PROJET DE LOI
ARTICLE UNIQUE
Est autorisée la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, signé à New York le 24 septembre 1996 et dont le texte est annexé à la présente loi 1( * ) .
ANNEXE N° 1
AUDITION DE M. Yannick D'ESCATHA,
Administrateur général du Commissariat à l'Energie
Atomique
Réunie le mercredi 28 janvier 1998 sous la
présidence de M. Xavier de Villepin, la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées du
Sénat a procédé à l'audition de M. Yannick
d'Escatha, administrateur général du Commissariat à
l'énergie atomique (CEA), de M. Jacques Bouchard, directeur des
applications militaires du CEA, et de M. Christian Prettre, directeur des
relations internationales du CEA.
M. Yannick d'Escatha a tout d'abord évoqué l'avenir et les enjeux
du programme de simulation qui représente, depuis l'arrêt
définitif des essais nucléaires, l'unique moyen de maintenir
à long terme la capacité technique de notre dissuasion
nucléaire, tant pour garantir la fiabilité et la
sûreté des armes qui remplaceront les armes actuelles que pour
faire face aux problèmes liés au vieillissement des charges.
M. Yannick d'Escatha a particulièrement insisté sur les
impératifs de calendrier qui imposent, d'ici 2010, le remplacement des
équipes ayant été confrontées aux essais en vraie
grandeur par une nouvelle génération de techniciens qui ne
bénéficieront pas de la même expérience et qui ne
pourront plus tester les armes de renouvellement. Il a souligné que,
dans ces conditions, la mission du CEA était d'assurer, avant le
remplacement des têtes nucléaires actuelles, et notamment celui de
la TN 75 par la future tête nucléaire océanique (TNO) en
2015, la mise en place d'équipes nouvelles capables de fabriquer des
charges nucléaires présentant toutes garanties de
fiabilité et de sûreté, afin de maintenir la
capacité technique de la dissuasion française. Dans cette
perspective, il a précisé que le CEA s'attachait à
constituer de nouvelles équipes formées de personnel de haut
niveau, qui devaient bénéficier des résultats des essais
passés, et notamment de la dernière campagne d'essais, tout en
étant "homologuées" par les personnels plus anciens qui avaient
connu les essais en vraie grandeur et en avaient retiré toute
l'expérience, même si elle est parfois empirique, comme dans le
domaine thermonucléaire non accessible jusqu'ici en laboratoire. Il a
estimé que ce passage de relais constituait une situation unique, car il
devait être impérativement réussi dans une "fenêtre
de temps" très réduite où les équipes nouvelles et
les équipes anciennes devront travailler ensemble sur le laser
Mégajoule avant 2010 pour combler les connaissances manquantes, faute de
quoi la perte des capacités techniques dans le domaine de la dissuasion
serait irréversible, en raison de l'arrêt des essais.
M. Yannick d'Escatha a ensuite rappelé les deux objectifs principaux du
programme de simulation :
- fournir les données permettant de maîtriser les effets du
vieillissement des armes,
- et garantir la fiabilité et la sûreté des armes
appelées à remplacer les armes nucléaires actuelles par
des armes dites "robustes" ; elles ont été validées lors
de la dernière campagne d'essais et seront moins sophistiquées et
donc, en particulier, moins sensibles aux inévitables variations de
fabrication.
Il a précisé que ces objectifs impliqueront la mise en oeuvre de
trois types d'opérations : la modélisation de la physique du
fonctionnement des armes nucléaires, le calcul numérique et la
validation expérimentale. Il a évoqué les deux instruments
principaux nécessaires à cet effet : la machine radiographique
Airix, qui permettra, à l'aide d'expérimentations non
nucléaires, de donner des indications sur le comportement des
matériaux et qui sera opérationnelle dès 1999 ; le laser
Mégajoule, dédié à l'expérimentation de la
combustion thermonucléaire d'une très faible quantité de
matière soumise au rayonnement de 240 faisceaux lasers.
M. Yannick d'Escatha a précisé les principales
échéances de la construction du laser Mégajoule : un
prototype doté de 8 faisceaux, la ligne d'intégration laser
(LIL), sera mis en service en 2001, alors que le laser Mégajoule
lui-même sera doté d'un tiers de ses faisceaux en 2006 pour
être achevé en 2010. Il a conclu sur ce sujet en rappelant
à la fois l'impératif absolu de réussite de ce programme
et la très forte contrainte pesant sur sa réalisation d'ici 2010.
Abordant le traité d'interdiction complète des essais
nucléaires (CTBT), qui proscrit le recours aux essais nucléaires
en vraie grandeur, y compris ceux de faible énergie, il a indiqué
que celui-ci avait été signé par 149 pays, dont les 5
puissances nucléaires déclarées et Israël. Il a
rappelé que l'entrée en vigueur du traité était
subordonnée à sa ratification par les 44 Etats disposant de
capacités nucléaires dans le domaine civil, et que, parmi eux,
l'Inde s'opposait toujours à la mise en oeuvre de ce traité.
L'administrateur général du CEA a alors présenté
les principaux moyens prévus par le traité pour faire respecter
l'interdiction des essais, à savoir un système de surveillance,
un centre international de données et des entités chargées
de l'inspection sur place et de l'évaluation. Il a précisé
que les Etats pourraient continuer à utiliser également leurs
propres systèmes nationaux de surveillance et d'interprétation.
Il a estimé que les moyens prévus par le traité, et
notamment la transmission à un centre international de données,
accessible à tous les Etats parties, des résultats de la
surveillance internationale, permettront de détecter sur 90 % du
territoire mondial toute explosion nucléaire supérieure à
1 kilotonne.
MM. Yannick d'Escatha, Jacques Bouchard et Christian Prettre ont ensuite
répondu aux questions des commissaires.
M. Jean Faure, soulignant le caractère non modifiable de la
"fenêtre de temps" évoquée par l'administrateur
général du CEA pour la réalisation du programme de
simulation et, par voie de conséquence, le caractère
impératif du respect du calendrier prévu, s'est interrogé
sur les conséquences des diminutions budgétaires
décidées pour 1998. S'agissant par ailleurs de la mise en oeuvre
du traité d'interdiction complète des essais, il a demandé
aux responsables du CEA quelles pourraient être, à leurs yeux, les
conséquences de la non-adhésion de l'Inde sur l'efficacité
du système de surveillance prévu.
M. Christian de La Malène s'est demandé si d'autres pays
nucléaires se dotaient ou envisageaient de se doter d'armes
nucléaires nouvelles, alors que la France devait nécessairement
se contenter de la fabrication d'armes "robustes", très proches des
armes actuelles qui avaient été testées en grandeur
réelle.
M. Hubert Durand-Chastel s'est déclaré très
préoccupé du danger présenté par les centrales
nucléaires de certains pays et s'est interrogé sur la
possibilité de conclure un avenant au traité de
non-prolifération nucléaire qui permettrait de combattre les
risques présentés par ces centrales en améliorant leur
sécurité.
M. Serge Vinçon, revenant sur l'efficacité attendue du CTBT, a
demandé aux responsables du CEA quelles seraient à leurs yeux les
chances de détecter des essais de faible puissance sur des territoires
très étendus.
M. Xavier de Villepin, président, a d'abord posé des questions
concernant les futures composantes nucléaires françaises :
quelles seraient les caractéristiques des futures têtes
nucléaires TNA et TNO ? dans quelle mesure le programme de simulation
était-il réellement indispensable pour assurer la
sécurité et la fiabilité des futures armes ? où en
était-on aujourd'hui de l'indétectabilité de la composante
sous-marine ?
M. Xavier de Villepin, président, revenant sur le programme de
simulation, a ensuite interrogé les responsables du CEA sur les
conditions du maintien de compétences des nouvelles équipes, sur
les retombées civiles éventuelles du programme de simulation, sur
le coût et le financement de ce programme, et sur l'intensité de
la coopération franco-américaine en la matière.
MM. Yannick d'Escatha, Jacques Bouchard et Christian Prettre, répondant
aux intervenants, ont alors apporté les précisions suivantes :
- les arbitrages rendus nécessaires par le budget pour 1998 ont
préservé le programme de simulation et n'ont pas porté
atteinte à son calendrier ; il demeurera toutefois essentiel de
disposer, dans les années à venir, des moyens nécessaires
pour respecter la "fenêtre de temps indéformable" durant laquelle
le programme de simulation devra être mené à bien ;
- la non-adhésion de l'Inde au CTBT pourrait constituer un facteur de
blocage de la mise en oeuvre du système de surveillance prévu par
ce traité ; une conférence diplomatique devrait être
réunie en 1999 pour examiner les possibilités juridiques
d'entrée en vigueur du traité si des pays comme l'Inde
continuaient à refuser d'y adhérer ;
- la sécurité des centrales nucléaires dans les pays
Est-européens constitue en effet une préoccupation majeure, mais
la démarche de la communauté internationale en la matière
repose surtout sur l'aide technique et sur le respect de "codes de bonne
conduite" permettant de diffuser une bonne culture de sûreté
(convention sur la sûreté des réacteurs) ;
- le coût du programme de simulation s'élèvera à
environ 10 milliards de francs sur la période 1995-2010 pour les grands
investissements nécessaires (laser Mégajoule, Airix et
ordinateurs de grande puissance) et à environ 1 milliard de francs par
an de coût de fonctionnement correspondant à l'activité
d'un millier de chercheurs ; l'ensemble de ces coûts ne représente
toutefois que moins de 10 % des crédits consacrés au
nucléaire militaire et aboutit par ailleurs à des
économies par rapport au coût antérieur des essais
nucléaires ;
- le programme de simulation est totalement indispensable pour assurer, sur le
long terme, la fiabilité et la sûreté des armes et pour
pérenniser notre capacité technique de dissuasion ; les autres
puissances nucléaires reconnues ont d'ailleurs, à des
degrés divers, engagé des programmes comparables ;
- la principale caractéristique des futures têtes
nucléaires TNA et TNO résidera dans le fait qu'elles seront
dotées de charges "robustes" dérivées des essais en
grandeur nature ; leurs performances ne seront pas fondamentalement
différentes de celles des armes actuelles ;
- la simulation ne permet pas la fabrication d'armes nucléaires
nouvelles, éventuellement miniaturisées, ce qui, au demeurant, ne
semble pas figurer aujourd'hui parmi les objectifs des autres puissances
nucléaires ;
- la coopération franco-américaine pour le développement
des outils de la simulation se poursuit de manière très
fructueuse, tant dans le domaine des lasers (avec le laboratoire de Livermore)
que dans celui de la radiographie (avec le laboratoire de Los Alamos) ;
- les retombées civiles potentielles du programme de simulation, et
notamment du laser Mégajoule, sont très importantes dans des
domaines aussi variés que la production d'énergie,
l'astrophysique, voire la biologie ; le CEA, à travers la DAM mais aussi
ses directions civiles, participe ainsi, dans le domaine des lasers, à
la constitution d'un pôle scientifique français
particulièrement performant ;
- le système international de surveillance prévu par le CTBT
devrait permettre de détecter des expérimentations de l'ordre
d'une kilotonne, mais son efficacité pourra être renforcée
par les moyens de détection nationaux qui pourront également
permettre d'alerter la communauté internationale ;
- des progrès importants ont été réalisés
dans la discrétion acoustique des sous-marins et nos SNLE de nouvelle
génération satisfont à des spécifications
très ambitieuses dans ce domaine, même si nul ne peut
préjuger des progrès qui pourraient être accomplis, sur le
long terme, dans le domaine de la détection ;
- la direction des applications militaires du CEA s'est engagée,
dès la fin 1996, dans une nouvelle et importante restructuration de ses
moyens qui aboutira à une nouvelle réduction de ses effectifs de
20 % en trois ans et à la fermeture de 3 sites sur 7.
M. Xavier de Villepin, président, a enfin évoqué avec les
responsables du CEA la situation de l'Irak au regard de la prolifération
nucléaire.