RAPPORT N° 182 - PROJET DE LOI, ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, AUTORISANT LA RATIFICATION D'UN TRAITE D'ENTENTE, D'AMITIE ET DE COOPERATION ENTRE LA REPUBLIQUE FRANCAISE ET LA REPUBLIQUE D'ALBANIE
M. André ROUVIERE, Sénateur
COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES - RAPPORT N° 182 - 1997/1998
Table des matières
- I. L'ALBANIE AUJOURD'HUI : UN PAYS AUX PRISES AVEC UNE DIFFICILE TRANSITION DÉMOCRATIQUE
- II. LE TRAITÉ D'ENTENTE, D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET L'ALBANIE : RENFORCER DES RELATIONS TROP LIMITÉES
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
N° 182
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification d'un traité d' entente , d' amitié et de coopération entre la République française et la République d'Albanie ,
Par M. André ROUVIÈRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
10
ème législ.) :
2978
,
3247
et T.A.
646.
Sénat
:
202
(1996-1997).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification du
traité d'entente, d'amitié et de coopération signé
à Paris le 12 décembre 1994 entre la France et l'Albanie.
Déposé le 7 août 1996, ce projet de loi a été
adopté le 29 janvier 1997 par l'Assemblée nationale, à la
veille des graves événements survenus en Albanie en
février et en mars dernier.
Cette crise a justifié l'envoi d'une force multinationale de protection,
à laquelle la France a contribué et qui est intervenue sous le
double mandat des Nations unies et de l'OSCE, en vue de faciliter
l'acheminement de l'aide humanitaire et de rétablir un climat de
sécurité nécessaire aux missions des organisations
internationales.
Parallèlement, des élections générales, qui se sont
déroulées au mois de juin sous le contrôle de l'OSCE, ont
provoqué un changement de majorité parlementaire et la nomination
d'une nouvelle équipe gouvernementale, alors que la démission du
président de la République, M. Sali Berisha, entraînait
l'élection par le Parlement d'un nouveau chef de l'Etat au mois de
juillet.
C'est donc au vu de ce contexte nouveau, qu'elle a également
souhaité mieux apprécier au travers d'une brève mission
d'information, que votre commission des affaires étrangères a
examiné ce traité d'entente, d'amitié et de
coopération signé il y a trois ans.
Il faut rappeler que la France a conclu ce type de texte avec de nombreux pays
d'Europe centrale et orientale pour marquer l'état d'esprit dans lequel
elle entend désormais développer ses liens avec ces pays,
après les changements politiques intervenus dans cette région
depuis 1989.
Le dispositif de ce traité présente de fortes analogies avec ces
différents instruments et il constitue surtout un cadre destiné
à définir l'orientation générale des relations
politiques entre les deux pays et les domaines dans lesquels ils entendent
coopérer.
Longtemps isolée du reste du monde, l'Albanie est également
aujourd'hui le pays dont le niveau de vie est le plus bas d'Europe. Elle
dispose pourtant de richesses naturelles et d'un potentiel humain qui
pourraient favoriser sa prospérité mais, alors qu'elle se
relève à peine de près de cinquante ans de régime
collectiviste et autarcique, elle vient de subir une violente crise sociale,
politique et financière qui la laisse aujourd'hui très affaiblie.
Peu connue dans notre pays, l'Albanie est en outre une terre où la
langue française a depuis longtemps droit de cité. Aussi
l'influence de la culture française demeure-t-elle forte tout comme sont
fortes les attentes à l'égard de la France, dans tous les
domaines.
C'est en gardant cette réalité à l'esprit, mais aussi en
souhaitant que l'Albanie réussisse désormais sa reconstruction
politique et économique après les secousses qu'elle vient de
traverser, que votre commission des affaires étrangères a
souhaité examiner ce traité d'entente, d'amitié et de
coopération.
Avant de présenter le dispositif du traité et les divers aspects
des relations bilatérales franco-albanaises, votre rapporteur effectuera
une brève présentation des événements les plus
récents qui ont affecté l'Albanie et du nouveau contexte interne
et régional dans lequel elle évolue désormais.
I. L'ALBANIE AUJOURD'HUI : UN PAYS AUX PRISES AVEC UNE DIFFICILE TRANSITION DÉMOCRATIQUE
Après cinq années d'existence seulement, la
jeune démocratie albanaise vient de connaître de rudes secousses.
L'ouverture à l'économie de marché et les réformes
libérales avaient entraîné un début de
décollage économique auquel l'effondrement des
sociétés financières pyramidales, qui drainaient
l'essentiel de l'épargne, vient de mettre un coup d'arrêt. Sur le
plan politique, l'apprentissage du pluralisme et des règles du jeu
démocratique a été difficile et les pouvoirs publics ont
été débordés par la situation insurrectionnelle qui
s'est développée en février et mars 1997.
L'Albanie tente aujourd'hui de reconstruire ses structures administratives et
économiques tout en cherchant à établir une vie politique
plus équilibrée. Elle évolue par ailleurs dans un contexte
régional tendu, compte tenu notamment de la question du Kosovo et des
Albanais de Macédoine.
A. LA CRISE SOCIALE, FINANCIÈRE ET POLITIQUE DE 1997
Des événements qui ont marqué la première moitié de l'année 1997 en Albanie, on peut retenir quatre points principaux : la faillite des sociétés financières pyramidales, le développement d'une situation insurrectionnelle, l'intervention d'une force multinationale et le changement de gouvernement après les élections générales.
1. La faillite des sociétés financières pyramidales
Le relatif essor économique de l'Albanie à
partir de 1992 s'est accompagné du développement, en dehors de
tout contrôle et de toute législation bancaire, de
sociétés financières
drainant une très large
part de l'épargne nationale et offrant des taux d'intérêt
très élevés.
Ces sociétés, qualifiées de " pyramidales " par
les institutions financières internationales, étaient en
réalité fondées sur un pur mécanisme de
" cavalerie ", seuls de nouveaux dépôts permettant de
servir les intérêts promis. Cette fuite en avant a conduit
à proposer des taux d'intérêt de plus en plus
élevés, qui sont allés de 8 % à près de 100
% mensuels.
En dépit des mises en garde des institutions financières
internationales, les pouvoirs publics ont tardé à mettre en
oeuvre les moyens de limiter les activités de ces sociétés.
La grande majorité des foyers albanais (sans doute 70 % à 80 %)
avaient placé tout ou partie de leur épargne dans ces
sociétés.
L'épargne drainée atteindrait le chiffre considérable de 1
milliard de dollars, soit le tiers du PIB, et provenait tant des
liquidités, bien souvent tirées de la vente de biens personnels
ou professionnels (appartements, bétail, terres, commerces), que des
sommes envoyées par les nombreux émigrés en Italie,
Grèce ou aux Etats-Unis.
Comme cela était à craindre,
l'effondrement de la plupart de
ces sociétés
, incapables de régler leurs dettes, au
début de l'année 1997, a entraîné la ruine de
dizaines de milliers d'Albanais, et des pertes financières
considérables pour beaucoup d'autres. Ce sont ainsi plusieurs centaines
de milliers de personnes qui ont été directement touchées
par la chute des sociétés pyramidales.
Bien que le gouvernement n'ait jamais accordé de garantie à ces
dépôts, les pouvoirs publics ont immédiatement
été mis en cause par l'opinion publique, à un double titre
:
- pour avoir, aux yeux des Albanais, encouragé, ou du moins
laissé faire, le développement de ces sociétés,
- pour avoir tenté, à partir de la fin de l'année 1996, de
limiter l'activité des pyramides, ce qui est apparu comme une tentative
de priver les épargnants des bénéfices de leurs placements.
2. Le développement d'une situation insurrectionnelle
La faillite le 15 janvier 1997 de la pyramide
"Sude " et
les signes de plus en plus évidents d'effondrement de l'ensemble du
système ont été les éléments
déclencheurs des émeutes, provoquées tout d'abord par des
épargnants ruinés. Les manifestations deviennent alors de plus en
plus violentes et la contestation, qui s'étend à l'ensemble du
pays, prend une tournure politique, avec la constitution le 30 janvier par huit
partis politiques et deux syndicats d'un " forum pour la
démocratie " qui réclame la démission du gouvernement
et la tenue d'élections générales anticipées.
Au cours du mois de février des
troubles extrêmement graves se
multiplient dans le sud du pays
, région réputée peu
favorable au président Berisha.
L'aggravation de la situation, qui prend un tour insurrectionnel,
entraîne le 1er mars 1997 la démission du gouvernement. Un nouveau
gouvernement de réconciliation nationale, composé des dix
principaux partis, est formé sous la direction de M. Fino, membre de
l'opposition. Le Parlement est dissous et les élections
générales fixées au 29 juin. Enfin,
l'état
d'urgence
est décrété le 2 mars 1997.
Durant tout le mois de mars, la rébellion se propage, gagnant le nord du
pays ; les dépôts d'armes sont pillés, les saccages de
casernes, de bâtiments publics et d'entrepôts se multiplient, une
masse de réfugiés afflue en Italie et en Grèce. Devant
l'effondrement de l'armée et de la police, les autorités
albanaises font appel à l'intervention internationale.
3. L'opération Alba
Le 27 mars 1997, l'Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) décide de l'envoi d'une
mission civile d'assistance en matière de démocratisation et de
préparation des élections et approuve l'envoi d'une force
multinationale en Albanie, sous réserve qu'elle soit en
conformité avec une action appropriée du
Conseil de
sécurité des Nations unies
. Ce dernier autorise l'envoi de la
force multinationale afin de "
faciliter l'acheminement rapide et
sûr de l'assistance humanitaire et d'aider à créer un
climat de sécurité nécessaire aux missions des
organisations internationales en Albanie, y compris celles qui apportent une
assistance humanitaire
". Le mandat initial de trois mois sera
prolongé, l'opération se déroulant jusqu'au 12 août.
Commandé par un général italien, l'opération Alba a
été déclenchée le 8 avril 1997. Onze pays
(Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal,
Roumanie, Slovénie et Turquie) ont participé à cette force
qui a compté jusqu'à 7 200 hommes (dont plus de 3 000 Italiens,
950 Français, 800 Grecs et 770 Turcs).
Cette opération a permis de faciliter la fourniture rapide et dans des
conditions de sécurité de l'aide alimentaire dont l'Albanie avait
absolument besoin. Elle a contribué à créer un
environnement sûr pour les missions des organisations internationales et,
en particulier, celles de l'OSCE et de l'Union européenne. Elle a
favorisé le retour progressif au calme et a permis que se
déroulent dans une atmosphère plus pacifique les élections
générales des 29 juin et 6 juillet.
4. Les élections anticipées et le changement de majorité et de gouvernement
Les élections législatives du printemps 1996
avaient donné une écrasante majorité au parti
démocratique du président Berisha qui disposait de 122
sièges sur les 140 que comptait l'Assemblée nationale populaire.
Les 18 sièges restants se répartissaient entre le parti
socialiste, c'est-à-dire l'ex-parti communiste (10 sièges), le
parti républicain, situé au centre droit (3 sièges), le
parti de la minorité nationale grecque (3 sièges) et le Front
national, parti de droite nationaliste (2 sièges).
Les élections des 29 juin et 6 juillet 1997 se sont effectuées
sous l'empire d'une nouvelle loi électorale. Aux 125 sièges
pourvus comme auparavant au scrutin majoritaire, s'ajoutent 40 sièges,
et non plus 25, pourvus au scrutin proportionnel, ce qui porte le nombre de
députés de 140 à 155.
La campagne électorale s'est déroulée dans des conditions
difficiles, en raison notamment de menaces ou d'attentats qui ont
entravé la campagne du parti démocratique dans le sud du pays.
Toutefois, l'OSCE a estimé que les conditions de préparation et
de déroulement du scrutin étaient " satisfaisantes et
acceptables ".
La
coalition de gauche
a emporté
120 des 155 sièges.
Le parti socialiste dispose à lui seul de 105 sièges, ce qui
lui assure une large majorité absolue. Quatre autres partis participent
à la coalition : le parti social-démocrate (9 sièges),
affilié à l'Internationale socialiste, l'Alliance
démocratique (2 sièges), formation de centre gauche, le parti
agraire (1 siège) et le parti de l'Union pour les droits de l'homme (3
sièges), qui émane de la communauté hellénophone du
sud de l'Albanie.
L'
opposition
ne réunit que
32 députés
, dont
27 pour le parti démocratique, 2 pour le parti du mouvement pour la
légalité, d'inspiration royaliste, 1 pour le parti de
l'unité nationale, 1 pour le parti républicain et 1 pour le parti
du Front national. Trois députés étaient en outre non
inscrits.
Un gouvernement dirigé par
M. Fatos Nano
, membre du parti
socialiste, et associant le parti social démocrate et l'Alliance
démocratique succède alors au gouvernement de M. Fino.
A la suite de la démission de M. Berisha, le Parlement élit
M. Meidani
, membre du parti socialiste, Président de la
République le 29 juillet 1997.
B. UNE DIFFICILE RECONSTRUCTION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
Quelques mois après le retour progressif au calme et le changement de ses dirigeants politiques, l'Albanie entame un effort de reconstruction qui se heurte à de nombreuses difficultés, dans les domaines de la vie politique, de l'ordre public et de l'économie.
1. Une vie politique très tendue
Loin de s'apaiser après les élections du
début de l'été, la vie publique albanaise reste
marquée par une atmosphère très tendue, comme en
témoigne la
violence verbale du débat politique.
Le parti
démocratique, principale force d'opposition, après avoir
contesté le résultat des élections, boycotte les travaux
du Parlement, et notamment la commission, composée à la
proportionnelle des groupes, chargée d'élaborer un projet de
constitution, l'Albanie étant toujours régie par des lois
constitutionnelles provisoires adoptées entre 1991 et 1993.
D'une manière générale, et ce fait n'est pas nouveau par
rapport au gouvernement précédent, un débat permanent
oppose majorité et minorité sur le
respect des règles
élémentaires de la démocratie pluraliste
. Les
thèmes d'affrontements sur ce point sont nombreux et concernent
notamment le doute systématique émis sur la
régularité des consultations électorales, le traitement de
l'information par la télévision, la nomination aux emplois de
responsabilité dans l'administration et l'armée et les nombreux
changements intervenus après l'alternance, l'indépendance du
système judiciaire et enfin l'équilibre des pouvoirs,
supposé rompu au profit du Président de la République hier
et du Premier ministre aujourd'hui.
2. Un retour fragile à l'ordre public
La restauration de l'armée et de la police, qui
s'étaient effondrées face aux émeutes de l'hiver dernier,
ne peut être immédiate.
Plus des trois-quarts des casernes ont été saccagées, un
grand nombre de matériels ont été détruits et une
quantité considérable d'armes de toutes natures -on parle d'un
million d'armes légères- ont été pillées.
Depuis le mois de février, on compterait plus de 2 000 tués et 10
000 blessés par armes à feu. Si le gouvernement considère
avoir démantelé les plus importantes bandes armées, le
banditisme et la criminalité demeurent une réalité
quotidienne, y compris dans la capitale.
Les appels à la restitution des armes ont pour le moment
été faiblement entendus, ce qui laisse peser le risque de
nouvelles violences.
La restructuration et la formation des forces de police font l'objet d'un
programme de l'UEO alors que dans le cadre du partenariat pour la paix, l'OTAN
dépêche des misions d'experts en vue d'aider l'armée
albanaise à se relever.
3. Une économie sinistrée qui dépend désormais de l'aide internationale
Les événements de l'hiver 1997,
c'est-à-dire à la fois la faillite des sociétés
pyramidales et les conséquences des émeutes, ont
considérablement affaibli l'économie albanaise.
Alors que les rendements proposés par les pyramides avaient
détourné nombre d'Albanais des activités productives, ceux
qui avaient tout misé sur ces placements se retrouvent dans des
situations précaires.
Les émeutes ont causé des
dégâts
considérables
aux bâtiments publics, aux hôpitaux, aux
écoles, aux entreprises et, d'une manière générale,
à l'ensemble des infrastructures du pays.
Les recettes fiscales, notamment douanières, ont chuté.
D'après les indications fournies en octobre dernier, lors de la
conférence de Bruxelles qui réunissait les principaux donateurs
de l'Albanie, l'inflation pourrait atteindre 50 % en 1997, le PIB reculerait de
8 %, le déficit budgétaire grimperait à 17 % du PIB.
Face aux situations d'extrême pauvreté qui se sont
multipliées et face aux besoins de reconstruction considérables,
l'Albanie dépend désormais de l'aide internationale.
Cette aide a fait l'objet de décisions de principe de la part des
institutions multilatérales (FMI, Banque mondiale, Union
européenne) et des partenaires de l'Albanie, lors de la
conférence de Bruxelles le 22 octobre dernier
.
Une
aide d'urgence
, d'
un
montant de 185,5 millions de
dollars
, devait être accordée dans les six mois, dont 100
millions de dollars pour réduire le déficit budgétaire et
rééquilibrer la balance des paiements, 79 millions de dollars
pour la lutte contre la pauvreté, la stabilisation économique,
les réformes structurelles et le fonctionnement des institutions, et
enfin 6,5 millions de dollars pour démanteler le système des
pyramides.
Par ailleurs, le
FMI
a fixé au gouvernement albanais un
délai de six mois pour mettre en oeuvre un
programme d'urgence
,
un accord de stabilisation macro-économique pouvant être conclu
à l'issue de ce délai. Dans cette perspective, le gouvernement
albanais a porté la TVA de 12,5 % à 20 % et a entrepris une
réduction des postes dans la fonction publique. Ces mesures risquent
d'être durement ressenties par une population déjà
très appauvrie.
C. L'ÉVOLUTION DU CONTEXTE RÉGIONAL
On a souvent souligné le risque d'extension que
pourrait avoir une crise en Albanie sur l'ensemble de la région des
Balkans, compte tenu des conflits ou des contentieux qui l'opposent à la
plupart de ses voisins.
On doit constater qu'en dehors de vagues supplémentaires
d'émigration vers la Grèce et l'Italie, les
événements de l'hiver 1997 n'ont pas eu de conséquences
majeures sur les autres pays de la région. Les dirigeants albanais
paraissent par ailleurs animés d'une volonté d'apaisement
à l'égard de la question des Albanais du Kosovo et de
Macédoine. Les relations s'améliorent avec la Grèce et
restent fortes avec l'Italie.
1. La question des Albanais du Kosovo et de Macédoine
On rappellera que le
découpage territorial
issu
du démembrement de l'Empire ottoman, et en dernier lieu celui
opéré par la conférence de Londres en 1912 qui
débouchera sur la création d'un état albanais
indépendant en 1913, a privé l'Albanie d'une grande partie de la
population albanophone. En effet,
alors que l'Albanie compte 3,3 millions
d'habitants
,
on compte 1,8 million d'Albanais vivant au Kosovo
,
province serbe dont ils constituent 90 % de la population,
480 000
dans l'ouest de la Macédoine
, où ils représentent 23 %
de la population, et
200 000 au Monténégro
.
Relativement limités au Monténégro, les problèmes
liés au sort des populations albanaises sont beaucoup plus vifs en
Macédoine et surtout au Kosovo.
En
Macédoine
, les revendications de la minorité albanaise
portent plus sur la reconnaissance de la langue et de la culture, au travers
notamment de l'enseignement, que sur l'autonomie politique. Malgré les
tensions périodiques, le souhait des autorités albanaises est de
favoriser l'apaisement, et de tenir une ligne de neutralité par rapport
aux différents partis albanophones.
Beaucoup plus graves sont les
tensions avec la Serbie
, qui
relèvent d'un antagonisme historique très ancien. Ici
également, le souhait du nouveau gouvernement albanais est d'instaurer
des relations moins passionnelles avec Belgrade, comme en témoigne la
rencontre, lors du sommet balkanique de Crête au début du mois de
novembre dernier, entre MM. Nano et Milosevic. Ce geste sans
précédent dans l'histoire récente des relations entre les
deux pays illustre la volonté albanaise de ne pas attiser les tensions
dans la région et de privilégier une solution
négociée. Les nouveaux dirigeants albanais souhaitent en
priorité une relance des négociations sur la mise en oeuvre de
l'accord Rugova-Milosevic de 1996 sur l'enseignement au Kosovo. Mais
l'intransigeance de Belgrade, sans doute confortée par l'affaiblissement
actuel de l'Albanie, ne paraît pas de nature à jouer en faveur de
l'apaisement au Kosovo.
2. Les relations avec la Grèce et l'Italie
Les
relations entre la Grèce et l'Albanie
ont
longtemps été marquées par les questions territoriales, la
Grèce considérant qu'elle pouvait revendiquer les régions
situées au sud de l'Albanie, qui constituent pour elle l'Epire du Nord.
De fait, cette région abrite une
importante minorité
grecque
, dont le nombre fait cependant l'objet de divergences puisqu'il
serait de 300 0000 personnes selon Athènes et de 55 000 seulement
selon Tirana. Deux partis politiques représentent cette minorité
hellénophone et l'un d'entre eux, le parti de l'Union des droits de
l'homme, issu de l'association Omonia, dispose de députés au
Parlement.
Parallèlement, plusieurs centaines de milliers d'Albanais travaillent en
Grèce et, par leurs revenus, permettent d'importants flux financiers
vers l'Albanie.
Les relations gréco-albanaises sont en voie d'
amélioration
notable
. Un traité d'amitié et de coopération a
été conclu entre les deux pays. Les autorités albanaises
ont autorisé l'ouverture de classes d'enseignement en grec dans le sud
du pays, ainsi que l'ouverture de consulats. La Grèce s'est pour sa part
engagée à régulariser la situation de 200 000 travailleurs
albanais clandestins. Elle entend apporter une aide d'urgence à
l'Albanie et développer des projets de coopération, notamment
dans le domaine militaire. Les deux pays souhaitent également
réduire les incidents qui éclatent régulièrement
aux frontières gréco-albanaises. Une commission bilatérale
examine la délimitation de la frontière terrestre et du plateau
continental. Ces relations politiques se doublent d'échanges
économiques en forte progression, la Grèce étant le
deuxième partenaire de l'Albanie.
L'
Italie
est quant à elle le principal partenaire de l'Albanie et
son influence domine dans tous les domaines. Elle a, elle aussi, accueilli un
très grand nombre d'émigrés albanais, notamment lors des
vagues de réfugiés des années 1991 et 1992 et, plus
récemment, après les émeutes du début de
l'année 1997. La situation de cette communauté albanaise en
Italie suscite périodiquement des frictions entre les deux pays, mais
globalement, les contacts politiques et économiques sont très
étroits et l'assistance italienne à l'Albanie a été
très conséquente. L'Italie a assuré la direction de
l'opération Alba et maintient depuis lors un contingent sur place dans
le cadre d'un protocole militaire. Dans le cadre des engagements
annoncés lors de la conférence des donateurs du 22 octobre
dernier, elle s'est placée au premier rang des contributeurs, au titre
de l'aide bilatérale.
II. LE TRAITÉ D'ENTENTE, D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET L'ALBANIE : RENFORCER DES RELATIONS TROP LIMITÉES
Seul pays occidental à avoir toujours entretenu une
ambassade à Tirana, même au plus fort de l'isolement du pays, la
France a essentiellement tissé avec l'Albanie des relations culturelles
fondées sur une
tradition ancienne et encore vivace de
francophonie.
A l'image des traités de même nature conclus entre la France et de
nombreux pays d'Europe centrale et orientale issus de l'ancien bloc communiste,
le traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la
France et l'Albanie signé à Paris le 12 décembre 1994 ne
comporte pas de dispositions contraignantes et constitue surtout un cadre
général, symbolisant la volonté des deux pays de
développer leurs relations.
Les clauses de ce traité sont classiques. Elles illustrent la
volonté de la France de soutenir le
retour de l'Albanie dans
l'ensemble européen
et de diversifier des relations jusqu'à
présent trop limitées. A cet égard, les bases importantes
dont dispose la francophonie en Albanie constituent un atout pour renforcer nos
coopérations avec ce petit pays non dépourvu de
potentialités, malgré ses graves difficultés actuelles, et
qui suscite l'intérêt de plusieurs de nos partenaires
européens, qu'il s'agisse de ses voisins grecs ou italiens, ou aussi de
l'Allemagne et de l'Autriche.
Votre rapporteur présentera les principes généraux
affirmés dans le traité, qui définissent le cadre des
relations franco-albanaises, avant de détailler les différents
domaines dans lesquels les deux pays entendent développer leurs
coopérations.
A. LE CADRE GÉNÉRAL DES RELATIONS FRANCO-ALBANAISES
Les objectifs généraux du traité sont de
deux ordres :
- le renforcement de relations bilatérales fondées sur
l'amitié et des valeurs communes,
- l'ancrage de l'Albanie, avec l'appui de la France, au sein des diverses
institutions européennes.
1. Le renforcement des relations politiques : une attente forte de la part de l'Albanie, qui ne doit pas être déçue
Le Préambule et l'article premier du traité du
12 décembre 1994 prennent acte de la volonté des deux parties
"de prolonger la tradition de dialogue culturel entre les deux
Etats", de
"renforcer l'entente, la solidarité et l'amitié entre les peuples
des deux Etats",
et d'approfondir
"leur coopération dans un
esprit de compréhension, de respect et de confiance
réciproques".
Cette amitié s'appuie sur l'attachement des deux pays
"aux valeurs de
démocratie, de liberté et de justice, et leur volonté d'en
assurer le respect effectif".
Le traité comporte les clauses habituelles encourageant les parties
à organiser
"entre elles des consultations régulières,
dans un cadre bilatéral ou multilatéral, sur les questions
d'intérêt mutuel et les problèmes internationaux majeurs"
et précisent que
"des réunions de travail entre
représentants des deux ministères des affaires
étrangères se tiennent au moins une fois par an
"
(article 5). Ces consultations doivent permettre aux parties de
"mieux
organiser leur coopération, de se concerter sur leurs positions en
matière de politique étrangère, notamment sur la situation
en Europe, et de favoriser l'intégration de la République
d'Albanie dans la communauté des nations démocratiques".
De
même, des consultations entre les deux pays pourront être
organisées en cas de
"menace contre la paix"
ou de mise en
cause
d'un intérêt majeur de sécurité (article 7).
Ces principes étant posés, force est de constater que les
contacts de haut niveau
entre responsables politiques français et
albanais
ont jusqu'à présent été
limités.
Après les visites en France du Premier ministre M. Meksi en 1994, du
Président Berisha en 1996 et de plusieurs ministres du
précédent gouvernement, le nouveau Président de la
République, M. Meidani a rencontré le Président Chirac
à Strasbourg, en marge du sommet du Conseil de l'Europe le 11 octobre
1997. Le nouveau Premier ministre, M. Nano, a également rencontré
le Premier ministre français à l'occasion d'une visite
privée au mois d'octobre.
Parallèlement, la seule visite d'un ministre français en Albanie
est celle du ministre des affaires européennes, en 1993. Plus
récemment,
le Président du Sénat
s'était
rendu à Tirana et avait remis au président Berisha un message du
Chef de l'Etat évoquant notamment l'appui de la France pour le
rapprochement entre l'Albanie et l'Union européenne, l'octroi d'une aide
alimentaire et l'accord de principe des autorités françaises pour
la restitution à l'Albanie du stock d'or, d'une valeur de 150 millions
de F, qui avait été saisi par l'Allemagne durant la seconde
guerre mondiale et dont notre pays assurait la conservation avec le Royaume-Uni
et les Etats-Unis.
En ce qui concerne les contacts techniques, plusieurs commissions mixtes
relatives à la coopération culturelle, scientifique et technique,
à la coopération militaire et à la justice ont
commencé à se réunir.
La forte tradition francophone de l'Albanie, notamment au sein des
élites, et l'action particulièrement appréciée du
contingent français lors de l'opération Alba, créent un
terrain très favorable au développement de bonnes relations
bilatérales
,
ce que traduit mal la fréquence, encore
très modeste, des visites et contacts entre autorités politiques
des deux pays. Il importe de
ne pas décevoir les attentes
fortes
de l'Albanie à l'égard de notre pays.
2. L'ancrage de l'Albanie à l'ensemble européen : un rapprochement opéré par étapes, avec l'appui de la France
Le traité, à l'image de tous les textes de
même nature qui nous lient aux pays de l'ancien bloc de l'Est, place les
relations bilatérales dans le cadre de la
"construction d'une Europe
pacifique, solidaire et prospère"
(article 2).
En préambule, les deux parties se félicitent
"des
récentes évolutions en Europe centrale et orientale qui ont
permis la rétablissement des liens naturels qui unissent les
différentes parties du continent"
et se déclarent
"conscientes que l'avenir des rapports entre les deux Etats est
indissolublement lié au renforcement de la paix, de la
sécurité en Europe".
De même, les deux parties
entendent agir
"pour que l'Europe, dans son ensemble, se transforme en
une
communauté fondée sur l'état de droit, les principes de la
démocratie et assurant sa sécurité"
(article 2).
Aussi le traité évoque-t-il tour à tour différentes
institutions européennes : l'Organisation sur la sécurité
et la coopération en Europe, le Conseil de l'Europe et l'Union
européenne.
L'article 3 encourage les parties à soutenir la mise en place de
structures et de mécanismes propres à renforcer
l'efficacité de l'
OSCE
en matière de prévention des
conflits et de règlement pacifique des différends et à
oeuvrer, au sein de cette organisation, à la poursuite d'un processus
équilibré de désarmement conventionnel et
d'amélioration de la confiance. Il mentionne également
"l'importance primordiale d'un règlement satisfaisant de la question
des minorités nationales pour la stabilité et la
sécurité en Europe".
L'Albanie est
membre de l'OSCE depuis 1991
et les relations avec cette
institution ont d'abord concerné son Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme, chargé de veiller aux
conditions de déroulement des élections législatives de
1996 et de 1997. C'est également l'OSCE, qui a la fin du mois de mars
1997 a décidé l'envoi d'une mission d'assistance en
matière de démocratisation et de préparation des
élections, dont la mise en oeuvre supposait une présence
armée internationale et c'est donc en partie sous son mandat,
complété bien entendu par celui des Nations unies, qu'a
été déclenchée l'opération ALBA. Depuis
lors, l'OSCE s'est vu assigner une mission de "coordination" de
l'action de la
communauté internationale en Albanie, rôle qui n'apparaît
pas toujours très clairement, notamment au regard de l'action du Conseil
de l'Europe.
La France, comme elle s'y était engagée par l'article 4, a en
effet activement oeuvré à l'
admission de l'Albanie au sein du
Conseil de l'Europe
, effective depuis le 29 juin 1995. L'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe avait émis un avis favorable
assorti d'une série de considérations et d'engagements relatifs
à la démocratisation et au renforcement de l'état de droit.
Si l'OSCE et le Conseil de l'Europe suivent attentivement l'évolution
politique intérieure albanaise, avec une certaine difficulté de
délimiter leurs rôles respectifs, l'Albanie entend quant à
elle donner un relief particulier, au sein de ces institutions, à la
question du Kosovo.
Le rapprochement entre l'
Albanie et l'Union européenne
pose des
problèmes plus difficiles, en raison notamment du retard
économique du pays. La France, par l'article 2 du traité,
s'engage à favoriser ce rapprochement ainsi que le développement
de relations étroites avec l'Union européenne, plus
précisément en vue de conclure
"dans les meilleurs
délais"
un accord d'association. Elle
" considère de
manière positive la perspective de l'adhésion de la
République d'Albanie à l'Union européenne, lorsque les
conditions seront réunies ".
Le traité précise
également que le rapprochement avec l'Union européenne a vocation
à entraîner à son tour le rapprochement avec l'Union de
l'Europe occidentale.
L'établissement de relations entre l'Albanie et l'Union
européenne s'est concrétisé dès 1992 par un
accord de commerce et de coopération
, première
étape sur la voie d'un renforcement des relations.
L'Albanie est, de tous les pays en transition, celui qui a reçu la plus
forte aide par habitant de l'Union européenne. De 1991 à 1996,
l'Union européenne a dépensé 515 millions d'Ecus en
Albanie. Dans ce cadre, une "aide macro-financière" de 35 millions
d'Ecus a été décaissée en 1995 après la
levée du veto grec. L'Albanie est éligible au
programme
communautaire PHARE
qui a permis le versement d'une importante aide
humanitaire. Une aide de 210 millions d'Ecus pour les années 1996-1999 a
été prévue au titre de ce programme avec notamment pour
objectif des actions dans le cadre du crédit agricole, du soutien aux
PME, du tourisme et du développement des communautés locales.
Cette assistance, partiellement suspendue en avril, à l'exception des
programmes humanitaires, a été réorientée sur trois
actions d'urgence : l'assistance douanière, afin de rétablir la
perception des droits de douane, principale ressource du budget, la
reconstruction des écoles et la réfection des prisons. Des
crédits ont également été débloqués
pour la réhabilitation des bâtiments publics. Enfin, pour mieux
répondre aux besoins de l'Albanie après la sévère
crise de 1997, les priorités du programme Phare ont été
redéfinies autour de quatre axes : le soutien aux administrations
publiques, aux infrastructures, à l'agriculture et au
développement local.
L'Albanie a également demandé l'ouverture de négociations
sur un accord d'association similaire à ceux conclus avec les autres
pays d'Europe centrale et orientale. La Commission européenne souhaite
plutôt réactiver l'actuel accord de commerce et de
coopération avant d'envisager la conclusion d'un accord transitoire
"renforcé", l'association à l'Union européenne demeurant
cependant l'objectif à moyen terme.
Quant à la question du rapprochement entre l'Albanie et l'Union de
l'Europe occidentale, à laquelle elles souhaiterait dans un premier
temps être associée, elle est bien entendu étroitement
liée au calendrier qui sera envisagé pour l'accord d'association
à l'Union européenne et n'est donc pas pour le moment à
l'ordre du jour.
B. LA MISE EN OEUVRE DE LA COOPÉRATION FRANCO-ALBANAISE
Le traité évoque successivement les diverses coopérations dont la mise en oeuvre est encouragée, dans les domaines de la culture et de la francophonie, de l'économie et de la finance, des institutions publiques, de la police, ainsi qu'en matière militaire.
1. La coopération culturelle et la francophonie : des atouts à valoriser
L'article 10 du traité vise les actions de
coopération dans les domaines de la science, de la technique et de la
culture en mettant l'accent sur les actions de formation. Il mentionne les
formations linguistiques, la coopération entre établissements
d'enseignement supérieurs et de recherche, la communication
audiovisuelle et la diffusion du livre et de la presse.
Il convient de souligner que
les relations culturelles avec l'Albanie n'ont
jamais été interrompues
, notamment en raison du maintien de
bourses de longue durée qui permettaient à des étudiants
albanais de se former en France.
Favorisé par le lycée français de Korca, entre 1917 et
1939,
l'enseignement du français
s'est poursuivi sous la
dictature d'Enver Hoxha, lui même enseignant dans ce lycée. On
estime qu'aujourd'hui,
plus de 30 % de la population parle le
français
, la langue française occupant une place de tout
premier ordre chez les principaux dirigeants politiques du pays. Même
s'il a perdu sa première place au profit de l'anglais,
le
français est étudié par le tiers des collégiens et
des lycéens
, ainsi que par plus de 1300 jeunes enfants
bénéficiant de l'opération "français
précoce". L'Albanie compte 700 enseignants de français
regroupés dans l'Association des professeurs de français
d'Albanie. L'Albanie vient d'être admise comme observateur dans les
structures des Etats ayant le français en partage.
En regard de cette permanence remarquable du fait francophone,
les moyens
dévolus à notre coopération culturelle, scientifique et
technique paraissent très modestes pour ne pas dire très
insuffisants
, l'ouverture de l'Albanie à l'extérieur risquant
paradoxalement de réduire la place du français,
préservée durant les années d'isolement.
Les crédits d'intervention
au titre de la coopération
culturelle, scientifique et technique
n'ont cessé de se
réduire
, passant de 8,1 millions de F en 1994 à 5,8
millions de F en 1995, 5,6 millions de F en 1996 puis 4,1 millions de F en
1997. Cette évolution très défavorable résulte
à la fois du contexte budgétaire général mais aussi
de mesures de régulation qui ont affecté de manière plus
sévère les actions de coopération avec l'Albanie. Il est
vrai que dans les années qui ont suivi l'accession de l'Albanie à
la démocratie, celle-ci était relativement
privilégiée, avec une aide par habitant des plus
élevée pour la région. L'évolution des
crédits depuis 1994 a ramené l'Albanie à un niveau
comparable à celui d'autres pays de la région dans lesquels,
cependant, on ne retrouve pas une aussi forte position du français Cette
orientation ne paraît donc pas opportune dans un pays où le fait
francophone constitue une réalité trop ignorée.
L'enveloppe spécifiquement consacrée à la
coopération linguistique en 1996 est de l'ordre de 1,4 million de F.
Elle est consacrée à l'octroi de bourses pour des
professeurs-formateurs, à l'opération "français
précoce" dans l'enseignement primaire, à la diffusion de livres
dans les lycées, à la mise en place de cours de français
de spécialité et au soutien aux établissements enseignant
le français
Une Alliance française est installée à Tirana depuis 1992.
Elle dispose de deux antennes dans le nord (Shkodra) et le centre (Elbasan) du
pays, une troisième devant être ouverte dans le sud-est
(Korça). L'Alliance française accueille plus de 1 600
étudiants.
Il n'existe pas de
centre culturel français
en Albanie.
Toutefois, il est envisagé de créer à Tirana un espace
culturel réunissant le bureau de coopération linguistique et
éducative, un centre de ressource et l'Alliance française, dans
de nouveaux locaux. On doit souligner que compte tenu de la possibilité
de recruter du personnel local francophone, le coût de fonctionnement
d'un centre culturel ne serait pas considérable, et paraît
même tout à fait à la portée de notre pays. Il
répond à un besoin évident lié à la fois
à la place remarquable du français en Albanie et à
l'absence d'infrastructures culturelles de qualité. Il y aurait donc
tout intérêt à ce que la création d'un centre
culturel français doit désormais une priorité pour notre
coopération.
La
création d'un établissement d'enseignement
franco-albanais
, sous la forme d'une réouverture du lycée
français de Korça, est régulièrement
évoqué par les autorités albanaises. Compte tenu du
coût de réalisation et de fonctionnement d'un tel
établissement, et de l'absence d'une communauté française
expatriée en Albanie, à l'exception du personnel de l'ambassade
et de quelques coopérants, cette création ne semble pas
envisageable à court terme. Il paraît en revanche tout à
fait réaliste de développer des
filières d'enseignement
en français
, avec des enseignants albanais ayant
bénéficié de stages de formation en France. Ces
filières pourraient voir le jour dans un lycée de Tirana et
également à Korça. Votre commission souhaite la mise en
oeuvre effective, et dans les meilleurs délais, de cette solution
pragmatique, qui permettrait d'obtenir des résultats rapides
répondant aux aspirations des autorités albanaises, très
attachées à la présence d'un enseignement en
français en Albanie.
Dans le domaine audiovisuel, un programme d'installation de
réémetteurs est en cours afin de favoriser la retransmission de
TV5 par voie hertzienne. Parallèlement, un accord avec la
télévision albanaise permet la diffusion d'émissions de
CFI.
Il faut enfin signaler qu'un nombre important de projets de coopération
scientifique et universitaire ont vu le jour entre des universités
françaises et l'université albanaise dans le domaine des sciences
exactes, de la géologie, de la philosophie et des sciences
économiques, la France offrant par ailleurs des bourses pour chercheurs
albanais post-doctoraux dans le cadre de projets de recherche
d'intérêt commun.
2. La coopération technique, administrative et institutionnelle : une action très diversifiée
L'article 9 énumère un certain nombre de
domaines (coopération juridique, technologies, équipement et
transports, télécommunications, industrie, mines, agriculture et
agro-alimentaire, affaires sociales, santé, environnement, tourisme)
"qui revêtent une importance particulière"
pour l'avenir
des deux parties et dans lesquelles elles entretiennent une coopération
étroite.
Plusieurs actions répondant à cette définition très
large ont déjà été mises en place. La
coopération administrative
a essentiellement concerné
l'organisation des pouvoirs locaux, inspirée du modèle
français. En matière de
santé
, la
coopération porte sur la formation médicale et
l'équipement sanitaire. La
coopération agricole
est elle
aussi très active, surtout dans la région de Korça et
comporte des actions en direction du réseau hydraulique, de la
formation, de la recherche agronomique et de l'élevage.
La
coopération en matière de police
est
spécifiquement mentionnée par l'article 12 du Traité, qui
évoque l'échange de fonctionnaires en vue de développer la
formation, ainsi que les échanges d'information pour lutter contre le
crime organisé, les trafics illicites et le terrorisme international.
Les actions en cours concernent la formation au contrôle de l'immigration
et à la détection des faux documents.
L'article 11 du Traité évoque la
coopération
institutionnelle
entre les Parlements des deux Etats et entre les
collectivités locales. Des contacts ont été établis
par les Parlements des deux pays et à la suite du déplacement,
l'an passé, du Président du Sénat à Tirana,
plusieurs fonctionnaires parlementaires albanais ont été
accueillis en stage par le Sénat français. Un groupe
d'amitié parlementaire avec la France vient d'être
constitué au sein du Parlement albanais, qui est également
représenté au sein de l'Assemblée internationale des
parlementaires de langue française (AIPLF).
3. La coopération militaire : un niveau très modeste
L'article 6 exprime la volonté des deux parties de
développer et d'approfondir leurs relations sur le plan militaire et de
procéder à des échanges de vues sur leurs conceptions dans
le domaine militaire.
Cette coopération s'est officialisée en mars 1996 et se limite
pour le moment à l'envoi de stagiaires albanais en France. Elle reste
très en-deçà des besoins de l'armée albanaise et
paraît bien réduite par rapport aux liens qui ont pu se tisser,
sur le plan militaire, entre l'Albanie et d'autres partenaires européens
tels que l'Italie ou l'Allemagne, mais aussi la Turquie et la Grèce.
Il faut signaler que l'Albanie, qui revendique l'objectif d'intégration
dans l'Alliance atlantique, a été parmi les premiers signataires
du
partenariat pour la paix
en février 1994. Dans ce cadre, elle
a participé à plusieurs exercices militaires et a envoyé
de nombreux stagiaires dans divers pays de l'OTAN. Un programme individuel a
été établi au début de 1996. Il prévoit des
coopérations dans le domaine du maintien de la paix, du contrôle
démocratique des forces armées et le renforcement de
l'interopérabilité des unités albanaises avec celles de
l'OTAN. Un nouveau programme a été arrêté le 28
août 1997 pour parer aux besoins les plus pressants, à la suite de
l'effondrement de l'armée albanaise. Il est orienté vers la
formation des personnels et donnera lieu à 12 missions d'expertise de
l'OTAN d'ici le début de l'année 1998.
La participation de l'Albanie au partenariat pour la paix et les
coopérations avec plusieurs pays de l'OTAN qui en découlent, ne
soulignent qu'avec plus de netteté la modestie de notre engagement
actuel dans le domaine de la coopération militaire.
Deux éléments viennent toutefois tempérer ce constat :
- l'action très appréciée menée par le contingent
français qui a participé à l'opération Alba d'avril
à août 1997,
- la présence de gendarmes français au sein de l'Elément
multinational de conseil en matière de police mis en place par l'UEO,
dirigé par un colonel de gendarmerie français.
4. Les relations économiques : des perspectives encore limitées
L'article 8 du traité encourage les deux Etats à
développer leurs relations économiques et financières,
à établir des liens directs entre leurs opérateurs
économiques, à soutenir les projets de coopération
impliquant les PME et à favoriser des investissements directs, la
création de sociétés mixtes, les échanges de
savoir-faire et la formation des acteurs de la vie économique. Il
mentionne également leur volonté d'établir une
coopération appropriée pour contribuer au développement en
Albanie d'une économie de marché et pour mettre en place le cadre
administratif et juridique nécessaire.
Un
accord d'encouragement et de protection réciproques des
investissements
est entré en vigueur en 1995 et un protocole tendant
à éviter les doubles impositions est en cours de
négociation.
Pour le moment, les relations économiques et financières
franco-albanaises sont encore très modestes, notamment au regard de
celles qui se développent entre l'Albanie et ses deux partenaires
principaux : l'Italie et la Grèce. La France n'est que le 6e partenaire,
derrière ces deux pays, mais aussi l'Allemagne, la Turquie et l'Autriche.
Les échanges commerciaux sont caractérisés par un fort
excédent en faveur de la France et une
progression rapide des
exportations françaises
. Celles-ci étaient de 63 millions de
F pour 1995 et de 140 millions de F en 1996. Sur cette même
période, les importations en France de produits albanais sont
restées stables (34 millions de francs en 1995, 39 millions de francs en
1996).
Les principaux projets d'investissements suivis par les entreprises
françaises en Albanie concernent l'hôtellerie, les centrales
hydroélectriques, la téléphonie, les aménagements
portuaires et les transports.
Il est clair que les événements récents ne sont pas de
nature à inciter les investisseurs à s'intéresser à
l'Albanie, pays où le risque politique et économique paraît
élevé.
L'Albanie s'engage toutefois, avec l'aide de la communauté
internationale, sur la voie de sa reconstruction économique et à
ce titre, les besoins sont considérables. On peut espérer que les
entreprises françaises pourront profiter des opportunités
offertes par la reprise de l'aide internationale et l'octroi de financements
multilatéraux pour les opérations qui seront
réalisées dans les domaines portuaire, routier,
hydroélectrique ou encore téléphonique.
A cet égard, il est très regrettable que le poste d'expansion
économique ait été pratiquement mis en sommeil, en
l'absence de nomination d'un conseiller financier.
CONCLUSION
Au terme de ce rapport, il apparaît que l'Albanie
traverse aujourd'hui une période difficile et doit faire face à
de multiples défis : maintenir l'ordre public et la paix civile, alors
qu'un nombre considérable d'armes restent aux mains de la population
mais aussi de bandes criminelles, assurer le bon fonctionnement des
institutions dans le cadre des règles élémentaires de la
démocratie pluraliste, reconstruire l'économie affaiblie par la
crise financière et les destructions opérées durant les
émeutes.
Ces éléments ne doivent cependant pas conduire notre pays
à se détourner de l'Albanie.
La France ne peut que souhaiter le retour de l'Albanie sur la voie de la paix
civile et du développement économique, pour le pays
lui-même et aussi pour l'ensemble de la région des Balkans. C'est
d'ailleurs pourquoi elle a activement participé à
l'opération Alba, puis au programme d'assistance financière
à l'Albanie, par le biais du budget communautaire ou de son aide
bilatérale.
La France doit en outre avoir conscience du capital que représente le
fait francophone en Albanie et le préserver. A ce titre, un renforcement
de nos relations culturelles paraît absolument indispensable,
étant précisé que quelques moyens supplémentaires
permettraient sans doute d'obtenir des résultats rapides et importants,
compte tenu de l'influence déjà forte de la francophonie.
Pour cet ensemble de raisons, votre commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées vous
demande d'approuver le projet de loi autorisant la ratification du
traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la
France et l'Albanie.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées a examiné le présent
rapport au cours de sa réunion du mercredi 17 décembre 1997.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Philippe de Gaulle s'est
interrogé sur le comportement respectif des populations du nord et du
sud de l'Albanie durant les émeutes de 1997, sur les ressources
économiques de l'Albanie, sur les relations de ce pays avec la
Grèce et sur la présence militaire française en Albanie.
M. Claude Estier a confirmé l'importance du fait francophone en Albanie
tout en craignant que la place du français n'y recule dans les
prochaines années, surtout si les moyens de notre coopération
continuaient à diminuer. Il a souhaité connaître la
position de l'Albanie au regard des instances de la francophonie.
M. Christian de La Malène s'est demandé si les conditions du
déroulement des élections de juin 1997 n'avaient pas, dans une
certaine mesure, conduit le parti démocratique à en contester les
résultats et à boycotter les travaux du Parlement.
En réponse à ces différentes interventions, M.
André Rouvière a souligné que, si l'économie
albanaise reposait encore largement sur l'agriculture, le relatif essor
économique des années 1992-1996 avait conduit à une
élévation du niveau de vie, avant que ce dernier ne chute
brutalement cette année, la crise financière ayant ruiné
beaucoup d'Albanais réduits désormais à vivre
d'expédients.
Il a par ailleurs jugé souhaitable le maintien d'une assistance à
l'Albanie dans le domaine militaire, l'armée albanaise sortant
très affaiblie des événements de l'hiver 1997. Il a
précisé que l'Albanie venait d'être admise, comme
observateur, dans la communauté des pays ayant le français en
partage lors du sommet qui s'était réuni à Hanoi en
novembre dernier.
M. André Boyer a précisé que le contingent français
avait quitté l'Albanie au mois d'août 1997 et que, seuls 5
gendarmes français restaient aujourd'hui sur place pour des missions de
conseil en matière de police. Il a précisé que les
relations gréco-albanaises, longtemps difficiles en raison du
problème de la minorité hellénophone dans le sud de
l'Albanie, s'étaient récemment améliorées. Il a
souligné que si les émeutes de février et mars dernier
avaient gagné l'ensemble du pays, elles avaient été
particulièremenmt violentes dans le sud. Enfin, il a indiqué que
l'OSCE avait qualifié de "satisfaisantes et acceptables" les
opérations électorales de juin dernier, bien que le parti
démocratique ait considéré qu'il avait été
empêché de mener campagne dans le sud du pays.
M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance de
l'Albanie dans un contexte régional troublé, la question du
Kosovo étant incontestablement, à ses yeux, la plus porteuse de
risques pour l'avenir de la paix dans la région.
La commission a alors approuvé le projet de loi qui lui était
soumis.
PROJET DE LOI
(Texte adopté par l'Assemblée nationale)
Article unique
Est autorisée la ratification du traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la République française et la République d'Albanie, signé à Paris le 12 décembre 1994 et dont le texte est annexé à la présente loi 1( * ) .
1
Voir le texte annexé au document
n° 2978 (A.N. 11ème législature)