ANNEXE

Contrôle sur pièces et sur place de la cellule décoration

A l'occasion de l'examen du budget des Affaires étrangères pour 1998, l'attention de votre rapporteur avait été appelée sur les activités de la cellule décoration du quai d'Orsay, qui ne semblaient pas présenter toutes les garanties de bonne gestion. Interrogé à ce sujet, le Ministre a confirmé l'existence de certaines difficultés auxquelles il tâchait de remédier.

Votre rapporteur a donc engagé un contrôle, en sa qualité de rapporteur spécial du budget des Affaires étrangères, qui l'a conduit à se rendre à la Direction générale de l'administration à deux reprises, le 4 décembre 1997 et le 21 janvier 1998.

Il a également auditionné le 14 mai 1998 au Sénat le responsable de la nouvelle Mission du patrimoine du ministère des Affaires étrangères, créée en début d'année, qui exerce désormais la tutelle hiérarchique sur la cellule décoration.

A l'issue de cette mission de contrôle, votre rapporteur s'estime en mesure de confirmer la réalité de certains dysfonctionnements passés de la cellule décoration, et d'indiquer que des mesures ont été prises pour les corriger.

I. UNE STRUCTURE RATIONNELLE DANS SES PRINCIPES

L'existence même d'une cellule décoration au sein du ministère des Affaires étrangères peut sembler, de prime abord, incongrue. Il s'agit toutefois d'une structure justifiée dans son principe et rationnelle dans son organisation.

A. UN RÔLE DE COORDINATION NECESSAIRE

La fonction de la cellule décoration est justifiée par l'étendue et la spécificité du parc immobilier du ministère des Affaires étrangères. Le réseau des 149 ambassades et des 111 postes consulaires forme un ensemble impressionnant de bâtiments, dont beaucoup présentent un intérêt patrimonial exceptionnel. La gestion de ce parc immobilier doit s'accommoder d'une rotation relativement rapide des chefs de poste, pas forcément compatible avec la continuité des actions. Elle doit également tenir compte des nécessités de représentation propres à la diplomatie, qui a en charge l'image de la France à l'étranger.

Dans ce contexte exigeant, la cellule décoration a pour fonction de garantir la qualité esthétique des bâtiments du ministère des Affaires étrangères, tout en canalisant les initiatives des chefs de postes, ou de leurs épouses. Elle assure une harmonisation minimale du "goût officiel" français à l'étranger, et permet de centraliser et rationaliser la conduite des travaux.

Certes, cette structure centralisée présente les inconvénients de ses avantages. Elle risque d'aboutir à une uniformisation excessive de la décoration des ambassades, et de déposséder les chefs de poste d'une partie de leurs attributions gestionnaires. Mais elle paraît globalement justifiée.

B. DES MOYENS HUMAINS LEGERS

Créée dans les années 1970, la cellule décoration a été rattachée, jusqu'à l'an dernier, à la Direction générale de l'administration du ministère des Affaires étrangères.

La chaîne hiérarchique était assez longue, puisqu'elle comportait pas moins de quatre niveaux entre le directeur général de l'administration et le responsable opérationnel de la cellule.

Depuis le début du mois de février 1998, le Ministre a mis en place auprès du Directeur général de l'administration une Mission du patrimoine, à laquelle est désormais rattaché le personnel de la cellule décoration, qui a disparu en tant que telle. Cette Mission a été confiée à un inspecteur en chef des monuments historiques.

Les moyens humains de la cellule décoration sont légers, puisqu'ils comportent sept personnes seulement :

- un chef de bureau et une secrétaire à temps partiel (80%) ;

- trois décorateurs, dont un à mi-temps, et une assistante décoratrice ;

- un agent responsable du mobilier national.

Ces effectifs limités rendent nécessaire le recours à des collaborations extérieures.

C. DES CRÉDITS MODESTES

Les crédits dont dispose la cellule décoration sont relativement modestes, ce qui rend d'autant plus nécessaire un effort d'économie dans leur emploi.

L'essentiel est constitué par des crédits du titre III inscrits au chapitre 34-98 "Matériel et fonctionnement courants", qui constituent le budget stricto sensu de la cellule.



On observe une diminution des crédits de la cellule décoration au cours des derniers exercices budgétaires. Cette évolution s'inscrit dans une diminution constante de l'ensemble du budget des Affaires étrangères depuis 1992.

La dotation de la cellule est complétée, à la marge, par une fraction des crédits du chapitre 34-03 "Frais de réception et voyages exceptionnels". En effet, l'usage du ministère des Affaires étrangères est de mettre à profit les déplacements des autorités de l'Etat pour réaliser certains travaux de décoration exceptionnels.

Enfin, il convient de mentionner pour mémoire qu'une fraction des crédits d'investissement du titre V financent en fait des travaux de décoration incorporés aux opérations de construction ou de rénovation. Votre rapporteur ne dispose pas de chiffrage précis de ces dépenses de décoration non apparentes, mais elles sont vraisemblablement importantes. Si l'on prend le cas de la résidence des Pins à Beyrouth, les dépenses incluses de décoration représentent 6 millions de francs sur un total de travaux de 55 millions de francs.

Enfin, il convient d'ajouter aux crédits de fonctionnement constituant le budget de la cellule décoration les dépenses de personnel afférentes, qui sont estimées à 854.400 francs, hors primes.

II. DES DYSFONCTIONNEMENTS A CORRIGER

A. UNE OBLIGATION D'INVENTAIRE INEGALEMENT RESPECTÉE


Parmi les tâches de gestion matérielle des chefs de poste à l'étranger, figure l'obligation de tenir un inventaire du mobilier, arrêté lors de leur prise de fonctions et lors de leur départ. Cette obligation semble être devenue largement théorique, ou du moins laissée à la seule diligence des intéressés. Or les ambassadeurs manifestent un intérêt inégal pour ces tâches pratiques, tandis que les emplois d'intendants autrefois courants deviennent aujourd'hui l'exception.

Il existe un véritable problème de négligence à l'égard du mobilier du ministère des Affaires étrangères, voire d'indélicatesse manifeste. A cet égard, la Cour des Comptes à établi en 1995 un rapport particulier édifiant sur les disparitions et dégradations du mobilier national confié en dépôt au ministère des Affaires étrangères, qui n'est d'ailleurs pas la seule administration d'Etat mise en cause. En pratique, ces manquements font partie du non-dit du ministère des Affaires étrangères et n'entraînent jamais aucune sanction.

L'obligation de tenir à jour un inventaire a été récemment rappelée à tous les chefs de postes par une circulaire de la Direction générale de l'administration, en date du 19 janvier 1998. Par ailleurs, cette circulaire rappelle que la cellule décoration doit être consultée ou informée lors de la réalisation des travaux d'aménagement mineurs financés directement sur les crédits globalisés des postes à l'étranger.

Enfin, le chef de la nouvelle Mission du patrimoine met en place l'indispensable inventaire centralisé et informatisé du patrimoine mobilier et immobilier du ministère en France et à l'étranger.

B. DES PRATIQUES PEU ECONOMES DES DENIERS PUBLICS

L'examen concret des méthodes de travail de la cellule décoration laisse apparaître des pratiques peu économes des deniers publics. Certes, le choix de prestations luxueuses pour la décoration d'une ambassade n'est pas en soi illégitime, s'agissant de l'image de la France. Mais ces considérations de prestige doivent rester dans les limites du raisonnable et ne justifient pas toutes les dépenses.

Ainsi, la pratique des travaux de décoration réalisés à l'occasion des voyages officiels exceptionnels peut être justifiée, s'il s'agit de hâter des projets de rafraîchissement nécessaires et programmés. Mais elle a trop souvent été l'occasion de dépenses somptuaires ou redondantes, et apparaît finalement peu compatible avec une programmation rationnelle des travaux en fonction des besoins réels. Pour cette raison, le ministère des Affaires étrangères a délibérément restreint, au cours des dernières années, les crédits de décoration engagés pour ces occasions.

Un autre facteur de surcoûts est la préférence systématiquement donnée à des fournisseurs et des prestataires de services français. Ce choix peut s'expliquer par le souci de montrer à l'étranger le savoir-faire français et de s'assurer de la qualité parfaite des travaux.

Mais les dépenses afférentes sont accrues par des pratiques particulièrement généreuses. A titre d'exemple, pour changer quelques rideaux et tissus dans l'une de nos ambassades, le ministère des Affaires étrangères a pris directement en charge les déplacements et le logement d'une décoratrice extérieure et d'une équipe de cinq tapissiers venus de France. Cette prise en charge des frais annexes s'ajoute à des honoraires qui apparaissent manifestement excessifs : 530.000 francs pour le cabinet de tapissiers et 118.000 francs pour la décoratrice.

Un peu plus de pragmatisme apparaît souhaitable. Il conviendrait tout d'abord de limiter les prestations les plus luxueuses aux seules pièces d'apparat, ouvertes aux personnalités locales.

Il semble par ailleurs opportun de recourir aux artisans locaux dans les pays qui disposent d'un savoir-faire traditionnel suffisant. Dans le cas évoqué précédemment, il aurait été parfaitement concevable que les travaux soient réalisés de manière plus économique par une équipe d'artisans locaux, sous le contrôle d'un seul tapissier français.

C. DES PROCÉDURES INSUFFISAMMENT TRANSPARENTES

La sélection des fournisseurs et des artisans s'effectue dans le cadre de marchés négociés, renouvelés tous les trois ans. Cette procédure, qui est gérée directement par les services financiers du ministère des Affaires étrangères, est en théorie satisfaisante. Mais, en pratique, elle rigidifie les prix et prive les responsables de la cellule décoration de latitude de négociation sur les différents éléments d'un projet.

Le chef de la nouvelle Mission du patrimoine souhaite obtenir une plus grande ouverture à la concurrence en recourant à la procédure de marché public au coup par coup, chaque fois que le seuil de 300.000 francs est dépassé sur un projet.

Les économies à attendre semblent tout à fait significatives, si l'on en croit l'exemple d'un projet de réfection d'un ensemble de mobilier Empire pour la résidence du Ministre. En révisant minutieusement tous les devis et en limitant les prestations au strict nécessaire, le coût total est passé de 800.000 francs à 300.000 francs.

Le choix des collaborations extérieures à la cellule décoration semble s'effectuer surtout par relations. Il en résulte un risque de favoritisme, même s'il est tempéré par un principe de répartition des travaux entre plusieurs cabinets différents.

Dans certains cas, le ministère a recouru aux services d'une personne travaillant à titre privé après son départ de la cellule décoration. Ce mélange des genres n'est manifestement pas compatible avec un contrôle réel du rapport qualité-prix des prestations fournies.

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En conclusion, votre rapporteur estime que la réforme de la cellule décoration, qui a été absorbée par la nouvelle Mission du patrimoine, est une réponse satisfaisante aux errements passés. L'analyse et les projets du responsable de la Mission sont pertinents, et semblent apporter toutes les garanties souhaitables de bonne gestion.

Toutefois, l'examen des services de décoration du ministère des Affaires étrangères conduira votre rapporteur à exercer en 1999 un contrôle très attentif des opérations de construction et de rénovation immobilières, financées par les crédits d'investissement du titre V.

En effet, il semblerait que les pratiques dispendieuses précédemment décrites se retrouvent sur ce poste de crédits, qui s'élève à 271 millions de francs pour 1998 : projets sur-dimensionnés, budgets prévisionnels fantaisistes, délégations de maîtrise d'oeuvre inutiles, absence de contrôle effectif des prestations. Au total, les dépassements budgétaires sont fréquents. D'ores et déjà, les devis semblent difficilement tenus pour les premiers travaux de l'ambassade de France à Berlin, dont le coût prévisionnel est de 288 millions de francs.

A plus long terme, si les mesures appropriées n'étaient pas prises, le ministère des Affaires étrangères risquerait de voir son budget gravement obéré par les frais d'entretien d'un parc immobilier dont le développement ne semble pas toujours ni réfléchi ni maîtrisé.

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