B. UN PROJET IMPOSÉ AUX ACTEURS ÉCONOMIQUES SANS VÉRITABLE CONCERTATION
1. Le bilan économique et social préparatoire à la conférence nationale était univoque, peu susceptible d'ouvrir un débat sur les causes du chômage et les moyens d'y remédier
Dans le cadre de la préparation de la Conférence
nationale tripartite du 10 octobre 1997 sur l'emploi, les salaires et le temps
de travail, les partenaires sociaux se sont vu remettre les
éléments d'un bilan économique et social de la France
réalisé par des organismes gouvernementaux : l'INSEE, la
Direction de la prévision et la DARES. Cette étude qui devait
servir de "
base commune et crédible d'informations
"
recèle une foule d'informations précieuses mais force est de
constater qu'elles n'ont pas préparé un débat mais
plutôt l'annonce d'une décision tellement elles tendaient toutes
à plaider pour la relance de la réduction du temps de travail
sous l'impulsion du Gouvernement.
Plus précisément, on peut regretter qu'il n'ait pas
été demandé à ces organismes d'établir un
diagnostic précis des causes du chômage et d'établir les
différents scénarios envisageables pour y remédier
. De
ce fait, on peut s'interroger sur l'utilité d'un tel document qui
semblait plus destiné à annoncer la décision qu'à
la préparer.
On remarque par exemple que très peu d'attention a été
consacrée à l'analyse des causes du chômage, le document se
contentant de rappeler la continuelle progression du phénomène.
Il peut paraître curieux que la conférence se soit donner pour
mission d'apporter des solutions à un problème -le chômage-
sans avoir au préalable étudier convenablement ses origines.
Le second reproche porte sur le caractère hexagonal de l'exercice. Le
diagnostic réussit la performance d'ignorer l'expérience de nos
partenaires alors que c'est précisément leur réussite qui
met en évidence nos insuffisances. On retiendra toutefois que
l'état des lieux observe que "
avec un taux de chômage de
12,5 %, la situation de la France, comparée à celle des
autres pays, s'est fortement détériorée depuis quelques
années. En mai 1997, l'écart avec la moyenne des pays
industrialisés atteignait le record absolu de 5,2 points (taux de
chômage de 7,3 % en moyenne dans l'OCDE), contre à peine plus
de deux points à la fin des années 80. Au sein de l'Union
européenne, le taux de chômage français arrive au
troisième rang (après l'Espagne et la Finlande), et
l'écart à la moyenne de l'Union européenne approche deux
points ".
Taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle (en %)
|
Cadres |
Professions intermédiaires |
Employés |
Ouvriers |
Ensemble |
1970 |
0,8 |
0,8 |
1,6 |
1,9 |
1,6 |
1990 |
2,6 |
4,1 |
11,9 |
12,2 |
9,3 |
1997 |
5,1 |
7,0 |
14,4 |
15,8 |
12,4 |
Source : INSEE, Enquêtes Emploi
Le document rappelle que depuis 1990, le taux de croissance français est
très inférieur à celui de nos partenaires
européens. Attribuant essentiellement ce déficit de croissance
à un défaut de la demande, ces études minorent ainsi
l'aspect structurel de la langueur française et ses conséquences
sur la demande globale à travers l'augmentation de l'épargne de
précaution par exemple. Considérer que les structures du
marché du travail français sont secondaires par rapport aux
débouchés des entreprises dans l'explication du niveau
élevé du taux de chômage français est douteux et
préoccupant eu égard à la validité des politiques
qui pourraient être mises en oeuvre à partir d'un tel constat.
Ceci est d'autant plus inquiétant que l'état des lieux
précise que le "
mode de formation spontané des salaires
semble constituer une faiblesse structurelle de l'économie
française.
".
L'état des lieux insiste sur
l'augmentation de la richesse en emplois
de la croissance française depuis cinq ans
. Il considère que
ces créations d'emplois sont essentiellement imputables au
développement accéléré du travail à temps
partiel. Le dossier distribué insiste également sur
l'évolution de la norme d'emploi, il fait observer que "
la
norme de l'emploi salarié à temps plein et à durée
indéterminée a perdu du terrain, avec le développement du
travail à temps partiel et des emplois temporaires (contrats à
durée déterminée et intérim)
". On peut
lire que "
les emplois temporaires sont aujourd'hui couramment
utilisés par les entreprises pour ajuster leur volume d'emploi aux
variations de l'activité
" et que "
en 1994, environ
¾ des embauches réalisées par les établissements de
plus de 50 salariés se sont faites sur des contrats courts, ces contrats
à durée déterminée pouvant, dans certains cas, se
transformer en contrats à durée indéterminée
après une période d'évaluation des nouveaux
embauchés
".
On peut s'étonner dans ces conditions
que le projet de loi prévoie nombre de contraintes
supplémentaires au développement du travail à temps
partiel. Ne risque-t-il pas de limiter la richesse en emplois de la croissance
en agissant ainsi ?
Considérant la durée du temps de travail, l'état des lieux
estime que la baisse de la durée annuelle des salariés à
temps plein, qui était soutenu depuis 1965, s'est interrompue en France
après 1982, les horaires hebdomadaires se concentrant autour de la
nouvelle norme légale de 39 heures.
Par ailleurs, l'état des lieux rappelle que "
l'uniformisation
apparente de la durée offerte cache une réalité en voie de
diversification. A partir de l'ordonnance de janvier 1982, différents
modes d'aménagement du temps de travail ont pu être
négociés dans les branches et les entreprises, en particulier la
modulation, mais aussi le cycle qui ont pour effet de ne plus se limiter au
cadre temporel de la semaine pour appréhender la durée collective
du travail. La modification du système de décompte des heures
supplémentaires et la possibilité de substituer un repos
compensateur de remplacement à leur majoration remet également en
cause un référentiel hebdomadaire unique. Enfin, la limitation
à 35 heures hebdomadaires du travail posté en continu et la mise
en place d'équipes de suppléance de fin de semaine ont
contribué à la diversification des horaires collectifs
".
Dans ces conditions, on peut s'étonner que le Gouvernement cherche
à restaurer la notion de durée légale au coeur des
préoccupations des entreprises.
Cette notion, héritée
de 1936, était certes adaptée aux grandes industries, mais elle
ne répond plus à aucune nécessité. La plupart de
nos partenaires européens se contentent d'ailleurs de définir des
maxima hebdomadaires renvoyant aux partenaires sociaux le soin de
définir les durées du travail.
Par ailleurs, l'état des lieux précise qu'"
à
cette diversification croissante des durées offertes, s'est
superposée la diversification croissante, voire l'éclatement des
durées individuelles, traduisant une large panoplie d'horaires,
résultant du recours à des modes d'organisation du temps de
travail de plus en plus complexes ". Il est à noter qu'en 1997,
" la durée de travail habituelle moyenne des salariés
était de 36 h 72 et de 39 h 76 pour les seuls
salariés à temps complet, le personnel d'encadrement ayant des
journées de travail plus longues que le personnel d'exécution. En
1995, les cadres travaillaient en moyenne 4 heures de plus par semaine que les
autres salariés à temps complet. "
.
Les fiches de diagnostic qui constituent l'état des lieux soulignent que
"
l'individualisation des horaires a accompagné
l'irrégularité de la journée de travail : ainsi, en 1997,
9 % des salariés déclarent ne pas avoir d'horaires
habituels. Les enquêtes sur les conditions de travail de 1978, 1984 et
1991 montrent que les horaires fixes sont en recul : ils concernaient 52 %
des salariés en 1991 contre 65 % en 1978. En 1991, 15 % des
salariés ne travaillent pas le même nombre de jours chaque semaine
contre 11 % en 1984. La semaine de travail flexible va souvent de pair
avec des horaires journaliers également flexibles. En même temps
que la durée hebdomadaire devient plus souple, elle se répartit
sur un plus grand nombre
de jours dans la semaine. Enfin, le travail du
samedi et du dimanche se développe ". Dans ces conditions, on peut
s'étonner que le Gouvernement cherche à imposer une durée
du travail uniforme puisque la diversification et l'individualisation sont
précisément les deux tendances à l'oeuvre depuis une
dizaine d'années.
Plus généralement, l'état des lieux ne posait pas de
choix, d'alternatives et les données qu'il recelait aurait plutôt
dû amener le Gouvernement à prendre une décision inverse
à celle annoncée.