II. AUDITIONS
A. AUDITION DE M. PIERRE JOXE, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES
Le
mardi 14 octobre 1997
, sous la
présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président
, la
commission a procédé à
l'audition
de
M. Pierre Joxe, Premier Président de la Cour des Comptes
,
accompagné par
M. Gabriel Mignot, président de la
VIème chambre et Mme Anne-Marie Boutin, rapporteur général
de cette chambre, sur le rapport annuel de la Cour des Comptes sur la
sécurité sociale.
Après avoir souligné que la discussion du projet de loi de
financement de la sécurité sociale était devenue un
" moment fort " des débats parlementaires,
M. Pierre
Joxe
a souhaité évoquer les points saillants du
troisième rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité
sociale ainsi que les modalités de travail de la Haute juridiction.
Il a indiqué que le rapport de septembre 1997 sur la
sécurité sociale était le dernier d'une courte
série de trois rapports établis sur la base de l'article 13
de la loi du 25 juillet 1994 adopté à la suite d'une
initiative parlementaire.
Il a souligné que ce rapport se référait également
à l'article 2 de la loi organique du 22 juillet 1996 prise
pour l'application de la loi constitutionnelle du 22 février 1996
qui dispose que " chaque année, la Cour des Comptes établit
un rapport sur l'application des lois de financement de la
sécurité sociale ", préparant ainsi la mission
constitutionnelle qui incombera à la Cour en 1998.
M. Pierre Joxe
a souligné que si, à la lettre, le
contrôle de " l'application " des lois de financement
différait de celui qui portait sur " l'exécution " des
lois de finances, son but était que la Cour " fasse pour les
finances sociales ce qu'elle fait aujourd'hui pour les finances
publiques ".
Puis il a constaté que le déficit de la sécurité
sociale en 1996 serait supérieur à 50 milliards de francs,
soit un chiffre inférieur à celui de 1995, en raison du
ralentissement de l'augmentation des dépenses compensé
néanmoins par une croissance des recettes moindre que prévue en
raison de la faible évolution de la masse salariale.
Evoquant le système d'information comptable et statistique,
M. Pierre Joxe
a souligné que le dispositif appliqué
en matière de finances sociales était très
éloigné de celui mis en oeuvre dans le domaine des finances
publiques. Il a noté, en particulier, que le passage à une tenue
des comptes " en droit constaté " n'était pas
achevé.
Il a estimé que la marge d'incertitude qui affectait les comptes de la
sécurité sociale était largement supérieure
à la marge de manoeuvre de tout gouvernement en ce domaine.
S'agissant de la clarification des relations financières entre l'Etat et
la sécurité sociale, il a précisé qu'en
dépit de la reprise de la dette par la création de la caisse
d'amortissement de la dette sociale (CADES), la dégradation de la
trésorerie apparue à la fin de 1996 s'était poursuivie en
1997, alourdissant ainsi les charges financières qui pèsent sur
la sécurité sociale. Il a considéré que le
financement de la dette ne devait pas obérer l'apport de ressources
à la sécurité sociale.
Rappelant que le déficit de la branche maladie du régime
général représentait 60 % du déficit total, il
s'est félicité de la mise en place d'un suivi et d'une
opposabilité des objectifs de dépenses en matière
d'assurance maladie.
En revanche, il a regretté le retard pris dans le domaine du codage des
actes des pathologies et des médicaments ; il a souhaité que les
services médicaux des caisses de sécurité sociale
réorientent leurs contrôles principalement sur l'offre de soins.
Il a proposé que les références médicales
opposables (RMO) soient recentrées sur des domaines prioritaires en
termes d'impact financier. Enfin, il a estimé que l'équilibre des
comptes sociaux ne pourrait être atteint que par un effort d'adaptation
de l'ensemble des divers acteurs du système et, en particulier, des
services de l'Etat chargés de la tutelle de la sécurité
sociale et de la santé.
Evoquant le travail de la Cour des Comptes,
M. Pierre Joxe
a
souligné qu'il avait pris la décision de consacrer le travail
d'une chambre entière de la Cour aux problèmes de santé et
de sécurité sociale. Il a estimé que la sixième
chambre, présidée par M. Gabriel Mignot, avait vocation
à devenir le correspondant du Parlement en matière de finances
sociales, à l'instar de ce qui existe en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Il a insisté sur l'influence que le Parlement pourrait avoir sur le
suivi des travaux ainsi que sur " l'orientation " du
programme
d'activités de la Cour qui demeure fixé par le premier
président sur proposition des présidents des sept chambres de la
Cour.
En conclusion,
M. Pierre Joxe
a insisté sur le caractère
très mobilisateur que représentait pour les magistrats de la Cour
l'effort nécessaire de mise en ordre des comptes sociaux, ainsi que
l'importance des enjeux de société abordés à
travers les thèmes de la maladie ou de la retraite.
Puis,
Mme Anne-Marie Boutin
a présenté le contenu du
rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale de
septembre 1997.
Elle a indiqué que, dans une première partie, le rapport
présentait le futur cadre de travail de la Cour et des Assemblées
en analysant le dispositif juridique et comptable prévu par la loi
organique du 22 juillet 1996.
La Cour a souligné certaines difficultés tenant à
l'absence de définition claire de la notion de branche en matière
de dépenses, aux insuffisances de fiabilité des outils de suivi
des dépenses hospitalières et des dépenses ambulatoires et
à la complexité de l'articulation entre la loi de finances et la
loi de financement de la sécurité sociale.
A cet égard, elle a relevé la question du caractère tardif
de la date de la production des comptes sociaux qui était difficile
à résoudre.
Puis,
Mme Anne-Marie Boutin
a présenté la deuxième
partie du rapport qui traite des problèmes de financement de la
sécurité sociale, poursuit l'effort de clarification entrepris
par la Cour en 1996 sur les facteurs d'évolution de la situation de la
sécurité sociale et présente deux enquêtes sur la
première année de fonctionnement de la CADES ainsi que sur la
politique de recouvrement des cotisations.
Sur ce dernier point, elle a souligné les difficultés
soulevées par les disparités géographiques des
résultats des unions de recouvrement, par les insuffisances du
recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants en raison du
caractère forfaitaire de l'assiette des cotisations et de l'existence de
trois caisses de recouvrement distinctes ainsi que par les différences
de traitement des cotisants en matière de prélèvement des
cotisations sociales.
Puis,
Mme Anne-Marie Boutin
a indiqué que, dans une
troisième partie, le rapport abordait la régulation et la
maîtrise des dépenses d'assurance maladie en évoquant tout
d'abord l'encadrement des dépenses hospitalières et la mise en
place des agences régionales d'hospitalisation.
Elle a précisé que l'attention de la Cour s'était
portée sur les questions du rééquilibrage des dotations
entre régions et établissements et de l'utilisation de l'outil de
régulation que constitue le programme de médicalisation des
systèmes d'information (PMSI) qui a représenté un
investissement de trois milliards de francs.
Le rapport a montré l'intérêt de ce dispositif, mais aussi
ses limites, tenant à son caractère essentiellement statistique
et comptable qui ne comporte pas d'approche en termes d'évaluation de la
qualité des soins.
Evoquant l'activité libérale des médecins hospitaliers, le
rapport de la Cour a souligné les insuffisances du contrôle des
commissions de l'activité libérale ainsi que les risques de
dérive des coûts.
S'agissant de la régulation des dépenses ambulatoires, le rapport
a entrepris l'étude des références médicales
opposables (RMO). Ce dispositif, qui constitue à la fois un guide de
bonne pratique et un instrument opposable au médecin, devrait être
rendu plus facilement contrôlable et devrait être ciblé sur
des domaines prioritaires en termes de qualité des soins et d'impact
financier.
Enfin, concernant le contrôle médical, la Cour a constaté
une prédominance du contrôle des demandes de soins
présentées par les assurés au détriment du
contrôle de l'offre de soins, notamment par la structure
hospitalière.
Par ailleurs, la Cour a présenté quelques observations sur
l'organisation du service médical dans le régime
général et sur le caractère inquiétant de la
démobilisation des médecins-conseils.
Abordant la procédure du remboursement sans ticket modérateur
pour les affections de longue durée (ALD), la Cour a estimé que
ce système, dont la conception était ancienne, devrait être
revu dans son contenu, sa procédure et ses règles.
Evoquant la tarification des prothèses internes, la Cour a
insisté sur le problème des délais de facturation.
Puis,
Mme Anne-Marie Boutin
a présenté la quatrième
partie du rapport relative aux dépenses de la branche famille qui
complète les enquêtes du rapport de 1996 sur l'allocation de garde
d'enfant à domicile (AGED).
Le rapport pour 1997 a analysé l'allocation parentale d'éducation
(APE) et l'aide à la scolarité (AAS). Concernant l'APE, la Cour a
relevé les insuffisances des prévisions et du suivi de cette
prestation, l'absence de coordination entre les différents types de
politique sociale et, en particulier, le manque de connaissances sur le nombre
d'emplois créés par l'AGED.
La Cour a remarqué que la réforme de l'aide à la
scolarité, instituée par la loi de 1993, avait été
le révélateur du problème préexistant de la
fréquentation des cantines scolaires.
La cinquième partie du rapport insiste sur la diversité des
régimes spéciaux de sécurité sociale.
La Cour a souligné notamment les différences d'efforts
contributifs demandés aux actifs et aux employeurs, tant en
matière d'assurance vieillesse que d'assurance maladie, ainsi que
l'hétérogénéité des prestations servies dont
l'identification exacte était, au demeurant, difficile. La Cour a
estimé que le régime des mines fonctionnait comme une
filière expérimentale du point de vue de l'organisation du
réseau de soins.
Enfin,
Mme Anne-Marie Boutin
a précisé que la
sixième partie du rapport portait sur les travaux des comités
départementaux d'examen des comptes des organismes de
sécurité sociale (CODEC). La Cour a souligné que
l'efficacité de ces organismes qui constituent le premier échelon
de contrôle des organismes de base de la sécurité sociale
pourrait être améliorée si les contrôles
étaient orientés en fonction de thèmes
prédéterminés.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
a demandé à M.
Pierre Joxe quelle était la procédure d'élaboration du
programme de travail de la Cour et dans quelles conditions les demandes
d'enquête émanant du Parlement pouvaient s'insérer dans ce
programme.
M. Pierre Joxe
a indiqué qu'il appartenait au Premier
Président, sur proposition des présidents de chambres, de fixer
le programme de travail de la Cour. Il a confirmé que la Cour des
Comptes examinerait bien volontiers les demandes parlementaires. Il a cependant
rappelé que la Cour des Comptes manquait de moyens pour remplir ses
missions et que les délais de réponses devaient tenir compte des
procédures écrites et contradictoires en vigueur à la Cour.
M. Charles Descours, rapporteur,
a interrogé le Premier
Président sur le programme de médicalisation des systèmes
d'information (PMSI), le ticket modérateur, les régimes
spéciaux de sécurité sociale et les transferts en leur
faveur ainsi que sur le régime de retraite des fonctionnaires. Il lui a
demandé d'user de son influence pour aider à la mise en place des
conseils de surveillance des caisses nationales de sécurité
sociale et a souligné le fait que le conseil de surveillance de la CADES
n'avait jamais été réuni.
Evoquant un article de M. Pierre Joxe dans la Revue française de
finances publiques, dans lequel ce dernier affirmait qu'il était
prêt à consacrer 5 % de la capacité de travail de la
Cour au traitement de demandes parlementaires, il lui a demandé ce que
représentaient concrètement ces 5 %.
Observant que la Cour des Comptes avait consacré une étude
très critique aux conditions dans lesquelles s'exerçait
l'activité libérale à l'hôpital, il a
interrogé le Premier Président sur le montant des dépenses
d'assurance maladie concernées.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
a demandé à M.
Pierre Joxe si la Cour des Comptes s'était déjà
intéressée aux régimes complémentaires de retraite.
Répondant aux orateurs,
M. Pierre Joxe
a d'abord
évoqué la question de la fonction publique. Il a indiqué
qu'il était très difficile de connaître avec
précision le nombre de fonctionnaires et le montant des traitements
réellement perçus. Soulignant l'importance des régimes
indemnitaires et des primes, il a estimé que la Cour des Comptes
pourrait constituer un lieu où ces questions seraient suivies dans leur
globalité. Il a affirmé qu'il venait d'informer le Gouvernement
de son intention d'étudier les régimes complémentaires de
retraite.
M. Alain Vasselle
a indiqué que l'absence de transparence du
régime des primes et indemnités dans la fonction publique de
l'Etat avait des conséquences sur la fonction publique territoriale,
dans la mesure où cette dernière devait bénéficier
d'une parité de traitement.
Mme Anne-Marie Boutin
a indiqué qu'il existait aujourd'hui
138 régimes spéciaux dont l'immense majorité
comportait moins de 20.000 cotisants. Elle a souligné la
nécessité de clarifier les modalités des compensations
inter-régimes.
Evoquant la politique familiale, elle a souhaité la mise en place des
indicateurs qui avaient été prévus par la loi de 1994,
ainsi que la réalisation d'études sur la coordination des
politiques familiale et de l'emploi, ces deux éléments
étant susceptibles d'introduire plus de clarté dans la
définition des objectifs poursuivis.
Répondant à une question de
M.
Charles Descours,
rapporteur,
sur la prise en charge par la caisse nationale d'allocations
familiales (CNAF) de certaines cotisations d'assurance vieillesse, elle a
indiqué qu'il n'appartenait pas à la Cour d'apprécier la
pertinence des décisions qui fondaient cette prise en charge. Elle a
simplement tenu à souligner que de simples conventions pouvaient donner
naissance à des flux financiers importants : ainsi, en 1995, alors qu'un
examen sommaire des comptes pouvait laisser à penser que les cotisations
versées avaient augmenté, il fallait tenir compte en
réalité du fait que les dates de leur versement avaient
été modifiées par convention.
Concernant le secteur privé à l'hôpital,
Mme Anne-Marie
Boutin
a indiqué qu'il concernait 4.300 médecins et 1,8 pour
mille des dépenses d'assurance maladie.
M. Claude Huriet
a interrogé les représentants de la Cour
des Comptes sur la mise en place des conseils de surveillance des caisses
nationales, les taux de recouvrement des cotisations sociales et le ticket
modérateur.
MM. Guy Fischer
et
François Autain
ont demandé des
précisions sur le remboursement de la dette sociale.
Mme Anne-Marie Boutin
a indiqué en réponse que, s'il
suffisait de rembourser les dettes du passé, la sécurité
sociale ne serait pas confrontée à un problème majeur,
mais qu'il n'en était autrement en raison de la persistance des
déficits. Elle a affirmé que les taux de recouvrement
étaient globalement très bons, mais qu'il existait des
disparités géographiques. Celles-ci s'expliquaient notamment par
la possibilité pour les entreprises de faire des versements en un lieu
unique et par l'importance relative des petites et moyennes entreprises dans le
tissu industriel. Evoquant les dépenses d'assurance maladie sans ticket
modérateur, elle a estimé que leur progression était due
à la fois au vieillissement de la population et à
l'évolution des dépenses hospitalières.
M. Claude Huriet
a enfin évoqué l'évolution des
sources de financement de la protection sociale, et notamment celle de la
branche famille.
M. Pierre Joxe
a rappelé que la contribution sociale
généralisée avait été mal accueillie lors de
sa création, mais que tous les gouvernements successifs l'avaient
ensuite acceptée. S'interrogeant sur les différences de nature
entre, d'une part, les impôts et taxes et, d'autre part, les sources de
financement de la sécurité sociale, il a estimé que ces
différences s'estomperaient de plus en plus à l'avenir.