3. Une compensation menacée
L'article L. 131-7 du code de la sécurité
sociale
28(
*
)
affirme
solennellement : "
toute mesure d'exonération, totale ou
partielle, de cotisations de sécurité sociale, instituée
à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n° 94-637
du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, donne
lieu à compensation intégrale aux régimes concernés
par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son
application
".
Pourtant, le Gouvernement a tenu à annoncer dès l'exposé
des motifs du projet de loi que cette règle ne serait pas
respectée s'agissant des exonérations de cotisation
destinées à inciter à la réduction du temps de
travail :
"
Afin de tenir compte des rentrées de cotisations que l'aide
à la réduction du temps de travail induira pour les
régimes de sécurité sociale, cette aide donnera lieu,
à compter du 1er janvier 1999, à un remboursement partiel de la
part de l'Etat aux régimes concernés. Cette disposition figurera
dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
1999, après concertation avec les partenaires sociaux sur le taux de
cette compensation
"
29(
*
)
.
De même, l'étude d'impact jointe au projet de loi
précise-t-elle :
"
A l'horizon 1999, et pour le futur système d'abattement
structurel des cotisations, les retours financiers qu'enregistrent les
régimes de sécurité sociale, et l'UNEDIC justifient
d'examiner avec les partenaires sociaux l'affectation de ces
" retours ". Le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999 prévoira à cet
égard un remboursement partiel de l'aide par l'Etat aux régimes
concernés, selon des modalités et un taux qui seront
établis de façon concertée
"
30(
*
)
.
Aussi, le ministre de l'emploi et de la solidarité a-t-elle pu
théoriser ainsi la remise en cause du principe établi en 1994 de
la " compensation intégrale " :
"
Je me suis réjouie que Mme Veil fasse voter une loi qui pose
le principe général du remboursement par l'Etat à la
sécurité sociale des réductions de charges sociales, et je
continue de m'en réjouir.
" Dans le cas qui nous occupe, où nous pourrons, pour chaque
entreprise, savoir exactement quels salariés auront été
embauchés, quels seront les salaires et quelles seront les
rentrées dans les caisses de la sécurité sociale, je me
dis qu'on ne peut pas réclamer une solidarité à tout le
monde pour l'emploi sans demander au budget de l'Etat -il paiera le
complément- et à la sécurité sociale de tirer
toutes les conséquences du dispositif (...).
" Nous allons en discuter avec les organisations patronales et
syndicales.
" Quant à moi, je n'accepterai pas qu'un montant soit fixé,
qui porterait atteinte au financement de la sécurité
sociale.
"
31(
*
)
.
La remise en cause du principe serait donc légitime en raison de la
capacité de l'administration à "
quantifier à
l'unité près, combien d'emplois la future loi aura permis de
préserver et de créer
"
32(
*
)
.
Le contraste est saisissant entre l'incertitude de l'impact prévisionnel
du projet de loi et la comptabilité méticuleuse qui permettra
ultérieurement "
pour chaque entreprise, de savoir quels
salariés auront été embauchés, quels seront les
salaires et quelles seront les rentrées de la sécurité
sociale
".
Cette démarche n'a toutefois pas convaincu les caisses de
sécurité sociale qui ont en conséquence émis un
avis négatif sur le projet de loi.
Avis de la CNAMTS (3 décembre 1997)
Par 15 voix contre (CFTC, Employeurs), 6 voix pour (CFDT,
FNMF), 6 abstentions (CGT, FO), le groupe CFE-CGC (2 voix) prenant acte et les
Personnes qualifiées (4 voix) ne prenant pas part au vote, le Conseil
émet un avis défavorable sur le projet de loi qui lui est soumis.
Il relève notamment que l'une des dispositions contenues dans
l'exposé des motifs, qui prévoit la possibilité de
proposer, au travers de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999, que le remboursement à l'assurance maladie par l'Etat
des allégements de cotisations ne soit que partiel à compter du
1er janvier 1999 remet en cause les dispositions de l'article L. 131-7 du
code de la sécurité sociale introduit par la loi du 25 juillet
1994.
Avis de la CNAF (2 décembre 1997)
Le Conseil d'administration de la CNAF a donné le 2
décembre 1997 un avis négatif au projet de loi d'orientation et
d'incitation à la réduction du temps de travail, en centrant
notamment ses critiques sur la non compensation intégrale par le budget
de l'Etat au-delà de 1999 des pertes de cotisations du régime.
Les diverses délégations ont exprimé le vote suivant :
pour : 3 CFDT ; contre : 13 non salariés, 2 CFTC, 5 UNAF, 2
Personnes qualifiées, Prise d'acte : 2 CFE/CGC, abstentions :
3 CGT, 3 CGT-FO.
Car cette démarche n'est pas convaincante et ce, pour plusieurs raisons.
Elle remet en cause tout d'abord un principe nécessaire à une
gestion saine et responsable de la sécurité sociale dans la
perspective nécessaire d'un retour à l'équilibre de ses
comptes. Dès lors que toute exonération de cotisations
décidée par l'Etat -du moins faut-il l'espérer- a un
objectif d'intérêt général, le principe de
" solidarité " évoqué par le Gouvernement pourra
toujours justifier la non application du principe de la compensation
intégrale.
En second lieu, la comptabilité " administrative " des
emplois
créés ne prendra en compte (
cf. ci-dessus
) ni les effets
d'aubaine, ni les emplois détruits. Elle ne prendra pas davantage en
compte l'effet sur les ressources de la sécurité sociale d'une
moindre progression de la masse salariale imputable à la
" modération " des rémunérations qui, selon les
experts, est l'une des conditions des créations d'emplois. Seules seront
prises en compte ces créations d'emplois et non l'effort demandé
aux salariés en place qui se traduira pourtant par un tassement des
cotisations.
La clarification des relations financières entre l'Etat et la
sécurité sociale, que votre commission des Affaires sociales
appelait de ses voeux lors de l'examen de la loi de financement pour 1998, n'en
sortira pas à l'évidence renforcée.
Comment, dans ces conditions, exiger des gestionnaires des caisses, de leurs
personnels, des assurés et des professionnels, l'effort de rigueur
indispensable au redressement financier de la sécurité sociale ?