Rapport n° 292 - Projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture relatif à la nationalité
M. Christian BONNET, Sénateur
Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - Rapport n° 292 - 1997-1998
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Table des matières
-
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
- I. LES TRAVAUX DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : LE REJET DES DISPOSITIONS REMETTANT EN CAUSE L'EXIGENCE D'UNE DÉMARCHE VOLONTAIRE POUR L'ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE PAR LES JEUNES NÉS EN FRANCE DE PARENTS ÉTRANGERS
- II. L'EXAMEN DU PROJET DE LOI PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE : LA REPRISE INTÉGRALE DE SON TEXTE DE PREMIÈRE LECTURE
- III. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : L'ADOPTION D'UNE QUESTION PRÉALABLE
-
MOTION TENDANT À OPPOSER
LA QUESTION PRÉALABLE
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie le jeudi 12 février 1998 sous la
présidence de M. Jacques Larché, président, la commission
des Lois du Sénat a examiné en nouvelle lecture, sur le rapport
de M. Christian Bonnet, le projet de loi relatif à la
nationalité.
Ce projet de loi repose sur une disposition essentielle : le principe de
l'acquisition automatique de la nationalité française à
l'âge de la majorité par les jeunes nés en France de
parents étrangers et y résidant.
En première lecture, jugeant que ce projet de loi n'était ni
urgent, ni nécessaire, ni opportun, le Sénat a souhaité le
maintien de l'exigence d'une démarche individuelle volontaire pour
l'acquisition de la nationalité française par les jeunes
nés en France de parents étrangers, instituée par la loi
du 22 juillet 1993, et a donc été conduit à supprimer
toutes les dispositions du projet de loi tendant à revenir sur cette
réforme récente du droit de la nationalité.
M. Christian Bonnet, rapporteur
,
a rappelé que la commission
mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions
restant en discussion après cette première lecture n'avait pu que
constater que les travaux des deux assemblées sur ce texte reposaient
sur des philosophies inconciliables et qu'il était, dès lors,
impossible de parvenir à un accord.
Il a expliqué que l'Assemblée nationale, n'ayant tenu aucun
compte du travail du Sénat, même sur les points les plus
techniques, avait adopté en nouvelle lecture un texte ne
différant en rien de son texte de première lecture, à une
seule exception près concernant la preuve de la nationalité
française des Alsaciens-Mosellans.
Un débat approfondi et détaillé ayant déjà
eu lieu au Sénat sur ce texte en première lecture, le rapporteur
a estimé inutile de poursuivre une discussion à laquelle
l'Assemblée nationale se refusait.
En conséquence, la commission des Lois a décidé de
proposer au Sénat d'adopter une motion tendant à opposer une
question préalable au projet de loi relatif à la
nationalité, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture
.
Mesdames, Messieurs,
A la suite de l'échec de la commission mixte paritaire réunie le
4 février 1998 au Palais du Luxembourg, l'Assemblée
nationale a adopté en nouvelle lecture, le 11 février, le projet
de loi relatif à la nationalité.
Ce texte, que le Sénat est aujourd'hui appelé à examiner
à son tour en nouvelle lecture, constitue la reprise intégrale du
texte adopté par l'Assemblée nationale en première
lecture, fondé sur une disposition essentielle : le principe d'une
acquisition automatique de la nationalité française à
l'âge de la majorité par les jeunes nés en France de
parents étrangers et y résidant.
En effet, l'Assemblée nationale n'a aucunement pris en
considération les arguments qui avaient conduit le Sénat à
proposer le maintien de l'exigence d'une manifestation de volonté pour
l'acquisition de la nationalité française par ces jeunes,
instituée par la loi du 22 juillet 1993 réformant le droit de la
nationalité, et donc à supprimer tous les articles du projet de
loi tendant à la remettre en cause.
I. LES TRAVAUX DU SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : LE REJET DES DISPOSITIONS REMETTANT EN CAUSE L'EXIGENCE D'UNE DÉMARCHE VOLONTAIRE POUR L'ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE PAR LES JEUNES NÉS EN FRANCE DE PARENTS ÉTRANGERS
Saisi d'un projet de loi revenant sur le principal fondement
d'une réforme du droit de la nationalité adoptée moins de
cinq ans auparavant, le Sénat a jugé souhaitable que le peuple
puisse se prononcer sur la nouvelle réforme envisagée. Le droit
de la nationalité lui est en effet apparu trop essentiel et trop
intimement lié à l'identité de la Nation pour être
bouleversé au gré de chaque alternance. Aussi a-t-il
adopté, le 18 décembre 1997, sur le rapport de M. Jacques
Larché, président de votre commission des Lois, une motion
présentée par 82 de nos collègues, tendant à
proposer au Président de la République de soumettre au
référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
nationalité.
Toutefois, l'Assemblée nationale n'ayant pas à son tour
adopté cette motion, le Sénat a été amené
à poursuivre l'examen du projet de loi en première lecture, les
13 et 14 janvier 1998. Il a alors suivi les propositions de votre
commission des Lois qui, retenant l'argumentation développée par
votre rapporteur, avait jugé que ce projet de loi n'était ni
nécessaire, ni opportun, qui plus est en urgence.
- Ni nécessaire, car rien ne justifie de remettre en cause dans son
principe la manifestation de volonté de devenir Français
instituée par la loi du 22 juillet 1993 sur la base des
propositions largement consensuelles de la Commission de la nationalité
réunie en 1987 sous la présidence de M. Marceau Long,
l'application de cette loi -d'ailleurs trop récente pour qu'on puisse en
tirer un bilan définitif-, se révélant globalement
satisfaisante et les regrettables dysfonctionnements administratifs parfois
constatés dans sa mise en oeuvre pouvant être corrigés sans
réforme législative nouvelle.
- Ni opportun, notamment parce que les préoccupations -essentiellement
liées au service militaire- qui avaient autrefois conduit à
l'instauration d'une acquisition automatique de la nationalité
française par les immigrés de la " deuxième
génération ", ne sont plus d'actualité aujourd'hui et
que les flux d'immigrés appelés à acquérir la
nationalité française ont désormais une origine tant
géographique que culturelle plus lointaine, alors même que la
capacité d'intégration de la société
française s'est affaiblie.
Pour toutes ces raisons, conformément aux conclusions de votre
commission des Lois, le Sénat a souhaité le maintien du
régime de la manifestation de volonté instituée par la loi
du 22 juillet 1993 et a donc supprimé, en première lecture,
toutes les dispositions du projet de loi tendant à revenir sur cette
réforme récente du droit de la nationalité.
Il a en outre souhaité apporter quelques compléments à
cette loi.
- Tout d'abord, il a prévu, à l'initiative de M. Jean-Jacques
Hyest , que les jeunes concernés bénéficieraient d'une
information individuelle à l'occasion du recensement (
article premier
bis
).
Sur la proposition de M. Patrice Gélard, il a également
prévu que l'acquisition de la nationalité française par
une manifestation de volonté donnerait lieu à l'organisation
d'une cérémonie à la mairie du lieu de résidence de
l'intéressé (
article premier ter
).
Ces deux dispositions tendent à répondre à deux critiques
fréquemment adressées à la loi du 22 juillet 1993,
à savoir l'insuffisance de l'information et le manque de
solennité de la procédure.
- D'autre part, le Sénat a accepté les dispositions du projet de
loi visant à faciliter la preuve de la nationalité
française (
articles 12 et 13
) et les a complétées
par une disposition destinée à simplifier cette preuve pour les
Alsaciens-Mosellans -qui se voient encore trop fréquemment
réclamer des certificats de réintégration de leurs parents
et grands-parents-, en tenant pour établie la nationalité
française d'origine des descendants nés en France de personnes
elles-mêmes nées sur le territoire des départements du
Haut-Rhin, du Bas-Rhin ou de la Moselle avant le 11 novembre 1918
(
article 15 AB
). A l'initiative de M. Hubert Durand-Chastel, il a
en outre adopté une disposition permettant de faciliter la preuve de la
nationalité française des descendants de Français
établis hors de France (
article 13 bis
).
Suivant les propositions de MM. Hubert Durand-Chastel et Jacques Habert, et
dans le même esprit, il a ouvert la faculté de réclamer la
nationalité française par simple déclaration aux
descendants directs de Français d'origine, enfants ou petits-enfants,
qui ne répondraient pas aux critères de liens manifestes avec la
France ou de services accomplis dans les armées françaises,
à condition toutefois qu'ils témoignent d'une connaissance
suffisante de la langue française (
article 5 ter
).
Sur la proposition de M. Michel Caldaguès, il a par ailleurs
affirmé explicitement que nul ne pouvait se prévaloir devant les
tribunaux français d'un statut de polygame contraire aux dispositions de
la loi française (
article 15 AA
).
- Enfin, le Sénat a adopté sans modification quelques articles
procédant à des aménagements techniques du droit de la
nationalité, notamment afin de procéder à sa coordination
avec la récente réforme du service national, ainsi que deux
dispositions favorables aux Français résidant à
l'étranger (
articles 5 bis et 14 ter
).
II. L'EXAMEN DU PROJET DE LOI PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN NOUVELLE LECTURE : LA REPRISE INTÉGRALE DE SON TEXTE DE PREMIÈRE LECTURE
Réunie le 4 février 1998, après une
seule lecture dans chaque assemblée, l'urgence ayant été
déclarée, la commission mixte paritaire n'a pu que constater que
les travaux des deux assemblées reposaient sur des philosophies
inconciliables et qu'un accord était dès lors impossible.
L'Assemblée nationale, suivant les propositions de sa commission des
Lois, a ensuite repris intégralement en nouvelle lecture, le 10
février 1998, son texte de première lecture, articulé
autour de deux dispositions essentielles :
- le principe d'une acquisition automatique de la nationalité
française, à l'âge de la majorité, par les jeunes
nés en France de parents étrangers et y résidant
(
article premier
) ;
- et la possibilité d'une acquisition anticipée de cette
nationalité par une démarche volontaire de
l'intéressé lui-même à partir de l'âge de 16
ans, ou de ses parents, en son nom et avec son consentement personnel, à
partir de l'âge de 13 ans (
article 5
).
Revenant à son texte de première lecture, l'Assemblée
nationale a en outre notamment rétabli la réduction de deux ans
à un an du délai préalable à l'acquisition de la
nationalité par mariage (
article premier A
), la dispense de stage
en faveur des étrangers ayant obtenu le statut de réfugié
qui demandent à être naturalisés (
article 6
), la
suppression de la condition de résidence régulière en
France depuis cinq ans imposée aux Algériens pour que leurs
enfants nés en France puissent se voir attribuer la nationalité
française (
article 15 A
), et la délivrance d'un
" titre d'identité républicain " à tout mineur
né en France de parents étrangers titulaires d'un titre de
séjour (
article 15 bis
)
.
Elle n'a tenu aucun compte des arguments ou observations formulés par le
Sénat quant à l'inadaptation de certaines rédactions ou
l'inutilité de certains articles, même sur les points les plus
techniques tels que :
- l'effet collectif de l'acquisition de la nationalité en faveur des
enfants dont l'un des parents acquiert la nationalité française
(
article 8
) ;
- le délai maximal prévu pour l'instruction des demandes de
naturalisation (
article 11 bis
) ;
- la communicabilité des dossiers administratifs de nationalité
(
article 15 B
) ;
- ou encore la motivation des décisions administratives
défavorables relatives à la nationalité (
article 15
C
).
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a rejeté la totalité
des articles additionnels introduits par le Sénat.
M. Louis Mermaz, rapporteur au nom de la commission des Lois de
l'Assemblée nationale, a en effet considéré dans son
rapport écrit que certains de ces articles étaient
"
contraires à l'esprit du projet
"
,
notamment
ceux tendant à faciliter la réintégration dans notre
nationalité des descendants de Français établis à
l'étranger, qui selon lui, reviennent à
"
privilégier le droit du sang
"
(
articles premier ter, 5 ter et 13 bis
).
Quant aux autres articles additionnels, il les a jugés "
sans
réelle portée
" (
articles premier bis, 15 AA et
15 AB
).
En définitive, l'Assemblée nationale n'a apporté qu'un
seul ajout à son texte de première lecture, en introduisant,
à l'initiative du Gouvernement, un
article 15 AC
nouveau tendant
à modifier l'article 7 de la loi n° 61-1408 du
22 décembre 1961.
Celui-ci, dans sa rédaction issue de la loi n° 71-499 du 29 juin
1971, prévoit que la nationalité française des personnes
nées sur le territoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin
et de la Moselle antérieurement au 11 novembre 1918 est
"
subsidiairement
" tenue pour établie si elles ont
joui d'une façon constante de la possession d'état de
Français depuis cette date.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale tend à supprimer
le mot "
subsidiairement
", ce qui va dans le sens
d'une
simplification de la preuve de la nationalité française des
Alsaciens-Mosellans nés dans ces départements à
l'époque de leur annexion par l'Allemagne.
Si cette disposition répond ainsi à une préoccupation
exprimée par le Sénat en première lecture à travers
l'adoption de l'
article 15 AB
(par ailleurs supprimé par
l'Assemblée nationale), on peut cependant douter qu'elle suffise
à remédier aux difficultés pratiques actuellement
rencontrées par les Alsaciens-Mosellans pour apporter la preuve de leur
nationalité française.
En effet, bien que l'article 7 de la loi du 22 décembre 1961
précitée prévoie déjà que doit être
tenue pour établie la nationalité française des
descendants des personnes nées sur le territoire des trois
départements concernés avant le 11 novembre 1918, si étant
eux-mêmes nés après cette date, ils ont joui de la
possession d'état de Français
1(
*
)
,
lesdits descendants se voient encore trop fréquemment réclamer,
pour apporter la preuve de leur propre nationalité, des certificats de
réintégration dans la nationalité française de
leurs ascendants.
III. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : L'ADOPTION D'UNE QUESTION PRÉALABLE
Votre commission des Lois rappelle qu'en dépit de son
opposition de principe aux dispositions essentielles du projet de loi, le
Sénat a tenu à procéder, en première lecture,
à un débat approfondi et détaillé sur l'ensemble
des articles.
Cependant, le débat ayant désormais eu lieu et les points de vue
des deux assemblées s'avérant manifestement inconciliables, votre
commission estime aujourd'hui inutile de poursuivre au Sénat une
discussion à laquelle l'Assemblée nationale, appelée
à statuer définitivement, se refuse.
Telles sont les raisons qui ont conduit votre commission, suivant la position
de votre rapporteur, à vous proposer d'adopter une motion tendant
à opposer la question préalable au projet de loi adopté
par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, qu'elle vous propose de
formuler dans les termes suivants :
MOTION TENDANT À OPPOSER
LA QUESTION
PRÉALABLE
En application de l'article 44, alinéa 3, du
Règlement, le Sénat,
Considérant qu'il a adopté, le 18 décembre 1997, une
motion tendant à proposer au Président de la République de
soumettre au référendum le projet de loi relatif à la
nationalité, le droit de la nationalité lui étant apparu
trop fondamental et trop intimement lié à l'identité de la
Nation pour être bouleversé sans solennité au gré de
chaque alternance ;
Considérant qu'après le rejet de cette motion par
l'Assemblée nationale, il a souhaité le maintien de l'exigence
d'une démarche individuelle volontaire pour l'acquisition de la
nationalité française par les jeunes nés en France de
parents étrangers, instituée par la loi du 22 juillet 1993, et a
donc été conduit à supprimer, en première lecture,
les dispositions du projet de loi tendant à revenir sur cette
réforme récente du droit de la nationalité ;
Considérant que la commission mixte paritaire chargée de proposer
un texte sur les dispositions restant en discussion n'a pu que constater que
les travaux des deux assemblées reposaient sur des philosophies
inconciliables et qu'il était dès lors impossible de parvenir
à un accord ;
Considérant qu'en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a pas
évolué, même sur les points les plus techniques, et, ne
tenant aucun compte du travail effectué par le Sénat, a
intégralement repris le texte qu'elle avait adopté en
première lecture, rejetant en même temps la totalité des
nouveaux articles additionnels ;
Considérant que ce texte qui lui est aujourd'hui soumis en nouvelle
lecture ne diffère en rien, à une exception près
concernant les Alsaciens-Mosellans, de celui sur lequel il a tenu à
procéder à un débat approfondi et détaillé
en première lecture ;
Considérant que ce projet de loi n'est ni urgent, ni nécessaire,
car rien ne justifie de remettre en cause dans son principe la manifestation de
volonté de devenir Français instituée par la loi du 22
juillet 1993 sur la base des propositions largement consensuelles de la
Commission de la nationalité, les regrettables dysfonctionnements
administratifs parfois apparus dans l'application de cette loi -au demeurant
globalement satisfaisante- pouvant être corrigés sans
réforme législative nouvelle ;
Considérant que ce projet de loi n'est pas non plus opportun, notamment
parce que les préoccupations liées à la conscription qui
avaient autrefois conduit à prévoir une acquisition automatique
de la nationalité française par les immigrés de la
" deuxième génération " ne sont plus
d'actualité et que la capacité d'intégration de la
société française s'est affaiblie ;
Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la
délibération sur le projet de loi relatif à la
nationalité, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture après déclaration d'urgence.
1
S'agissant des descendants, il s'agit
déjà d'une disposition de portée générale et
non subsidiaire.