ANNEXE N° 7 -
AUDITION DE MME DOMINIQUE VOYNET,
MINISTRE
DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
ET DE L'ENVIRONNEMENT,
LE 6 MAI
1998
M. Jean FRANCOIS-PONCET, PRESIDENT.-
Nous
accueillons
maintenant Mme Dominique VOYNET, ministre de l'aménagement du territoire
et de l'environnement. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir bien voulu
répondre à notre invitation. Il s'agit d'une Commission
d'enquête, la loi me fait obligation de vous demander de prêter
serment...
Mme VOYNET
.- Je le jure et je dis d'ailleurs toujours la
vérité.
M. le PRESIDENT
.- Nous n'en doutions pas.
Vous savez dans quel contexte nous travaillons, puisque vous avez pris
connaissance des conditions dans lesquelles la Commission d'enquête avait
été créée par le Sénat.
Je voudrais vous soumettre trois indications que nous avons recueillies au
cours de notre enquête déjà avancée.
Lorsque le Directeur des Routes est venu devant nous, il nous a montré
un graphique qui révèle, entre autres, que si nous prenons
l'année 1980 comme base 100, nous sommes actuellement à 124 en
termes de surface autoroutière, et à 163 en termes de volume de
trafic.
En d'autres termes, le trafic a augmenté beaucoup plus vite que la
surface destinée à l'accueillir.
Cela nous amène à nous demander si cette constatation doit
inciter à freiner ou plutôt à accélérer la
construction autoroutière.
Deuxième observation. Nous avons consulté des entreprises de
transport combiné, nous nous sommes particulièrement
intéressés à ce transport, car nous pensons qu'il est une
des priorités que la nation doit se donner. Les responsables de ces
entreprises sur le terrain nous ont dit que le multimodal n'est pertinent que
pour les trajets supérieurs à 500 km, lesquels ne
représentent que 20 % du total du transport marchandises. A l'inverse,
la très grande majorité des trajets réalisés par
les poids lourds sur les autoroutes ont des longueurs inférieures ou
égales à 100 km.
Le transport combiné peut-il réellement permettre de soulager la
route ?
La dernière indication nous vient de la sécurité
routière. Elle date de février et fait état d'une
augmentation significative du nombre de tués. Or c'est principalement
sur le réseau routier ordinaire qu'ont lieu les accidents. De loin le
mode de transport le plus sûr est donc l'autoroute.
Je cite ces trois chiffres, un peu pour vous provoquer, mais ils sont
très solides et induisent nos interrogations.
Je vous donnerai une quatrième indication, venant celle-là de la
Direction du Trésor, sur l'équilibre financier.
Le système autoroutier est très endetté, mais en dehors de
deux liaisons, le tunnel de Fréjus et l'autoroute de Normandie, tout le
développement prévu dans le plan Balladur trouverait à se
financer dans des conditions tendues, mais normales, et le système
autoroutier serait en état de rembourser les dettes dans les
délais de concession qui lui sont aujourd'hui accordés.
Voilà quatre indications que nous avons recueillies autour de questions
que nous avons posées à des personnes différentes, mais
sur des sujets très voisins, afin de croiser leurs réponses.
Mme VOYNET
.- Vous me pardonnerez de ne pas entrer aussi vite dans le vif
du sujet et de ne pas répondre très directement à vos
questions. Evidemment j'ai relu avec attention l'argumentaire qui a conduit
à la mise en place de la Commission d'enquête et il semble que
certains éléments doivent être resitués dans leur
contexte.
Votre Commission est chargée d'examiner les conditions dans lesquelles
semblent remis en cause certains choix stratégiques concernant les
infrastructures de communication, les incidences qu'une telle remise en cause
pourrait avoir sur l'aménagement et le développement du
territoire français, notamment du point de vue de son insertion dans
l'Union.
Cette problématique renvoie à trois questions.
1) Y a-t-il eu depuis mai 97 des changements d'orientations en matière
de politique de transport ?
2) Quels éléments fondent les choix d'orientations
stratégiques du Gouvernement ?
3) Quelles incidences auront ces décisions sur l'aménagement et
le développement du territoire ?
La première question appelle une réponse clairement
positive : il y a bien eu, depuis notre arrivée, des changements
d'orientations en matière de politique de transport. Je crois d'ailleurs
qu'on ne devrait pas s'étonner que l'alternance politique se traduise
par des changements d'orientations dans la politique gouvernementale. C'est
même à cela que sert l'alternance en général.
Le secteur des transports, le développement des infrastructures de
communication notamment, ne se limite pas à la gestion technique de
procédures. Les choix en matière d'infrastructures traduisent
aussi dans la réalité des orientations générales
qui forment une politique des transports. C'est dans ce cadre que le
Gouvernement a effectivement remis en cause certains projets et en a
réévalué d'autres. J'y reviendrai sans doute, je pense
notamment au projet de franchissement de la barrière alpine. Cette
démarche est légitime, elle était indispensable et urgente.
Prenons la question des infrastructures ferroviaires.
Le schéma directeur national, approuvé le 1
er
avril
1992, ne traite que des lignes nouvelles à grande vitesse.
C'était alors l'axe stratégique de l'entreprise et la seule
préoccupation des pouvoirs publics.
Ce schéma présente un réseau comportant 4.700 km de lignes
nouvelles à grande vitesse. Au mois de juin 1997, 1.300 km sont en
service. Les deux branches du TGV Méditerranée (Valence-Marseille
et Valence-Nîmes) sont en chantier.
Par ailleurs, des études ont été engagées sur de
nombreux projets : TGV Est, Rhin-Rhône première phase,
Languedoc-Roussillon, Lyon-Turin, Bretagne-Pays de Loire et Aquitaine. Ces
différents projets représentent un investissement global
estimé à 84 milliards de francs, non compris le Lyon-Turin, d'une
ampleur particulière qui dépendra du choix de l'emplacement du
tunnel.
Or, la réforme de la SNCF intervenue en 1997 interdit la poursuite de
cette fuite en avant. Ces nouveaux projets ne pourront plus être
financés par l'endettement de la SNCF. Tous se caractérisent par
une faible rentabilité financière. Ils ne pourront se
réaliser que moyennant des concours publics couvrant une part importante
des coûts.
Dans le budget 1997, les ressources affectées au développement
des TGV ne s'élevaient initialement qu'à 500 millions de francs.
Ces sommes étaient insuffisantes pour couvrir les engagements de l'Etat
relatifs au TGV Méditerranée. De surcroît, une partie de
ces crédits servait à payer des études sur des projets
dont on ne savait pas quand et comment on les financerait.
On peut même, me semble-t-il, affirmer que l'octroi de sommes
conséquentes à la réalisation d'études avait
essentiellement pour objet de calmer l'ire et l'impatience d'un certain nombre
d'élus porteurs de ces projets, qui restaient dans les limbes.
Maintenir en apparence des objectifs ambitieux sans s'en donner les moyens,
malgré un changement des règles du jeu qui impose de nouveaux
modes de financement, n'était-ce pas déjà, sous une forme
insidieuse, les remettre en cause ?
Le Gouvernement s'est attaqué à cette difficulté.
Dès le budget 1998, il a augmenté les moyens financiers
consacrés au développement du réseau ferroviaire, qui
atteignent 1,3 milliard de francs hors transport combiné.
Il a pris des engagements clairs pour accroître encore les enveloppes
annuelles de 1 milliard de francs d'ici la fin des prochains contrats
Etat-Région.
Par ailleurs, il a réorienté la politique de développement
du réseau, au bénéfice de la modernisation et l'adaptation
du réseau classique, notamment parce qu'il considère que le
développement du fret ferroviaire constitue une priorité de la
politique des transports.
Pour autant, le Gouvernement n'a pas remis en cause de projets de TGV. Il a
confirmé la poursuite d'un programme maîtrisé de lignes
à grande vitesse, respectant nos engagements internationaux.
Il s'agit plus précisément des projets de lignes
Perpignan-Figueras et Lyon-Turin, avec une composante fret importante, du
projet de TGV Est, que Réseau Ferré de France devra optimiser
d'un point de vue technico-économique et environnemental, du projet de
TGV Rhin-Rhône, dont la première phase devra faire l'objet d'une
réalisation progressive, avec une ligne nouvelle se limitant dans un
premier temps à Besançon-Mulhouse.
Encore un mot sur l'état d'esprit dans lequel a travaillé le
Gouvernement. En effet, s'il a été réaffirmé son
attachement au projet de TGV Est, il a été en revanche
demandé deux choses :
1) le réexamen des modalités du montage financier,
2) l'optimisation de la liaison.
Le Gouvernement s'est interrogé sur un concept de train à grande
vitesse qui prévoyait la circulation de convois à une vitesse
commerciale de 400 km/h, alors que les matériels adaptés
n'existent pas, et que le choix technique de cette vitesse commerciale
générait en fait des courbes et des tracés dont l'impact
environnemental était important, et des localisations de gares qui
n'étaient pas forcément directement adaptées aux plus
grands besoins de la population.
Ce n'est pas remettre en cause que de proposer de réexaminer, alors que
des dossiers de ce type courent depuis des années, les conditions d'une
meilleure efficacité économique, d'un plus grand service rendu
aux populations et d'une plus grande rigueur budgétaire.
Passons maintenant aux infrastructures routières.
Le Conseil d'Etat a rappelé, avec la clarté qui s'attache aux
décisions de justice, que la directive 89/440, dite directive "travaux",
aurait dû être appliquée à compter du 22 juillet
1990. Ces remises en cause tardives risquent de coûter cher.
Lorsque les réglementations changent, il faut s'adapter rapidement.
Pressé de s'expliquer sur ses pratiques en matière de concessions
autoroutières, le précédent Gouvernement s'était
engagé, d'une part, à appliquer strictement la directive -ce qui
était la moindre des choses- d'autre part, à apurer avant le 31
décembre 1997 la situation des concessions pressenties avant
l'entrée en vigueur de la directive.
Même si certaines personnalités ont soutenu devant votre
Commission une analyse contraire, cette entrée en vigueur, sans doute
trop tardive, des textes communautaires comporte implicitement une remise en
cause du mode de dévolution à la française des concessions
autoroutières.
Le droit communautaire est un droit de la concurrence. L'obligation de
publicité ne se réduit pas à une obligation de pure forme.
L'égalité des chances entre les candidats interdit qu'un candidat
puisse, à la différence des autres, faire reposer une partie du
financement de l'ouvrage à construire sur les recettes procurées
par le reste de son réseau. Le déficit éventuel lié
à une section nouvelle doit être couvert par une subvention
publique.
Le Gouvernement a tiré les conséquences de cette situation. Le
biais artificiel en faveur de la réalisation d'autoroutes
concédées en apparence gratuite n'existant plus, il convenait de
s'interroger sérieusement sur divers projets comportant des atteintes
environnementales majeures et de lourds problèmes de financement comme
l'A51 ou l'A58.
Dans le même temps, le Gouvernement assurait la continuité de
l'Etat en passant, avant la date fatidique du 31 décembre 1997, des
avenants couvrant les projets pressentis déclarés
d'utilité publique.
Je ne m'étendrai pas sur l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône.
Rien, sauf des illusions fondées sur des analyses des années 50,
et qui voyaient l'avenir dans un rétroviseur, ne justifiait ce projet.
Son abandon explicite sanctionne une longue lutte qui avait su en
démontrer le caractère inutile, néfaste et dispendieux.
D'ailleurs, je peux le dire maintenant, il est peu d'hommes politiques, quelle
que soit leur étiquette, qui n'aient pas en tête à
tête justifié l'abandon de ce projet, même si publiquement
il leur est arrivé de déplorer les conditions dans lesquelles il
a été opéré.
Vous le voyez, le contexte économique et politique imposait des remises
en cause. Le Gouvernement ne se contente pas de subir les
événements, il procède à des remises en cause en
séparant SNCF et RFF, par exemple, il met en oeuvre de nouvelles
orientations politiques, tant en matière de transport que
d'aménagement du territoire.
Je reviendrai à la définition d'une nouvelle politique publique
des transports que j'appelle de mes voeux.
Mon collègue Jean-Claude Gayssot vous a entretenus des orientations du
Gouvernement visant à une politique de transport respectueuse des
exigences du développement durable.
Le 26 avril dernier, à Chester, à l'occasion d'un conseil
informel des ministres de l'Environnement et des Transports de l'Union
européenne, nous avons pu mesurer la forte convergence d'analyse et de
préoccupation de nos collègues.
La poursuite sur les tendances actuelles de l'évolution des transports
n'est pas durable. Diverses études de la Commission et de l'OCDE le
prouvent.
Les contributions de bon nombre de nos collègues de l'Union
européenne nous ont montré que la plupart d'entre eux partagent
notre analyse.
La contribution commune que Jean-Claude Gayssot et moi-même avons remise
à ce conseil, et qui pourrait, si vous le souhaitez, être
versée au nombre des documents mis à disposition de votre
Commission, développe l'ensemble des orientations qui doivent être
conjointement mises en oeuvre pour relever ces défis :
1) le renforcement des normes techniques applicables aux véhicules en
matière de consommation et d'émissions polluantes ou de gaz
à effet de serre, ainsi que celles relatives à la composition des
carburants ;
2) une meilleure répercussion des coûts directs et une
internalisation progressive des coûts externes, pour assurer une
concurrence équitable entre les modes, ces actions passant
prioritairement par une harmonisation sociale et fiscale ;
3) un développement prioritaire de l'offre de transport au
bénéfice des modes peu polluants : transports collectifs dans les
zones urbaines, fret ferroviaire, cabotage maritime et navigation fluviale,
transport combiné, notamment au niveau des réseaux
transeuropéens.
Vous pouvez donc être pleinement rassurés : les choix de
développement des réseaux du Gouvernement s'inscrivent dans une
perspective européenne.
Ces orientations en matière de transport recoupent celles nouvelles en
matière de politique d'aménagement du territoire que j'ai
impulsées, et qu'explicite l'avant-projet de loi que j'ai remis il y a
quelques semaines au Premier ministre. J'espère avoir l'honneur de le
défendre prochainement devant votre assemblée.
Les orientations politiques de mon projet visent à réduire les
inégalités territoriales, à consolider la
décentralisation, à jeter les bases du développement
durable.
Pour ce qui concerne la question des transports, qui vous intéresse plus
particulièrement, la première innovation concerne les
schémas. Les cinq schémas d'infrastructures prévus par la
loi de 1995 (schéma directeur routier national, schéma directeur
des voies navigables, schéma directeur du réseau ferroviaire,
schéma des ports maritimes, schéma des infrastructures
aéroportuaires) seront remplacés par deux schémas de
services collectifs de transport, l'un pour les voyageurs, l'autre pour les
marchandises, élaborés conjointement dans une logique intermodale.
Cela exige de nous de nouvelles méthodes de travail, un
décloisonnement entre les services qui devra déboucher sur des
approches inédites.
Les redondances et les concurrences contenues entre infrastructures diverses
sur de mêmes parcours pourront être évitées. Les
complémentarités entre modes, notamment dans le domaine du
transport combiné, seront systématiquement exploitées.
L'autre modification est au moins aussi importante. Je veux parler du passage
de schémas d'infrastructures à des schémas de services. En
matière de transports collectifs, vous savez mieux que moi combien est
illusoire une approche en termes d'infrastructures. Que signifie l'ajout sur
une carte d'un tracé indicatif d'une infrastructure ferroviaire nouvelle
? Ce qui fait la qualité du service nouveau offert à l'usager, ce
sont, au-delà du seul tracé et des possibilités
financières, les horaires, les fréquences, les correspondances,
les matériels utilisés, et bien d'autres éléments.
De même, vous savez bien que l'indice de satisfaction vis-à-vis de
l'élaboration de schémas d'infrastructures, tant pour les
élus demandeurs que pour les services ou les opérateurs, est
réglé sur le nombre d'infrastructures nouvelles venant s'inscrire
sur la carte.
C'est une dynamique du "toujours plus", qui ignore fondamentalement les
ressources ouvertes par une meilleure exploitation du patrimoine existant. Or,
si on s'intéresse d'abord aux services rendus aux usagers, on sait bien
que l'amélioration de l'exploitation et l'optimisation du réseau
existant recèlent des potentialités considérables qu'il ne
faut pas occulter au seul bénéfice de la création de
nouvelles infrastructures.
Ma volonté est de partir de l'évaluation des besoins en
matière de mobilité, pour définir les objectifs de
services que la collectivité nationale se propose de poursuivre et en
déduire les moyens permettant d'y arriver.
Ces schémas seront élaborés à l'issue d'une phase
de concertation territoriale, qui sera engagée quand le projet de loi
aura été déposé au Parlement. Je compte sur vos
contributions pour que soit tiré le meilleur parti de cette nouvelle
approche intermodale et de service.
Mais on ne peut pas tout attendre du niveau national. Cet exercice de
planification des schémas nationaux doit être relayé sur le
terrain. C'est pourquoi je propose un renforcement de l'initiative
régionale en la matière à travers les schémas
régionaux.
Il est assigné aux schémas régionaux de transports les
mêmes caractéristiques qu'aux schémas nationaux qu'ils
précisent et prolongent : intermodalité et approche en termes de
service rendu. La Région devra donc réunir les diverses
autorités organisatrices pour rechercher les
complémentarités et les coopérations qui améliorent
le mieux le service rendu aux usagers des transports collectifs.
Comme je vous l'ai indiqué, notre projet de loi se fonde sur le
développement durable, dont les exigences seront inscrites dans les
premiers articles de la loi d'orientation des transports intérieurs.
Ces inflexions des politiques des transports et d'aménagement du
territoire se traduisent, quand cela est nécessaire, par des remises en
cause de partis pris d'aménagement et, ce qui n'est pas sans lien bien
sûr, par des redéploiements de ressources financières.
Les conditions dans lesquelles interviennent ces changements sont celles
prévues et organisées par notre régime démocratique
:la convergence d'un contexte changeant, de défis nouveaux,
d'orientations politiques nouvelles approuvées par les électeurs
et mises en oeuvre par un Gouvernement disposant de la confiance de
l'Assemblée Nationale.
Je vous remercie d'avoir bien voulu écouter ce long exposé
préliminaire. Si vous me le permettez, je voudrais juste, avant de vous
laisser la parole, dire quelques mots en réponse aux questions plus
précises évoquées par le Président de votre
Commission d'enquête.
Un terme m'a frappée dans son intervention, le terme "priorité".
En effet, il a signalé que le transport combiné apparaissait aux
membres de cette Commission comme une priorité.
Je suis extrêmement étonnée de voir finalement que les
diverses personnes qui se relaient dans mon bureau et avec lesquelles j'ai des
contacts fréquents -parlementaires, élus de grandes villes,
responsables de région ou de département, entreprises,
associations- me déclinent les priorités. Je me rends compte que
tout est prioritaire : priorité à la résorption des points
noirs du bruit et de l'insécurité, priorité à la
poursuite du schéma autoroutier, priorité au rail,
priorité aux grandes lignes, permettant d'assurer la circulation
privilégiée de marchandises, notamment par le biais de corridors
ferroviaires, priorité aux plates-formes intermodales, au transport
combiné, au franchissement des massifs par voie ferroviaire et non plus
exclusivement routière, priorité à la réalisation
du réseau fluvial, etc.
Une de nos maladies est justement d'être incapables de
hiérarchiser ces priorités. C'est pour répondre en partie
à la question que nous avons souhaité renoncer à faire
rêver les élus, par le maintien de schémas
infinançables dans les conditions budgétaires actuelles et
notamment de la construction européenne, et mettre en place une approche
intermodale pour les schémas de transports afin de permettre de ne plus
mettre en concurrence, pour les mêmes usages et sur les mêmes axes,
les infrastructures lourdes fort coûteuses.
Notre souci est vraiment de rationaliser l'usage des moyens dont nous disposons
sur le plan financier, et de répondre en priorité aux besoins de
la population. A cet égard, nous aurons à discuter de
façon très précise d'orientations des prochains contrats
de plan, qui constituent traditionnellement des outils non seulement
budgétaires, mais aussi intellectuels très précieux,
puisque c'est l'occasion d'une discussion approfondie entre l'Etat, les
régions et ce qu'on appelle avec un peu d'inadéquation les
collectivités locales de moindre rang. On sait bien pourtant que les
budgets des départements sont supérieurs à ceux des
régions en général, et qu'ils jouent un rôle
important dans la discussion des contrats.
Je souhaite vraiment aller au fond, et que les collectivités ne
présentent plus des catalogues de voeux infinançables à
l'Etat, mais soient capables d'indiquer leurs priorités, l'usage, le
contenu en emplois, et leur contribution financière.
Je veux évoquer aussi les grandes difficultés que nous avons
à appréhender l'avenir et ses évolutions.
Je ne voudrais pas faire de parallèle hâtif avec ce qui s'est
passé dans le domaine de l'énergie, mais enfin la tradition
française est souvent de prolonger des courbes, en faisant l'impasse sur
l'évolution de celles pouvant être obtenues par de la
volonté politique et des offres alternatives aux tendances lourdes
constatées spontanément.
Ainsi, par exemple, on avait dessiné dans les années 70 au moment
de la crise pétrolière, des courbes exponentielles de croissance
de la consommation énergétique qui se sont
révélées fausses, parce qu'il y a eu une implication forte
des pouvoirs publics dans une politique de maîtrise de l'énergie.
Aujourd'hui on est à peu près dans la même situation. Se
contente-t-on de prolonger les courbes présentées par la
Direction des Routes ? Jean-Claude Gayssot lui-même pense que ce n'est
pas possible, et que les modèles mathématiques qui utiliseraient
une seule variable, le coût du transport routier, ne sont pas
intelligents et ne permettent pas d'appréhender finement l'avenir.
Il faut agir sur plusieurs variables : le coût du transport routier,
notamment à travers l'évolution du contexte social de ce secteur,
mais aussi les perspectives de gains de productivité dans le secteur
ferroviaire, médiocres pendant longtemps, mais dont je suis bien
convaincue qu'elles existent et qu'il faut absolument les utiliser, enfin,
l'internalisation des coûts, c'est-à-dire la prise en compte des
effets négatifs induits.
La suppression des espaces agricoles, les accidents, le bruit, la pollution, le
coût en devises de l'achat de carburant, etc, tout doit être pris
en compte dans l'évaluation de l'efficacité économique et
sociale des différents modes de transport. Aujourd'hui on n'est pas
très bien outillé sur le plan des modèles et des outils de
prospective pour dessiner l'avenir.
M. le PRESIDENT
.- Votre présentation m'inspire deux ou trois
commentaires. Je veux d'abord vous remercier de la netteté de votre
propos. J'y puise la justification de notre Commission d'enquête.
Vous avez bien dit : "nous changeons de politique". C'est bien notre sentiment.
C'est pourquoi notre Commission a été constituée. Il est
bon que vous l'ayez affirmé avec autant de clarté. J'ai
même senti un peu de provocation, mais tant mieux, c'est clair, il y a
une majorité, un Parlement, vous changez de politique, c'est très
bien. Toute la question consiste à savoir quelle va être cette
politique.
Concernant les schémas de train à grande vitesse, la carte qui en
avait été dressée à un moment n'était que
potentielle, puisque la plupart des tracés n'ont pas été
mis à l'étude. Il est exact que ces schémas ne peuvent pas
être réalisés, certains seulement peuvent l'être,
d'autres posent probablement des problèmes, et nous serons
amenés, je le pense, à indiquer, que pour une série de
trajets, les trains pendulaires peuvent avoir leur intérêt.
Vous n'en avez pas dit autant, et je vous en remercie, sinon vous vous seriez
mise en contradiction avec ce que nous avons entendu, des schémas
autoroutiers.
Celui retenu à l'époque par le Gouvernement Balladur est,
à quelques exceptions près, finançable. Cela ne signifie
pas qu'il soit obligé de le faire, le Gouvernement peut parfaitement
changer de politique, mais pas sur la base d'un argument financier. Vous ne
l'avez pas invoqué et je vous en remercie.
Vous n'avez répondu à aucune de mes questions, donc j'y
reviendrai. Mais avant, vous avez parlé des schémas de services.
Vous avez indiqué qu'ils feraient l'objet d'une concertation aux niveaux
régional et inter-régional. C'est très positif, parce que
cela permettra aux Conseils Régionaux -et j'espère qu'ils
consulteront les départements- de s'exprimer.
Il serait tout à fait paradoxal que ces schémas soient soumis aux
régions et pas au Parlement. Feront-ils l'objet d'une décision
législative ? Nous le souhaitons.
Je comprendrais difficilement qu'on consulte les régions et qu'on ignore
le Parlement. S'il est consulté, il aura manifestement à se
prononcer.
Est-ce que ces schémas de services seront soumis à son
vote ? J'aimerais une réponse très concrète.
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt vos propos. Je suis d'accord
avec vous, il ne faut pas rêver. Ce n'est pas du tout notre intention,
d'ailleurs pas plus dans un sens que dans l'autre.
Parmi les observations que vous avez formulées, vous avez
mentionné une série de considérations, les coûts
qu'il faut internaliser dans le calcul de rentabilité au sens
très large des infrastructures de désenclavement.
J'ai été surpris parce que vous n'avez pas parlé d'une
donnée, le développement économique local. Je vous ai
entendu parler du bruit et d'autres éléments très
importants et auxquels nos concitoyens sont très sensibles. Je crois que
je mentirais en disant qu'ils ne le sont pas également au
développement économique, qui nous paraît absolument
déterminant. Quelle est la dose d'enclavement qui empêche le
développement ou le freine ? Et quelle est celle de
désenclavement, par grands axes autoroutiers reliant les régions
à l'Europe, nécessaire pour le développement ?
Je vous ai posé trois questions, je les répète.
1) Le Directeur des Routes nous a montré un graphique qui indique qu'en
prenant 1980 comme base 100, nous sommes en surface autoroutière
à 124 et en volume de trafic à 163. Nous assistons donc à
une densification préoccupante. Comment allons-nous traiter ce
problème ?
2) Le transport combiné est une priorité dans notre esprit comme
le développement durable. J'entends que tout à coup on
découvre celui-ci, c'est une espèce de révélation
fantastique d'un nouveau Gouvernement. Non, nous en sommes tous partisans,
permettez-moi de vous le dire, nous autant que vous, et nous sommes à
l'écoute des populations, nous sommes tous des élus locaux.
Ceci dit, le transport combiné, nous ont dit les responsables de ces
entreprises, n'est pertinent que pour les trajets supérieurs à
500 km, il ne représente que 20 % du total des transports de
marchandises, la très grande majorité du trafic poids lourds sur
les autoroutes s'effectue sur des trajets inférieurs ou égaux
à 100 km. Par conséquent, le transport combiné est
prioritaire, mais ne s'applique qu'à 20 % de la globalité.
Voilà deux questions concrètes sur lesquelles j'aimerais avoir
vos réponses.
Mme VOYNET
.- Je vais être encore plus provocatrice, Monsieur le
Président.
M. le PRESIDENT
.- Je m'y attendais.
Mme VOYNET
.- Quand on dit "on change de politique", cela ne signifie pas
qu'on a moins d'ambition, mais qu'on arrête de faire semblant. On
affronte avec lucidité les problèmes budgétaires, on
arbitre, et on dit, comme vous-même il y a quelques instants, qu'on ne
fera pas tout ce que l'on veut faire tout de suite.
Il me semble que c'est une singulière maladie que celle qui nous frappe,
je le répète, qui a si longtemps permis de faire le consensus, et
singulièrement de faire adopter à l'Assemblée Nationale et
dans votre assemblée des projets de schémas de d'infrastructures
par addition. Ce n'est pas faire insulte aux parlementaires que de dire que
c'est une pratique fréquente que de subordonner le soutien à un
schéma à la prise en compte d'un projet de plus concernant
spécialement la circonscription, le département ou la
région.
D'ailleurs, j'avoue bien volontiers qu'à la place des parlementaires, je
n'échapperais pas non plus à ce travers.
M. le PRESIDENT
.- Permettez-moi de vous interrompre une seconde. Jamais
les schémas n'ont été soumis au Parlement, et nous le
demandons. Les collectivités territoriales n'ont jamais
été consultées non plus. M. Pons, quand il était
ministre des Transports, avait annoncé une grande consultation locale.
J'avais dit : "En conséquence, vous allez le soumettre au Parlement".
Mais dans le passé cela n'a jamais été le cas.
M. FATOUS
.- Les projets n'étaient pas financés.
M. le PRESIDENT
.- Il n'y a pas de schéma Balladur, c'était
le schéma Méhaignerie. Il a simplement dit que sa
réalisation serait accélérée. Et les financements
sont possibles, mais ce n'est pas vrai du schéma ferroviaire.
Mme VOYNET
.- Si je comprends bien, la Commission est en train
d'auditionner son Président qui a une opinion bien arrêtée,
ce n'est d'ailleurs pas la mienne.
Nous pourrions débattre entre nous, mais dans ce cas je n'aurai pas
forcément le temps de répondre aux questions posées. J'ai
déjà, je crois, donné mon accord pour venir plancher
devant vous pour représenter les projets de loi d'orientations
d'aménagement durable du territoire, je suis d'accord pour le faire,
mais si je veux en rester au sujet de la Commission d'enquête, je vais
apporter les réponses, sans les fuir, aux deux questions précises
que vous avez formulées tout à l'heure.
Le schéma autoroutier n'est finançable que dans un contexte
particulier. Or il me semble avoir dit très clairement qu'il avait
changé au niveau européen.
Si on veut être extrêmement rigoureux dans l'utilité des
fonds publics, on doit aussi prendre en compte le fait qu'à
côté du concept autoroutier tel qu'il est mis en oeuvre par le
ministère de l'Equipement, des Transports, il est d'autres concepts,
dans les zones où le trafic est moins important, où la
géographie est plus exigeante et génère des coûts
très lourds, qu'il pourrait être plus important de
développer, comme par exemple deux fois deux voies ou des autoroutes
moins larges.
Il pourrait être intéressant aussi de prendre en compte le fait
que quand on développe en concurrence des infrastructures lourdes sur
les mêmes axes, elles se handicapent mutuellement. Ainsi la
rentabilité d'un TGV peut être affectée de 20 à 30 %
si on construit en parallèle une autoroute, qui vole une partie du
trafic.
Je ne suis pas en état de répondre par oui ou par non à la
question "faut-il accélérer le programme autoroutier ?". Il faut
le réexaminer tronçon par tronçon, en fonction du
coût, du contexte géographique, etc.
En revanche, je ne souhaite pas raisonner de façon purement
mécanique. La phrase qui, dans la loi Pasqua, disait qu'aucun point du
territoire ne devait être à plus de 50 km d'une autoroute et plus
de 45 minutes d'une gare TGV me paraît surréaliste.
Est-on en état de promettre à tous les points des montagnes des
équipements autoroutiers à 150 MF le kilomètre pour
desservir quelques centaines ou quelques milliers d'habitants ? Ce n'est pas
faire insulte au monde rural que de dire que c'est un mythe, une vue de
l'esprit, une façon de manifester de manière un peu chaotique un
intérêt pour la desserte de ces populations.
Quand j'ai parlé de réponses aux besoins, ce n'étaient pas
simplement ceux des individus de se déplacer pour rencontrer leurs amis
le week-end ou partir en vacances, mais j'incluais évidemment ceux des
entreprises et les contraintes économiques.
Permettez-moi de dire qu'un des éléments très importants
de nos choix en matière d'infrastructures est le contenu en emplois des
travaux. Il me semble absolument fondamental de choisir les investissements et
les modalités qui permettent de créer ou de maintenir le maximum
de postes.
Je m'intéresse beaucoup à l'alchimie subtile qui lie desserte
d'un territoire et développement économique. En effet, et pour ne
parler que de ce que je connais bien, je vis dans une région où
les zones d'intense vitalité économique sont paradoxalement
très enclavées. La petite vallée de Moirans-en-Montagne
où on fabrique près d'un tiers ou la moitié des jouets
français est extraordinairement mal desservie sur un plan ferroviaire et
routier. Alors que je vis dans une ville d'un peu moins de 30.000 habitants,
desservie par deux autoroutes qui se croisent, à deux heures de TGV de
Paris, avec un aéroport de stature régionale, et un canal
Freyssinet, dont je n'ai pas considéré qu'il était
prioritaire de le mettre à 4.000 tonnes de gabarit, cette petite ville a
un mal fou à décoller sur un plan économique.
Je pense que les maires des villes moyennes, il y a quelques années,
avaient notamment voté une motion qui insistait sur
l'ambiguïté de l'apport du TGV, en disant : "il peut apporter des
richesses, mais aussi faciliter le départ de certaines forces vives ou
des jeunes". A une heure ou même une heure trente de Paris, comme Dijon
par exemple, on peut aussi subir une sorte de " banlieurisation " qui
fait fuir matière grise et capitaux vers des villes plus grandes.
Nous devons travailler sur les conditions du développement local,
l'infrastructure de façon évidente est une des pistes. La
consolidation demande autre chose.
C'est d'ailleurs hors sujet pour votre Commission, je ne suis pas convaincue
que l'utilisation qui a été faite jusqu'à présent
des outils financiers de la DATAR ait été d'une grande aide pour
consolider le développement économique. Je me suis donc
attachée à réorienter leur emploi.
Comment soulager la route, devant le constat que vous avez dressé ?
Probablement en se donnant les moyens de redéployer une partie du trafic
vers le fer. Vous avez très justement souligné qu'une
minorité seulement des poids lourds effectuait des trajets de plus de
500 km. Il faut en être conscient, si tel est le cas, en
général ils n'utilisent pas l'autoroute, y compris quand elle
existe, parce qu'il faut aller la chercher en dehors des villes et des points
de livraison, il faut payer le péage, et rejoindre le lieu de desserte
à la sortie.
On finance en France simultanément et en concurrence des tronçons
autoroutiers payants et l'entretien de routes nationales ou
départementales, sur les mêmes axes qui sont gratuits et qui
conservent de ce fait un pouvoir d'attraction très fort, alors que sur
le plan de la sécurité, du bruit, de la nuisance, tout ne peut
pas être financé pour améliorer la situation.
M. le PRESIDENT
.- Je vous remercie de vos réponses. Je laisse la
parole au rapporteur.
M. LARCHER.
- Vous nous parlez de hiérarchisation, de
priorités. Quelles seraient celles que le ministre de
l'Aménagement du Territoire dégagerait dans une perspective
à quinze ans, dans le schéma de service, fret ferré ou non
? Comment joindre le sillon du Rhin à celui du Rhône et aux ports
? Peut-on envisager une voie dédiée au fret dans un schéma
d'organisation d'une autre nature ?
Il faut rappeler qu'un TGV libère aussi des sillons pour le fret et donc
de ce fait peut générer des activités économiques.
Dans les schémas intermodaux de services collectifs que le projet de loi
que nous connaissons va dégager, quelle prescription et quelle valeur
normative allez-vous donner ?
Je m'associe aux propos du Président sur l'association du Parlement
à ces décisions.
Question concrète : priorités, échange ?
Vous avez dit "nous souhaitons rétablir les conditions de concurrence
équilibrée entre les modes". Naturellement je vais parler tout de
suite du transport de fret entre les modes autoroutier, ferré et fluvial.
40 % du transport de fret, sur moyenne et longue distances, appartiennent
à des sociétés néerlandaises en Europe. Est-ce que
le rééquilibrage national des conditions sociales n'a pas de sens
s'il n'est pas une décision européenne ? Car évidemment
nous verrons les Néerlandais regarder avec beaucoup d'appétit ce
qui se passe, et d'ailleurs ils sont en train de racheter les ports le long du
Danube, notamment trois roumains, dans lesquels ils ont pris des
intérêts importants le mois dernier.
Même si le fluvial ne leur apparaît pas toujours comme le mode
premier du développement, ils parient dessus et ils font en même
temps des plates-formes multimodales dans lesquelles ils investissent.
Pensez-vous que la dimension européenne sera la réponse à
la concurrence entre les modes ?
Enfin, aujourd'hui, dans l'état actuel du réseau, imaginons que
nous investissions trois fois plus que jusque-là. En effet, pour lever
le noeud de Lyon, pour créer un réseau de fret réel pour
éviter qu'Anvers ne soit le premier port français, pour relier
Marseille convenablement à Strasbourg et à Bâle, pour faire
sauter le noeud existant dans la région Languedoc-Roussillon, il faut
vingt milliards. A raison d'un milliard par an, il faut vingt ans.
Envisagez-vous une priorité ? Dans les vingt prochaines années,
le schéma d'insertion sur Nantes, qui constitue notre
préoccupation, ne servira que de plaque tournante ou sera plaque de
blocage.
Comment réagissez-vous au fait qu'à Bruxelles, mais aussi selon
les directeurs des ports de Rotterdam, d'Anvers ou d'Europe du Nord, jamais
aucun schéma de fret, ni ferré, ni fluvial, ne passe par la
France ?
Enfin, dans quel ordre de priorité placez-vous le TGV Est et le canal
Seine-Nord par rapport aux besoins de financement en fret, que j'ai
évoqués précédemment pour le ferré ?
Le problème du fret est directement posé, me semble-t-il, dans
l'équilibre entre les modes de transport.
Mme VOYNET
.- Merci de toutes ces questions.
Je commencerai par les ports, parce qu'il me semble que c'est un sujet qui
répond à d'autres questions induites par votre intervention.
La France, jusqu'à maintenant, n'a pas eu une politique portuaire
suffisamment claire. Les travaux ont été menés le plus
souvent au coup par coup, sans vision d'ensemble. Quand on constate qu'on perd
des parts de marché face à d'autres pôles européens,
il faut s'interroger sur l'offre de services présentée aux
armateurs et chargeurs. Celle-ci est-elle cohérente à
l'échelle du territoire, fondée sur des logiques de
coopération et complémentaire entre ports ? Ou est-elle
illisible ?
Je voyage assez peu parce que je pense qu'on attend plus de moi que je
travaille dans mon bureau sur les dossiers. Mais quand je suis allée
à Kyoto, j'ai eu l'occasion de rencontrer quelques industriels japonais.
Vu de Kyoto, d'Ottawa, de Singapour ou Bombay, y a-t-il un sens à offrir
Dunkerque ou Saint-Nazaire ou Nantes ou Rouen ou Le Havre ou Marseille ? Je
n'en suis pas sûre.
Face à l'évidente clarté de l'offre néerlandaise,
plutôt que de répondre au coup par coup aux besoins des ports, on
aurait vraiment intérêt à avoir une discussion sur la
politique portuaire de la France, pour clarifier les affectations de ces ports,
les équipements nécessaires, et les efforts menés au
niveau international pour rendre lisible l'offre.
Il est certain qu'aucune réalisation fluviale transbassins ou transmer
n'est de nature à renforcer l'offre portuaire française
actuellement.
Quand on soulignait l'absence du chaînon manquant sur quelques centaines
de kilomètres entre la vallée du Rhin et celle du Rhône, on
précisait que sa réalisation pourrait permettre le
décollage du port de Marseille, sans se demander pourquoi ce maillon ne
manquait pas à Rotterdam, à l'autre extrémité de
cet itinéraire. On sait que les difficultés du port de Marseille
sont liées à ses conditions d'exploitation, et à la longue
crise des personnels autant qu'à l'absence de réalisation du
canal Rhin-Rhône.
Je pense très important d'assurer des liaisons efficaces sur l'axe
nord-sud, à la fois pour les personnes et les marchandises. Concernant
ces dernières, la SNCF a déjà précisé
qu'elle était capable, moyennant quelques centaines de millions de
francs -je crois 200 à 300 MF- de mettre au gabarit B+ la ligne
entre Strasbourg et Lyon, pour permettre de faire circuler des conteneurs
maritimes.
Une faiblesse actuelle me semble liée au fait que bien des
collectivités développent en concurrence des projets de
plates-formes intermodales, alors qu'il n'est pas vraiment sérieux
d'imaginer qu'il pourrait y en avoir une tous les 30 km. Il va falloir que
l'Etat dise son mot sur leur éventuelle localisation.
Concernant le transport des personnes, je voudrais affirmer ma conviction qu'il
y a un espace entre le rien du tout et la dégradation du réseau
conventionnel, et le TGV sur voie nouvelle sur l'ensemble d'un tracé.
C'est particulièrement vrai pour le TGV Rhin-Rhône. Et là,
je voudrais citer quelques chiffres. Dans le dossier de cette mission, deux
chiffres frappent l'imagination : Mulhouse-Dijon par TGV : 1 h 10,
Mulhouse-Dijon avec le train actuel : le meilleur temps est de 2 h 50. Gagner 1
h 40 est phénoménal.
Ensuite, on se rend compte que la meilleure desserte actuelle prévoit de
nombreux arrêts, dont parfois la durée excède dix minutes,
avec la nécessité de changer de train en gare de Besançon.
Si on compare ce qui est comparable, c'est-à-dire Dijon-Mulhouse sans
arrêt par TGV ou par la voie conventionnelle avec le matériel
existant, on compare des trajets de 1 h 10 et de 2 h 10, et le gain n'est plus
que d'une heure. On a déjà gagné quarante minutes sans
dépenser un sou.
Où le train conventionnel circule-t-il à basse vitesse ? En
effet, c'est sur ces tronçons-là que l'amélioration est
susceptible de faire gagner des minutes. On se rend compte qu'à de
nombreux endroits, moyennant la réalisation de quelques
kilomètres de voie nouvelle, on peut gagner de précieuses minutes
complémentaires.
Vaut-il mieux commencer dès le prochain contrat de plan à
améliorer le service rendu, le matériel roulant et les points
noirs du tracé, ou attendre un TGV pendant vingt ans, en laissant se
dégrader le service actuel, dont on sait pourtant qu'il sera fondamental
si on veut articuler un service TGV grandes lignes avec un réseau
régional de bonne qualité ?
On pose souvent mal la question. Il n'y a pas ceux qui sont pour le
progrès, pour le TGV, et ceux qui veulent vivre dans des cavernes en
s'éclairant à la bougie, et qui seraient contre, mais il y a ceux
qui pensent que pour les sommes considérables que cela coûte, on
doit rendre le meilleur service possible.
Pour un peu moins de milliards et quelques minutes de plus, je pense qu'on peut
rendre des services considérables. Je conçois que nos engagements
européens, avec notamment celui de réaliser le TGV Est en
échange de la confirmation du rôle de capitale européenne
de Strasbourg, aient pu conduire les gouvernements successifs à
raisonner autrement. A titre personnel, je reste raisonnablement critique sur
ce dossier, mais la décision ayant été prise, je m'y suis
évidemment ralliée.
Concernant le canal Seine-Nord, je pense que c'est un dossier beaucoup plus
intéressant que ne l'était le canal Rhin-Rhône, pour un
motif essentiel : il se situe sur une zone géographiquement plus plate,
avec un réseau de voies fluviales plus consistant.
Cela dit, je ne méconnais pas un risque important, qui consiste en un
effet de vol de fret aux ports de Rouen et du Havre, je pense que cela
nécessite une mûre réflexion. Je ne suis pas convaincue
qu'on draine du trafic supplémentaire, mais qu'on puisse mettre en
danger des ports en assurant une liaison directe avec l'Ile-de-France, c'est un
point sur lequel le Président de l'Assemblée Nationale est
très vigilant...
M. LARCHER
.- Il a des préoccupations très locales, ce qui
est légitime.
Mme VOYNET
.- Je pense qu'il relayait les préoccupations de bien
des élus et des corps de métiers. Je sais que c'est aussi la
position de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre, qui
s'inquiète beaucoup.
M. LARCHER
.- C'était par rapport à vos propos
antérieurs sur les parlementaires.
Mme VOYNET
.- J'écoute les préoccupations, mais à un
moment donné il faut savoir dire si c'est une vraie question ou pas.
Notre souci de développement de l'espace français est un souci
d'équilibre. Il faut que ce soit un jeu à somme positive
où tout le monde gagne.
Si vous me demandiez s'il y avait des travaux auxquels j'étais plus
personnellement attachée, j'insisterais sur la consolidation de l'offre
transport combiné, sur les conditions du franchissement des massifs,
alpin et pyrénéen.
Aujourd'hui la révolte gronde dans les vallées soumises au flux
continu des poids lourds, dont beaucoup d'ailleurs ne font que du transit. On
utilise le territoire national. S'il n'y a pas de logique d'internalisation des
coûts, les profits sont pour nos partenaires européens, et les
contraintes, le bruit, les nuisances, les accidents pour nous. Il y a une
façon de répondre qui peut être très
européenne en améliorant l'offre ferroviaire.
J'ajouterai à cette liste la nécessité probable de
réaliser le barreau sud de l'interconnexion TGV entre les réseaux
Ouest et Est de la France. Je ne trouve pas très satisfaisant de voir se
concentrer les infrastructures sur l'Est. Il faut aussi que l'Ouest
bénéficie pleinement de l'effet réseau du TGV pour
éviter que les régions ne se sentent s'éloigner de
l'espace français.
J'aurai tendance aussi à dire que nous ne devrions pas attendre trop
longtemps avant de faire des travaux significatifs sur la liaison
Bordeaux-Hendaye, très accidentogène.
J'ai aussi envie, dans la perspective des contrats de plan, qu'on soit capable
de monter un programme qui pour les routes privilégierait la
résorption des points noirs du bruit -cela fait l'objet de dizaines de
milliers de lettres chaque année, à destination des
ministères des Transports et de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement- et de certains points noirs de sécurité qui sont
prioritaires.
J'ajouterai la volonté de poursuivre et d'approfondir les
coopérations dans le domaine ferroviaire entre l'Etat et les
régions, pour améliorer les conditions de desserte quotidienne
des usagers du réseau régional.
Je listerai également un volet concernant les transports collectifs dans
les agglomérations. Aujourd'hui le problème de circulation dans
les zones urbaines a un coût économique et sanitaire absolument
considérable.
M. le PRESIDENT
.- Une observation. Je vous ai entendu dire deux ou trois
choses qui m'amènent, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, à
indiquer que nous ne sommes pas du tout sur la ligne consistant à dire
qu'il ne faut rien changer, que le contexte n'a pas évolué, et
que la poursuite et la continuité sont les seules idées qui
doivent l'emporter.
Vous avez parlé d'autoroutes avec des spécifications
simplifiées. C'est une idée que nous regardons de très
près. Vous pourriez avoir des surprises heureuses dans notre rapport.
De même, je partage entièrement votre idée qu'avant de se
lancer dans un nouveau tracé de chemin de fer à grande vitesse,
on ferait mieux d'étudier si l'investissement vaut les quelques minutes
gagnées. J'ai les plus grands doutes.
Un train rapide sur une ligne existante, en l'améliorant et en regardant
le train pendulaire, nous sommes tout à fait pour.
Nous ne rêvons pas, nous voulons nous aussi que les projets soient
poursuivis.
De même, je vous ai entendu parler des liaisons transalpines et
transpyrénéennes, elles sont en effet fondamentales et elles
peuvent passer par le train. Peut-être les tunnels et le réseau
ferré qui transporterait les camions vaudraient-ils la peine
d'être étudiés.
Il ne faudrait pas penser que nous sommes sur des lignes consistant à
nous arc-bouter. Ce qui nous préoccupe, ce sont l'aménagement du
territoire et le désenclavement encore nécessaire et fondamental,
sans lequel il n'y aura pas de développement. Il n'amène pas
automatiquement le développement, certes.
On pourrait évidemment citer beaucoup d'exemples contraires. Notre
religion est simple : sans désenclavement il n'y a pas de
développements nouveaux en général, les anciens survivent,
bien sûr, parce qu'il y a des traditions, une main-d'oeuvre, etc. Le
désenclavement seul n'engendre jamais le développement. C'est une
politique d'ensemble dans laquelle le désenclavement est indispensable.
Mme VOYNET
.- Chacun utilise le vocabulaire qu'il souhaite. Je m'applique
à ne plus dire désenclavement, mais à
préférer le mot desserte, qui me paraît correspondre
à l'idée d'apporter une réponse à un besoin
exprimé sur un territoire.
Le mot désenclavement a été utilisé un peu
"à toutes les sauces", comme ceux de développement durable.
Derrière il y a bien l'idée de répondre à un besoin
et de ne pas plaquer une solution, toujours la même, c'est-à-dire
la traversée de l'autoroute, à une infinie complexité de
situations.
Je me rends compte que j'ai oublié la question de Gérard LARCHER
concernant la nécessité de travailler dans la perspective
d'intégration européenne.
Le rééquilibrage ne peut, à mon sens, se faire que si le
contexte social, d'une part, fondamental pour le transport routier, et le
contexte environnemental et fiscal, d'autre part, sont en phase.
Je pense notamment à l'harmonisation de la fiscalité des
carburants au niveau européen. Elle ne progresse pas
sérieusement. Je travaille sur la fiscalité environnementale, le
coût des carburants, l'internalisation des coûts, Jean-Claude
Gayssot remplit la même tâche sur la dimension sociale.
C'est bien parce que l'Europe sociale, environnementale et fiscale ne
progressaient pas aussi vite que les conditions de l'intégration
économique que, toute pro-Européenne convaincue que je suis, j'ai
pris le risque de voter contre la ratification d'un traité qui est
déjà derrière nous, celui de Maastricht.
Il me semble que vous trouverez un consensus pour faire progresser la
construction sociale et environnementale de l'Europe.
M. le PRESIDENT
.- Et monétaire.
Mme VOYNET
.- Bien sûr. Aujourd'hui, en tout cas, le manque
d'Europe sociale et environnementale est un handicap à ce
rééquilibrage.
M. LARCHER
.- Comment décider les artisans néerlandais,
propriétaires d'un à deux camions qui constituent l'essentiel de
la flotte, à avoir des préoccupations sociales qui les touchent
personnellement, alors que, comme les bateliers, ils travaillent en famille ?
Comment faire comprendre à 40 % qu'il faut évoluer ? C'est une
difficulté majeure sur un mode concurrentiel où le schéma
d'organisation sociologique du mode de transport est complètement
différent.
Les bateliers néerlandais à 4 ou 6.000 tonnes travaillent en
famille, les camionneurs aussi.
Mme VOYNET
.- C'est aussi souvent le cas en France.
M. LARCHER
.- Mais ils n'ont pas de grandes compagnies et ils
possèdent 40 % de l'Europe, d'où des difficultés
d'harmonisation concrètes. Ils ne sont pas demandeurs d'un plan social.
Mme VOYNET
.- Je suis d'accord, mais j'avais cru comprendre que le
modèle français était la résistance au dumping
social et écologique. Je continuerai à le défendre et
j'espère bien gagner.
M. LARCHER
.- Il n'est pas facile d'avancer, nous l'avons mesuré
aux Pays-Bas.
M. le PRESIDENT
.- Madame la ministre, nous vous remercions.
(La séance est levée à 19 h 10.)