2. Des risques de dilution
Les premiers éléments de réponse
apportés par le Gouvernement à ces interrogations ne clarifient
pas le débat et n'apaisent pas les inquiétudes de votre
rapporteur.
L'amendement déposé par le Gouvernement pour prévoir
l'affectation de la taxe confirme les doutes que l'on pouvait avoir sur l'objet
réel du dispositif. On ne savait pas bien qui ont veut taxer ; on
découvre que l'on se sait pas bien qui l'on veut aider
, alors que
votre rapporteur était d'accord sur le principe.
L'intitulé du compte témoigne de la volonté du
Gouvernement d'élargir la vocation du fonds puisqu'il est
nommé : "
Fonds de modernisation de la presse quotidienne
et assimilée d'information politique et
générale
".
L'exposé des motifs précise que les bénéficiaires
des aides seront les agences de presse et les entreprises de presse dont
l'activité s'inscrit dans le cadre d'une information politique et
générale. Cette notion définie par l'article D19-2 du code
des postes et télécommunication concerne les journaux et
périodiques qui :
· apportent de façon permanente sur l'actualité
politique générale, locale, nationale et internationale, des
informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement
des citoyens ;
· consacrent la majorité de leur surface
rédactionnelle à cet objet ;
· présentent un intérêt dépassant de
façon manifeste les préoccupations d'une catégorie de
lecteur.
L'assiette de la taxe aurait dû être définie comme
étant les entreprises qui ont contribué à
l'assèchement des recettes publicitaires de la presse.
Réciproquement, il est illogique de prélever sur ce secteur un
impôt pour financer des organes comme les agences de presse, dont les
difficultés n'ont rien à voir avec le hors média.
Votre rapporteur est d'ores et déjà en mesure de souligner, sur
le plan des principes, les risques encourus.
La taxe doit éviter deux écueils : la
contre-productivité et l'évaporation.
La place du " hors média " sur le marché publicitaire
France Pub est une étude réalisée tous
les ans depuis 1992 pour le compte de Havas Groupe et de sa filiale Havas
Média Communication, auprès d'un panel de 2 500
établissements portant sur l'ensemble de leurs dépenses de
communication. Cette approche "par la demande" aboutit à un total de
141 milliards de francs pour 1994, 148 milliards pour 1995 et 152
milliards pour 1996.
Toutefois, la structure de ce panel sous-estime peut-être quelque peu le
poids des grands annonceurs et par là même les dépenses
dans les cinq "grands médias".
La crise économique des années 90-93 s'est traduite chez les
annonceurs par un suivi plus étroit de leur budget communication.
Les techniques du marketing direct (imprimés avec ou sans adresse,....)
et de la promotion des ventes, qui permettent un retour sur investissement, en
termes de ventes, plus rapide et surtout facilement mesurable, ont
été privilégiées, au détriment sans doute
des campagnes classiques dans les cinq " grands médias ", dont
l'objectif est de positionner la marque dans l'esprit du consommateur
plutôt que de provoquer directement un achat.
Toutefois, depuis 1993, 1'équilibre global entre les dépenses
publicitaires dans les "grands médias" et les dépenses
publicitaires "hors médias" n'évolue que très lentement en
faveur du hors médias.
Les dépenses affectées à des actions publicitaires dans
les " grands médias " (y compris les frais techniques de fabrication
des
messages) représentent environ 37 % des dépenses publicitaires
des annonceurs depuis trois ans.
La part affectée aux " grands médias " dans le total des
dépenses de publicité des annonceurs ne régresse que
très légèrement en raison des très bonnes
performances du média télévision (les recettes
publicitaires des chaînes ont augmenté de plus de 7 % en 1994 et
1995, et de plus de 4 % en 1996), performances qui occultent des situations
contrastées pour les quatre autres "grands médias ".
Ainsi,
les investissements publicitaires dans la presse quotidienne
nationale, notamment, stagnent depuis plusieurs années (les recettes
publicitaires des titres, petites annonces comprises ont augmenté de 3 %
en 1994 et 1995 et de 1 % en 1996).
La radio, surtout les stations généralistes (anciennement
appelées périphériques), a perdu des parts de
marché publicitaire, sans que l'on puisse affirmer qu'il s'agit ou non
d'une tendance à moyen terme: les recettes publicitaires des stations
ont augmenté d'à peine plus de 1 % en 1995 et
régressé de - 3% en 1996.
En résumé,
les annonceurs semblent privilégier, de
façon complémentaire, à la fois le média
"incontournable" qu'est la télévision (pour consolider l'image de
la marque), et les techniques hors médias de marketing direct et
promotion (pour provoquer directement l'achat).
Concernant le poids du marketing direct, on notera que
42 % du trafic en
volume du groupe La Poste correspond à de la prospection commerciale
(imprimés publicitaires adressés ou sans adresse, catalogues,
réponses dispensées de timbrage), ce qui correspond à un
total de 24 milliards d'objets en 1995. Les recettes correspondantes sont
estimées à près de 8 milliards de francs pour les seuls
imprimés publicitaires adressés ou sans adresse (tarifs
Postimpact et Postcontact).
Parallèlement, près de
11 milliards d'imprimés sans
adresse ont été distribués en 1995 par des
sociétés privées, pour un montant de recettes
estimé à 2,5 milliards de francs.
NE PAS CONSTRUIRE UN MIROIR AUX ALOUETTES
Elle ne doit pas être contre-productive et ne pas constituer un
marché de dupes pour la presse.
Elle ne doit pas déstabiliser
le marché publicitaire, ni pénaliser injustement des secteurs
économiques dont la production n'est commercialisée que
grâce à la publicité hors-média
, il en est ainsi
de la vente par correspondance.
De plus, la taxe ne doit pas devenir un miroir aux alouettes. On évoque,
en effet, la possibilité, en contrepartie d'ouvrir la publicité
télévisée à la grande distribution. Ce que celle-ci
perdrait avec la taxe sur le hors média, elle le
gagnerait - au centuple - en accédant à la
télévision, au nom du financement des télévisions
locales. La presse régionale pourrait alors être le dindon de la
farce !
Il existe de surcroît un deuxième dindon potentiel: La Poste.
Dès lors en effet que le publipostage est inclus dans l'assiette de la
taxe, l'exploitant public pourrait être fortement pénalisée
par ce nouvel impôt. Or, il subventionne déjà la
distribution de la presse à hauteur de 2 734 milliards.
On
ne doit pas remettre en cause le fragile équilibre des accords
Etat-Presse-Poste de 1996 dont la mise en oeuvre n'est pas encore
achevée !
PREVENIR LE RISQUE D'EVAPORATION
Un tel risque semble écarté ( que cette taxe ne soit pas
affectée et qu'elle disparaisse dans le budget général) Le
gouvernement a accepté, devant l'Assemblée nationale, de
créer un
compte d'affectation spéciale
pour recueillir
le produit de la taxe. Voilà qui rassure...
Mais il est d'autres risques d'évaporation.
Tout d'abord, la taxe pourrait ne pas atteindre son but. Elle ne
doit pas
conduire la presse à se reposer entièrement sur l'État
en attendant que celui-ci prenne en charge la modernisation si souhaitable
du secteur. Une redistribution de la taxe au prorata du nombre de lecteurs ou
d'exemplaires vendus pénaliserait les entreprises de presse les plus
dynamiques, celles qui recherchent une diversification de leurs supports. La
taxe doit constituer un instrument au service de la modernisation de la presse
et ne pas être un dispositif de péréquation destiné
à garantir l'équilibre financier des quotidiens. La taxe viendra
à point nommé pour alimenter ce plan.
L'autre risque serait que l'aide de l'État ne vienne simplement
compenser et donc entretenir des structures de production parfois
héritées d'un autre âge alors que cette aide doit au
contraire accompagner la modernisation de l'outil et les mutations
indispensables. Bref,
il ne s'agit pas de conforter et de perpétuer
les excès de tous les corporatismes, qui sont en grande partie à
l'origine des difficultés actuelles
du secteur. La grève de
cinq semaines, déclenchée fin juin pour empêcher la sortie
de la nouvelle formule du Midi Libre témoigne de l'importance des
résistances à la nécessaire modernisation de l'outil de
production.
Le fonds représente un bon médicament, mais la
perfusion ne saurait être éternelle.
Pour régler les problèmes d'application de la taxe,
il
paraît nécessaire à votre rapporteur que le
législateur se fonde sur des principes solidement reconnus :
L'assiette
doit comporter toutes les activités en concurrence. Il
faut donc y inclure la presse gratuite, qui, en dépit de son
utilité économique et sociale, ne contribue pas au débat
démocratique, mais en fixant un seuil d'imposition.
Du point de vue des entreprises, car il faut aussi penser à elles,
le
taux de 1%
doit être considéré comme
élevé. Des seuils - 5 millions de francs de chiffres d'affaires -
ont été prévus. Il s'agit d'un minimum, si l'on veut
éviter d'entraver l'activité du petit commerce et, plus
généralement, des petites entreprises. S'agissant d'un
impôt nouveau, s'ajoutant à beaucoup d'autres, il faut être
particulièrement prudent.
Le mode de gestion du fonds ne doit pas s'apparenter à une simple
redistribution automatique mais doit contribuer au financement de projets bien
identifiés ; il faut respecter un principe clair :
à
fonds nouveau, idées nouvelles
.
Il est essentiel, alors que les aides à la presse sont
déjà considérables (12% du chiffre d'affaires), de ne pas
créer une subvention supplémentaire, qui viendrait
accroître l'éparpillement actuel et qui serait vite
absorbée par les appétits corporatistes.
Selon votre rapporteur, il faudrait :
Que cette taxe soit créée pour une période probatoire de
cinq ans. En effet, si des résultats satisfaisants ne pouvaient
être acquis dans ce laps de temps, ce serait reconnaître notre
incapacité à assurer la vitalité de la presse quotidienne
d'information générale.
Que les aides soient affectées à des opérations de nature
à moderniser la presse et à lui rendre sa
compétitivité :
Développer le portage et, pourquoi pas, la criée ;
Améliorer la distribution : les NMPP ont déjà
commencé ; il faut aller plus vite et plus loin ;
Aider à l'amélioration du contenu de façon à mieux
répondre à l'attente des citoyens et, donc aider à la
formation des futurs journalistes.
En tout état de cause, votre rapporteur estime que
l'on ne peut pas
légiférer dans le flou :
indétermination des dépenses et des activités soumises
à la taxe.
Votre rapporteur n'est pas en mesure de répondre
aux légitimes questions qui lui sont posées au sujet de la nature
des dépenses taxables ou de la situation de certaines activités
associatives ou d'intérêt général au regard de la
nouvelle imposition ;
·
indétermination des bénéficiaires du
fonds de modernisation et des modes d'intervention
de celui-ci. Votre
rapporteur se doit d'appeler l'attention de la commission des finances sur un
dispositif qui pourrait manquer son objet, aider la presse quotidienne, tout en
entravant des activités, dont l'utilité est incontestable et
à laquelle il n'est pas normal de demander de supporter le poids
financier de la modernisation de l'ensemble du secteur.
A quoi seront
destinées les aides ainsi financées ? Sur quels
critères seront-elles attribuées, telles sont les questions
fondamentales sur lesquelles le Sénat devra être
éclairé.
Le Gouvernement devra donc répondre clairement et
précisément à toutes ces questions, s'il veut obtenir
l'accord de notre assemblée