II. LE DISPOSITIF DU TRAITÉ : UNE INTERDICTION COMPLÈTE DES ESSAIS NUCLÉAIRES ASSORTIE DE MESURES DE VÉRIFICATION MAIS UNE ENTRÉE EN VIGUEUR ENCORE HYPOTHÉTIQUE
Le traité d'interdiction complète des essais
nucléaires (TICE) -ou
Comprehensive test ban treaty
(CTBT)
selon la formulation anglaise- constitue un texte particulièrement dense
et précis composé de 17 articles et 2 annexes. Il est assorti
d'un protocole lui-même très développé et
flanqué de deux annexes.
Ce dispositif comporte trois volets :
- tout d'abord la définition de la portée du traité,
c'est-à-dire le champ des activités interdites,
- ensuite l'instauration d'une organisation qui aura pour tâche
principale la mise en place de mesures de vérification et de
surveillance,
- enfin les conditions d'entrée en vigueur du traité.
A. LA PORTÉE DE L'INTERDICTION COMPLÈTE DES ESSAIS NUCLÉAIRES : "L'OPTION ZÉRO"
La nature des activités expérimentales interdites constituait le fond même du traité, qui a finalement opté pour une interdiction complète de tous types d'essais nucléaires . Cette définition large ne prive cependant pas les Etats de moyens d'expérimentation et préserve les programmes de simulation.
1. Une interdiction complète des essais nucléaires
C'est l'article Ier, intitulé "Obligations
fondamentales", qui définit la portée du traité en
stipulant que "
chaque Etat partie s'engage à ne pas effectuer
d'explosion expérimentale d'arme nucléaire ou d'autre explosion
nucléaire et à interdire et empêcher toute explosion de
cette nature en tout lieu placé sous sa juridiction ou son
contrôle
".
Il s'agit donc d'un
traité d'interdiction complète
,
à la différence du traité d'interdiction partielle des
essais nucléaires de 1963 (
Partial Ban Test Treaty
) qui
interdisait les explosions expérimentales nucléaires ou toute
autre explosion nucléaire dans l'atmosphère, l'espace
extra-atmosphérique et sous les mers, que la France n'avait pas
signé, ou du traité américano-russe d'interdiction
à seuil (
Threshold Test Ban Treaty
) de 1974, par lequel les
américains et les soviétiques s'engageaient à limiter
à 150 kilotonnes maximum la puissance de leurs essais souterrains.
La formule adoptée consacre donc "
l'option zéro
",
proposée par la France au cours de la négociation, qui interdit
tous les essais nucléaires quelle que soit leur puissance et quel que
soit le milieu dans lequel ils sont réalisés.
A un moment soutenue par certains pays nucléaires, la possibilité
d'essais de faible puissance (expérimentations hydronucléaires) a
été finalement écartée, d'autant que des
discussions subsistaient sur le niveau d'énergie dégagée
qui aurait pu être considéré comme acceptable.
L'interdiction vise également les explosions nucléaires dites
"pacifiques"
, dont le maintien était défendu par la Chine qui
estimait que des explosions nucléaires pouvaient dans certaines
circonstances présenter un intérêt sur le plan
économique, sans pour autant poursuivre des objectifs militaires.
Cette notion d'explosion "pacifique" renvoie à l'article II du
Traité de non prolifération qui envisageait dans des conditions
très précises la possibilité d'exploiter "
les
bénéfices potentiels des applications pacifiques des explosions
nucléaires
".
Pendant les années soixante-dix, des programmes dits "d'explosions
nucléaires pacifiques" ont été conduits dans certains
pays, notamment en URSS et c'est dans ce cadre que l'Inde a
présenté son essai nucléaire souterrain en 1974.
Toutefois, il apparaît en pratique impossible de certifier qu'une
explosion nucléaire pourrait être totalement dépourvue de
conséquences militaires, si bien que la notion d'explosion "pacifique"
est apparue comme une brèche importante dans le régime de
non-prolifération.
En prohibant toute explosion nucléaire expérimentale ou toute
autre explosion nucléaire, l'article Ier exclut bien les explosions
nucléaires "pacifiques".
La Chine a accepté de souscrire à cet engagement tout en
obtenant, par l'article VIII, la possibilité théorique de
réexaminer la question à chaque conférence d'examen du
traité, c'est-à-dire tous les 10 ans suivant l'entrée en
vigueur.
Mais la possibilité de réaliser des explosions nucléaires
souterraines à des fins pacifiques exigerait une décision par
consensus de la Conférence, puis l'adoption, toujours par consensus,
d'un amendement en ce sens au Traité, amendement qui devrait
également "
empêcher que des avantages militaires ne soient
retirés de ces explosions nucléaires
". Cette
rédaction aboutit à rendre infimes les probabilités d'une
remise en cause de l'interdiction des explosions nucléaires
"pacifiques".
2. Des possibilités maintenues pour les expérimentations non nucléaires et la simulation
Le traité ménage la possibilité
d'expérimentations non nucléaires et des programmes de simulation.
En effet, certaines activités liées à la mise au point ou
à la maintenance des armes nucléaires mais qui ne sont pas des
essais nucléaires demeurent autorisées.
C'est le cas des
expériences hydrodynamiques
, parfois
appelées "
essais froids
", qui impliquent la détonation
d'un explosif sans matières fissiles, celles-ci étant
remplacées par des matières inertes. Il s'agit ici simplement de
tester, par exemple, la performance de l'architecture d'une arme, sans
provoquer à quelque moment que ce soit de dégagement
d'énergie nucléaire.
C'est également le cas des
expérimentations dites "sous
critiques"
qui associent la détonation d'un explosif et la
présence de matières fissiles telles que l'uranium ou le
plutonium, sans pour autant déclencher de réaction
nucléaire en chaîne. Destinées notamment à
vérifier le comportement sous le choc des matériaux, ce type
d'expérience n'implique aucun dégagement d'énergie
nucléaire et demeure donc autorisé.
Les États-Unis ont procédé, sur le site du Nevada,
à des expérimentations "sous critiques" les 2 juillet et 18
septembre 1997. Tel n'est pas le cas de la France qui se limite pour sa part
à des "essais froids".
Par ailleurs, ainsi que l'a très clairement indiqué la France au
cours de la négociation, le traité n'interdit pas les
activités de simulation
qui font appel au calcul
numérique, à la modélisation du fonctionnement physique
des armes et à des instruments de validation expérimentale tels
que les faisceaux laser. Cela était particulièrement important
pour la France qui a lancé un programme de simulation destiné
à garantir la fiabilité et la sûreté des armes
nucléaires après l'arrêt des essais et la fermeture de son
centre d'expérimentations.