ARTICLE 41

Financement de l'élimination de farines animales
non conformes aux normes communautaires

Commentaire : cet article vise à financer l'élimination de farines animales, non conformes aux normes fixées par la réglementation européenne, par une taxe additionnelle à la taxe sur les achats de viande.

L'inscription du présent article au projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier constitue la réponse de la France à l'ouverture par la Commission européenne d'une procédure d'infraction 39( * ) à l'encontre du procédé français de transformation des déchets d'origine animale en farines.

Le dispositif actuellement en vigueur en France a été mis en place en 1996, sur la base des avis rendus par le comité présidé par M. Dominique Dormont 40( * ) . Il prévoit que :

- l'ensemble des déchets animaux est transformé en farines par traitement thermique selon la norme 94-382 ;

- les farines à " haut risque " (issues de matériels à risque spécifiés et de déchets provenant de cadavres ou de saisies sanitaires) sont éliminées par incinération dans le cadre du service public de l'équarissage créé par la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs ;

- les autres farines, à " bas risque ", sont par mesure de précaution, interdites pour l'alimentations des ruminants et réservées aux animaux monogastriques (porcs, volailles et poissons).

Le procédé de traitement des déchets animaux conduisant à la production de farines à " bas risque " est aujourd'hui remis en cause par la Commission européenne qui, dans une décision n° 96-449 du 18 juillet 1996, avait établit que " les Etats membres n'autorisent pas la transformation de déchets animaux, à moins qu'ils ne soient transformés conformément aux paramètres prévus à l'annexe 41( * ) ".

Or, le système appliqué en France, malgré l'existence, unique en Europe à l'exception du Royaume-Uni, d'un tri des déchets entre ceux à " haut risque " et ceux à " bas risque ", n'est pas conforme à la décision 96-449 car les normes de transformation des déchets à " faible risque " préconisées par le comité Dormont sont différentes de celles requises par la Commission. Les normes françaises imposent en effet une durée de chauffage supérieure à celle de la décision de la Commission, pendant une durée également supérieure, mais n'imposent pas de pression minimale.

La procédure ouverte par la Commission européenne est donc juridiquement justifiée.

I - LA MISE SUR PIED D'UNE OPÉRATION TENDANT À RETIRER DU MARCHÉ LES FARINES NON CONFORMES AUX NORMES COMMUNAUTAIRES

A. LE CHOIX D'UNE MISE EN OEUVRE ACCÉLÉRÉE DE LA LÉGISLATION COMMUNAUTAIRE


La procédure d'infraction a été ouverte le 7 juillet 1997, date de la mise en demeure faite à la France de se conformer à la décision n° 96-449. L'avis motivé a ensuite été transmis le 22 décembre 1997. Le délai accordé par la Commission aux Etats mis en cause étant de deux mois, la Commission aurait été en droit de saisir la Cour de justice à partir du 22 février 1998 si la France n'avait pas pris des mesures tendant à mettre sa législation en conformité avec les normes communautaires.

Deux réponses à l'avis motivé étaient possibles :

La première consistait à défendre l'idée selon laquelle, de leur propre fait, les producteurs français de farines animales, les équarrisseurs procédaient à la mise aux normes de leurs installations.

Ces investissements, coûteux, s'imposent en effet à eux pour des raisons commerciales : les acheteurs de farines animales souhaitent se procurer des produits comportant le maximum de garanties. Par conséquent, afin de ne pas voir leurs clients se tourner vers d'autres producteurs de farines animales ou vers des produits d'origine végétale (tels que le soja, dont les cours sont très bas), les producteurs de farine ont commencé à calquer leur mode de production sur celui pratiqué dans le reste de l'Union européenne.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, en l'absence de toute mesure incitative, la presque totalité des sites produisant des farines d'origine bovine aurait vraisemblablement satisfait aux exigences européennes dans le courant de l'année 1998.

Ainsi, en retardant de quelques mois la transposition de la décision n°96-449 de la Commission européenne, le droit n'aurait eu qu'à prendre acte de la pratique, pour un coût budgétaire nul.

Cette solution était risquée politiquement mais n'aurait pas présenté de risque sanitaire puisque les capacités de production actuellement utilisées en France satisfont aux exigences du comité Dormont. Ce point ne fait l'objet d'aucune contestation gouvernementale : dans son point de presse du 9 février 1998, le ministre de l'Agriculture a indiqué que la décision de la France d'accélérer la mise aux normes n'était pas " prise au titre du principe de précaution mais ( était ) une mesure d'ordre juridique ".

le Gouvernement n'a pas retenu cette solution et a fait le choix d'accélérer la mise aux normes de la production de farines animales "bas risque".

Dans un premier temps, le ministre de l'Agriculture a réagi en prenant, le 6 février 1998, un arrêté prévoyant que :

- les déchets visés par la décision de la Commission européenne n° 96-449 " sont transformés conformément aux paramètres minimaux fixés par cette décision ".

- les établissements dont les productions ne sont pas réalisées dans des conditions conformes aux paramètres doivent " procéder ou faire procéder au retraitement ou à l'élimination de ces produits afin d'interdire leur entrée dans la chaîne alimentaire animale ".

Cette évolution réglementaire a eu pour conséquence de rendre illégale la commercialisation des farines animales produites à partir du 6 février 1998 selon des paramètres différents de ceux fixés par la Commission européenne.

L'arrêt de la production des farines non conformes n'est pas une solution envisageable en raison de la nécessité de détruire les déchets animaux . En conséquence, l'objet du présent article est de définir les modalités du financement, sous la forme d'aides versées aux producteurs, de leur élimination.

L'élimination peut prendre deux formes :

- la destruction par incinération ;

- le retraitement, par le producteur ou par un tiers, qui permet aux farines d'être ensuite commercialisées.

Afin d'inciter les producteurs à mettre leurs installations aux normes le plus rapidement possible, le dispositif prévoit que les aides ne s'appliqueront qu'aux farines produites entre le 6 février et le 30 juin 98, ainsi qu'au stock non commercialisé existant 42( * ) .

B. UNE OPÉRATION AU COÛT INCERTAIN

Le coût total de l'élimination des farines produites entre le 6 février et le 30 juin dépend de deux facteurs :

- la vitesse de mise aux normes des installations . La mise aux normes concerne trente lignes de production, nécessitant 8 millions de francs d'investissements chacune. Ces travaux, d'un montant total de 240 millions de francs, sont subventionnés à hauteur de 30% par des crédits relevant du FEOGA 5a 43( * ) . La " contrepartie nationale " de cette subvention européenne (l'aide que les Etats membres sont autorisés à accorder en accompagnement des fonds structurels) a été fixée à 12%, sur les crédits de l'OFIVAL ;

- la proportion de farines qui seront incinérées et de farines qui seront retraitées . En effet, le coût budgétaire de l'incinération est très supérieur à celui du retraitement. Les plafonds de remboursement aux opérateurs ont été fixés de la manière suivante par les services du ministère de l'Agriculture :

Comparaisons des coûts respectifs du retraitement
et de l'incinération pour les finances publiques

(en millions de francs)

 

Farines retraitées

Farines incinérées

Retraitement

300*

-

Transport

450**

250**

Stockage

150

150

Incinération

-

800

Indemnités pour perte de valeur marchande

-

1.500

Total

900

2.700

* 150 si le retraitement est effectué par l'opérateur et concerne un stérilisateur en aval.

** Déduction faite du coût théorique du transport usine/client, calculée selon un forfait de 0,40 franc par T X km.


Plusieurs évaluations du coût de l'opération ont été réalisées. La première provient d'un rapport demandé à l'inspection générale des finances, le rapport Girodolle, qui avance le chiffre de 500 millions de francs. Cette estimation est basée sur l'hypothèse d'une élimination par incinération de la quasi-totalité des farines.

Au mois de février 1998, le ministre de l'Agriculture a estimé que, si la moitié des farines était brûlée et l'autre retraitée, l'opération pourrait coûter entre 300 et 450 millions de francs.

Aujourd'hui, selon les informations recueillies par votre rapporteur, les estimations doivent être encore revues à la baisse. En effet, d'une part, le rythme de mise aux normes des installations serait très soutenu 44( * ) et, d'autre part, il semble que la quantité de farines incinérées sera très faible, les producteurs préférant soit les retraiter eux-mêmes, soit les faire retraiter, soit les stocker en attendant la mise aux normes de leurs installations, puis les retraiter. Leur choix s'explique par des considérations commerciales : les farines retraitées conservent une valeur commerciale et, dans un contexte concurrentiel, il est risqué de se retirer du marché 45( * ) .

Par conséquent, il est aujourd'hui possible de procéder à une nouvelle estimation du coût de l'opération. Sachant que le ministère de l'agriculture estime à 36 000 tonnes la production mensuelle de farines non conformes (estimation effectuée avant l'accélération de la mise aux normes), que la mesure s'applique aux farines produites de février à juin 1998 inclus, que la proportion de farines incinérées devrait être proche de zéro et que le plafond de remboursement des farines retraitées est de 900 francs par tonne, le coût de l'élimination de ces farines s'élèverait, au plus, à :

36 000 tonnes X 5 mois X 900 francs = 162 000 000 F

En imaginant que les farines incinérées représentent 10% du total, le coût serait alors, au plus, de :

(32 400 X 5 X 900) + (3600X 5 X 2700) = 194 400 000 F

En tout état de cause, le coût de la mesure sera vraisemblablement substantiellement inférieur aux 300 à 450 millions de francs annoncés par le ministre de l'Agriculture au mois de février 1998.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ POUR FINANCER L'ÉLIMINATION DES FARINES ANIMALES

A. LA SOLUTION RETENUE PAR LE GOUVERNEMENT

Le Gouvernement a choisi de financer l'élimination des farines animales par des crédits provenant de deux origines :

Une taxe additionnelle à la taxe sur les achats de viande instaurée par la loi du 26 décembre 1996

La taxe sur les achats de viande est régie par l'article 302 bis ZD du code général des impôts :

- elle est assise sur la valeur hors taxe sur la valeur ajoutée des achats de toute provenance de viande et abats (...), de salaisons, de produits de charcuterie, saindoux, conserves de viandes et abats transformés et d'aliments pour animaux à base de viande et d'abats ;

- elle est recouvrée dans les mêmes conditions que la TVA ;

- elle est applicable aux entreprises dont le chiffre d'affaire de l'année civile précédente est supérieur ou égal à 2,5 millions de francs, et n'est pas due lorsque le montant d'achats mensuels est inférieur à 20 000 francs ;

- les taux d'imposition, par tranche d'achats mensuels hors taxe sur la valeur ajoutée, sont fixés dans les limites suivantes : 0,6% jusqu'à 125 000 francs et 1% au delà de 125.000 francs.

Le présent article prévoit que la taxe additionnelle proposée est soumise aux mêmes règles que la taxe d'équarrissage à deux réserves près :

- elle n'est acquittée que par les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur ou égal à 3 millions de francs ;

- les taux sont de 0,3% pour les achats d'un montant inférieur à 125 000 francs et 0,5% au delà.

La taxe additionnelle est par ailleurs temporaire : elle n'est applicable qu'aux achats réalisés entre le 1er juillet 1998 et le 31 mai 1998.

Son taux et sa durée d'application ont été calculés de façon à ce qu'elle rapporte 250 millions de francs 46( * ) .

Le produit de la taxe sera versé à un fonds spécialement créé, et géré par le Conseil national pour l'aménagement des structures agricoles, le CNASEA. Compte tenu de la nécessité de dégager des crédits dès le lancement de l'opération, le CNASEA avancera les sommes nécessaires dans des conditions fixées par une convention entre lui et ministère de l'Agriculture.

Un éventuel recours à des crédits budgétaires

Le ministre de l'agriculture, le 9 février 1998, a estimé le coût total de l'opération entre 300 et 450 millions de francs. Sachant que le rendement prévu de la taxe ne devrait pas dépasser 250 millions de francs, un complément budgétaire est nécessaire.

Selon les informations transmises à votre rapporteur, il a été envisagé de recourir à l'OFIVAL, et éventuellement à l'ONILAIT et au fonds de gestion des déchets géré par l'ADEME, pour assurer le complément budgétaire. Toutefois, selon les informations recueillies auprès de la direction du budget, les conseils de direction des offices ne s'étant pas réunis, la prise d'acte des plans de financement élaborés n'a pas eu lieu. En outre, les offices concernés ne semblent pas être informés de ces projets.

Le dispositif envisagé par le Gouvernement, notamment le recours à une taxe additionnelle, est simple à mettre en oeuvre, puisqu'il ne nécessite aucune formalité administrative supplémentaire de la part des entreprises. En cela, il permet de répondre à la nécessité de recueillir de manière urgente les sommes nécessaires au financement de l'élimination des farines animales non conformes aux normes communautaires, et évite l'élaboration d'une procédure administrative nouvelle applicable pour une durée de onze mois.

L'Assemblée nationale a, en première lecture, amélioré la rédaction de l'article en relevant le seuil minimal d'imposition à 3 millions de francs et, en contrepartie, a allongé d'un mois de délai de perception de la taxe. La rédaction initiale reprenait en effet le seuil de 2,5 millions de la taxe d'équarrissage.

Sur le fond, la décision de recourir à une taxe pesant sur l'extrémité de la filière peut se justifier par le fait que le coût de l'élimination fait partie intégrante du prix de revient du produit fini et que, par conséquent, il n'est pas absurde qu'il soit répercuté jusqu'aux consommateurs.

B. UNE SOLUTION PEU SATISFAISANTE

La taxe additionnelle présente l'inconvénient d'être " adossée " à une taxe contestée, la taxe sur les achats de viande. Celle-ci a été créée au cours de la première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs, par un amendement du gouvernement déposé après la discussion générale.

Le projet de loi ne comportait, à l'origine, pas de dispositions concernant le financement du service public de l'équarissage, dont les modalités avaient été définies quelques semaines auparavant par l'article 16 de la loi de finances rectificative pour 1996, qui prévoyait notamment la création d'une taxe additionnelle dont le produit était censé être " affecté à un fonds ayant pour objet de financer la collecte et la destruction des cadavres d'animaux et des saisies sanitaires totales d'abattoirs et géré par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles ".

Cette disposition faisait supporter le coût de l'élimination des farines animales à " haut risque " aux abattoirs, en application du principe du " pollueur-payeur ". Elle a été abandonnée au profit de la taxe sur les achats de viande, pesant sur les grandes et moyennes surfaces ainsi que sur les détaillants, en raison du danger que comportait la création de ce nouveau prélèvement pour la santé financière des éleveurs, sur lesquels le coût de la taxe aurait été répercuté.

Une fois admis le principe de la taxe sur les achats de viande, les modalités de la taxe telle qu'elle a été votée posent un certain nombre de difficultés, identifiées par le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat dès la discussion de la loi relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs.

1. La compatibilité de la taxe sur les achats de viande avec le droit communautaire est discutable

Deux arguments peuvent être invoqués dans ce sens :

Sous réserve de cas particuliers, les directives communautaires prohibent toute nouvelle taxe portant sur le chiffre d'affaires ;

En vertu des article 12 et 95 du traité sur l'Union européenne, la Cour de justice des communautés européennes pourrait considérer, comme elle l'a déjà fait, qu'une taxe perçue sur la vente des viandes produites en France mais également des viandes importées, mais dont le produit ne bénéficie qu'aux producteurs nationaux, est contraire au droit communautaire.

A la suite de plaintes déposées par la Confédération nationale de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CNBCT) et par la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), la Commission européenne a d'ailleurs, par une décision du 28 mars 1998, décidé d'entamer à l'encontre de la France une procédure d'infraction, qui doit se traduire par l'envoi au Gouvernement français d'une lettre de mise en demeure . La procédure étant secrète au stade de la mise en demeure, votre rapporteur n'a pu se procurer les moyens retenus par la Commission contre la taxe sur les achats de viande, qui ne seront connu que si, passé le délai de deux mois suivant la mise en demeure, la Commission décide de publier un avis motivé.

Si la Cour de justice devait finalement être saisie, et la taxe déclarée contraire au droit communautaire, la taxe additionnelle le serait également. Toutefois, la durée de vie de la taxe additionnelle étant brève, elle ne serait déjà plus en vigueur lorsque la procédure en arriverait au stade de la saisine.

2. La taxe pose des problèmes pratiques

Le principe de l'affectation du produit de la taxe à un fonds spécifique géré par un établissement public administratif est en contradiction avec le principe budgétaire de non affectation des recettes.

La taxe, alors même que d'autres dispositions du présent projet de loi ont pour objet la simplification administrative, provoque un alourdissement des formalités administratives pour les entreprises.

Selon les informations transmises à votre rapporteur, la taxe obligerait notamment les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaire inférieur à 5 millions de francs, et peuvent par conséquent bénéficier du régime simplifié de TVA, à malgré tout procéder à un tri au sein de leurs achats entre ceux qui entrent dans l'assiette de la taxe et les autres.

Certaines entreprises, devant s'acquitter du paiement de la taxe, pourraient être tentées de répercuter sur les producteurs l'augmentation de leurs coûts.

Cette crainte, formulée par de nombreux orateurs lors de la discussion au Sénat au mois de décembre 1996, ne semble pas s'être vérifiée ou, si elle l'a été, a été plus que compensée par les aides importantes versées tant par l'Etat que l'Union européenne aux producteurs de viande bovine depuis le début de l'affaire de la " vache folle ". Dans la perspective d'un retour à la normale du marché du boeuf, le risque pourrait néanmoins se reconstituer.

3. L'assiette de la taxe est difficile à déterminer

La commission des affaires économiques du Sénat avait, dans son rapport de 1996 consacré à la loi sur le service public de l'équarissage, envisagé plusieurs difficultés liées à l'assiette de la taxe.

En premier lieu, l'ambition d'exhaustivité affichée par la rédaction du texte, qui énumère les produits assujettis, comporte le risque d'oublier certaines catégories de viandes. En second lieu, des problèmes pratiques de recouvrement se posaient s'agissant des détaillants qui vendent de la viande de manière annexe à leur activité principale, et en très petite quantité, tels que les boulangers ou les stations service. Ce point a été résolu en introduisant le niveau minimal de 20 000 francs d'achat mensuel pour être soumis à la taxe.

Aujourd'hui, l'assiette de la taxe est constituée par les grandes et moyennes surfaces (GMS), les supérettes, les boucheries, charcuteries, les charcuteries artisanales et les vendeurs de nourriture pour animaux domestiques (pet food). Au sein de ces catégories, seules sont soumises à la taxe sur les achats de viande les entreprises dont le chiffre d'affaire est supérieur à 2,5 millions de francs. S'agissant de la taxe additionnelle, le texte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale porte le seuil à 3 millions de francs.

L'existence de ce seuil est destinée à exonérer de la taxe les commerces de proximité, dont l'importance n'est plus à prouver en matière de politique de la ville et d'aménagement du territoire, et qui se trouvent dans une situation financière souvent difficile. Malgré des taux de marge supérieurs à ceux des grandes surfaces, les petits commerces sont plus fragilisés par la mise en place d'un nouveau prélèvement car ils sont contraints de répercuter la taxe dans les prix du petit nombre de produits qu'ils vendent alors que les GMS peuvent le répartir entre les prix de centaines de produits.

Source : INSEE

Taux de marge en 1992 et 1993 1

Hypermarchés

Supermarchés

superettes

boucheries, charcuteries

Charcuteries artisanales

20,6%

18,9%

25,9%

55,0%

86,6%

1. Le taux est la marge appliquée sur le montant des achats hors taxe. Les données disponibles datent de 1993 mais ne sont pas susceptible d'avoir évolué négativement compte tenu du fait que les ventes ont plutôt tendance à augmenter.

La création du seuil avait emporté l'adhésion des parlementaires à la taxe. En effet, le gouvernement avait avancé des chiffres tendant à prouver que les commerces de proximités étaient très largement exonérés de la taxe. Le tableau ci-dessous retrace la proportion d'effectifs exonérés du paiement de la taxe, ainsi que l'évolution de ce taux en cas de relèvement du seuil à 3 et 5 millions de francs :


Répartition des effectifs exonérés en fonction du chiffre d'affaire hors taxe

Effectif

CAHT 2,5 MF

CAHT 3 MF

CAHT 5 MF

Source : INSEE

nombre

%

 

%

nombre

%

GMS

33

0,7

43

0,9

123

2,6

Supérettes

350

10,9

650

20,3

1.553

48,5

Boucheries, charcuteries

35.500

92,4

37.000

96,3

37.911

98,7

Charcuteries artisanales

9.544

87,0

10.144

92,4

10.747

97,9

Epiceries

20.540

87,3

23.540

100,0

23.540

100,0

Total

65.967

81,6

71.377

88,3

73.874

91,4

Ces chiffres, fournis par le ministère de l'Agriculture, sont aujourd'hui contestés par certains redevables de la taxe. Ils s'appuient sur une enquête réalisée par la direction de l'Artisanat et l'ADEME, selon laquelle 27% des bouchers-charcutiers seraient soumis à la taxe, soit plus du double du taux affiché par le tableau ci-dessus. En outre, selon le tableau, 35.500 boucheries et charcuteries sont réputées être exonérées de la taxe, alors même que, selon l'INSEE, ils ne seraient que 23 000 en France.

La controverse sur le nombre s'assujettis à la taxe a son importance car c'est précisément la forte proportion de commerces de proximité exonérés qui a conduit les parlementaires, de tous bord, à finalement accepter le principe d'une taxe sur les achats de viande . Votre rapporteur a pu se procurer des détails sur la façon dont les différents chiffrages avancés ont été élaborés :

- l'enquête réalisée par la direction de l'artisanat et l'ADEME, relative aux déchets produits en boucherie (carton, os, suifs), se base sur 2.043 réponses à un questionnaire soumis dans tous les départements et qui a reçu un taux de réponse à cette question de 96,3%.

- les données du ministère de l'agriculture ont été élaborées, en 1996, par le service central des enquêtes et études statistiques (SCEES) de ce ministère à partir de plusieurs sources statistiques 47( * ) .

Le différend sur le nombre de bouchers et de charcutiers provient d'un changement dans la nomenclature de l'INSEE. Aujourd'hui, la définition retenue est effectivement de 23 000. Ce chiffre repose sur une conception stricte de la profession de boucher : 15 500 bouchers ayant diversifié leur activité, en vendant des sandwiches par exemple, ont en effet été sortis de la définition statistique des boucheries et charcuteries stricto sensu, mais restent dans la catégorie des " commerces alimentaires hors tabac " de l'INSEE, au sein de laquelle seuls 11% des effectifs ont un chiffre d'affaire supérieur à 2,5 millions de francs.

Les données officielles relative au chiffre d'affaire des entreprises assujetties à la taxe sur les achats de viande n'apparaissent pas contestables dans les ordres de grandeur qu'elles fournissent. Cependant, les services statistiques du ministère de l'agriculture conviennent que la composition de l'assiette de cette taxe est très difficile à établir et que, statistiquement du moins, l'assiette d'une taxe à l'abattage serait beaucoup plus simple à déterminer.

4. Le rendement de la taxe ne fait pas l'objet d'estimations fiables


Selon les informations transmises par le CNASEA à votre rapporteur, la collecte de la taxe d'équarrissage en 1997 à été conforme aux prévisions. Hormis des difficultés dans les premiers mois, liées à la mise en place de la taxe, le produit s'élève à environ 600 millions de francs. Selon le bureau des études et des affaires fiscales du ministère de l'Agriculture, le produit constaté en 1997 a été de 520 millions de francs. Le ministre de l'Agriculture a déclaré pendant la discussion de la loi de finances pour 1998 que le " produit anticipé " de la taxe était de 530 millions de francs.

Pourtant, les calculs de rendement reposent sur des hypothèses fragiles, liées aux difficultés de recenser l'ensemble des entreprises assujetties. Le SCEES, qui a réalisé les estimations, a procédé en 1996 à des simulations à partir de deux séries statistiques différentes :

- les comptes de commerce de l'INSEE, qui fournissent les ventes de l'ensemble des entreprises, et desquels le montant des achats est déduit en appliquant les taux de marges ;

- les enquêtes EAE du SCEES, qui recensent les ventes de la filière aux distributeurs, mais ne concernent que les entreprises de plus de 10 salariés.

Les tableaux ci-dessous retracent les montants d'achats déterminés selon chacune des méthodes :

Répartition des achats en fonction du CAHT (d'après les comptes de commerce)

 

Achats taxables d'un montant inférieur à 1,5 MF (125 000 F par mois)

Achats taxables d'un montant supérieur à 1,5 MF

 

Montant

%

Montant

%

Entreprises dont le CAHT est > 2,5 MF
GMS

1.824

1,9 %

92.250

97,7 %

Supérettes

2.852

35,6 %

4.279

53,4 %

Boucheries, charcuteries

2.388

6,3 %

394

1,0 %

charcuteries artisanales

1.083

12,5 %

44

0,5 %

Pet-food

2.000

25,0 %

5.000

62,5 %

TOTAL

10.147

6,5 %

101.967

64,9 %

Entreprises dont le CAHT est > 3 MF
GMS

1.715

1,8 %

92.250

97,7 %

Supérettes

1.630

20,4 %

4.000

50,0 %

Boucheries, charcuteries

1.500

3,9 %

350

0,9 %

charcuteries artisanales

603

7,0 %

44

0,5 %

Pet-food

1.500

18,8 %

4.500

56,3 %

TOTAL

6.948

4,4 %

101.144

64,4 %

Entreprises dont le CAHT est > 5 MF
GMS

841

0,9 %

92.250

97,7 %

Supérettes

1.649

20,6 %

2.476

30,9 %

Boucheries, charcuteries

101

0,3 %

394

1,0 %

charcuteries artisanales

1.078

12,5 %

44

0,5 %

Pet-food

2.000

25,0 %

5.000

62,5 %

TOTAL

5.669

3,6 %

100.164

63,7 %

Répartition des achats en fonction du CAHT (d'après l'EAE IAA du SCEES)

 

Achats taxables d'un montant inférieur à 1,5 MF (125 000 F par mois)

Achats taxables d'un montant supérieur à 1,5 MF

 
 
 

Montant

%

Montant

%

Entreprises dont le CAHT est > 2,5 MF
 
 
 
 
GMS + supérettes

3.378

4,6 %

69.730

94,2 %

Boucheries, charcuteries

2.196

6,3 %

362

1,0 %

charcuteries artisanales

1.083

12,5 %

44

0,5 %

Pet-food

2.000

25,0 %

5.000

62,5 %

TOTAL

8.657

6,9 %

75.136

59,8 %

Entreprises dont le CAHT est > 3 MF
 
 
GMS + supérettes

2.416

3,3 %

69.528

94,0 %

Boucheries, charcuteries

1.380

3,9 %

322

0,9 %

charcuteries artisanales

603

7,0 %

44

0,5 %

Pet-food

1.500

18,8 %

4.500

56,3 %

TOTAL

5.899

4,7 %

74.394

59,2 %

Entreprises dont le CAHT est > 5 MF
 
 
 
 
GMS

554

0,9 %

60.144

97,7 %

Supérettes

1.112

20,6 %

1.669

30,9 %

Boucheries, charcuteries

96

0,3 %

321

0,9 %

charcuteries artisanales

1.078

12,5 %

44

0,5 %

Pet-food

2.000

25,0 %

5.000

62,5 %

TOTAL

3.728

3,6 %

65.509

63,7 %

A partir de ces montants, le rendement des deux taxes est estimé en applicant les deux taux (0,6 et 1% pour la taxe d'équarissage, 0,3 et 0,5% pour la taxe addtionnelle) :

Produit de la taxe additionnelle évalué en appliquant les taux de la taxe (0,3 et 0,5%) aux montants d'achats déterminés par deux sources statistiques distinctes

(en millions de francs)

SEUIL

EAE - SCEES

INSEE

> 2,5 MF

400,16

540,27

> 3 MF

389,66

526,4

> 5 MF

338,72

517,82

Produit de la taxe d'équarrissage évalué en appliquant les taux de la taxe (0,6 et 1 %)
aux montants d'achats déterminés par deux sources statistiques distinctes

(en millions de francs)

SEUIL

EAE - SCEES

INSEE

> 2,5 MF

803

1.080

> 3 MF

779

1.053

> 5 MF

677

1.035

Il ressort de ces simulations que le rendement théorique est très supérieur au produit effectif constaté . En outre, les montants obtenus à partir des données du SCEES, qui ne prennent en compte que les entreprises de plus de 10 salariés, sont plus proches de la réalité que ceux obtenus à partir des chiffres de l'INSEE, alors qu'un nombre important des contribuables de la taxe sont des entreprises de moins de 10 salariés.

Les services du ministère de l'agriculture ne se sont pas déclarés en mesure de fournir à votre rapporteur une explication de ces résultats surprenants. Trois pistes semblent possibles à explorer :

- le nombre des redevables serait surestimé. Cette piste ne semble pas avérée car, s'agissant des grandes et moyennes surfaces, dont le nombre, le chiffre d'affaire et le montant des achats sont connus avec certitude, le montant qu'elles sont statistiquement censées acquitter est supérieur au produit total constaté ;

- la taxe pourrait n'être pas acquittée sur l'ensemble des achats ;

- les informations recueillies par votre rapporteur font généralement état d'une collecte de la taxe conforme aux espérances. Pourtant, le graphique ci-dessous, élaboré à partir d'informations transmises par le ministère de l'Agriculture, conduit à ne pas exclure l'hypothèse d'une montée en charge progressive du rendement de la taxe.

(en millions de francs)

L'écart entre le produit constaté et l'application des taux de la taxe aux montants d'achats réalisés par l'ensemble des entreprises assujetties, sachant que le nombre de redevable ne semble pas contestable, est mystérieux. Il est cependant possible de retenir deux choses :

Si les données à partir desquelles a été élaborée la taxe d'équarissage ne permettent pas prévoir le rendement de la taxe, elles renseignent sur la répartition des effectifs en fonction de leur chiffre d'affaire hors taxe.

On constate à partir des simulations que le relèvement du seuil d'exonération n'entraîne pas de perte de recette importante. Ceci conduit à penser que le nombre d'entreprises redevables de la taxe dont le chiffre d'affaire est compris entre 2,5 et 5 millions de francs est très faible.

La possibilité que de nombreux bouchers charcutiers réalisent un chiffre d'affaire supérieur à 5 millions de francs étant écartée, ce résultat semble accréditer l'idée selon laquelle la plupart des artisans et des petits commerces sont déjà exonérés du paiement de la taxe.

S'agissant de la taxe additionnelle, le chiffrage du Gouvernement repose sur le produit constaté de la taxe d'équarissage

Le Gouvernement, dans son étude d'impact, évalue le produit de la taxe additionnelle à 250 millions de francs. Ce montant correspond au rendement souhaité. Il a été obtenu en divisant par deux les taux de la taxe principale. Ces taux ayant permis de rapporter 600 millions de francs, leur moitié devrait en toute logique assurer un produit de 250 à 300 millions de francs.

III - COMMENT AMÉNAGER LE DISPOSITIF ?

A. LE RECOURS A UN FINANCEMENT BUDGÉTAIRE NE DEVRAIT PAS ÊTRE ÉCARTÉ


Le financement de la mesure par le budget de l'Etat ne serait pas illogique tant pour des raisons de forme que fond. Sur la forme, il est délicat de financer l'élimination des farines par une taxe additionnelle " adossée " à une taxe présumée contraire au droit communautaire.

Sur le fond, cette mesure est justifiée par des considérations relatives aux notions de service public et de santé publique et, par conséquent, un appel à la solidarité nationale est envisageable.

En outre, le Gouvernement avait prévu au départ que l'opération pouvait coûter jusqu'à 450 millions de francs. En choisissant de prélever 250 millions de francs par la taxe additionnelle, il se sentait donc en mesure d'apporter jusqu'à 200 millions de francs sur des crédits budgétaires. Or, l'élimination des farines animales s'effectuera probablement pour un coût limité à environ 200 millions de francs.

Enfin, le rapport de l'Assemblée nationale consacré à l'article 41 du présent projet de loi considère que le taux de la taxe est " suffisamment faible pour qu'on ne puisse pas exclure qu'il soit répercuté sans trop de dommage sur le consommateur ". Votre rapporteur considère, au contraire, que si les Français doivent, in fine, financer l'élimination des farines animales non conformes, il serait préférable qu'ils le fassent directement, en tant que contribuables, plutôt qu'indirectement, en tant que consommateurs sur lesquels les entreprises répercuteraient le coût de la taxe. Ceci permettrait notamment d'éviter aux entreprises les coûts administratifs de gestion de la taxe et serait conforme au principe de solidarité nationale.

B. L'ORGANISATION DE LA TAXE NE PEUT PAS ÊTRE MODIFIÉE

Certains députés, conscients du caractère injuste d'un prélèvement supporté par des agents économiques étrangers à la difficulté à résoudre, ont proposé, lors de la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale, des aménagements à la taxe additionnelle tels que :

- la prise en compte de la superficie des magasins dans la détermination de l'assiette de la taxe .

Proposé par M. George Sarre, ce critère avait été suggéré au Sénat dès 1996 par M. Philippe Marini. Un tel dispositif ne permet pourtant pas de rendre la taxe plus juste. En effet, certains magasins, en zone rurale notamment, peuvent avoir une taille très supérieure à celle de boucherie du centre des grandes villes, et un chiffre d'affaire très nettement inférieur. En outre, la nécessité de mesurer l'ensemble des magasins rend cette solution illusoire.

- la déconnexion des deux taxes .

Proposé par Mme Nicole Bricq, ce dispositif consiste à substituer à la taxe additionnelle une " taxe de modernisation des industries d'équarrissage et de traitement des farines animales non conformes ". La déconnexion, théorique puisque la taxe est perçue dans les conditions de la taxe d'équarrissage, permettrait de ne pas s'interdire de réformer cette dernière dès que l'occasion s'en présenterait. Mais elle comporterait l'inconvénient d'aboutir au même résultat que la taxe additionnelle, par un prélèvement sur les détaillants, tout en contraignant ces derniers à effectuer deux déclarations au lieu d'une seule.

Par conséquent, si le principe d'une taxe additionnelle n'est pas entièrement satisfaisant, la rédaction actuelle de l'article 41 semble la plus opérationnelle pour la mettre en oeuvre.

C. UN RELÈVEMENT DU SEUIL D'EXONÉRATION EST SOUHAITABLE

Votre commission des finances vous propose de relever le seuil d'exonération de 3 millions à 5 millions de francs de chiffre d'affaire hors taxe
. Cet aménagement aurait pour effet :

- de couper court à la controverse sur le nombre réel de petits commerces assujettis à la taxe , sans pour autant modifier substantiellement le produit de celle-ci. En effet, les données de l'INSEE et du ministère de l'agriculture montrent que le nombre de contribuables de la taxe dont le chiffre d'affaire est compris entre le seuil actuel de 2,5 millions et le seuil proposé de 5 millions est très faible. En outre, les taux proposés pour la taxe additionnelle sont prévus pour rapporter 300 millions de francs. Enfin, si le relèvement du seuil devait conduire à des pertes de recettes, le Gouvernement serait malgré tout en mesure d'atteindre son objectif d'un rendement de 250 millions de francs.

- de prendre acte du fait que l'opération coûtera vraisemblablement moins cher que prévu car, dans la quasi-totalité des cas, le retraitement sera préféré à l'incinération. Par conséquent, un allongement de la durée du prélèvement ne serait même pas nécessaire.

- de contribuer à la simplification administrative, encouragée par d'autres articles de ce texte . Aujourd'hui, les entreprises dont le chiffre d'affaire est compris entre 2,5 et à 5 millions de francs ne peuvent profiter de tous les avantages du régime simplifié de TVA, auquel elles ont droit, car le paiement de la taxe les oblige à trier les produits qui entrent dans le champ d'application de la taxe pour en déterminer l'assiette.

En harmonisant le seuil d'exonération de la taxe additionnelle avec celui du régime simplifié de la TVA, cette modification ouvrirait la voie à une souhaitable réforme future de la taxe d'équarrissage.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

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