IV. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
En
préalable, votre commission ne peut que partager le souci exprimé
par les auteurs des deux propositions de loi qui souhaitent remédier
à la marginalisation scolaire des enfants relevant du
phénomène sectaire.
Plus largement, elle estime que toutes les formes de marginalisation des
familles tendant à réduire la portée de l'obligation
scolaire et de l'instruction obligatoire doivent être combattues.
Elle se doit cependant de rappeler le contexte juridique qui s'impose à
tout aménagement du droit en vigueur en ce domaine.
A. VERS UN CONTRÔLE RENFORCÉ DE L'OBLIGATION SCOLAIRE
1. Le renforcement du contrôle de l'enfant instruit dans sa famille ou dans un établissement hors contrat
a) Les contraintes imposées par le nécessaire respect du principe de la liberté de l'enseignement
S'il
apparaît souhaitable de rendre plus fréquent et d'approfondir le
contrôle effectué sur l'instruction de l'enfant au sein de la
famille, ou dans un établissement d'enseignement hors contrat
jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, il convient cependant d'adapter
les modalités et les conséquences de ce contrôle au
principe de la liberté de l'enseignement qui a une valeur
constitutionnelle.
Même si le Conseil constitutionnel n'a pas eu l'occasion de se prononcer
sur la portée de ce principe, s'agissant du choix des méthodes et
du contenu des enseignements, il semble que le principe de la liberté
d'enseignement implique que les familles et les établissements
privés hors contrat conservent la possibilité de ne pas suivre
les programmes et gardent le choix de leurs méthodes d'enseignement.
Comme il a été indiqué précédemment,
l'article 35 de la loi dite Goblet du 30 octobre 1886 sur
l'organisation de l'enseignement primaire laisse en effet les directeurs
d'écoles privées entièrement libres dans le choix des
méthodes pédagogiques, des programmes et des ouvrages scolaires.
La proposition de M. About consistant à soumettre les enfants à
un examen annuel portant sur les programmes scolaires de leur classe
d'âge dans les locaux d'un établissement public d'enseignement
s'inspire en fait des dispositions initiales de l'article 16 de la loi du
28 mars 1882 ; celles-ci ont été abrogées par la
loi du 11 août 1936 qui a remplacé la référence
aux programmes scolaires par la référence à des notions
élémentaires de lecture, d'écriture et de calcul.
Ce dispositif pourrait être censuré par le juge constitutionnel,
aussi bien parce qu'il porte atteinte au principe de la liberté de
l'enseignement mais aussi en raison de la rupture d'égalité qu'il
instituerait au profit des élèves scolarisés dans les
écoles et établissements publics ou privés sous contrat
qui ne sont pas soumis à de tels examens annuels.
b) Les propositions de la commission
Afin de
renforcer le contrôle du contenu de l'instruction obligatoire, votre
commission proposera de faire référence à l'article 2
de l'ordonnance du 6 janvier 1959 qui prend en compte
" l'éducation et les connaissances de base, les
éléments de la culture générale et selon les choix,
de la formation professionnelle et technique ".
En outre, afin de tenir compte des préoccupations des auteurs des deux
propositions de loi, elle suggérera d'étendre la portée du
contrôle en se référant à l'article 1er de la loi
d'orientation du 10 juillet 1989 sur l'éducation qui définit
le contenu du droit à l'éducation, c'est-à-dire le droit
à l'épanouissement de l'enfant, à la socialisation et
à la citoyenneté.
L'examen annuel proposé permettra ainsi par une évaluation
régulière de contrôler la progression de l'enfant en visant
des objectifs d'acquisition de compétences comparables à celles
des enfants scolarisés dans les établissements d'enseignement
public ou privé sous contrat et de s'assurer que celui-ci n'est pas
soumis à des pressions de type sectaire qui hypothéqueraient le
développement de sa personnalité.
Votre commission vous proposera par ailleurs de renvoyer à un
décret le contenu précis des connaissances de base et des
éléments de culture générale susceptibles
d'être évalués : le contrôle exercé par
l'éducation nationale peut en effet entraîner pour les parents des
sanctions pénales délictuelles pendant toute la période de
l'instruction obligatoire et il importe de fournir au juge les
éléments d'appréciation nécessaires.
Il conviendrait enfin que ce contrôle soit systématique pour les
enfants instruits dans leur famille mais que l'opportunité d'un
contrôle soit appréciée par l'inspecteur d'académie
pour les classes hors contrat afin de tenir compte des disparités
existantes : on voit mal, en effet, la nécessité de
contrôler chaque année les connaissances des élèves
de l'Ecole des Roches par exemple, dont les résultats scolaires sont
très honorables et qui ne peut être soupçonnée de
dispenser un enseignement sectaire.
L'inspecteur d'académie devrait donc décider de
l'opportunité de contrôler d'une manière globale
l'enseignement dispensé dans chaque classe hors contrat afin de
s'assurer que celui-ci respecte les normes minimales de connaissances requises
par l'instruction obligatoire.
2. Les conséquences d'un contrôle négatif sur l'instruction reçue par un enfant instruit dans sa famille ou dans un établissement privé hors contrat
Le
principe de la liberté d'enseignement pourrait également
être mis en cause par le fait d'imposer aux familles, en cas de
contrôle négatif des connaissances de leur enfant, de scolariser
celui-ci dans un établissement public ou privé sous contrat.
Dans cette hypothèse, la mise en demeure de l'inspecteur
d'académie, proposée par M. About, de scolariser l'enfant
préalablement instruit dans sa famille ou dans un établissement
hors contrat, doit respecter la liberté de choix de
l'établissement par les parents, c'est-à-dire que la famille ne
peut pas seulement être tenue d'inscrire son enfant dans un
établissement public ou privé sous contrat.
Afin de tenir compte du principe de la liberté d'enseignement, il
conviendrait que les parents d'un enfant recevant une instruction dans sa
famille soient d'abord, en cas de contrôle négatif, invités
à remédier à la situation, puis ultérieurement, si
les résultats sont encore insuffisants, mis en demeure d'inscrire leur
enfant dans un établissement d'enseignement public ou privé, en
l'indiquant au maire qui en informera l'inspecteur d'académie.
3. Le problème spécifique du contrôle des élèves scolarisés dans les établissements hors contrat
a) Un contrôle qui ne viserait que l'élève
Le
contrôle de l'instruction obligatoire des élèves
scolarisés dans les établissements hors contrat, tel que le
préconise M. About, conduit en fait à modifier implicitement
l'article 2 de la loi " dite Debré " du
31 décembre 1959 qui limite, on l'a vu, le contrôle de l'Etat
aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à
l'assiduité des élèves, au respect de l'ordre public et
des bonnes moeurs, à la prévention sanitaire et sociale.
Un contrôle qui ne viserait que l'élève serait en fait peu
satisfaisant et peu efficace puisqu'un contrôle négatif sur ses
connaissances entraînerait des conséquences pour sa seule famille
et non pour l'établissement qui pourrait ultérieurement
poursuivre, sans en modifier le contenu, ses activités d'enseignement.
La proposition de loi se limite sur ce point à une évaluation des
connaissances des élèves instruits dans un établissement
privé hors contrat.
Il faut par ailleurs souligner que le directeur d'un tel établissement
pourrait invoquer à bon droit l'article 2 de la loi de 1959 pour
s'opposer à un contrôle à l'intérieur de son
établissement : il ne saurait en effet lui être imposé
de recevoir les personnes mandatées par l'inspection d'académie
pour diligenter le contrôle qui ne pourrait, dans ces conditions, avoir
lieu que dans la famille.
Il convient cependant de signaler que l'article 9 de la loi de 1886 sur
l'organisation de l'enseignement primaire stipule que l'inspection des
écoles privées
" ne peut porter sur l'enseignement que
pour vérifier s'il n'est pas contraire à la morale, à la
Constitution et aux lois ".
Cette disposition générale pourrait donc justifier un
contrôle minimum sur l'enseignement dispensé dans les
écoles privées, notamment au titre de l'instruction
obligatoire.
b) Les propositions de la commission : la nécessité d'évaluer l'enseignement dispensé dans l'établissement.
Dans un
souci d'efficacité, et sans porter atteinte à l'équilibre
général de la loi du 31 décembre 1959, notamment
quant à la prise en charge de certaines classes des
établissements privés par l'Etat, votre commission estime
préférable d'évaluer l'enseignement dispensé dans
les classes hors contrat, au lieu de faire supporter les conséquences
d'un contrôle négatif par le seul élève et sa
famille.
En conséquence, elle vous proposera de compléter l'article 2
de la loi du 31 décembre 1959 en précisant d'abord que
l'instruction obligatoire entre dans le champ du contrôle exercé
par l'Etat sur les établissements d'enseignement privés hors
contrat : cette modification permettrait de vérifier, non pas
l'application des programmes officiels par l'établissement mais le
respect de normes minimales de connaissances prescrites par l'Etat.
Ce contrôle s'inscrit par ailleurs dans le cadre des principes
définis par la convention internationale des droits de l'enfant du
20 novembre 1989 qui prévoit dans son article 29-2, que le respect
des normes minimales prescrites par l'Etat est une condition de la
liberté d'enseignement pour les établissements privés.
Elle vous proposera ensuite d'autoriser un contrôle éventuel des
classes hors contrat, dont l'opportunité serait laissée à
l'appréciation de l'inspecteur d'académie, afin de s'assurer que
l'enseignement qui y est dispensé correspond à ces normes
minimales.
Si le contrôle faisait apparaître que l'enseignement
dispensé ne respecte pas les normes minimales de connaissances
correspondant à l'objet de l'instruction préalable, le directeur
de l'établissement serait mis en demeure d'y remédier.
Si cela n'était pas le cas, et après une nouvelle mise en demeure
restée infructureuse, les autorités académiques
aviseraient le Procureur de la République de ces faits
délictueux, sauf fermeture de l'établissement.
B. LA RECHERCHE DE SANCTIONS DISSUASIVES MAIS RÉALISTES
Comme il
a été vu, toutes les infractions à l'instruction
obligatoire sont aujourd'hui uniformément punies de peines
contraventionnelles de la 2e classe et leurs auteurs ne peuvent encourir
au maximum que 1.000 F d'amende, conformément à
l'article 16 du décret du 18 février 1966.
Parce qu'elles sont peu dissuasives et non appliquées, votre commission
estime que ces sanctions devraient être relevées dans des
proportions réalistes pour répondre à l'objectif poursuivi
par les auteurs des propositions de loi.
1. La nécessité de rechercher des sanctions réalistes et graduées
Reprenant le principe de l'uniformité des peines pour
toutes
les atteintes susceptibles d'être portées à l'instruction
obligatoire, qu'il s'agisse du défaut de déclaration
d'instruction dans la famille au maire, du refus délibéré
d'inscrire un enfant dans un établissement et de l'absentéisme
scolaire, la proposition de loi de M. About tend à insérer dans
le code pénal une nouvelle section consacrée aux manquements
à l'obligation scolaire.
Estimant que le défaut de déclaration pour la scolarité de
l'enfant est aussi grave que l'atteinte portée, par simulation ou
dissimulation de maternité, à l'état civil d'un enfant, M.
About propose de retenir les peines prévues à l'article 227-13 du
nouveau code pénal : les parents coupables d'infractions à
l'instruction obligatoire encourraient ainsi trois ans d'emprisonnement et
300.000 F d'amende.
Votre commission considère que ces pénalités sont sans
doute excessives dans leur quantum, sans véritable lien direct avec les
atteintes à la filiation auxquelles elles font référence
et devraient être graduées en fonction de la gravité
particulière de chacune des infractions.
Elle proposera en conséquence de rattacher le refus
délibéré d'inscrire un enfant dans un établissement
à l'article 227-17 du code pénal sous la section V relative
à la mise en péril des mineurs, et de prévoir un
délit distinct et moins sévèrement réprimé
que les manquements graves à la santé, la sécurité,
la moralité, l'éducation, qui sont punis de deux ans
d'emprisonnement et de 200.000 F d'amende.
Elle souhaiterait, en revanche, conserver en aggravant les
pénalités, la qualification contraventionnelle des autres
manquements à l'instruction obligatoire.
En effet,
le défaut de déclaration d'instruction dans la
famille en mairie
n'est pas nécessairement le signe d'une carence
éducative mais peut résulter d'une simple négligence des
parents à l'égard de formalités administratives : une
qualification contraventionnelle de la 5e classe assortie d'une amende pouvant
aller jusqu'à 10.000 F apparaît suffisamment dissuasive et
plus réaliste qu'une qualification délictuelle.
Dans le même sens,
l'absentéisme scolaire
n'est pas
toujours la conséquence d'une volonté parentale
délibérée mais peut fréquemment résulter de
l'opposition d'adolescents difficiles, déjà indépendants
et réfractaires à l'institution scolaire, cette opposition
pouvant parfois difficilement être surmontée, notamment par les
familles monoparentales : il serait donc excessif de correctionnaliser
cette infraction et sans doute plus opportun de lui conserver son
caractère de contravention de la 2e classe.
Il conviendrait cependant de rétablir une peine aggravée en cas
de récidive : cette infraction pourrait alors être
sanctionnée des peines contraventionnelles de la 5e classe,
c'est-à-dire comporter une amende pouvant aller jusqu'à
10.000 F.
Il convient enfin de noter que ce dispositif contraventionnel n'est pas
exclusif et qu'une explication préalable avec les familles devra
être recherchée.
En revanche, compte tenu des enjeux de l'obligation scolaire, une incrimination
correctionnelle se justifie pour le
manquement à l'obligation
scolaire
qui résulterait du refus intentionnel de la famille
d'inscrire son enfant dans un établissement, en dépit d'une mise
en demeure de l'inspecteur d'académie.
Votre commission vous proposera de créer un délit
spécifique pour réprimer les manquements intentionnels à
cette obligation en prévoyant des peines délictuelles pouvant
aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 50.000 F d'amende.
2. Les sanctions prévues pour les directeurs d'établissements scolaires hors contrat
Dans un
souci d'efficacité, il apparaît nécessaire d'élargir
le champ du contrôle de l'Etat sur les établissements
privés hors contrat pour s'assurer que l'instruction obligatoire
dispensée à leurs élèves correspond à des
normes minimales.
Il en résulte logiquement que des sanctions doivent être
prévues pour les directeurs d'établissement comportant des
classes hors contrat, qui n'auraient pas pris les dispositions
nécessaires pour que l'enseignement qui y est dispensé soit
conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, et qui n'auraient pas
procédé à la fermeture de ces classes.
Votre commission vous proposera de punir ces comportements délictueux de
six mois d'emprisonnement et de 50.000 F d'amende.
Ce dispositif dissuasif permettrait ainsi de faciliter la fermeture des
établissements à visées sectaires qui détournent
l'instruction obligatoire de son objet.
3. La difficulté de réglementer le démarchage à domicile des enfants des sectes et la distribution de documents de propagande sur la voie publique.
Les
sanctions prévues par la proposition de loi de M. About concernant
l'emploi d'enfants mineurs pour le démarchage à domicile,
à des fins notamment idéologiques et la distribution de documents
de propagande sur la voie publique, si elles répondent au souci de
prévenir le prosélytisme des organisations sectaires, et d'en
protéger les enfants, apparaissent difficiles à mettre en oeuvre.
En outre, il paraît peu réaliste de soumettre à
autorisation préalable toute distribution de documents sur la voie
publique effectuée par des mineurs de 16 ans, et notamment au titre
de mouvements de jeunesse ou sportifs qui n'ont aucun lien avec les sectes.
*
* *
En
fonction de ces orientations, le texte adopté par la commission comporte
5 articles :
•
L'article premier
tend à modifier l'article 16 de
la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire afin de renforcer le
contrôle de l'enfant instruit dans sa famille ou dans un
établissement hors contrat.
Il tend d'abord à étendre l'enquête sommaire à
caractère social effectuée par la mairie auprès des
enfants instruits dans leur famille, cette enquête devant être
engagée le plus tôt possible et prolongée jusqu'au terme de
la scolarité obligatoire.
Il instaure un contrôle annuel systématique des connaissances de
tous les enfants instruits dans leur famille.
En cas de contrôle négatif, les parents devront scolariser leur
enfant dans un établissement d'enseignement public ou privé.
•
L'article 2
a pour objet d'autoriser
l'évaluation de l'enseignement dispensé dans les classes hors
contrat des établissements privés.
Il complète en conséquence l'article 2 de la loi
n° 59-1557 du 31 décembre 1959 en ajoutant d'abord
l'instruction obligatoire dans le champ du contrôle exercé par
l'Etat sur les établissements privés hors contrat.
Il instaure un contrôle éventuel de l'enseignement dispensé
dans les classes hors contrat et autorise les autorités
académiques à saisir le Procureur de la République des
atteintes répétées à l'instruction obligatoire.
Il complète en conséquence les article 9 et 35 de la loi Goblet
du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire en
précisant notamment que la liberté des directeurs d'écoles
privées hors contrat quant au choix des méthodes et des
programmes, est limitée par le nécessaire respect de l'objet de
l'instruction obligatoire.
•
L'article 3
concerne les atteintes les plus graves
portées au principe de l'instruction obligatoire :
- le manquement délibéré à l'obligation scolaire,
en dépit d'une mise en demeure de l'inspecteur d'académie
constituerait un délit puni de six mois d'emprisonnement et de 50.000 F
d'amende ;
- le directeur d'un établissement privé comportant des classes
hors contrat qui refuserait, après mise en demeure, de prendre les
mesures nécessaires pour que l'enseignement qui y est dispensé
soit conforme à l'objet de l'instruction obligatoire serait puni de six
mois d'emprisonnement et de 50.000 F d'amende, sauf fermeture de ces
classes ou de l'établissement.
•
L'article 4
prévoit que le défaut de
déclaration d'instruction dans la famille ou dans un
établissement privé hors contrat en mairie, constituerait une
contravention de la 5e classe.
Il précise ensuite que l'absentéisme scolaire
répété constituerait une contravention de la
2e classe, et de la 5e classe en cas de récidive.
Sous réserve de ces observations, votre commission vous demande
d'adopter les propositions de loi dans le texte résultant de ses
conclusions, et qui figure ci-après.