PROJET DE LOI AUTORISANT L'APPROBATION DE L'ACCORD INTERNATIONAL DE 1994 SUR LES BOIS TROPICAUX (ensemble deux annexes)
DURAND-CHASTEL (Hubert)
RAPPORT 149 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES
Table des matières
- I. LES BOIS TROPICAUX : ENJEUX ÉCONOMIQUE ET ÉCOLOGIQUE
- II. L'ACCORD INTERNATIONAL SUR LES BOIS TROPICAUX : UN INSTRUMENT UTILE MAIS INSUFFISANT
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROJET DE LOI
-
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT55 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.
N°
149
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 décembre 1997.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l' accord international de 1994 sur les bois tropicaux (ensemble deux annexes),
Par M.
Hubert DURAND-CHASTEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier de
Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Voir le numéro
:
Sénat
:
64
(1997-1998).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
L'accord international de 1994 sur les bois tropicaux prend la suite d'un
premier texte signé en 1983. Il conserve les principaux
éléments de l'accord initial et notamment l'Organisation
internationale des bois tropicaux dont le siège se trouve à
Yokohama au Japon. Il s'inspire des mêmes objectifs -l'expansion et la
diversification du commerce international de bois tropicaux- même s'il
donne une importance accrue aux préoccupations liées à
l'environnement.
En effet, entre les premières négociations sur les bois tropicaux
et la date de discussion du nouvel accord, les questions relatives au
"développement durable " sont devenues l'un des thèmes
privilégiés des forums internationaux, même si, dans ce
domaine, la rhétorique tend à l'emporter sur les
réalisations pratiques. A cet égard la Conférence des
Nations unies, réunie à Rio en juin 1992, sur l'environnement et
le développement, a constitué une étape essentielle.
Les principes affichés à cette occasion, ont trouvé leur
traduction dans le présent accord à travers l'objectif, d'ici
l'an 2000, d'utiliser pour les exportations de bois et de produits
dérivés des bois tropicaux, des forêts gérées
de façon durable.
Comment concilier le souci de favoriser le commerce des bois tropicaux avec la
sauvegarde des ressources forestières de la planète ? Avant
d'examiner l'équilibre recherché par l'accord entre ces deux
préoccupations, votre rapporteur tentera de prendre une plus juste
mesure de l'impact de l'exploitation des bois tropicaux sur le
phénomène de la déforestation.
I. LES BOIS TROPICAUX : ENJEUX ÉCONOMIQUE ET ÉCOLOGIQUE
A. UN RÔLE ESSENTIEL DANS LES ÉCONOMIES EN DÉVELOPPEMENT
Le marché mondial des bois occupe entre la quatrième et la cinquième place dans les échanges internationaux, devant l'automobile et loin devant d'autres matières premières telles que le café ou le cacao. Les flux d'échange se caractérisent par la diversité des produits échangés (du placage d'ébénisterie au rondin pour la pâte à papier). Toutefois, les volumes échangés ne représentent qu'une part limitée de la récolte de bois. En effet, la moitié de la production mondiale (80 % pour l'ensemble des pays en développement) alimente les besoins en bois de feu. La consommation pour cet usage ne suscite qu'un commerce très localisé ; la faible valeur du produit concerné liée à la modestie du pouvoir d'achat des utilisateurs lui interdit de supporter des coûts de transport trop élevés.
1. Les producteurs : la volonté de privilégier l'exportation de produits transformés sur place
Les
ventes de bois tropicaux constituent une source importante de devises pour les
pays producteurs. En effet, ces derniers, qui appartiennent en majorité
au monde en développement où se situent les plus grandes
forêts tropicales, ont cherché à exporter des biens
présentant une valeur ajoutée croissante. Ainsi plusieurs pays
ont mis progressivement en place des réglementations pour interdire
l'exportation de grumes et encourager la transformation industrielle sur place.
L'évolution respective des grandes catégories de produits ligneux
reflète cette préoccupation.
La production de grumes de feuilles tropicaux pour sciages et placages au sein
des Etats membres de l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT)
continue de décliner. Elle est passée de 132 millions de m
3
en 1995 à 127 millions de m
3
en 1996, soit une baisse
de près de 4 % (après un recul de 2 % l'an passé).
Cette évolution apparaît particulièrement sensible dans la
zone Asie-Pacifique qui continue de représenter cependant à elle
seule, les deux tiers de la production. Ainsi en quatre ans la production de la
Malaisie s'est contractée de 30 % (de 43,5 millions de m
3
en
1992 à 33 millions de m
3
aujourd'hui). La part de l'Afrique
demeure stable (7 %) tandis que celle de l'Amérique latine tend à
s'accroître (26 %). Seul parmi les cinq principaux producteurs, le
Brésil a connu une augmentation des quantités produites de grumes
de feuillus tropicaux.
Les sciages tropicaux s'inscrivent dans une tendance comparable avec une
production de 40,4 millions de m
3
en 1996 (contre 41,1 millions de
m
3
en 1997). Ici encore le cas de la Malaisie semble exemplaire des
évolutions observées en Asie : ce pays qui fournissait 8,2
millions de m
3
en 1996 devrait arrêter avant l'an 2000 ses
exportations de sciages pour favoriser des produits de qualité
supérieure. Le Brésil en passe de devenir le premier fournisseur
(11 millions de m
3
) suit une orientation inverse.
En revanche la production de biens plus élaborés, même si
elle demeure encore marginale au sein du commerce des bois tropicaux, progresse
régulièrement depuis quelques années. Ainsi la production
de placages (3 millions de m
3
en 1995, soit 50 % de la production
mondiale) augmente de 7 % en 1996.
L'Asie (2,2 millions de m
3
) en fait, surtout la Malaisie, constitue
le premier fournisseur suivi par l'Amérique latine et l'Afrique. De
même, la production de contre-plaqués a cru de 7 % par rapport
à 1994 (15,6 millions de m
3
en 1995, soit le tiers de la
production mondiale). Ainsi, l'Indonésie après avoir interdit en
1985 les exportations de grumes et imposé des taxes d'un niveau
prohibitif aux ventes de sciages en 1989, a mis en place un système
fiscal incitatif pour encourager l'exportation des contre-plaqués.
L'essor d'une industrie de transformation a permis à des groupes
asiatiques de se développer hors des frontières nationales et de
prendre pied en Afrique. Le commerce international a évolué au
cours des dernières années : les flux nord-sud demeurent
importants mais ils doivent désormais compter avec la part croissante
des échanges Asie-Pacifique.
2. Une consommation mise en cause par les mouvements écologistes
Tandis que les Etats-Unis satisfont l'essentiel de leurs besoins par leur propre production, l'Europe quant à elle, même si sa place demeure significative, se voit de plus en plus supplantée par les pays d'Extrême-Orient dans le commerce et l'utilisation des produits tropicaux.
Produits |
Union
européenne
|
Principaux importateurs extracommunautaires et part des importations OIBT (en %) |
Grumes |
12 |
Japon(39)-Taïwan(16)-Corée(14)-Thaïlande(6,5) |
Sciages |
36 |
Thaïlande(20)-Japon(14)-Corée(10) |
Placages |
19 |
Japon(55)-Taïwan(11) |
Contreplaqués |
15 |
Japon(36)-Chine(18)-Corée(8)-Etats-Unis(11) |
Au sein
de l'Union européenne la consommation des pays
méditerranéens s'est accrue alors que la part de l'Europe du nord
(Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne) tendait à se
réduire. Est-ce un effet de l'influence des mouvements
écologistes ? Plusieurs associations ont en effet dénoncé
l'utilisation de bois tropicaux. En France, les exemples ne manquent pas.
Après la mise en cause de certains projets comme la Grande
bibliothèque et la passerelle Solférino, c'est au tour de la
société Chanel de se trouver en prise avec un mouvement de
contestation. Le bois de rose (même si l'utilisation en est
modérée, 50 tonnes par an) entre en effet dans la composition de
l'un de ses parfums les plus célèbres.
Sous l'effet de certains groupes de pression, plusieurs pays ont même
adopté des mesures restrictives avant d'y renoncer en raison des
règles prises par l'Organisation mondiale du commerce. Ainsi, l'Autriche
avait rendu obligatoire en juillet 1992 la mention " bois tropicaux "
sur l'ensemble des produits commercialisés en provenance du sud. Ce
marquage avait en fait pour fonction de dissuader les acheteurs. Mais la
pression internationale a conduit à abroger cette loi. Ces initiatives
demeurent marginales et ne sont pas réellement en mesure de peser sur le
marché des bois tropicaux.
En fait, ce marché reste principalement tributaire de la croissance
économique et, en particulier, de la conjoncture dans le secteur de la
construction. La hausse des prix de certains produits finis comme les
fenêtres, portes ou meubles peut bénéficier directement aux
grumes et aux sciages. De ce point de vue, les perspectives apparaissent
incertaines en particulier en Extrême-Orient, principale zone de
production et de consommation pour les bois tropicaux. En outre, la concurrence
du bois tempéré reste vive.
Le cas du Japon, l'un des premiers importateurs de bois tropicaux, ne laisse
pas de soulever de sérieuses incertitudes. Dans ce pays, les
importations de grumes et de produits semi-finis ont décliné.
Seul le secteur du contreplaqué s'est distingué par le dynamisme
des importations (5,3 millions de m
3
en 1996) principalement en
provenance d'Indonésie (3,2 millions de m
3
) et de Malaisie.
Ainsi, dans l'avenir, les prix auront sans doute tendance à stagner
(depuis 1995 ils n'ont du reste connu aucune réelle
augmentation).
B. LE COMMERCE, MEILLEUR INSTRUMENT POUR LA PROTECTION DES FORÊTS TROPICALES ?
La forêt tropicale constitue un patrimoine menacé : faut-il dès lors arrêter l'exploitation du domaine forestier ou encourager au contraire une gestion maîtrisée de cette ressource ?
1. Un patrimoine menacé
Les
forêts tropicales couvrent actuellement plus de 1 700 millions
d'hectares. Cependant le rythme de la déforestation s'est
accéléré en une décennie : en 1980 la superficie
diminuait en moyenne de 11,3 millions d'hectares mais en 1990, elle se
réduisait de 15,4 millions d'hectares. Le phénomène ne
concerne pas dans la même mesure les trois grandes régions
tropicales. L'Amérique latine subit aujourd'hui les plus grands
déboisements même si les forêts asiatiques apparaissent les
plus menacées compte tenu du rythme actuel de déforestation.
Quant à l'Afrique, une grande partie des zones les plus accessibles ont
déjà perdu leur couvert forestier.
La sauvegarde des forêts tropicales représente un double enjeu
écologique et économique. En effet, les forêts exercent, en
premier lieu, une influence sur le climat, certes encore mal mesurée
à l'échelle régionale mais certaine dans le milieu local.
L'ensemble des strates du couvert forestier joue un rôle d'écran
et de tamis entre l'atmosphère, libre au-dessus de la forêt, et
l'intérieur, où règne, selon une formule consacrée,
une " ambiance forestière " avec une température et une
humidité relative plus stables et une luminosité plus faible.
En second lieu, la forêt contribue à la protection et à la
régénération des sols. Par ailleurs, elle constitue un
précieux conservatoire des formes de vie : 50 % des espèces
terrestres sont originaires des régions tropicales.
La diminution de la ressource forestière apparaît également
préoccupante au regard de la place des bois tropicaux, souvent
importante, dans les économies des pays concernés. Il convient de
le rappeler, dans ce domaine comptent au premier chef la récolte et la
distribution des bois de feu et du charbon de bois. Ce secteur occupe sans
doute l'essentiel des 12 millions de personnes qui, selon certaines
estimations, dépendent directement des forêts tropicales. Ces
dernières fournissent le cadre de vie à plus de 300 millions
d'habitants, utilisateurs chaque année d'une quantité de bois
échelonnée entre 0,5 et 2 m
3
variable, bien sûr,
selon la rareté et le climat.
Quant à l'exploitation commerciale des bois tropicaux, elle peut
également subir le contrecoup de la raréfaction de la ressource.
Certains pays, comme le Nigeria, très peuplés, au terme d'un
développement économique rapide mais peu maîtrisé,
n'ont plus suffisamment de forêts naturelles pour assurer leur propre
approvisionnement. D'exportateurs ils sont devenus importateurs de bois et
s'engagent dans des programmes de plantations. De même, la production des
Philippines a connu en vingt ans une profonde contraction, passant de 10
à moins de 2 millions de m
3
par an. En Côte-d'Ivoire,
la production, de l'ordre de 4 millions de m
3
par an pendant les
années 70, ne dépasse plus guère 1,5 million de tonnes
aujourd'hui.
Quelles sont les principales causes de cette déforestation ?
Les facteurs de déforestation apparaissent très divers. Dans bien
des régions tropicales,
la pression démographique
représente le facteur décisif, qu'il s'agisse des besoins en bois
de chauffe ou nouvelles surfaces consacrées à l'agriculture.
Ainsi, l'extension des cultures de rente s'est faite dans de nombreux pays au
détriment de la forêt naturelle. En effet, faute de techniques
nécessaires, l'augmentation des rendements, l'accroissement de la
production agricole passent par la mise en culture des superficies
supplémentaires. Quant aux infrastructures, si elles ne
présentent pas en elles-mêmes un impact considérable sur la
forêt tropicale, elles demeurent un vecteur du peuplement des zones
concernées. Le phénomène du déboisement peut
également trouver son origine dans le système d'organisation
sociale et en particulier dans les modes d'appropriation du sol. L'extension de
grandes propriétés (Amérique latine, Philippines)
contraint les premiers occupants à chercher ailleurs des terres à
cultiver, souvent des terres marginales, promises à un
défrichement rapide.
Parmi les différents facteurs de déforestation quelle place
l'exploitation du bois d'oeuvre occupe-t-elle ? Tout dépend, à
cet égard, du degré d'intensité et des conditions de
l'exploitation. Dans certaines forêts très riches en arbres
fournissant un bois commercialisable, comme en Asie du sud-est, le
prélèvement peut atteindre 100m
3
/ha chaque
année et le peuplement d'origine apparaît alors fortement
dégradé. Cependant dans beaucoup de forêts naturelles,
notamment en Afrique et en Amazonie, les quantités exploitées ne
dépassent pas 10 à 20 m
3
/ha (soit 1 à 3 arbres
en Afrique). L'exploitation ne détruit pas la forêt même si
elle n'est pas sans incidence sur la ressource (raréfaction des
espèces les plus recherchées, ouverture de travées ou
routes...). En fait, l'exploitation des bois tropicaux, si elle s'inscrit dans
le cadre d'un aménagement concerté et de normes précises,
ne présente pas de risque écologique. Au contraire, elle peut
même se révéler nécessaire dans la gestion d'un
massif forestier.
2. Un effort nécessaire en faveur d'une exploitation maîtrisée des forêts tropicales
Dans la
mesure où les plantations ne pourront jamais réellement remplacer
la forêt naturelle, il importe de favoriser une gestion mieux
maîtrisée des ressources existantes.
En effet, pour corriger les effets de la déforestation, on ne peut pas
recréer les forêts naturelles disparues. Ces forêts
représentent des écosystèmes complexes où les
nombreuses espèces animales et végétales vivent dans un
étroit réseau de relations d'interdépendance. Comment,
dans ces conditions, reconstituer artificiellement des forêts naturelles
? Les plantations permettront seulement de constituer un système plus
simple, même s'il s'enrichit progressivement et permet, au moins, la
protection du sol. Cependant, de telles plantations présentent un
coût élevé et prolongé sur plusieurs années.
Ainsi, seule une partie des opérations de reboisement semble
effectivement conduite à son terme. L'essentiel des plantations
s'accomplit en Asie qui concentre 80 % des surfaces plantées chaque
année.
Dès lors, ce sont les ressources existantes dont il convient de
favoriser une exploitation mieux organisée. Comment ? Dans les pays
consommateurs la réflexion paraît privilégier la mise en
place de labels de qualité pour les produits issus de forêts
aménagées, appelés ainsi à bénéficier
d'une manière de préférence au moment de leur
commercialisation. Dans un même esprit, la France et l'Union
européenne ont appuyé les études préalables pour la
création d'un label vert africain sous l'égide de l'Organisation
africaine du bois (OAB).
Toutefois, de telles formules doivent s'inscrire dans un cadre
négocié. A cet égard, même si l'accord international
sur les bois tropicaux peut constituer un instrument utile, une volonté
politique forte partagée par les pays producteurs comme par les pays
exportateurs représente un préalable indispensable.
II. L'ACCORD INTERNATIONAL SUR LES BOIS TROPICAUX : UN INSTRUMENT UTILE MAIS INSUFFISANT
A. UN COMPROMIS DÉLICAT ENTRE DES LOGIQUES DIFFÉRENTES
1. Des préoccupations divergentes entre producteurs et consommateurs
Au
moment de la renégociation de l'accord sur les bois tropicaux
1(
*
)
trois logiques différentes se
présentaient aux parties en présence.
Un compromis minimal entre producteurs -partisans d'un développement
sans entrave du commerce des bois tropicaux- et importateurs -tenants d'un
dispositif plus restrictif- aurait sans doute conduit à un accord proche
du texte initial de 1987.
Une logique de valorisation supposait le retour vers la forêt des
ressources procurées par l'exploitation des bois tropicaux et, partant,
une action volontariste pour établir un lien plus marqué entre
mécanismes du marché et protection de la forêt.
Enfin, dans la perspective plus générale tracée par le
développement durable, les fonds fournis par la vente des bois tropicaux
auraient pu bénéficier aux ressources forestières
exploitées mais aussi aux forêts non productives et à la
lutte contre les principaux facteurs de déforestation comme les
défrichements sauvages et l'agriculture itinérante.
Si cette dernière logique devait toutefois se concrétiser, elle
ne le pourrait dans le seul cadre de l'accord international sur les bois
tropicaux. En définitive, le présent accord paraît se
situer à mi-chemin entre l'option minimaliste et la seconde formule plus
ambitieuse.
En effet, la mise au point de l'accord a dû tenir compte des divergences
entre pays producteurs et pays consommateurs.
La position des premiers se déclinait autour de trois thèmes
principaux :
- l'accord international sur les bois tropicaux devait s'étendre
à tous les bois (y compris tempérés et boréaux) en
vertu à la fois d'un argument de principe (la déclaration de Rio
concerne toutes les forêts) et d'un argument commercial (les coûts
liés à l'environnement ne peuvent être supportés par
les seuls bois tropicaux au risque de leur faire perdre leur
compétitivité au profit des autres types de bois) ;
-l'accès au marché devait être libre et équitable
sans discrimination ;
- "l'objectif 2000" au terme duquel, à l'échéance 2000,
l'ensemble des exportations de bois tropicaux devait provenir de ressources
forestières gérées de façon durable
2(
*
)
devait être considéré comme un
objectif indicatif mais non comme une norme contraignante.
Quant aux pays consommateurs, ils défendaient une double
préoccupation :
- l'extension de l'accord aux bois tempérés et boréaux
modifierait complètement la nature d'un texte, élaboré
dans le cadre du Programme intégré pour les produits de base,
pour favoriser le développement ;
- "l'objectif 2000" devait figurer dans le nouvel accord et ne constituait pas
une mesure discriminatoire ; il indique un cap, ouvre un processus
accepté d'ailleurs par les consommateurs comme par les
producteurs.
2. Une solution de compromis
Le
nouvel accord de 1994 tente de tenir compte des préoccupations
exprimées par les pays importateurs et exportateurs mais comme souvent
en pareil cas, le compromis a été obtenu au prix de plusieurs
ambiguïtés. C'est pourquoi, du reste, l'Union européenne, au
nom de ses Etats membres, a souhaité assortir sa signature d'une
déclaration interprétative.
L'accord de 1994 innove à travers la mention de " l'objectif
2000 " repris dans le premier chapitre du texte, sous une forme indicative
(art. 1er) mais il apporte également des inflexions à l'accord de
1983 qui ne sont pas sans ambiguïtés.
Ainsi, alors que le premier accord concernait exclusivement les bois tropicaux,
le préambule du nouveau texte met au même rang que
" l'objectif 2000 " l'engagement des pays consommateurs de conduire
une gestion durable de leurs forêts, et les articles 29 et 30 relatifs
aux statistiques, aux études et à l'information visent l'ensemble
des bois, voire explicitement des bois non tropicaux.
L'accord de 1993 prévoit en outre (art. 35) un réexamen du champ
d'application de l'accord quatre ans après son entrée en vigueur,
clause qui ne figurait pas dans l'accord de 1983.
Par ailleurs, l'accord institue un Fonds pour le partenariat de Bali pour
procurer des " ressources nouvelles et supplémentaires " (7e
alinéa du préambule) dans la perspective de mise en oeuvre de
" l'objectif 2000 " mais ne précise pas si les contributions
attendues des " membres donateurs " présentent ou non un
caractère obligatoire.
La déclaration interprétative de l'Union européenne, fixe,
conformément à l'esprit du texte, la position des pays
européens sur ces deux points. D'une part, elle revient aux
délimitations du champ d'application de l'accord limité aux bois
tropicaux. D'autre part, elle rappelle le caractère exclusivement
volontaire des contributions au Fonds de Bali.
Une stipulation complémentaire, enfin, a été
également apportée à l'accord de 1983. Les
inquiétudes suscitées dans les pays exportateurs par les
restrictions à l'importation adoptées ou même simplement
évoquées par les pays consommateurs ont conduit à
l'insertion d'une clause de non-discrimination commerciale (art. 36).
Même s'il n'est pas sans ambiguïté, l'accord peut constituer
un instrument utile si du moins sa mise en oeuvre reste soutenue par une
véritable volonté politique.
B. UN INSTRUMENT UTILE
1. Les acquis
A
l'instar du texte de 1983, le présent accord cherche à promouvoir
l'expansion et la diversification du commerce international des bois tropicaux.
Mais plus encore que l'accord initial, il met l'accent sur les
préoccupations liées à la protection de l'environnement et
reprend à ce titre "l'objectif 2000".
Ces objectifs ne relèvent pas de la seule rhétorique si l'on en
juge par le bilan plutôt positif de l'accord de 1987. En effet trois
évolutions favorables peuvent être mises à l'actif de
l'accord :
- le cofinancement d'un nombre important de projets de
recherche-développement, en particulier dans les domaines du
reboisement, de la gestion et de l'industrie forestières ;
- la mise en place de critères et des directives en matière
d'aménagement durable des forêts tropicales,
références utiles pour les professionnels du secteur ;
- une meilleure prise de conscience des conséquences de la
déforestation des pays tropicaux sur l'environnement global et la
nécessité d'une gestion durable des forêts ; il faut le
rappeler une fois de plus, la résolution tendant à limiter en
l'an 2000 le commerce international aux seuls bois tropicaux provenant des
forêts gérées de manière durable a été
adopté de concert entre pays producteurs et pays consommateurs.
Certes, il demeure des insuffisances ; l'amélioration de la transparence
du marché international des bois tropicaux et de la connaissance des
mécanismes économiques a connu des progrès très
limités. Par ailleurs, le premier accord n'a pas permis de créer
un réel climat de coopération entre pays producteurs et pays
consommateurs. les débats restent marqués par une logique de
confrontation nord-sud.
Aussi, importe-t-il de favoriser une meilleure utilisation des moyens
institués par l'accord pour réaliser les objectifs qu'il s'est
assignés .
2. Une meilleure utilisation des moyens institués par l'accord
Les
objectifs de l'accord ne sont pas voués à demeurer de simples
déclarations de bonnes intentions. Leur mise en oeuvre peut s'appuyer en
effet sur trois instruments utiles, institués par l'accord.
Au premier rang de ces instruments il convient bien sûr de citer
l'
Organisation internationale des bois tropicaux
(OIBT)créée par l'accord de 1983 et maintenue par le nouveau
texte.
L'OIBT, chargée de mettre en oeuvre les dispositions de l'accord, exerce
ses missions par l'intermédiaire du Conseil international des bois
tropicaux, la plus haute instance de l'Organisation, où sont
représentés l'ensemble des Etats-membres, et des quatre
comités permanents (Comité de l'information économique et
de l'information sur le marché, Comité du reboisement et de la
gestion forestière, Comité financier et administratif).
Le Conseil se réunit au moins une fois par an (art. 9) pour une session
de 7 à 8 jours de travail.
Il constitue un forum très représentatif pour l'ensemble des
questions liées aux bois tropicaux. En effet, les membres producteurs
représentent près de 90 % des forêts tropicales mondiales
et une proportion comparable des exportations nettes globales, en volume, des
bois tropicaux et les membres consommateurs, 80 % environ des importations
nettes totales, en volume, des bois tropicaux.
Le Conseil, comme les différents comités techniques,
reçoivent le concours d'une structure administrative relativement
légère (32 personnes) placée sous l'autorité d'un
directeur exécutif -poste aujourd'hui occupé par un malaisien, M.
Freezaïlah).
Le coût de fonctionnement de l'organisation incombe au
compte
administratif.
Le budget s'élève à quelque 4 millions
de dollars et la contribution française ne dépassait pas
500 000 francs en 1997.
Deux instruments financiers spécifiques, sous la forme d'un
compte
spécial
et des
fonds pour le partenariat de Bali
, peuvent
également concourir aux objectifs poursuivis par l'accord. Ils reposent
l'un comme l'autre sur des contributions volontaires (même si, votre
rapporteur a déjà eu l'occasion de le signaler, les dispositions
relatives au Fonds de Bali ne précise pas cet aspect). L'un et l'autre
sont destinés à des projets ou des avant-projets
généralement évalués par les comités
techniques de l'organisation. S'agissant du Fonds pour le partenariat de Bali,
il a pour vocation exclusive d'aider les pays producteurs à atteindre
l'objectif 2000 en leur permettant de réaliser leurs exportations de
bois ou de produits dérivés de bois tropicaux à partir de
sources gérées de façon durable.
Les contributions volontaires au compte spécial s'établissent
environ à 15 millions de dollars. Le Japon assure à lui seul
près des deux tiers des ressources apportées, à ce titre,
à l'Organisation. Depuis la création de l'OIBT, la France pour sa
part a apporté, sur une base volontaire, près de 3,5 millions de
francs au compte spécial. Quant au Fonds pour le partenariat de Bali, il
n'est pas, à ce jour, opérationnel, compte tenu de
l'entrée en vigueur récente de l'accord (1er janvier
1997).
CONCLUSION
Les
objectifs recherchés par l'accord sur les bois tropicaux ne pourront se
concrétiser sans un double engagement des pays producteurs et des pays
consommateurs. A cet égard, la pression accrue exercée sur les
donateurs à travers la création du Fonds pour le partenariat de
Bali ne saurait exempter les pays producteurs de leurs propres
responsabilités au regard de la gestion des ressources
forestières dont ils disposent. En effet, les efforts
déployés par la communauté internationale resteront vains
si les Etats producteurs ne prennent pas, à l'échelle nationale,
l'ensemble des mesures à la fois juridiques et économiques pour
lutter contre une déforestation inquiétante.
Cette réserve faite, l'accord apparaît comme un instrument utile
et la France se doit d'y participer pour trois raisons principales.
En premier lieu, les achats de bois tropicaux, même si la part de notre
pays a décliné au sein des pays importateurs, demeurent
essentiels pour tout un secteur de notre économie (en particulier
l'ameublement)
3(
*
)
En second lieu, la France a marqué depuis plusieurs années son
attachement à la protection de l'environnement et en particulier
à la sauvegarde des ressources forestières de la planète.
Enfin et surtout, la diplomatie française a toujours soutenu la mise en
place des accords de produit afin, d'une part, de ne pas livrer
entièrement le commerce international aux seules lois du marché
et, d'autre part, de promouvoir un dialogue Nord-Sud favorable aux pays en
développement.
Ces différentes raisons conduisent votre rapporteur à vous
inviter à donner un avis favorable au présent projet de
loi.
EXAMEN EN COMMISSION
La
commission a examiné le présent rapport au cours de sa
réunion du mercredi 3 décembre 1997.
A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin,
président, a observé que la déforestation avait
également pour origine les incendies, favorisés en particulier
par les évolutions climatiques et la sécheresse. Il a
ajouté que les feux de forêt pouvaient entraîner une
pollution très inquiétante pour les zones urbaines.
M. Hubert Durand-Chastel, après avoir rappelé les dommages
considérables provoqués par les incendies en Indonésie, a
indiqué que la lutte contre le feu exigeait des moyens
considérables dont ne disposaient pas toujours les pays en
développement.
La commission a ensuite approuvé le présent projet de
loi.
PROJET DE LOI
(Texte
présenté par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord international de 1994 sur les bois tropicaux (ensemble deux annexes), fait à Genève le 26 janvier 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi 4( * ) .
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT5(
*
)
I.
Etat de droit et situation de fait existants et leurs insuffisances
L'accord international de 1994 sur les bois tropicaux succède à
l'accord de 1983 et en conserve les principales caractéristiques, dont
le maintien de l'Organisation Internationale des Bois Tropicaux (O.I.B.T.),
dont le siège est à Yokohama (Japon). La priorité
croissante accordée à l'objectif de préservation de
l'environnement a cependant conduit à un renforcement de la composante
environnementale de l'accord, qui se fixe en particulier "l'objectif 2000" aux
termes duquel les exportations de bois tropicaux et des produits
dérivés des bois tropicaux devront provenir, à cette date,
de sources gérées de façon durable, et crée le
"Fonds pour le partenariat de Bali", destiné à contribuer au
financement de cet objectif sur la base de contributions volontaires
versées par les pays membres.
II. Bénéfices escomptés
- Emploi : l'accord international de 1994 sur les bois tropicaux est un accord
de produit dépourvu de clauses économiques. Il paraît donc
douteux qu'il ait un impact quelconque sur l'emploi en France.
- D'intérêt général : l'accord peut contribuer
à la lutte contre la déforestation dans les zones tropicales, et
présente donc une utilité évidente dans le domaine de la
protection de l'environnement. En promouvant l'expansion et la diversification
du commerce international de bois tropicaux, l'accord vise également
à améliorer le niveau de vie des petits producteurs, qui sont
particulièrement nombreux dans les pays d'Afrique francophone.
- Financiers : en termes financiers, l'accord international de 1994 sur les
bois tropicaux représente un coût. Notre pays doit en effet verser
chaque année une contribution au budget administratif de l'Organisation.
Cette contribution s'est élevée en 1997 à 84 700 $, soit
près de 500 000 F. Tout pays membre de l'O.I.B.T. peut
également verser des contributions au "Fonds de Bali" ou au compte
spécial de l'Organisation destiné à financer des projets,
mais ces contributions se font sur une base strictement volontaire, et la
France n'en a pas versé depuis l'entrée en vigueur du nouvel
accord.
- Simplification des formalités administratives : sans objet.
- Complexité de l'ordonnancement juridique : sans objet.
1
L'accord international sur les bois
tropicaux
signé le 2 janvier 1984, entré en vigueur le 1er avril 1985,
d'une durée de validité de 5 ans a été
prorogé à deux reprises pour une durée de 2 ans.
2
C'est à Bali, lors de la réunion du Conseil
international des bois tropicaux, que "l'objectif 2000" fut adopté de
concert par les pays producteurs et consommateurs.
3
Les bois tropicaux représentent entre 5 et 10
%
de la consommation totale de bois en France.
4
Voir le texte annexé au document Sénat n° 64
(1997-1998).
5
Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des
parlementaires.