3. Des limites structurelles à la mise en oeuvre des contrôles
Le contrôle des fraudes au RMI, nettement
renforcé par le précédent Gouvernement, semble aujourd'hui
atteindre un seuil, alors que ces contrôles sont nécessaires pour
assurer le consensus sur un dispositif qui garantit un minimum vital
indispensable mais qui est de plus en plus coûteux pour la
collectivité.
Une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires
sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) de
février 1995 et le rapport public de la Cour des Comptes de la
même année avaient recommandé une mise en oeuvre
accélérée des procédures d'échanges
informatisées "
afin d'améliorer encore les
contrôles et réduire les risques de fraude au RMI
".
Depuis 1995, un effort important a été réalisé pour
que l'ensemble des liaisons informatisées soient mises en oeuvre et
rendues opérationnelles ainsi que pour développer un programme de
contrôles sur échantillon.
a) Les contrôles informatisés
Les contrôles informatisés sont effectués
tout d'abord par le croisement systématique des fichiers des diverses
caisses d'allocations familiales (CAF) afin notamment de vérifier les
situations entre départements ainsi que les déclarations de
ressources transmises dans le cadre d'autres prestations sous condition de
ressources versées par les CAF.
Des échanges de données informatiques sont également
organisées entre les CAF et :
- les ASSEDIC pour repérer d'éventuelles
non-déclarations ou sous-déclarations en matière
d'indemnités de chômage. Ces contrôles sont en place et
fonctionnent de manière satisfaisante, y compris en Ile-de-France. Ils
concernent chaque mois tous les allocataires soumis à déclaration
de ressources pour le mois considéré, soit le tiers du stock.
- le
Centre national pour l'aménagement des structures des
exploitations agricoles
(CNASEA) pour le contrôle des personnes en
contrat emploi-solidarité (CES), en contrat emploi consolidé
(CEC) ou en stage de formation professionnelle (SIFE). Ces contrats sont tous
opérationnels depuis la fin de 1995.
Deux dispositifs de croisement de fichiers sont en cours d'installation :
- avec l'ANPE, d'une part, pour les entrées en contrat initiative
emploi (CIE) : les conditions de mise en oeuvre de contrôle du CIE ont
été expertisées ; la demande d'autorisation a
été déposée auprès de la CNIL.
- avec les services fiscaux, d'autre part : la réalisation des
programmes d'informatique est en cours.
S'agissant des relations avec les services fiscaux, les annexes au projet de
loi de financement de la sécurité sociale
4(
*
)
apportent des précisions
intéressantes à cet égard.
"
Cette opération-transfert des données fiscales
consiste, pour les CAF, à transmettre à la DGI un fichier d'appel
des allocataires percevant des prestations familiales sous condition de
ressources et à obtenir, en retour, l'indication des allocataires
identifiés. La comparaison automatique des ressources est toutefois
effectuée sur la base des coordonnées des
intéressés (nom patronymique, adresse...) et non sur le
numéro d'identification du recensement (NIR) dont l'usage n'est pas
ouvert aux services fiscaux.
" Des difficultés techniques quant à la juxtaposition des
foyers fiscaux et des comptes allocataires entre la DGI et les CAF en
résultent. L'utilisation d'un identifiant commun, le NIR,
améliorerait sensiblement la qualité des échanges avec les
services fiscaux et permettrait d'éviter les rejets dus à
l'impossibilité d'exploiter certaines demandes.
" Les autres recoupements se font en revanche à partir du NIR et
représentent 17 millions d'échanges avec les ASSEDIC et
660.000 avec le CNASEA. Ces échanges sont mensuels avec les ASSEDIC et
trimestriels avec le CNASEA et concernent tous les allocataires. "
b) Les contrôles sur échantillon
Par ailleurs, les CAF assurent des contrôles internes
dans le cadre d'un plan de contrôle annuel dont elles doivent rendre
compte au Préfet concerné :
- 15 % des ouvertures de droit doivent faire l'objet d'un
contrôle lourd dans le mois qui suit l'accès au RMI ;
- 1 % des allocataires doit faire l'objet, chaque mois, d'un
contrôle lourd.
Les CAF sont encouragées à procéder largement à des
contrôles sélectifs sur des " cibles "
déterminées ou à la suite de signalements.
Il s'agit au total de 13.000 contrôles par mois, soit 18,5 %
d'allocataires contrôlés en un an. Ces contrôles sont
effectués sur pièces, sinon au domicile des
bénéficiaires, par des contrôleurs assermentés.
En ce qui concerne le revenu minimum d'insertion,
la situation globale de
146.000 allocataires a été contrôlée en
1996
.
Parmi ces contrôles :
- les trois quarts sont effectués par un appel de pièces
auprès des allocataires ;
- un quart est effectué sur place ; les CAF comptent, à cet
égard, 580 contrôleurs assermentés.
c) Les résultats des contrôles
Les résultats des contrôles peuvent être
appréciés à partir de deux catégories de
données.
D'une part, comme on l'a vu, 32.350 suspensions-sanctions du RMI ont
été prononcées en 1996 (+ 7,9 %), ce qui peut
correspondre soit au refus de signer un contrat d'insertion, soit
résulter d'actions frauduleuses.
Par ailleurs, en mai 1996, sur 815.035 allocataires payés par les
CAF, 43.500 personnes, soit 5 %, faisaient l'objet de retenues
liées à des récupérations d'indus. Le
prélèvement mensuel en cas d'indu s'élevait alors à
381 francs
par mois, ce qui correspond à peu près au
maximum autorisé par la loi.
Le rapport du projet de loi de financement de la sécurité sociale
précise que les contrôles relatifs au RMI ont
généré 31.000 indus pour 73,5 millions de francs
et 5.550 rappels
5(
*
)
pour
10 millions de francs, soit un solde net de 63,5 millions de francs
en 1996.
La notion de régularisation d'indus ne peut toutefois être
totalement assimilée à celle de fraude de la part des
allocataires.
En effet, l'essentiel des indus provient de deux origines :
- d'une part, le maintien d'un demi-RMI pendant un mois en cas de retard
de déclaration trimestrielle de ressources (y compris s'il s'agit d'un
retard de saisie de la CAF) ; c'est une procédure prévue par
décret et ces sommes sont versées en pleine conformité
avec les textes.
- d'autre part, ce sont les règles comptables, par exemple en cas
de rappel de prestations familiales ou d'allocations aux adultes
handicapés, qui génèrent à titre rétroactif
une baisse du RMI et donc un indu comptable, mais sans perte globale car
compensé sur les autres prestations sociales.
Il apparaît en définitive que le nombre de fraudes
pénalement qualifiées par les tribunaux est très rare (315
en 1996 pour 741 dépôts de plaintes) ; la difficulté
est, pour le juge, d'apprécier parmi les déclarations inexactes
celles qui sont volontaires et celles qui sont involontaires et
témoignent soit d'une incompréhension par l'allocataire de la
législation, soit d'une négligence.
Votre rapporteur souligne que, si les contrôles sont indispensables,
l'échelle des sanctions doit être proportionnée à la
situation et aux revenus des personnes qui ont perçu indûment le
RMI.
Il faut distinguer entre la cessation immédiate du versement de la
prestation, qui devrait s'imposer dans tous les cas, et les demandes de
reversement de l'indu qui doivent tenir compte des ressources des
intéressés.
d) Les limites auxquelles se heurtent les contrôles appellent une nouvelle réflexion structurelle
Les résultats des contrôles du RMI semblent
relativement modestes alors que, souvent, les élus locaux ont à
l'esprit des cas où l'examen approfondi de la situation de certains
titulaires du RMI conduirait certainement à des remises en question.
S'agissant des contrôles informatisés, il serait utile de parvenir
à des croisements de données informatiques avec les fichiers des
déclarations préalables à l'embauche
(DPE) dont la
transmission par les employeurs est obligatoire, ainsi qu'avec les fichiers de
l'URSSAF afin de repérer les allocataires du RMI qui ont repris une
activité rémunérée.
Il est paradoxal
, en
effet, que
la situation d'un titulaire du RMI qui obtient un stage de
formation rémunéré soit plus facile à
détecter que celle d'un allocataire qui reprend effectivement une
activité régulière
.
Toutefois, compte tenu de l'absence d'identifiant commun au niveau des
entreprises, cette procédure de croisement de fichiers
nécessiterait un investissement important que le ministère des
Affaires sociales juge inadapté au regard du faible taux de fraude
constaté à partir des contrôles effectués
actuellement. C'est donc sur le contrôle personnalisé qu'il faut
se porter.
Comme le rappelle la réponse au questionnaire budgétaire
transmise à votre rapporteur, le contrôle par les instructeurs du
dossier, qu'il s'agisse d'une assistante sociale ou du personnel d'un centre
communal d'action sociale (CCAS), joue souvent un rôle fondamental bien
qu'il soit généralement passé sous silence.
L'instructeur accueille le demandeur pour recueillir son dossier. En principe,
un travail bien fait d'explications commentées et de discussion avec le
demandeur peut conduire à dissuader ce dernier de poursuivre sa
démarche lorsqu'elle est engagée à tort.
Ultérieurement, l'instructeur suit l'allocataire, d'abord pour
établir son contrat d'insertion dans le trimestre suivant l'ouverture du
droit ; ensuite, suivant la périodicité décidée par
lui et, en tout état de cause, tous les ans, pour actualiser le contrat
d'insertion. Là encore, il doit pouvoir déceler des situations
anormales.
La CAF et son personnel peuvent donc jouer un rôle essentiel s'ils font
preuve de vigilance pour déjouer les comportements qui s'apparentent
à une fraude manifeste alors même que les demandeurs font valoir,
à tort, la difficulté de leur situation et le besoin d'urgence
d'un secours.
Dans ce contexte où le rôle sur le terrain des CAF est essentiel,
force est de constater que
l'architecture du dispositif du RMI ne garantit
pas par elle-même l'optimisation des contrôles
. Les CAF sont
chargées de distribuer une prestation dont le financement est
assuré, non pas par la branche " famille " mais directement
par le budget de l'Etat ; les CAF sont chargées de contrôler que
le versement du RMI est justifié, mais elles supportent seules la charge
de la gestion sur le terrain de ce dispositif.
En tout état de cause, la branche famille ne retire aucune
conséquence positive des résultats des contrôles puisque
les suspensions-sanctions ou les reversements des indus sont effectués
au profit du budget de l'Etat.
Certes, la convention d'objectifs et de gestion signée entre l'Etat et
la CNAF le 14 mai 1997 prévoit un renforcement de la politique de
contrôle en fixant notamment comme objectif aux CAF, de passer d'un
contrôle global
a posteriori
de la situation de 15 % des
allocataires à un contrôle de 25 % d'entre eux en l'an 2000, ce
qui représente, si l'on fait l'hypothèse de situations à
risque représentant la moitié des fichiers, le contrôle
exhaustif de celles-ci tous les deux ans. La convention insiste, par ailleurs,
sur l'importance des contrôles sur place.
Cet objectif doit être atteint par :
- les redéploiements internes aux caisses ;
- l'amélioration permanente des politiques de ciblage des
contrôles et de transfert de données sociales ;
- une amélioration du pilotage de la fonction contrôle au
sein de la CNAF et des CAF.
Parallèlement à cet objectif, les CAF se sont engagées
dans l'amélioration de leurs relations avec l'allocataire en cas de
contrôle ou de litige en renforçant l'information sur la politique
de contrôle et en définissant des règles claires de gestion
des procédures de contrôle.
La question est posée de savoir s'il ne faut pas franchir une autre
étape :
il serait intéressant que les CAF puissent
bénéficier d'un mécanisme de compensation de l'effort
consenti en matière de lutte contre la fraude au RMI
. Il ne serait
pas illégitime que l'Etat rétrocède à la branche
famille une fraction des sommes économisées ou
récupérées à la suite de contrôle dans la
lutte contre la fraude au RMI.
Un mécanisme qui permettrait, par un moyen financier ou tout autre
avantage, de faire bénéficier la branche famille des
résultats en matière de lutte contre la fraude au RMI, jouerait
un rôle d'incitation très positif auprès du service qui est
le plus directement chargé de la gestion quotidienne de cette
prestation.
Cette observation s'inscrit dans une problématique plus large qui est
celle de la charge non compensée qui pèse sur la branche famille
en matière de gestion du RMI, largement étrangère à
la vocation originelle de cette branche.
e) La question récurrente du contrôle des droits à affiliation de la sécurité sociale
Dans son avis de l'année dernière, votre
rapporteur avait appelé l'attention sur l'insuffisance des
contrôles préalables des droits à prestation en nature au
régime d'assurance maladie des titulaires du RMI avant leur inscription
au régime de l'assurance.
Les représentants de l'APCG entendus par votre rapporteur avaient
souligné que des contrôles simples opérés à
partir de déclaration des intéressés, montraient souvent
qu'ils détenaient des droits, soit parce qu'ils avaient exercé
une activité professionnelle avant d'être au chômage, soit
parce qu'ils bénéficiaient de l'assurance de leur conjoint,
même en cas de divorce ou de décès de celui-ci.
La réponse au questionnaire transmise par votre rapporteur indique que,
concrètement, le service instructeur doit en principe saisir la Caisse
primaire d'assurance maladie (CPAM) systématiquement, dès lors
que l'intéressé n'a pas de carte d'assuré social valide ou
qu'il ne sait pas où en sont ses droits. La CPAM procède alors
à une vérification du dossier, à partir de ses fichiers ou
par la recherche de toute information nécessaire, l'assurance
personnelle n'intervenant que de façon subsidiaire. Il est
précisé que cette vérification ne présentait pas de
difficulté majeure, dès lors que la caisse pouvait interroger
directement l'assuré social sur sa situation au regard de l'emploi et
sur sa situation familiale.
En revanche, il est souligné, qu'il est apparu, à l'usage,
"
d'importantes difficultés de gestion
" :
" -
Les CPAM n'ont pas de fichier national des
assurés
et ne gèrent pas l'acquisition des droits. Leur seule
information provient de l'interrogation des usagers qui fournissent des
informations permettant de mettre en oeuvre telle ou telle disposition
législative ou réglementaire.
" - Le mode de vie des bénéficiaires du RMI les rend
souvent difficiles à contacter : la moitié sont
hébergés, la majorité sont célibataires, leur
niveau d'instruction est faible et une fraction d'entre eux vivent dans la
marginalité.
" - Dans les départements dont la population est importante,
les caisses éprouvent des difficultés à faire face
à la masse des informations à traiter.
" - Les agents ne sont pas toujours préparés à
comprendre ces questions de précarité, qui demandent un fort
engagement professionnel. "
La dispositif se complique encore du fait que la situation des
bénéficiaires du RMI est instable, qu'un tiers des titulaires
" sort " du dispositif chaque année et que les CPAM ont des
difficultés à gérer l'évolution des droits à
la suite de modifications de situation.
" Les CAF transmettent mensuellement un état des modifications
de situation, mais les CPAM ont des difficultés à l'exploiter, en
particulier dans les gros départements. Les contraintes mises par la
CNIL rendent extrêmement difficiles la gestion des fichiers et
l'échange automatisé d'information. La multiplicité des
intervenants ne fait qu'accroître les difficultés de gestion (CAF,
CPAM, Etat, Conseil Général, URSSAF). "
Il est indiqué que "
c'est, pour partie, ce constat qui est
à l'origine de la réflexion sur l'assurance maladie universelle,
visant à simplifier l'ensemble du dispositif.
"
Il est clair cependant que la mise en place de l'assurance maladie
universelle ne doit pas être conçue comme une " fuite en
avant ". Les insuffisances sur les informations relatives aux
assurés ne pourraient que conduire rapidement à des
dérives sur la branche maladie de la sécurité sociale dans
des proportions non maîtrisées.
*
Pour conclure cette partie relative au RMI, votre commission a regretté que, s'agissant du perfectionnement du volet insertion du RMI ou de la poursuite de l'amélioration du contrôle du dispositif, le Gouvernement n'ait pas fait part de solutions novatrices tout en se bornant à renvoyer à la loi annoncée contre les exclusions la réforme des difficultés actuelles.