C. LA TAXE SUR CERTAINES FORMES DE PUBLICITÉ (LE 1 % SUR CERTAINS ENTREPRISES DU " HORS MÉDIA ") : UNE BONNE IDÉE MAIS QUI DOIT ÊTRE PRECISÉE
1. Les problèmes posés
L'auteur de l'amendement qui prévoit cette nouvelle
taxe, le député. Jean-Marie Le Guen, a fait valoir que
"
l'une des difficultés, non la seule, certes, que rencontre la
presse quotidienne, est due au transfert massif des dépenses de
publicité, recettes traditionnelles des médias vers un autre
secteur, le hors média, qui consiste notamment en la distribution de ces
imprimés publicitaires que nous trouvons plus souvent qu'il ne le
faudrait dans nos boîtes à lettres
".
Il faut reconnaître que
la presse a besoin de recettes publicitaires
pour vivre. Or un certain nombre de supports publicitaires se sont
développés au détriment de la presse,
profitant de ce
qu'ils ne sont pas soumis aux contraintes de la loi dite
" Evin "de
1991, en matière de publicité pour l'alcool et le tabac.
Il y a là une concurrence anormale, ce qui légitime le
rétablissement d'une certaine égalité de traitement entre
supports publicitaires.
Si le principe de cette taxe peut être accepté, sa mise en oeuvre
soulève un certain nombre de difficultés.
C'est pourquoi le
champ d'application de cet impôt doit être
défini avec précision
. Le " hors média "
correspond essentiellement à des activités de marketing direct :
mailing, édition publicitaire, prospectus, marketing
téléphonique. Mais dans les dépenses des annonceurs, il
est d'autres dépenses qui à certains égards se rapprochent
de celles relevant du marketing direct : annonces dans des annuaires ou
des guides, relations publiques, publicité par l'événement.
Votre rapporteur
a organisé plusieurs rencontres
consacrées à l'assiette de la taxe. Il
a demandé
communication, le plus tôt possible, du texte que le Gouvernement
prépare pour " recadrer " le dispositif (A.N. lundi 17
novembre)
.
Mais en sa qualité de rapporteur spécial il est de son devoir
d'attirer l'attention sur le fait qu'il ne suffit pas de lever un impôt
nouveau. Encore faut-il savoir ce que l'on va faire de son produit
. Il faut
reconnaître que le Parlement a - jusqu'à la date de
rédaction de cette note - reçu peu d'informations à
ce sujet.
2. des risques de dilution
Les premiers éléments de réponse
apportés par le Gouvernement à ces interrogations ne clarifient
pas le débat et n'apaisent pas les inquiétudes de votre
rapporteur.
L'amendement déposé par le Gouvernement pour prévoir
l'affectation de la taxe confirme les doutes que l'on pouvait avoir sur l'objet
réel du dispositif. On ne savait pas bien qui ont veut taxer ; on
découvre que l'on se sait pas bien qui l'on veut aider
, alors que
votre rapporteur était d'accord sur le principe.
L'intitulé du compte témoigne de la volonté du
Gouvernement d'élargir la vocation du fonds puisqu'il est
nommé : "
Fonds de modernisation de la presse quotidienne
et assimilée d'information politique et
générale
".
L'exposé des motifs précise que les bénéficiaires
des aides seront les agences de presse et les entreprises de presse dont
l'activité s'inscrit dans le cadre d'une information politique et
générale. Cette notion définie par l'article D19-2 du code
des postes et télécommunication concerne les journaux et
périodiques qui :
-
· apportent de façon permanente sur l'actualité politique
générale, locale, nationale et internationale, des informations
et des commentaires tendant à éclairer le jugement des
citoyens ;
· consacrent la majorité de leur surface rédactionnelle à cet objet ;
· présentent un intérêt dépassant de façon manifeste les préoccupations d'une catégorie de lecteur.
L'assiette de la taxe aurait dû être définie comme étant les entreprises qui ont contribué à l'assèchement des recettes publicitaires de la presse. Réciproquement, il est illogique de prélever sur ce secteur un impôt pour financer des organes comme les agences de presse, dont les difficultés n'ont rien à voir avec le hors média.
Votre rapporteur est d'ores et déjà en mesure de souligner , sur le plan des principes, les risques encourus.
La taxe doit éviter deux écueils : la contre-productivité et l'évaporation.
· NE PAS CONSTRUIRE UN MIROIR AUX ALOUETTES
Elle ne doit pas être contre-productive et ne pas constituer un marché de dupes pour la presse. Elle ne doit pas déstabiliser le marché publicitaire, ni pénaliser injustement des secteurs économiques dont la production n'est commercialisée que grâce à la publicité hors-média , il en est ainsi de la vente par correspondance.
De plus, la taxe ne doit pas devenir un miroir aux alouettes. On évoque, en effet, la possibilité, en contrepartie d'ouvrir la publicité télévisée à la grande distribution. Ce que celle-ci perdrait avec la taxe sur le hors média, elle le gagnerait - au centuple - en accédant à la télévision, au nom du financement des télévisions locales. La presse régionale pourrait alors être le dindon de la farce !
Il existe de surcroît un deuxième dindon potentiel: La Poste. Dès lors en effet que le publipostage est inclus dans l'assiette de la taxe, l'exploitant public pourrait être fortement pénalisée par ce nouvel impôt. Or, il subventionne déjà la distribution de la presse à hauteur de 2 734 milliards. On ne doit pas remettre en cause le fragile équilibre des accords Etat-Presse-Poste de 1996 dont la mise en oeuvre n'est pas encore achevée !
· PREVENIR LE RISQUE D'EVAPORATION
Mais il est d'autres risques d'évaporation.
Tout d'abord, la taxe pourrait ne pas atteindre son but. Elle ne doit pas conduire la presse à se reposer entièrement sur l'État en attendant que celui-ci prenne en charge la modernisation si souhaitable du secteur. Une redistribution de la taxe au prorata du nombre de lecteurs ou d'exemplaires vendus pénaliserait les entreprises de presse les plus dynamiques, celles qui recherchent une diversification de leurs supports. La taxe doit constituer un instrument au service de la modernisation de la presse et ne pas être un dispositif de péréquation destiné à garantir l'équilibre financier des quotidiens. La taxe viendra à point nommé pour alimenter ce plan.
L'autre risque serait que l'aide de l'État ne vienne simplement compenser et donc entretenir des structures de production parfois héritées d'un autre âge alors que cette aide doit au contraire accompagner la modernisation de l'outil et les mutations indispensables. Bref, il ne s'agit pas de conforter et de perpétuer les excès de tous les corporatismes, qui sont en grande partie à l'origine des difficultés actuelles du secteur. La grève de cinq semaines, déclenchée fin juin pour empêcher la sortie de la nouvelle formule du Midi Libre témoigne de l'importance des résistances à la nécessaire modernisation de l'outil de production. Le fonds représente un bon médicament, mais la perfusion ne saurait être éternelle.
Pour régler les problèmes d'application de la taxe, il paraît nécessaire à votre rapporteur que le législateur se fonde sur des principes solidement reconnus :
-
1.
L'assiette
doit comporter toutes les activités en
concurrence. Il faut donc y inclure la presse gratuite, qui, en dépit de
son utilité économique et sociale, ne contribue pas au
débat démocratique, mais en fixant un seuil d'imposition.
2. Du point de vue des entreprises, car il faut aussi penser à elles, le taux de 1% doit être considéré comme élevé. Des seuils - 5 millions de francs de chiffres d'affaires - ont été prévus. Il s'agit d'un minimum, si l'on veut éviter d'entraver l'activité du petit commerce et, plus généralement, des petites entreprises. S'agissant d'un impôt nouveau, s'ajoutant à beaucoup d'autres, il faut être particulièrement prudent.
3. Le mode de gestion du fonds ne doit pas s'apparenter à une simple redistribution automatique mais doit contribuer au financement de projets bien identifiés ; il faut respecter un principe clair : à fonds nouveau, idées nouvelles .
4. Il est essentiel, alors que les aides à la presse sont déjà considérables (12% du chiffre d'affaires), de ne pas créer une subvention supplémentaire, qui viendrait accroître l'éparpillement actuel et qui serait vite absorbée par les appétits corporatistes.
-
1. Que cette taxe soit créée pour une période probatoire
de cinq ans. En effet, si des résultats satisfaisants ne pouvaient
être acquis dans ce laps de temps, ce serait reconnaître notre
incapacité à assurer la vitalité de la presse quotidienne
d'information générale.
2. Que les aides soient affectées à des opérations de nature à moderniser la presse et à lui rendre sa compétitivité :
· développer le portage et, pourquoi pas, la criée ;
· Améliorer la distribution : les NMPP ont déjà commencé ; il faut aller plus vite et plus loin ;
· Aider à l'amélioration du contenu de façon à mieux répondre à l'attente des citoyens et, donc aider à la formation des futurs journalistes.
-
·
indétermination des dépenses et des activités
soumises à la taxe.
Votre rapporteur n'est pas en mesure de
répondre aux légitimes questions qui lui sont posées au
sujet de la nature des dépenses taxables ou de la situation de certaines
activités associatives ou d'intérêt général
au regard de la nouvelle imposition ;
· indétermination des bénéficiaires du fonds de modernisation et des modes d'intervention de celui-ci. Votre rapporteur se doit d'appeler l'attention de la commission des finances sur un dispositif qui pourrait manquer son objet, aider la presse quotidienne, tout en entravant des activités, dont l'utilité est incontestable et à laquelle il n'est pas normal de demander de supporter le poids financier de la modernisation de l'ensemble du secteur. A quoi seront destinées les aides ainsi financées ? Sur quels critères seront-elles attribuées, telles sont les questions fondamentales sur lesquelles le Sénat devra être éclairé.