des peines ou autres sanctions appropriées
pour assurer l'application effective du présent article. "
Cette convention a été signée et ratifiée par 191
Etats membres des Nations Unies à l'exception des États-Unis et
de la Somalie, et cinq pays ont émis des réserves
spécifiques sur l'article 32.
Parmi ceux-ci, la Chine qui a estimé que 13 à 24 millions
d'enfants entre 6 et 14 ans n'étaient pas scolarisés, la
Nouvelle-Zélande qui a considéré que la fixation d'un
âge minimum pour l'emploi ne permettrait pas aux enfants
d'acquérir une expérience professionnelle et le Royaume-Uni qui,
comme il a été vu, n'a toujours pas transposé la directive
communautaire du 1
er
juillet 1994 interdisant le travail des enfants
de moins de quinze ans.
3. Les initiatives européennes : vers un label social
Sur le
modèle du label écologique communautaire, un label social
pourrait être octroyé aux entreprises qui accepteraient le
contrôle d'une autorité indépendante : le label
social, dont les normes devraient être précisément
définies, concernerait notamment la main d'oeuvre enfantine.
Dans cette perspective, le Parlement européen a adopté en 1997
une résolution demandant à la Commission européenne
d'élaborer une directive rendant obligatoire la mention d'un label
social sur les produits textiles, les vêtements et les chaussures.
Un tel label social ne saurait en effet être instauré au niveau
national puisque le marché unique européen a supprimé tout
contrôle douanier aux frontières intérieures de l'Union
européenne.
Cette résolution suggère par ailleurs que de nouvelles
préférences tarifaires soient accordées aux pays
respectant les conventions de l'OIT sur le travail des enfants, dans le cadre
du système de préférences
généralisées, qui prévoit un régime
incitatif en matière douanière au bénéfice de
certains pays qui font des efforts particuliers dans le domaine
social.
II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : D'UN TEXTE IMPÉRATIF INAPPLICABLE À UN TEXTE INCITATIF D'INTENTION
A. UN TEXTE INITIAL CONTRAIRE À NOS ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX
1. La proposition de loi adoptée par le Parlement des enfants
Aux
termes de son
article 1
er
, les fournisseurs de
matériel scolaire auraient été tenus d'indiquer dans leur
document de vente la provenance du matériel scolaire proposé afin
que les acheteurs puissent s'assurer que ces fournitures n'ont pas
été fabriquées par des enfants.
Son
article 2
stipulait que lors des commandes passées
directement par les écoles élémentaires pour leur
fonctionnement pédagogique, dont les dépenses sont
imputées sur le budget de la commune, les écoles ou les mairies
devaient s'assurer qu'elles n'achetaient pas de fournitures fabriquées
par des enfants.
L'
article 3
visait pour sa part à interdire l'achat de telles
fournitures par les communes lorsqu'elles proviennent de pays où les
droits de l'enfant en général, et pas seulement l'interdiction du
travail des enfants, ne sont pas respectés.
2. Une rédaction imparfaite
La
rédaction initiale de la proposition de loi soulevait ainsi plusieurs
objections :
- la notion de fournisseur de matériel scolaire et de catalogue n'est
d'abord pas clairement définie ;
- sauf à remettre en cause le principe de non ingérence dans les
affaires intérieures d'un Etat, on voit mal comment la France serait en
mesure de vérifier le respect de la convention des Nations Unies du 20
novembre 1989 sur l'interdiction du travail des enfants qui a été
ratifiée par la quasi totalité des Etats membres de
l'ONU.
3. La nécessaire prise en compte de nos engagements internationaux
Compte tenu de ses engagements internationaux, la France n'a pas la faculté d'invoquer un critère de nationalité aussi bien dans ses relations commerciales que dans la passation des marchés publics.
a) Au niveau communautaire
Il
convient en effet de rappeler que l'article 6 du traité de Rome interdit
toute discrimination entre Etats membres de l'Union européenne qui
serait fondée sur la nationalité.
En conséquence, le droit communautaire des marchés publics est
fondé sur le principe de la libre circulation des marchandises et la non
discrimination, ces règles s'appliquant aussi bien aux marchés
publics de l'Etat qu'à ceux des collectivités territoriales et de
leurs établissements.
Dans la pratique, les directives communautaires relatives aux marchés
publics transposées en droit français prévoient des
possibilités d'exclusion des marchés en cas de fraude fiscale,
d'infractions à la réglementation sur les charges sociales et de
fausse déclaration : en conséquence, un Etat membre ne peut
exiger d'un soumissionnaire étranger la preuve qu'il remplit des
critères autres que ceux posés par ces directives.
b) Au niveau international
Le
principe de non discrimination à raison de la nationalité
constitue également le fondement de l'Organisation mondiale du commerce
et les seuls aménagements acceptés ne peuvent être
justifiés que par des circonstances particulières (accords
régionaux, avantages consentis à des pays en
développement).
S'agissant des marchés publics qui sont intégrés dans le
GATT depuis 1994, ceux-ci sont également soumis au principe de libre
concurrence et de non discrimination, conformément à l'annexe 4
de l'accord instituant l'OMC.
Dans la pratique, la France interdit ou limite les importations de produits
manufacturés seulement pour des motifs de sécurité
nationale ou de santé publique. En conséquence, une loi
française qui évoquerait le critère de nationalité
en invoquant le non respect par une entreprise étrangère de
l'interdiction du travail des enfants constituerait un obstacle non tarifaire
à la libre concurrence internationale et serait donc contraire au droit
communautaire comme au droit international.
L'accord du GATT sur les marchés publics de 1994 prévoit
cependant une liste de dérogations (le travail forcé, par
exemple, mais pas le travail des enfants) qui peuvent être
invoquées par un Etat à la condition que ces dérogations
ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction aux
règles du commerce international.
B. LE TEXTE VOTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
1. L'article 1er : de l'interdiction d'acheter à l'incitation à ne pas acheter...
Afin de
traduire le souci exprimé par les jeunes initiateurs de la proposition
de loi, l'Assemblée nationale a substitué au principe
général d'interdiction un dispositif incitatif destiné
à dissuader les établissements d'enseignement et les
collectivités concernées d'acheter de tels produits. Ce
dispositif leur permettrait de s'informer des conditions de fabrication de ces
produits lors de la discussion des offres et de la passation du marché
sans toutefois leur permettre d'user de ce seul critère pour favoriser
un candidat parmi plusieurs entreprises qui auraient présenté des
offres équivalentes.
Le nouvel article premier a donc pour objet de mettre en place un
mécanisme de discrimination positive permettant de favoriser, lors des
marchés publics, les entreprises qui s'engageraient à ne pas
recourir au travail des enfants.
Ce mécanisme reposerait sur une clause incitative introduisant un
critère additionnel dans les marchés, celui-ci devant être
spécifié dans l'avis d'appel d'offres et justifié par
l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.
Il convient à cet égard de rappeler que le Conseil d'Etat
considère que les mentions relatives à un critère
additionnel constituent une simple déclaration d'intention sans que
celle-ci puisse constituer un critère de choix qui se substituerait aux
critères réglementaires ou même se bornerait à
compléter ces critères réglementaires
3(
*
)
.
En conséquence, le législateur pourrait fixer un tel
critère additionnel sous réserve que celui-ci ne constitue pas un
obstacle non tarifaire au sens des engagements internationaux qui s'imposent
à notre pays.
2. L'article 2 : l'information des élèves pour leurs fournitures scolaires qui restent à la charge des familles
Afin de
compléter l'article premier, l'article 2 propose de mettre en place une
information qui serait dispensée aux élèves lorsque leurs
enseignants leur présentent la liste des fournitures scolaires qui
demeurent à la charge des familles.
A cette occasion, les enseignants devront informer leurs élèves
sur le fait que certains de ces produits peuvent avoir été
fabriqués avec une main-d'oeuvre enfantine.
Ce type d'information permettrait de développer l'éducation des
jeunes consommateurs qui est déjà spécifiquement
visée par des circulaires de 1982, 1983, 1988 et 1990 prises par le
ministre chargé de l'éducation.
3. Un enseignement spécifique sur les droits de l'enfant dans le cadre des cours d'instruction civique
Afin de
compléter l'information et de développer la sensibilisation des
élèves sur les droits de l'enfant, l'Assemblée nationale
propose dans l'article 3 de généraliser un enseignement
spécifique sur ce thème dans le cadre des programmes
d'éducation civique à tous les niveaux de la scolarité.
Elle s'est inspirée à cet égard de l'article 142 de la loi
d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les
exclusions qui prévoit un enseignement des droits de l'homme.
Cette préoccupation ne constitue pas, à proprement parler, une
nouveauté puisque la récente circulaire interministérielle
relative à la célébration du cinquantenaire de la
Déclaration universelle des droits de l'homme dans l'enseignement
scolaire rappelle que les droits de la personne humaine sont déjà
abordés dans les programmes d'enseignement de l'école, du
collège et du lycée.
C'est ainsi que le programme d'éducation civique en classe de CM2
mentionne expressément l'éducation aux droits de l'homme.
S'agissant du collège, les Déclarations des droits constituent
des documents de référence obligatoires en éducation
civique, tandis que les programmes d'histoire et de géographie des
classes de 4
e
et de 3
e
consacrent une large part aux
droits de la personne.
Enfin, les élèves des classes de seconde et de première au
lycée étudient ce thème en histoire-géographie et
l'éducation à la citoyenneté enseignée à
titre expérimental cette année, comporte un volet relatif aux
droits de l'homme.
C. LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION
Comme
l'ont relevé de nombreux intervenants à l'Assemblée
nationale, la valeur normative de ce texte apparaît des plus incertaines
même si sa portée pédagogique et symbolique est
évidente.
La rédaction de
l'article premier
résulte d'un compromis
difficile entre un texte initial inspiré par un souci de
générosité et de solidarité -que le Sénat ne
peut que prendre en compte- et les contraintes résultant des engagements
communautaires et internationaux de notre pays.
Votre commission s'interroge cependant sur les conséquences de cette
rédaction, dans le cas où un établissement scolaire ou une
collectivité n'aurait pas suffisamment " veillé "
à ce que la fabrication des fournitures scolaires achetées par
leurs soins n'ait pas requis l'emploi d'une main-d'oeuvre enfantine dans des
conditions contraires aux conventions internationales.
Un tel défaut de vigilance n'est-il pas susceptible d'entraîner
des recours et d'entraîner une remise en cause de certains marchés
qui seraient passés par les collectivités et de susciter un
contentieux ?
Votre commission souhaiterait que le gouvernement puisse apporter au
Sénat des assurances sur ce point.
Il convient en outre de rappeler que les achats de fournitures destinées
aux établissements scolaires, et effectués par les
collectivités publiques et établissements concernés, ne
nécessitent pas, dans un grand nombre de cas, de recourir à un
appel d'offre, compte tenu de la modicité de leur montant.
Dans la pratique, pour ces achats de faible montant, il est d'usage que la
commune s'adresse au papetier local ou à une grande surface qui ne
seront pas nécessairement en mesure de s'assurer de la provenance de ces
fournitures et des conditions dans lesquelles celles-ci ont été
fabriquées.
S'agissant des
articles 2 et 3
qui relèvent plus directement de
la compétence de votre commission, et qui concernent l'information
spécifique qui serait donnée aux élèves quant
à la connaissance et au respect des droits de l'enfant, son rapporteur
ne peut que rappeler que les modalités de cette information
relèveraient au mieux d'une circulaire du ministre
délégué, le contenu des programmes scolaires et les
modalités de présentation d'une liste de fournitures
établie par le maître ne relevant à l'évidence pas
de la compétence du Parlement.
Cependant, compte tenu du caractère du message adressé par les
jeunes auteurs de la proposition de loi, votre commission vous proposera de
retenir le texte de l'Assemblée nationale.
Afin de compléter ce message, en s'inspirant de la démarche qui a
été suivie par nos collègues députés, votre
commission souhaiterait compléter ce dispositif par un article
additionnel avant l'article premier.
Cet article additionnel reprendrait sous une forme légèrement
modifiée la dernière phrase de l'article 2 de la charte du jeune
citoyen de l'an 2000
4(
*
)
qui a été
adoptée par les " sénateurs-juniors " dans
l'hémicycle du Sénat le samedi 28 mars 1998, et qui a pour objet
de combattre et de dénoncer le travail des enfants.
Il serait ainsi rédigé :
" L'exploitation des enfants par le travail doit être fermement
combattue et dénoncée, y compris en refusant de coopérer
avec des pays qui ne respectent pas la déclaration des droits de
l'enfant ".
Sous réserve de ces observations et de cet amendement, votre
commission vous demande d'adopter la proposition de loi ainsi
modifiée.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
d'une réunion tenue le 17 février 1999 sous la présidence
de M. Adrien Gouteyron, président, la commission a examiné,
sur le rapport de
M. Philippe Richert
, la
proposition de loi
n° 80
(1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale,
visant à inciter au
respect des droits de l'enfant dans le
monde
, notamment lors de l'achat des
fournitures scolaires
.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
Tout en approuvant ses conclusions,
M. Franck Sérusclat
s'est
étonné des réserves émises par le rapporteur sur le
dispositif de l'Assemblée nationale.
Mme Hélène Luc
s'est interrogée sur la
portée effective de l'amendement proposé. Elle a souligné
les conséquences économiques et sociales d'une interdiction
générale du travail des enfants dans les pays concernés et
a estimé que toute action en ce domaine devait s'accompagner d'un effort
de formation et de mesures en faveur de l'emploi.
Compte tenu de l'origine de la proposition de loi, elle s'est
déclarée favorable à l'amendement proposé par le
rapporteur et a demandé si l'article 3 relatif à l'information
des élèves dans le cadre des cours d'instruction civique ne
pourrait pas faire référence à la journée
internationale des droits de l'enfant.
M. André Maman
a demandé des précisions sur la
définition des fournitures scolaires.
Répondant à ces interventions,
M. Philippe Richert,
rapporteur
, est convenu que l'article additionnel proposé
constituait également une déclaration d'intention, traduisant la
préoccupation des " sénateurs-juniors ".
Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité de mentionner
la journée internationale des droits de l'enfant dans le dispositif
compte tenu de la pérennité incertaine de cette manifestation.
Il a enfin précisé que la notion de fournitures scolaires
recouvrait pour l'essentiel de petits matériels de papeterie.
M. René-Pierre Signé
a remarqué que les parents
d'élèves étaient davantage concernés que les
établissements scolaires par l'achat de telles fournitures.
Evoquant les efforts consentis pour assurer dans certains pays aux enfants qui
travaillent une formation scolaire,
M. Serge Lagauche
a fait observer
que les jeunes Égyptiens concernés recevaient dans la pratique un
enseignement de type coranique.
M. Fernand Demilly
a exprimé le souhait que l'amendement
proposé par le rapporteur reprenne l'intitulé exact de la
déclaration des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies.
La commission a enfin abordé l'examen des articles.
Après avoir adopté l'article additionnel avant l'article
premier, ainsi que les articles premier, 2 et 3, elle a adopté
l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.
*
* *
ANNEXE :
CHARTE DU JEUNE CITOYEN DE L'AN
2000
ADOPTÉE PAR LES " SÉNATEURS-JUNIORS "
LE 28
MARS 1998
(1)
Une enquête du BIT
récapitule les formes d'exploitation les plus graves auxquelles sont
soumis les enfants (esclavage, travail forcé, prostitution, traite) et
indique les activités particulièrement concernées
(agriculture, mines, fabriques de céramique, d'allumettes et de feux
d'artifice, pêche hauturière, travaux domestiques,
bâtiment...)
2
n° 504, Sénat, 1997-1998
3
Fédération nationale des travaux publics, 10 mai 1996
4
Cette charte constitue la seconde contribution à
l'élaboration de la charte définitive qui sera proclamée
solennellement en l'An 2000 sous le nom de " Déclaration des droits
du jeune citoyen de l'An 2000 ".