B. LA BOULANGERIE : UN SECTEUR EN PROIE À D'IMPORTANTES MUTATIONS
1. Un secteur économique important
a) Typologie du secteur
Située au bout de la filière
blé-farine-pain, l'activité de boulangerie, assurée par
les fabricants et distributeurs de pain, en constitue le troisième pivot.
Ce secteur est très diversifié.
La boulangerie artisanale
assure le cycle complet de la
fabrication. Elle est composée de petites entreprises essentiellement
familiales et à effectif salarié réduit. L'un de ses
atouts est sa proximité du consommateur, même en zone rurale. Elle
est aussi une force pour l'apprentissage dans notre pays.
La boulangerie industrielle
est apparue avec la
mécanisation de la fabrication, à partir des
années 50. Elle se caractérise par un volume de production
important par entreprise, mettant en jeu une quintalisation de blé
panifiable important. Il s'agit généralement d'anciennes
entreprises artisanales ayant connu un fort développement. Leur
activité est semblable à celle de la boulangerie traditionnelle :
confection et cuisson de la pâte. Depuis quelques années,
toutefois, certaines entreprises se sont engagées dans la fabrication de
pâtes surgelées.
Une part de l'activité boulangère est, en outre,
assurée par des grandes et moyennes surfaces
qui, depuis les
années 1970, fabriquent et vendent du pain ou en pratiquent simplement
la distribution.
Pour achever ce panorama
, signalons enfin le développement, au
cours des dix dernières années,
d'entreprises appelées
" terminaux de cuisson
" dont l'activité se limite
à la cuisson de la pâte surgelée.
b) L'activité de boulangerie artisanale
Le chiffre d'affaires de la boulangerie artisanale est de
55 milliards de francs.
L'artisan boulanger exerce trois activités
principales
:
- la fabrication et la distribution de pain, qui représentent
globalement plus de 50 % du chiffre d'affaires de la profession ;
- la fabrication et la distribution de pâtisserie-viennoiserie, qui
assurent plus de 30 % du chiffre d'affaires de la profession ;
- la revente de produits de biscuiterie, de biscotterie et de produits de
régime. En outre, en zone urbaine, l'artisan boulanger est parfois
tenté de développer un rayon traiteur.
Les entreprises artisanales peuvent faire l'objet de différentes
classifications :
Au niveau géographique
La boulangerie rurale se caractérise le plus souvent par la place
importante de la production de pain dans son activité. Il s'agit
généralement d'entreprises aux installations anciennes et
à la rentabilité difficile.
Toutefois, elle joue un rôle social, humain et culturel que chacun
s'accorde à lui reconnaître, d'abord par la présence du
magasin qui est un lieu d'échanges quotidiens pour les habitants d'une
commune, puis par les nombreux services rendus à la clientèle
éloignée (tournées). La disparition de la boulangerie
d'une petite commune peut d'ailleurs précipiter la fin de la vie
commerciale et il n'est pas rare que des municipalités oeuvrent à
la réouverture de boulangeries. Ajoutons, également, que des
organismes bancaires, conscients de la place de la boulangerie en zone rurale,
tentent des expériences d'association avec des artisans. Dans ces
actions, la préférence donnée à la
préservation d'une structure artisanale de boulangerie plutôt
qu'à l'installation d'un simple dépôt de pain (relais d'une
entreprise industrielle extérieure à la commune
concernée), montre que les objectifs poursuivis procèdent bien
d'un réel souci d'aménagement du territoire en prenant en compte
le rôle que l'artisanat peut jouer dans le développement de
l'économie locale.
Sur le plan de l'activité
Les boulangeries peuvent également être classées en
fonction du nombre de quintaux de farine annuellement panifiés.
Le poids de l'effectif salarié
Enfin, elles peuvent être classées suivant leur effectif
salarié.
La concurrence des supermarchés et hypermarchés et des
terminaux de cuisson, ainsi que la baisse de la consommation de pain, a
entraîné une forte réduction du nombre des boulangeries et
boulangeries-pâtisseries artisanales : elles étaient
54.000 en 1960, 38.700 en 1981 et 34.500 en 1997.
EVOLUTION DU NOMBRE DE BOULANGERIES ARTISANALES
Cependant,
il faut souligner que si le nombre des entreprises
artisanales de boulangerie diminue, les effectifs employés restent
relativement stables.
Environ 100.000 salariés sont employés
aujourd'hui (14.000 apprentis formés par an, 30.000 ouvriers
boulangers, 11.000 ouvriers pâtissiers et 45.000 personnels de
vente) ; ils étaient 12.000 en 1992 mais les statistiques prenaient
alors en compte des employés ne relevant pas de la
boulangerie-pâtisserie.
2. Une réglementation qui demeure lacunaire
a) Une réglementation.....
La boulangerie est depuis fort longtemps une profession
réglementée.
Les Carolingiens furent les premiers à réglementer la profession.
Ainsi, les missi dominici devaient s'assurer du bon fonctionnement des fours,
de la propreté des ustensiles garnissant les boulangeries et engager les
seigneurs à en établir dans leurs domaines
4(
*
)
..
Jusqu'à la fin du XIIe siècle, seuls les rois et les seigneurs
avaient le droit de construire des fours. En fait, eux seuls étaient
pratiquement en capacité de couvrir les frais de construction, d'assurer
l'entretien et de lutter efficacement contre les risques d'incendie. Les
utilisateurs de ces fours banaux -boulangers (appelés alors talemeliers)
et particuliers- devaient payer le droit de banalité au
propriétaire.
C'est Philippe-Auguste qui permit aux boulangers de posséder un four
chez eux et Saint-Louis qui affranchit les villes de la banalité des
fours pour lutter contre les abus de certains seigneurs.
Le pain représentait déjà l'aliment de base. Le pouvoir
royal réglementa sa fabrication et la profession qui le produisait afin
d'éviter les fraudes sur la qualité de la farine, sur les poids
et sur les prix et pour qu'en tout état de cause (surtout en
période de disette) le pain ne manque pas.
C'est ainsi que Louis XI rendit une ordonnance sévère pour
protéger les voitures de blé. En 1539, François 1er
leur accorda la sauvegarde royale et, en 1635, il fut interdit aux soldats,
sous peine de mort, de se livrer au pillage des grains circulant sur les
rivières.
Etienne Boileau, prévôt de Paris sous Saint-Louis, rédigea
le Livre des Métiers. Cet ouvrage constitua une véritable charte
des métiers et fut à la base de l'organisation des corporations.
Les professionnels furent répartis en apprentis, valets et
maîtres. Comme leurs noms l'indiquent, les apprentis apprenaient le
métier, les valets l'exerçaient et les maîtres dirigeaient
et étaient propriétaires d'une boulangerie. Pour être
boulanger, il fallait posséder le brevet de maîtrise, acheter le
métier au roi ou au seigneur et payer annuellement le droit de hauban.
Il y avait quatre catégories de boulangers : les boulangers de
petits pains qui avaient le droit de fabriquer toutes les sortes e pains y
compris les petits pains ; les boulangers de gros pains ou boulangers des
faubourgs : ils ne pouvaient pas vendre de petits pains et étaient
situés dans les bourgs intégrés à la ville
proprement dite, lors de son extension ; les boulangers forains étaient
étrangers à la localité et n'avaient le droit de vendre
leurs pains en ville que le samedi, jour de marché ; enfin, les
boulangers privilégiés étaient attachés au service
du roi.
La corporation se trouvait placée sous l'autorité du Grand
Panetier, nommé par le roi et assisté par le Maître des
boulangers et douze jurés chargés de veiller à
l'exécution des règlements de la profession.
En raison de la rudesse de leur métier, les boulangers
bénéficiaient à cette époque de privilèges :
exemption du guet ou du service militaire. Ils étaient en revanche
très contrôlés et lourdement pénalisés en cas
de fraude sur le poids ou la qualité de leurs produits. La vente de pain
corrompu, par exemple, entraînait une amende de 500 livres ; la
boulangerie pouvait être fermée pendant six mois et le four
démoli. Le professionnel pouvait encourir des peines corporelles sur la
place publique (carcan, etc.). Parfois même, ils avaient à
répondre devant la justice populaire, le peuple rendant souvent le
boulanger responsable de la cherté ou du manque de pain.
Faut-il rappeler que les premier troubles du 28 avril 1789 qui
devaient déclencher la Révolution française,
trouvèrent leur origine dans le manque de pain ? Et le
5 octobre 1789, les parisiennes ayant en vain réclamé
du pain devant l'Hôtel de Ville, marchèrent sur Versailles pour
ramener à Paris " le boulanger, la boulangère et le
mitron ".
Si la Révolution française a entraîné la suppression
des corporations et proclamé la liberté du commerce et de
l'industrie, ce fut pour une courte durée car une réglementation
soumettant l'exercice de la profession de boulanger à l'autorisation du
préfet fut prise dès le Consulat et resta en vigueur jusqu'au
décret du 22 juin 1863 qui, à nouveau, accorda une
liberté relative au commerce. Jusque là, les boulangers
étaient obligés de constituer des réserves pour
éviter les disettes et la cherté du pain. Le nombre de boulangers
se trouvait limité. Une caisse de service de la boulangerie parisienne
fut créée pour, en quelque sorte, " subventionner " le
prix du pain. Ce prix fut ensuite taxé. Un décret de 1863
supprima ces obligations, mais une taxe officieuse se substitué à
la taxe officielle. Pour finir, le prix du pain resta taxé jusqu'en 1960.
De nos jours, l'essentiel de la réglementation applicable à la
boulangerie est constitué par les lois et règlements applicables
à la vente, la consommation et la qualité des produits
alimentaires, à la sécurité des denrées et de leurs
lieux de vente et de production, à la publicité des produits et
des services de consommation courante. Quelques règlements
spécifiques existent
. Il s'agit
5(
*
)
:
-
des règles de publicité des prix
: en
application de l'article L. 113-3 du code de la consommation, un
arrêté du 9 août 1978 a ainsi défini les
modalités de publicité des prix du pain sur les lieux de vente.
-
de la protection de certaines appellations
comme les
dénominations " pain maison ", " pain de tradition
française ", " pain traditionnel de France " et
" pain au levain " ou sous une dénomination
équivalente ;
-
des règles de construction et d'aménagement des
boulangeries
: un arrêté interministériel du
23 octobre 1967 relatif aux règles de construction des locaux
affectés à la fabrication du pain.
En matière de
fermeture hebdomadaire des boulangeries
, une
circulaire DRT 95-12 du 19 septembre 1995 a été
adressée aux préfets par le ministre des PME, du commerce et de
l'artisanat et le ministre du travail et des affaires sociales afin de leur
rappeler l'obligation de faire respecter la réglementation en vigueur.
Celle-ci (articles L.221-9 et R.221-4 du code du travail) permet aux
magasins fabriquant des produits alimentaires destinés à la
consommation immédiate de bénéficier de dérogations
permanentes pour ouvrir les dimanches en entier dès lors qu'ils
accordent à leurs employés un repos hebdomadaire de
24 heures consécutives par roulement ou collectivement. Pour les
magasins dont l'activité principale est la vente au détail de
denrées alimentaires (ce qui exclut les hypermarchés, mais pas de
nombreux supermarchés), des dérogations de plein droit sont
accordées par la loi pour ouvrir le dimanche matin jusqu'à midi,
les personnels pouvant prendre leur repos hebdomadaire le dimanche à
partir de 12 heures avec un repos compensateur d'une journée
entière pris tous les quinze jours par roulement.
Il convient, en outre, de signaler l'impact de la
directive cadre
93/43 CEE du 14 juin 1993 relative à l'hygiène des
aliments remis directement aux consommateurs des denrées
alimentaires
.
Deux réglementations qui ne sont pas spécifiques à la
boulangerie méritent cependant d'être évoquées en
raison de leur impact particulier sur le secteur : il s'agit de l'interdiction
des prix de vente abusivement bas et de l'obligation de qualification
professionnelle.
L'interdiction des prix de vente abusivement bas
La loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 relative à la
loyauté et l'équilibre des relations commerciales a interdit les
offres de prix ou les pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement
bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de
commercialisation. Cette interdiction est entrée en vigueur le
3 juillet 1996, mais elle ne vise que les offres ou pratiques qui
"
ont ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché
ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise
ou l'un de ses produits
", c'est-à-dire qu'elle ne prohibe que
les prix " prédateurs ".
La mise en place de cette prohibition a été motivée par
des pratiques agressives de certaines grandes ou moyennes surfaces de vente
touchant quelques produits de consommation courante ciblés, parmi
lesquels a d'ailleurs été citée, tout au long des
débats parlementaires, la baguette de pain à 1 franc, voire
à soixante centimes... ou même gratuite comme cela a
été relevé.
Selon les enquêtes de la direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les
pratiques de prix abusives prédateurs sur le pain auraient largement
cessé dans les grandes surfaces françaises, mais il convient de
rester attentif.
L'obligation de qualification professionnelle dans la boulangerie
L'article 16 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996
relative au développement et à la promotion du commerce et de
l'artisanat a imposé qu'un certain nombre d'activités
limitativement énumérées par cet article, parmi lesquelles
figurent "
la préparation ou la fabrication de produits frais de
boulangerie
", soient exercées soit par une personne
qualifiée, soit sous le contrôle d'une personne qualifiée
lorsque les tâches sont effectuées par du personnel non
qualifié.
La loi ne crée donc aucune obligation de qualification pour le chef
d'entreprise ; elle exige seulement que les tâches soient
effectuées en présence d'une personne détenant les
qualifications requises.
Aux termes du II de cet article, chacune des activités visées
doit faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat pour régler la
mise en oeuvre de l'obligation de qualification professionnelle.
Ce texte a
été publié le 3 avril dernier.
Le décret d'application n° 98-246 concernant la qualification
professionnelle exigée pour l'exercice de certains métiers, dont
celui de boulanger, a été publié au Journal Officiel du
3 avril 1998
(reproduit en annexe du rapport). Désormais,
seules les personnes titulaires d'un CAP ou d'un BEP ou d'un diplôme ou
d'un titre homologué de niveau égal ou supérieur au CAP
peut exercer l'activité de boulanger. A défaut de diplôme
ou de titre homologué, les personnes doivent justifier d'une
expérience de trois ans dans le métier.
L'article 4 de ce décret précise que les personnes qui ont
commencé à exercer entre le 5 juillet 1996 et le
3 avril 1998, un des métiers visés par la loi du
5 juillet 1996, disposent d'un délai de trois ans,
à compter du début de leur activité, pour satisfaire aux
dispositions dudit décret.
En outre, l'article 1er du décret n° 98-247 du
2 avril 1998 relatif à la qualification artisanale et au
répertoire des métiers
(reproduit en annexe du rapport)
précise que
"
la qualité d'artisan est reconnue de
droit par le président de la chambre de métiers compétente
du département aux personnes physiques, y compris les dirigeants sociaux
des personnes morales, qui justifient soit d'un certificat d'aptitude
professionnelle ou d'un brevet d'études professionnelles
délivré par le ministre de l'éducation nationale, soit
d'un titre homologué d'un niveau au moins équivalent dans le
métier exercé ou un métier connexe, soit d'une
immatriculation dans le métier d'une durée de
six années au moins
".
Ainsi, ce texte indique, d'une
part, les conditions d'utilisation de la qualité d'artisan et du titre
" maître-artisan ", d'autre par, les conditions
d'immatriculation au répertoire des métiers.
b) ... qui demeure lacunaire
Le ministre des PME, du commerce et de l'artisanat a pris
le 12 septembre 1995 un arrêté réglementant
l'appellation et l'enseigne de boulangerie
(reproduit en annexe du
rapport).
Cet arrêté réserve l'appellation et l'enseigne de
boulangerie aux établissements tenus par "
un professionnel
assurant lui-même, à partir de farines choisies, les
différentes phases de fabrication de pains : pétrissage,
façonnage de la pâte, fermentation et cuisson sur le lieu de vente
consommateur final
". Il permet au professionnel itinérant
assurant sur un même lieu les opérations de pétrissage, de
façonnage et de cuisson d'utiliser la dénomination. Les
établissements devaient se mettre en conformité avec les
dispositions de l'arrêté avant le
22 décembre 1996.
Ce texte permettait donc d'identifier le pain fabriqué sur place par
un professionnel responsable de toutes les phases de la fabrication.
Sur recours du syndicat national des industries de la
boulangerie-pâtisserie et du groupement indépendant des terminaux
de cuisson, le Conseil d'Etat a, par un arrêt du
29 décembre 1997, annulé l'arrêté du
ministre
des PME, du commerce et de l'artisanat au motif que ce dernier ne
disposait d'aucune habilitation, ni législative ni par décret,
pour réglementer les conditions d'exercice de la boulangerie, cette
activité étant régie par le principe de liberté du
commerce et de l'industrie.
Anticipant les difficultés contentieuses, le gouvernement de
M. Alain Juppé inséra dans le projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier (n° 3492),
déposé à l'Assemblée nationale le
2 avril 1997, un article 26
reprenant le dispositif de
l'arrêté du 12 septembre 1995 et le complétant
par une disposition permettant aux établissements secondaires d'une
boulangerie d'utiliser la dénomination à condition que ceux-ci
soient situés sur le territoire de la commune d'implantation de la
boulangerie ou des communes limitrophes et qu'ils soient fournis en pain frais
cuit par celle-ci. La dissolution de l'assemblée nationale a rendu caduc
ce projet de loi.