II. LA POLITIQUE DU NOUVEAU GOUVERNEMENT : UN ATTENTISME CERTAIN DANS LA MISE EN OEUVRE DES RÉFORMES, UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES ET DES PRÉLÈVEMENTS, ET DÉJÀ DE PREMIERS DÉRAPAGES
L'attentisme dont le Gouvernement fait preuve depuis son
installation est de nature à compromettre l'application et les
progrès de la réforme de l'assurance maladie.
Cet attentisme est conforté par la définition d'un objectif
national d'évolution des dépenses peu strict, qui constitue un
signe de pause dans les restructurations de notre système de soins.
En effet, si le retour de la croissance et la nécessité de
récompenser les professionnels pour les efforts accomplis en 1997
autorisent une certaine progression des dépenses, l'ONDAM 1998, qui ne
s'accompagne pas de mesures d'encadrement pour les quelques 10% de
dépenses qui évoluent actuellement sans mécanisme de
régulation, constitue un signe certain de relâchement de la
politique de maîtrise des dépenses.
En outre, le projet de loi de financement de la sécurité
sociale, par les nombreux prélèvements qu'il institue ou majore,
tend à accréditer l'idée, avec laquelle les ordonnances
avaient rompu, que la sécurité sociale et le système de
soins peuvent continuer à fonctionner sans réforme, de nouveaux
prélèvements pouvant toujours combler les déficits
.
A. ENCORE DU TEMPS PERDU POUR LES RÉFORMES
L'attentisme dont fait preuve le nouveau Gouvernement en
matière de réforme de l'assurance maladie et du système de
soins se traduit par des retards, des hésitations, des
déclarations non suivies d'effet mais qui discréditent certains
points majeurs de la réforme.
Ainsi, sans rien faire de nouveau, sans pour autant suspendre juridiquement
l'application des ordonnances, le Gouvernement compromet l'action courageuse de
ceux qui, sur le terrain, veulent faire évoluer les choses.
1. La réforme hospitalière : beaucoup de retard pour l'installation de l'ANAES, une critique voilée des agences régionales de l'hospitalisation, un report des restructurations jusqu'en 1999
a) L'accréditation en retard
Le retard le plus grave dans la mise en oeuvre de la
réforme concerne son point-clé, à savoir
l'évaluation et l'accréditation.
L'ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 a en effet défini une
procédure, l'accréditation des établissements de
santé, et créé une nouvelle institution, l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé
(ANAES), chargée de la mettre en oeuvre.
Elle a ainsi prévu qu'afin d'assurer l'amélioration continue de
la qualité et de la sécurité des soins, tous les
établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés,
doivent faire l'objet d'une procédure d'accréditation.
L'ordonnance a précisé que la procédure
d'accréditation vise à porter une appréciation
indépendante sur la qualité d'un établissement ou, le cas
échéant, d'un service, à l'aide d'indicateurs, de
critères et de référentiels portant sur les
procédures, les bonnes pratiques cliniques et les résultats des
différents services et activités de l'établissement.
La définition de cette procédure constitue un
élément essentiel de la réforme, dans la mesure où,
pour la première fois, une évaluation externe et
indépendante des établissements permettra à chacun d'entre
eux de progresser vers une meilleure qualité de soins.
L'ordonnance a prévu une montée en charge progressive, mais
rapide, de l'accréditation : l'article L. 710-5 du code de la
santé publique dispose en effet que, dans un délai de cinq ans
après la publication de l'ordonnance (soit le 25 avril 2001), tous les
établissements de santé (ils sont environ 3.500) devront
s'être engagés dans cette procédure.
Compte tenu de ce calendrier, qui est raisonnable, il importait que
l'institution chargée de l'accréditation soit installée
dans les meilleurs délais. Cela était possible, l'ANAES reprenant
le flambeau de l'Agence nationale d'évaluation médicale (ANDEM),
le Professeur Yves Matillon, président de cette dernière
institution, ayant remis dans des délais très satisfaisants son
rapport sur la mise en place de l'ANAES.
Le décret d'application relatif à l'organisation et au
fonctionnement de l'ANAES a été publié le 8 avril 1997
(décret n° 97-311 du 7 avril 1997 relatif à
l'organisation et au fonctionnement de l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé instituée
à l'article L. 791-1 du code de la santé publique).
Et deux arrêtés du 28 mai 1997 ont procédé aux
nominations des membres du conseil d'administration et du conseil scientifique
de l'Agence.
Tout était en place, donc, à cette date, pour que l'ANAES
commence à fonctionner. Mais il a fallu encore cinq mois pour que, le
14 octobre, le conseil d'administration soit réuni.
Cinq mois de perdus, donc, et le directeur général de l'ANAES
n'est toujours pas nommé.
Quelles que soient la bonne volonté et les qualités
professionnelles du directeur de l'ANDEM, le Professeur Yves Matillon, il ne
dispose donc pas encore des bases juridiques pour intervenir au nom de
l'ANAES
.
b) Des déclarations critiques sur les agences régionales de l'hospitalisation
Avec la procédure d'accréditation, la mise en
place des agences régionales de l'hospitalisation constitue le second
point clé de la réforme hospitalière.
En effet, l'ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme
de l'hospitalisation, en instituant les agences régionales de
l'hospitalisation, a voulu constituer
" une autorité de
décision cohérente, compétente tant pour l'hospitalisation
publique que pour l'hospitalisation privée, qui remédiera
à l'actuelle dispersion des responsabilités, des moyens et des
compétences entre les différents services de l'Etat et
l'assurance maladie ".
Ces agences régionales sont à la fois très fortes et
très fragiles.
·
Elles sont très fortes par l'étendue des
pouvoirs qui leur ont été confiés et la qualité des
personnes qui ont été placées à leur tête.
Les agences ont en effet pour missions essentielles de définir et de
mettre en oeuvre la politique régionale d'offre de soins hospitaliers,
d'analyser et de coordonner l'activité des établissements et de
déterminer leurs ressources.
A cette fin, elles négocient avec les établissements de
santé les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens qui
déterminent les orientations stratégiques des
établissements ainsi que les éléments financiers qui les
concernent.
Elles arrêtent les schémas régionaux d'organisation
sanitaire et constituent l'autorité compétente pour les
décisions de planification hospitalière.
Les agences régionales de l'hospitalisation tirent également leur
force de l'autorité de leur directeur, nommé en conseil des
ministres, et qui prend ses décisions au nom de l'Etat.
Si certaines des décisions de l'agence sont prises par sa commission
exécutive et non par leur directeur, il faut rappeler que la commission
exécutive est composée à parité de
représentants administratifs des caisses et de représentants de
l'Etat, dont on imagine mal que le point de vue diffère sensiblement de
celui du directeur.
La qualité des personnes nommées à la tête de
l'immense majorité des agences est en outre de nature à conforter
leur crédit.
·
Les agences régionales de l'hospitalisation sont aussi
des institutions très fragiles.
Cette fragilité résulte de leur nouveauté et de
l'importance des intérêts qu'elles sont susceptibles de mettre en
cause, qu'il s'agisse d'intérêts administratifs, professionnels ou
économiques.
Face à ces intérêts, les directeurs des agences
régionales sont des hommes seuls, certes nommés en conseil des
ministres, mais révocables dans les mêmes conditions.
Dans la mesure où l'autorité des directeurs d'agence repose
exclusivement sur l'Etat, il est donc essentiel que l'Etat les soutienne.
Il est essentiel aussi que, si un directeur ne remplit pas son rôle de
manière satisfaisante, il soit remplacé dans les plus brefs
délais : l'avenir d'institutions aussi importantes que les agences ne
saurait être compromis par des personnalités isolées.
Il est essentiel aussi que, si le Gouvernement souhaite modifier les textes
institutifs des agences, il le fasse sans délai.
Or, rien de tel ne se produit. Des ministres et des responsables de la
majorité, à plusieurs reprises, ont fait des déclarations
peu claires, des insinuations qui sont de nature à affaiblir très
considérablement l'autorité des directeurs d'agence, sans que ces
déclarations ou ces insinuations soient suivies de décisions.
Ainsi, le rapport annexé au projet de loi de financement de la
sécurité sociale indique que les agences régionales
passeront avec les hôpitaux des contrats
pluriannuels " avec le
souci d'une légitimité démocratique
renforcée ".
Quel est le sens d'un tel propos?
De même, la lettre de l'Expansion
(lundi 29 septembre 1997)
annonce, pour commenter les déclarations gouvernementales sur
l'hôpital, que
" le Gouvernement va remettre à plat
l'ordonnance Juppé sur l'hôpital, jugée trop floue par tous
les acteurs concernés, voire nébuleuse dans la déclinaison
des procédures ".
La portée des déclarations gouvernementales sur les agences
régionales, la manière dont elles serviront de base à une
modification de la législation et le calendrier de ces
éventuelles modifications ne sont pas encore connus.
Mais ces déclarations ne constituent pas, à l'évidence,
l'expression de l'indispensable soutien que les directeurs d'agences
régionales attendent de l'Etat.
c) Un coup de frein aux restructurations hospitalières
Les déclarations gouvernementales concernant les
agences régionales sont d'autant plus dommageables qu'elles
s'accompagnent d'un report des restructurations hospitalières
engagées avec la réforme Juppé.
Le Gouvernement, dans son rapport annexé à la loi de financement,
indique en effet clairement qu'il va mettre en oeuvre,
" dès la
fin 1997 ",
un
" nouveau processus d'élaboration des
SROS (schémas régionaux d'organisation sanitaire) ",
" pour la construction d'une nouvelle génération de ces
schémas ".
Le rapport poursuit ainsi :
" Le point de départ de la
démarche sera la prise en compte des besoins de santé et des
conditions de vie et de déplacement des populations. A partir de ces
éléments, les nouveaux SROS définiront la part qui revient
à l'hospitalisation dans la satisfaction de ces besoins et,
corrélativement, éclaireront la place de la médecine de
ville et les liens entre le sanitaire et le médico-social. L'implication
des professionnels, des élus et de la population sera envisagée
à toutes les étapes et pas seulement en fin de parcours.
L'animation de cette démarche reposera à la fois sur les Agences
régionales de l'hospitalisation (ARH), appuyées par les
Directions régionales d'administration sanitaire et sociale et les
caisses régionales d'assurance maladie, et sur l'engagement de
professionnels et de personnalités ayant une légitimité
dans le domaine de la santé. Ces démarches doivent tout à
la fois améliorer la pertinence des schémas, asseoir leur
légitimité aux yeux des élus et des populations et
renforcer leur opérabilité. "
La conclusion est claire : c'est
" en s'appuyant sur ces nouveaux
SROS
que les agences régionales mèneront une politique active de
recomposition du tissu hospitalier ".
Ce n'est donc qu'en 1999, lorsque les nouveaux SROS auront été
élaborés, que seront poursuivies les indispensables actions
d'amélioration de notre système hospitalier.
Le bilan de la politique hospitalière du Gouvernement est donc, pour
l'instant, très décevant : un signal clair du gel des
restructurations est adressé aux acteurs locaux, les institutions
existantes chargées de mettre en oeuvre la réforme sont
critiquées, au moins à demi-mot, et rien n'est proposé en
remplacement...
Pourtant, beaucoup pourrait être fait dès la fin de cette
année, qu'il s'agisse de la mise en place des adaptations
réglementaires nécessaires pour faciliter les regroupements ou
les coopérations public-privé ou de la prise de décisions
d'adaptation du tissu hospitalier.
L'année 1998 aurait-elle pour seule caractéristique
d'être une année électorale ?
La seule proposition d'action du Gouvernement est la création d'un
fonds, abondé par l'assurance maladie à hauteur de 300 millions
de francs, pour accompagner en faveur des personnels les actions de
modernisation.
Mais, outre que ce fonds ne bénéficie, aux termes du projet de
loi, qu'aux seuls personnels des établissements publics de santé,
ce que conteste votre commission, et qu'il ne soit doté que de faibles
moyens, aucune des mesures sociales n'est définie.
Le Gouvernement demande au Parlement de voter la création d'un fonds de
modernisation, ce qu'il fera bien volontiers, sans définir les
modalités de fonctionnement de ce fonds ou les aides qu'il pourra
attribuer.
Votre commission estime que les parlementaires, comme les
personnels des établissements de santé, seraient en droit
d'être éclairés
.