II. LA POLITIQUE AÉROPORTUAIRE
A cet égard, deux points -ayant fait l'objet de
récentes décisions du Gouvernement- méritent un
développement particulier :
- l'extension du système aéroportuaire parisien ;
- la remise en cause du troisième aéroport en région
parisienne.
A. L'EXTENSION DE L'AÉROPORT CHARLES DE GAULLE
1. Une décision indispensable
Les enjeux, tant nationaux que locaux, rendent indispensable
la construction de deux pistes supplémentaires à
l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle.
Les perspectives de croissance du trafic aéroportuaire
l'exigent.
En effet, on l'a vu, le trafic aérien mondial est en forte expansion. Le
nombre de mouvements d'avions prévu devrait être en augmentation
de 4 % par an à moyen terme.
Dans cette perspective, l'aéroport de Roissy, qui accueille
35 millions de passagers par an, a déjà atteint un niveau
critique en 1997. Or, la demande de programmation des compagnies sur
l'aéroport est aujourd'hui extrêmement forte. Elle atteint
jusqu'à 130 mouvements par heure, alors que la capacité de
mouvement maximale est de 84 mouvements par heure.
Par ailleurs,
un refus de l'extension de Roissy aurait
entraîné des conséquences négatives sur l'ensemble
de la filière aérienne et aéronautique
française.
Le
groupe Air France
, dont le redressement en cours est partiellement
lié au " hub " constitué à Roissy, aurait
été gravement affecté par un tel refus. Or, la
construction des deux nouvelles pistes doit contribuer à la pleine
efficacité de ce dernier.
Il va sans dire que, si l'abandon des nouvelles pistes avait été
confirmé, son impact négatif sur le groupe Air France aurait
entraîné également des conséquences dommageables sur
la filière aéronautique française,
Aérospatiale
ayant besoin d'un marché intérieur
pour se développer. Ceci aurait été d'autant plus grave
que cette filière, qui est à la pointe de la technologie
française, représente un secteur essentiel de notre
économie.
Au-delà, il faut rappeler que la qualité de la desserte
aérienne est un élément essentiel de la
compétitivité des entreprises françaises, du
développement des activités touristiques, ainsi que de
l'implantation d'entreprises internationales.
Pour toutes ces raisons, votre commission se félicite de la
confirmation de la décision qu'elle avait appelée de ses voeux,
de créer deux nouvelles pistes à Roissy.
Compte tenu du report de la décision lié à la
" remise à plat " du dossier, voulue par le Gouvernement, la
mise en service de la piste 4 initialement prévue pour la fin de
l'année 1998 devrait être repoussée au printemps 1999, la
piste 3 devant, quant à elle, entrer en service à la fin de l'an
2000.
Cette décision fera l'objet d'importantes mesures d'accompagnement.
2. D'importantes mesures d'accompagnement
Rappelons qu'en octobre 1995, à la suite de la
mission Douffiagues -dont votre rapporteur pour avis était membre-, le
précédent Gouvernement avait décidé d'adopter des
mesures d'accompagnement d'envergure avec la mise en oeuvre d'un programme de
réduction du bruit, le développement progressif des
aéroports de province, la réservation d'un site pour une
troisième plate-forme aéroportuaire dans le grand bassin
parisien, le lancement d'une concertation publique relative au
développement de Paris-Charles-de-Gaulle. Cette mission de concertation,
confiée au préfet Carrère, a permis de retenir deux
dispositions complémentaires : la mise en oeuvre d'un
" contrat de maîtrise des nuisances sonores " et la
création d'une institution indépendante pour la mesure et le
contrôle de ces nuisances.
Le Gouvernement actuel a annoncé, le 23 septembre dernier, un
plan d'accompagnement très complet prenant en compte les conditions
édictées par les enquêtes publiques préalables
à la réalisation des deux pistes supplémentaires qui se
sont déroulées du 3 juin au 18 juillet 1996. Ce
plan prévoit un effort particulier en terme de maîtrise des
nuisances sonores et un partage plus équitable des retombées
économiques de l'activité aéroportuaire.
a) La maîtrise des nuisances sonores
Certaines des mesures en la matière correspondent aux
orientations déjà retenues dans le cadre du contrat de
maîtrise des nuisances sonores, élaboré à la suite
de la mission Carrère ; d'autres sont plus novatrices.
Il est prévu notamment de mettre en place une " autorité
indépendante " chargée de la mesure et du contrôle des
nuisances sonores. Contrairement à l' " institution
indépendante " créée en mars 1997 et placée
auprès du ministre chargé de l'aviation civile, cette
autorité sera dotée de la personnalité juridique.
Il est prévu de lui donner à la fois un rôle d'information
et d'expertise. Outre la publication de statistiques régulières
sur le bruit, une liste des compagnies classées selon le bruit
émis, les dérogations demandées et les sanctions subies
serait également portée à la connaissance des riverains.
Constituée d'experts, tout comme l'institution actuelle, la future
" autorité indépendante " serait assistée d'un
" comité de suivi des engagements pris " comprenant des
élus, des représentants des usagers et des professions
concernées aux côtés de représentants de
l'administration et des gestionnaires des aéroports.
Contrairement à une idée reçue, le doublement des pistes
n'entraînera pas celui des nuisances sonores. En effet, la
quantité globale de bruit imputable à l'aéroport de Roissy
est plafonnée au niveau atteint en 1997, y compris en période
nocturne. A cette fin, plusieurs mesures concrètes et dont la mise en
oeuvre ne requiert pas de délai ont été
annoncées :
- l'accélération du programme de retrait des avions les plus
bruyants qui représentent 13 % du trafic mais
génèrent 90 % des plaintes ; rappelons que les
mouvements de ces avions sont interdits entre 23 heures 30 et
6 heures, depuis le 1er avril 1996 ;
- l'interdiction, à compter du 1er janvier 1998, des essais de
moteurs entre 22 heures et 6 heures, assortie de l'absence absolue de
dérogation entre 23 heures et 5 heures ;
- l'obligation, pour les avions de nouvelle génération les
plus bruyants encore utilisés la nuit dont les moteurs sont munis de
simples silencieux, de respecter des procédures particulières de
décollage et d'emprunter des routes aériennes survolant les zones
urbaines les moins denses ; cette obligation sera transformée en
interdiction de vol sur l'aéroport de Roissy entre 23 heures et
6 heures, à partir du 1er décembre 2000 ;
- l'interdiction, entre 23 heures et 6 heures, des avions
à réaction ou à hélices de plus de 9 tonnes
sur l'aéroport du Bourget, exclusivement réservé à
l'aviation d'affaires.
Ces restrictions de navigation aérienne sont complétées
par un renforcement des sanctions en vertu du décret n° 97-534
du 27 mai 1997, en vue d'assurer la protection de l'environnement des
aérodromes.
Outre ces mesures (création d'une autorité indépendante de
mesure et de contrôle, réduction du bruit à la source,
renforcement des sanctions), il est prévu de réviser la
procédure d'aide aux riverains pour l'insonorisation de leur logement.
Le nombre de riverains susceptibles de demander des aides à
l'insonorisation devrait, par conséquent, augmenter. Il résultera
cependant de cette mesure une augmentation de près de 40 % en deux
ans de la taxe d'atténuation des nuisances sonores acquittée par
les compagnies aériennes.
b) La répartition des retombées économiques de l'activité aéroportuaire
Le développement de l'activité
aéroportuaire est un enjeu économique local d'importance.
Rappelons qu'à l'heure actuelle, environ 500 entreprises sont
implantées sur le site de Roissy et y emploient quelque
45.000 personnes, auxquelles il convient d'ajouter 100.000 emplois
indirects. On estime habituellement que chaque million de passagers
supplémentaire induit la création de près de
1.000 emplois directs et autant d'emplois indirects.
Cependant, les retombées de l'activité en matière d'emploi
sont inégales, certaines communes, dont les habitants sont victimes de
fortes nuisances sonores, n'abritant qu'une faible partie des salariés
de la zone aéroportuaire. Dans ce contexte, on peut se féliciter
de la mise en place d'un observatoire sur le bassin d'emploi et la
création d'un groupement d'intérêt public associant les
élus, les entreprises, les organisations syndicales et les services
publics de l'emploi.
Il est, par ailleurs, prévu de mieux répartir les ressources
fiscales tirées de la croissance de l'activité
aéroportuaire. En effet, les recettes de la taxe professionnelle et des
taxes foncières ne bénéficient actuellement qu'à
quelques communes alors que les nuisances générées par
l'aéroport concernent trois départements.
Une mission de réflexion a été confiée à
M. Jean-Philippe Lachenaud, sénateur du Val-d'Oise, pour
élaborer des propositions en ce sens, la cas échéant, par
le biais d'un Fonds interdépartemental de solidarité.
B. LA RÉPARTITION DU TRAFIC AU SEIN DU SYSTÈME AÉROPORTUAIRE PARISIEN
Votre commission pour avis a déjà, l'an
passé, insisté sur le problème de la dévolution des
plates-formes aéroportuaires parisiennes.
On ne peut ignorer le fait que chaque pays tende à développer une
politique aéroportuaire favorable à sa compagnie nationale, qu'il
s'agisse de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne ou des Pays-Bas, par exemple.
La France serait bien inspirée d'en faire autant
en réservant
l'aéroport d'Orly aux lignes intérieures et intra-communautaires
et en concentrant les vols long courrier à Roissy,
tout en
respectant bien entendu le principe de non-discrimination.
Une telle répartition répond à une logique
géographique. En outre, on éviterait ainsi que les compagnies
étrangères (britanniques et américaines notamment) ne
puisse alimenter leur trafic international par le biais d'un
" hub "
constitué à Roissy.
Une des conditions du redressement d'Air France est qu'elle puisse continuer
à s'appuyer sur son marché intérieur et à valorizer
son propre " hub ". Il faut donc l'y aider. N'oublions pas
que la
guerre commerciale que se livrent aujourd'hui les compagnies est en
réalité une " guerre des hubs ", l'efficacité de
la politique menée par une compagnie en ce domaine étant le gage
de son succès.
C. LA REMISE EN CAUSE DU TROISIÈME AÉROPORT EN RÉGION PARISIENNE
Rappelons qu'à la suite du rapport Douffiagues, le
Conseil des ministres du 5 juin 1996 avait décidé de
réserver le site de Beauvilliers, en Eure-et-Loir, pour accueillir le
moment venu, une nouvelle plate-forme aéroportuaire en région
parisienne.
Toutefois, Mme Dominique Voynet, ministre chargée de
l'aménagement du territoire et de l'environnement, a
déclaré le 23 septembre dernier qu'elle jugeait la construction
de cet aéroport tout à fait irréaliste. En outre, le
ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement, M. Jean-Claude
Gayssot, a indiqué, le mardi 14 octobre dernier devant la
commission des Finances de l'Assemblée nationale, qu'il était
favorable à la
réouverture du débat sur la construction
d'un troisième aéroport en région parisienne
, la
discussion devant porter sur le choix entre une meilleure utilisation des
ressources existantes et la construction d'une troisième plate-forme.
De telles déclarations ne peuvent manquer de susciter des
interrogations.
On ne peut tout d'abord que regretter le manque de
concertation ayant présidé à cette décision
précipitée.
En réalité, la construction du troisième aéroport
proposée par le rapport Douffiagues pouvait se concevoir dans
l'hypothèse où, en raison des limitations opposées au
développement de Roissy, cet aéroport pourrait, à long
terme, ne pas suffire à absorber la croissance du trafic aérien
francilien.
Dans cette hypothèse, nous pourrions, certes, dans la ligne du rapport
Douffiagues, encourager le développement du trafic des aéroports
de province, ce qui s'avérerait très positif en termes
d'aménagement du territoire. Mais ne nous leurrons pas : si un
desserrement du trafic vers les aéroports de province peut être
envisagé, il ne constitue en aucune façon une alternative
entièrement satisfaisante aux aéroports parisiens pour accueillir
la demande.
En effet, s'il est vrai que de grands aéroports français, tels
que Lyon, Nantes, Nice ou Lille, prennent une part croissante du trafic,
particulièrement en ce qui concerne les vols intracommunautaires, il
faut cependant souligner que l'espace aérien est soumis à une
logique d'organisation de marché, et non d'organisation étatique.
On ne peut imposer aux passagers des délais d'acheminement aux
aéroports trop importants, sauf à les inciter à utiliser
d'autres modes de transport que le transport aérien, voire des
aéroports étrangers... A cet égard, une étude
récente montre que les passagers sont prêts à consacrer
trente à quarante-cinq minutes dans les délais d'acheminement aux
aéroports pour un vol aérien de deux heures et une heure
pour un déplacement d'une durée supérieure à deux
heures. Au-delà de ce délai, beaucoup sont dissuadés
d'utiliser les transports aériens.
Dans ces conditions, la construction d'un aéroport sur le site de
Beauvilliers présenterait un grand intérêt.
N'est-il pas frappant de constater que l'avenir de Roissy retient toutes les
attentions alors que personne ne s'inquiète outre mesure de celui
d'Orly ? Cet aéroport n'est-il pas cependant, plus encore que son
frère du Nord de Paris, intégré dans un tissu urbain
extrêmement dense et, par là même, très contraint
dans son activité ?
Plus encore,
s'est-on jamais posé la question de savoir ce qu'il
adviendrait d'Orly en cas d'accident aérien aux alentours de ce
site ?
Votre rapporteur pour avis n'hésite pas à lever le voile pudique
qui cache ce qui n'est certes qu'une hypothèse -dont il espère
bien sûr qu'elle ne se concrétisera jamais- mais qui ne peut
être plus longtemps occultée.
Les exemples étrangers montrent d'ailleurs, s'il en était besoin,
que la probabilité d'un tel accident ne constitue pas qu'une
hypothèse d'école. Souvenons-nous de l'épreuve dramatique
qu'a connu la ville d'Amsterdam lorsqu'un avion décollant de
l'aéroport de Schipol s'est écrasé sur un immeuble
d'habitations, le détruisant entièrement et ensevelissant sous
ses décombres de nombreuses victimes. N'oublions pas non plus que les
Allemands ont décidé de construire l'aéroport Franz Joseph
Strauss après la catastrophe aérienne subie par l'ancien
aéroport de Münich.
Indépendamment de telle circonstances -qui quoiqu'exceptionnelles ne
doivent pas être négligées-,
on ne peut manquer de
s'interroger sur les conséquences, à terme, de la pression
continue et croissante tant des riverains que des élus, tendant à
limiter et à encadrer sévèrement l'activité de la
plate-forme d'Orly.
Toutes ces considérations amènent votre commission pour avis
à s'interroger sur l'opportunité de renoncer aujourd'hui à
disposer des réserves foncières permettant éventuellement
de construire, à terme, un aéroport sur le site de de
Beauvilliers, alors que ce site risque de faire cruellement défaut
demain si l'on était amené, pour une raison ou pour une autre,
à renoncer totalement ou partiellement à exploiter
l'aéroport d'Orly.
Dans ce cas, un report du trafic sur Roissy apparaît exclue, sauf
à accepter un dépassement des seuils actuellement
envisagés.
Or, dans une telle hypothèse, l'établissement d'une plate-forme
aéroportuaire à Beauvilliers permettrait d'apporter une
réponse satisfaisante au problème de l'absorption du trafic
d'Orly.
Ayons bien conscience que, dans le domaine aéroportuaire plus que dans
d'autres, les décisions d'aujourd'hui conditionnent les réponses
aux défis de demain. Elles peuvent, en effet, élargir ou,
à l'inverse, interdire toute capacité d'adaptation
ultérieure, tant en l'absence de réserves foncières
satisfaisant aux exigences d'environnement et de développement durable
à proximité de l'Ile-de-France, aucune nouvelle plate-forme
francilienne à vocation internationale ne pourra être construite.
Alors,
prenons garde aux décisions hâtives et ménageons
l'avenir.