II. AUDITION DE M. DOMINIQUE STRAUSS-KAHN, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Réunie le jeudi 12 février 1998, sous la
présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a
procédé à
l'audition de M. Dominique Strauss-Kahn
,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
, sur le
projet de loi n° 286
(1997-1998)
,
adopté par
l'Assemblée nationale,
d'orientation et d'incitation
relatif
à la
réduction du temps de travail
.
Dans son propos liminaire,
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie,
a observé que,
depuis le début de la révolution industrielle, le mouvement de la
réduction du temps de travail avait accompagné celui du
progrès technique. Il a estimé que la tendance à la baisse
du temps de travail était incontestable si l'on se plaçait dans
une perspective de longue période, ceci quel que soit le pays
considéré. Il a estimé que cette tendance avait, en
France, revêtu une forme particulière, la diminution du temps de
travail s'étant traduite par une surcharge de travail pour certains
salariés, accompagnée d'une forte augmentation du nombre des
chômeurs.
M. Dominique Strauss-Kahn
a constaté que l'objectif de la
réduction du temps de travail était partagé par l'ensemble
du monde politique comme en témoignait le vote de la loi " de
Robien ". Il a considéré qu'il n'y avait que des divergences
sur les moyens à employer.
Regrettant que les évolutions ne soient pas plus continues et
progressives,
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie,
a observé que la
société française était coutumière des
" soubresauts ". Il a souligné que la réduction du
temps de travail ne constituait qu'un moyen, parmi d'autres, pour lutter contre
le chômage et que la croissance restait la voie la plus sûre pour
créer des emplois.
Il a déclaré que le Gouvernement avait choisi de réduire
le temps de travail à travers la baisse de sa durée
légale. Il a observé qu'il ne s'agissait pas d'une diminution
obligatoire, car il n'aurait pas été nécessaire, dans
cette hypothèse, de prévoir des incitations financières.
Il a rappelé que la seule conséquence de la baisse de la
durée légale consistait à abaisser le seuil de
déclenchement des heures supplémentaires. Il a observé que
les entreprises pourraient, si elles le souhaitaient, continuer à
pratiquer les 39 heures.
Le ministre a, par ailleurs, considéré que la réduction du
temps de travail devrait pouvoir créer des centaines de milliers
d'emplois et renforcer l'incitation à la négociation collective.
En réponse à plusieurs questions et observations de
M.
Jean-Pierre Fourcade, président
, sur les dangers du projet de loi,
M. Dominique Strauss-Kahn
,
ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie,
a estimé que le risque de
délocalisations était limité. Il a observé que les
investissements étrangers en France restaient importants et que
l'attractivité de notre pays était forte en raison, notamment, de
la qualité de sa main-d'oeuvre et de ses infrastructures.
S'agissant des coûts salariaux, il a considéré que
l'abaissement de la durée légale se traduirait par une majoration
de 25 % des quatre heures de travail entre 35 et 39 heures, soit une
hausse du coût du travail de 2,25 %. Rappelant les
déclarations du Premier ministre et l'exposé du projet de loi
selon lequel cette majoration serait au maximum de 25 %, comme
actuellement, il a observé que si elle était ramenée
à 12,5 %, le coût serait encore plus supportable et ne
pénaliserait pas l'économie française.
M. Dominique Strauss-Kahn
a toutefois admis qu'une difficulté
existait vis-à-vis du SMIC, dans la mesure où il ne saurait
être question d'abaisser la rémunération des
salariés payés à ce niveau, qui verraient leur temps de
travail ramené à 35 heures. Il a déclaré que
l'économie française ne pouvait supporter, en revanche, une
hausse de 11,4 % du SMIC au 1er janvier 2000, venant après la
majoration de 4 % décidée par le Gouvernement au
1er juillet 1997.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie,
a considéré que ce problème du SMIC
pourrait être résolu par la proposition de sa collègue, Mme
Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, tendant
à faire coexister un SMIC horaire et une rémunération
mensuelle minimale pour les salariés qui passeraient aux 35 heures.
Cette proposition, comme l'aide structurelle annoncée, et comme les
gains de productivité qui seraient réalisés, permettraient
de compenser le surcoût, pour les entreprises, de la réduction du
temps de travail.
M. Dominique Strauss-Kahn
a conclu en réaffirmant que le projet
de loi ne constituait pas un risque en termes de coût du travail.
S'agissant de l'impact du dispositif sur les comptes publics,
M. Dominique Strauss-Kahn
a rappelé que, selon les
simulations réalisées par la direction de la prévision,
selon trois scénarios, l'effet sur les finances publiques devrait dans
tous les cas être faible. Il a déclaré que les
rentrées fiscales et sociales liées aux créations
d'emplois compenseraient le coût des aides sous forme
d'exonérations.
Toutefois,
M. Dominique Strauss-Kahn
a reconnu qu'il pourrait y avoir un
décalage dans le temps pour la réalisation de cet
équilibre. A cet égard, il a rappelé que le Gouvernement
avait inscrit 3 milliards de francs en loi de finances pour 1998.
En réponse à
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
M. Dominique Strauss-Kahn
,
ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie,
a indiqué que les nouvelles majorations
introduites, lors de la première lecture à l'Assemblée
nationale, ne modifiaient pas le coût du dispositif, sinon de
" l'épaisseur d'un trait " compte tenu du fonctionnement des
modèles de la direction de la prévision. Il a également
précisé que si l'effet du dispositif devrait être plus
massif dans les grandes entreprises, celui-ci ne concernerait pas moins les
petites et moyennes entreprises (PME), qui devraient pouvoir
bénéficier des aides pour financer des emplois à temps
partiel.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
a toutefois fait observer que
le projet de loi ne favorisait pas le recours au temps partiel.
En réponse à une question de
M. Jean Chérioux
,
M. Dominique Strauss-Kahn
a estimé que les difficultés
entraînées par la réduction du temps de travail pour le
milieu associatif et le coût induit, notamment pour les finances des
collectivités locales, pourraient être absorbés par les
effets favorables sur l'économie, et donc sur les finances publiques, de
la baisse du chômage entraînée par la croissance, la
création des emplois-jeunes et la réduction du temps de travail.
En réponse à
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
, il a
estimé que l'examen du projet de loi, au Sénat, pourrait fournir
l'occasion de mieux préciser certaines dispositions, notamment celles
relatives à l'annualisation. Il a également déclaré
que l'équilibre financier du dispositif incitatif s'appréciait
globalement pour l'ensemble des comptes publics et supposait une organisation
des flux financiers, notamment entre l'Etat et la sécurité
sociale.
S'agissant de difficultés administratives rencontrées par les
PME, il a déclaré que le prochain projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier (DDOEF) comprendrait des
mesures de simplification. Il a fait part de son projet visant, à terme,
à n'inscrire, sur le bulletin de paye, que trois lignes : salaire brut,
charges et salaire net. Le calcul se ferait au moyen d'un coefficient moyen de
charges sociales avec ajustement en fin d'année.
En réponse à
M. Henri de Raincourt
,
M. Dominique
Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie,
a déclaré que la question de la réduction
du temps de travail dans les différentes fonctions publiques relevait
d'une approche différente de celle du projet de loi, qui, lui, mettait
l'accent sur les créations d'emplois. Il a estimé que la question
de la fonction publique hospitalière était la plus aiguë,
compte tenu de ses conditions de travail, et il a rappelé qu'un
état des lieux sur le temps de travail dans la fonction publique
était, en tout état de cause, un préalable.
En réponse à
M. Guy Fischer
, le ministre a
déclaré que la branche pourrait tout à fait être le
niveau de signature pour la négociation des accords de réduction
du temps de travail.
En réponse à
M. Serge Franchis
,
M. Dominique
Strauss-Kahn
a considéré que le dispositif financier
d'accompagnement n'empêcherait pas les PME de créer des emplois.
En réponse à
Mme Nicole Borvo
, le ministre a
souhaité s'associer à son souci de préserver le dynamisme
de la consommation, mais il a également estimé que l'objectif de
l'augmentation de la masse salariale totale à travers les embauches
devait être privilégié.
Il a acquiescé à l'idée d'une commission de suivi des
aides à l'emploi, en estimant que nombre de dispositifs d'aide à
l'emploi n'avaient pas démontré leur efficacité.
En réponse à une question de
M. Bernard Seillier
,
M.
Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie,
a déclaré que le décret fixant la liste
des entreprises qui ne pourront bénéficier de l'aide
financière à la réduction du temps de travail,
prévu par le projet de loi, n'était pas encore prêt compte
tenu de certaines difficultés liées, notamment, aux
établissements culturels. Il a estimé que la situation de ces
entreprises serait examinée dans le cadre de leurs relations
financières particulières avec l'Etat.