C. L'OBJET DU PROJET DE LOI : LA CRÉATION D'UNE COMMISSION DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE ENTRE LE JUGE ET L'AUTORITÉ RESPONSABLE DU SECRET
1. L'autorité administrative indépendante : un outil administratif privilégié de régulation des pouvoirs
Les autorités administratives indépendantes se
sont multipliées depuis la fin des années 1970, lorsque furent
créées les plus connues d'entre elles, en particulier la CNIL et
la CADA en 1978. La CNCIS, créée en 1991, tient, pour sa part,
une place particulière dans le dispositif du présent projet de
loi.
Les autorités administratives indépendantes, qualifiées ou
non comme telles dans leur texte fondateur, interviennent aujourd'hui dans
trois domaines principaux : la lutte contre une certaine rigidité
bureaucratique la défense du citoyen-usager ; la régulation de
l'économie de marché, enfin l'information et la communication.
Ces instances tiennent aujourd'hui une place importante dans la vie
administrative. Comme le relève Mme Marie-José Guédon
8(
*
)
, elles incarnent
"un
Etat
arbitre, subtil composé de "gendarme" et de conciliateur incitateur,
dont l'intervention
"a pour but de favoriser l'instauration d'un
équilibre dans l'exercice des activités et des libertés,
sans un recours systématique à l'encadrement rigide par la norme
contraignante."
Nombreux sont les juristes qui se sont essayés à définir
succinctement ce que pouvait être une autorité administrative
indépendante. Exercice difficile, la conjonction même de ces trois
mots posant problème : comment démontrer
l'indépendance
lorsque le pouvoir politique selon diverses
modalités, joue un rôle plus ou moins marqué dans le
processus de nomination des membres de ces autorités ? Peut-on par
ailleurs qualifier
d'autorité
certaines de ces instances
auxquelles -comme pour la Commission dont la création est
proposée par le présent projet de loi- n'est reconnu qu'un
pouvoir consultatif ? Comme le préconise M. Michel Gentot
9(
*
)
,
"c'est (...) une définition
large de l'"autorité" qu'il convient de retenir, intégrant des
organismes qui ont des responsabilités dans un processus administratif
de décision ou de contrôle, en exerçant un pouvoir
d'influence ou une magistrature morale,
(...)". Enfin c'est
essentiellement
par défaut qu'elles se voient qualifiées
"d'administrative
",
n'étant
"ni un démembrement
du pouvoir législatif ni un mode d'expression de l'autorité
judiciaire"
10(
*
)
.
Votre rapporteur s'en remettra au même auteur pour ce qui est de la
définition, à son avis la plus appropriée et la plus
claire, de ce type d'autorité : ce sont
"des organismes publics non
juridictionnels et dépourvus de la personnalité morale qui ont
reçu de la loi la mission d'assurer la régulation de secteurs
sensibles, de veiller au respect de certains droits des administrés et
sont dotés de garanties statutaires et de pouvoirs leur permettant
d'exercer leurs fonctions sans être soumis à l'emprise du
gouvernement"
11(
*
)
.
Enfin le Conseil d'Etat
12(
*
)
a
précisé la
"quadruple capacité"
de ces
"magistratures d'influence",
appelées à jouer un
"rôle de médiation aux frontières de la transparence et
du secret pour que soit rendu à l'une et à l'autre ce qui leur
reviennent" :
- intervenir à titre consultatif préalablement à des
décisions de l'autorité administrative ou pour élucider,
à la demande de celle-ci ou d'autres parties, des questions
formulées en termes généraux ;
- instruire les plaintes des usagers ;
- s'interposer entre les usagers et l'autorité compétente dans le
cas où certaines exigences (secret défense, secret de la
sécurité publique, secret de la vie et des activités
privées) conduisent à limiter le droit d'accès à
certaines informations ;
- présenter enfin des rapports qui, rendus publics, permettent à
l'opinion de prendre la mesure de l'évolution des pratiques dans les
domaines où elles sont compétentes.
2. Une instance chargée de préserver l'équilibre de la transparence et du secret
Si, comme il vient d'être rappelé, les
autorités administratives indépendantes, notamment la CADA ou la
CNIL, incarnent principalement le souci de transparence, en s'efforçant
de lui concilier le respect d'intérêts publics essentiels, aucune
instance de cette nature n'avait jusqu'alors reçu la
responsabilité principale du secret de la défense nationale.
Celle-ci reste étroitement cantonnée à la sphère
administrative et protégée par elle -y compris à
l'égard du juge. C'est donc précisément l'objet du
présent projet de loi d'instituer une instance nouvelle destinée
à exercer cette
"fonction d'expertise et de veille
spécialisée"
dans ce domaine sensible du secret de la
défense nationale.
Cette proposition n'est pas complètement nouvelle. Dans son rapport
précité, pour l'année 1995, le Conseil d'Etat, concluant
une analyse approfondie sur la transparence et le secret, préconisait le
"recours à une autorité indépendante
médiatrice",
singulièrement s'agissant du secret de la
défense nationale
"où toutes sortes de considérations
(...) militent en faveur d'une innovation propre à attester et de la
confiance de la République dans la légitimité des
pratiques généralement suivies en la matière, et de la
détermination de ses choix démocratiques".
Plus
précisément encore, le Conseil d'Etat préconisait la
création d'une Commission
"comportant un nombre très
limité de membres (3 à 5) et jouant le rôle que joue le
membre de la CNIL désigné à titre personnel pour
satisfaire à la règle d'accès indirect aux données
couvertes par le secret défense".
Ce rôle, poursuivait alors
un Conseil d'Etat fort ambitieux, s'exercerait
"quelles que soient les
circonstances où se trouve posé un problème touchant
au secret défense,
y compris en cas de litige devant la
juridiction administrative ou judiciaire.
Le Conseil concluait qu'une telle
innovation
"constituerait un pas décisif vers l'élimination
d'un "angle mort" des dispositifs de régulation des institutions et
vers
la suppression d'un des derniers bastions de l'autocontrôle de
l'Administration par elle-même".