II. L'ARTICLE 14 DE LA LOI DE FINANCES POUR 1998 : UN DISPOSITIF INITIALEMENT ACCEPTABLE
Dans sa rédaction initiale, cet article comportait, en
effet exclusivement des adaptations limitées dont l'économie
générale paraît acceptable.
Sur le plan formel tout d'abord, le présent article a pour objet de
scinder en deux ensembles distincts le dispositif actuellement en vigueur de
l'article 238
bis
HA du code général des impôts. Il
introduit donc deux articles nouveaux dans ce code respectivement
consacrés, l'un aux déductions ouvertes aux contribuables
relevant de l'impôt sur le revenu (article 163
duovicies
du code
général des impôts) et l'autre aux déductions des
contribuables relevant de l'impôt sur les sociétés (article
217
decies
du code général des impôts).
Ce transfert des dispositions de l'article 238
bis
HA du code
général des impôts n'est cependant pas effectué
" à droit constant ", puisqu'un certain nombre de
" corrections " accompagnent le transfert de ces
dispositions.
Ces corrections concernent :
· les investissements réalisés par les entreprises soumises
à l'impôt sur les sociétés (IS), pour lesquels les
subventions publiques seront exclues de la base
défiscalisable
;
· les investissements réalisés par les entrepreneurs
individuels et les sociétés soumises au régime fiscal des
sociétés de personnes, la déduction fiscale serait
pratiquée sur le revenu net global de l'investisseur et non sur les
résultats imposables de l'entreprise constituée à cet
effet. Cette mesure a pour objet
d'éviter de réduire la base
du revenu retenue pour le calcul du plafonnement de l'impôt de
solidarité sur la fortune
du montant des sommes déduites dans
le cadre d'investissements d'entreprises soumises à l'impôt sur le
revenu ;
· le régime de la délivrance de l'agrément est
précisé pour y intégrer explicitement le critère de
création ou de maintien de l'emploi
dans les DOM-TOM.
L'ensemble de ces mesures " correctrices " est apparu
acceptable
à votre commission des finances.
III. LES MODIFICATIONS APPORTEES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE GRAVE MENACE POUR L'OUTRE-MER
Au dispositif décrit ci-dessus, l'Assemblée
nationale a cependant apporté une modification substantielle. Celle-ci a
en effet supprimé le paragraphe III du texte proposé par cet
article pour l'article 163
duovicies
du code général des
impôts. La suppression de ce paragraphe entraîne la
disparition
de l'exception
à la " tunnélisation "
des
déficits provenant d'activités relevant des
bénéfices industriels et commerciaux (BIC) non professionnels qui
subsistait en faveur des investissements outre-mer.
Ainsi, les investissements outre-mer seraient, en cas d'adoption
définitive de cette mesure, soumis au régime résultant de
l'article 72 de la loi de finances pour 1996.
A cet égard, il s'agit tout d'abord de
rappeler la signification
de ce qu'il est communément convenu d'appeler
la
" tunnélisation " des déficits BIC non
professionnels
, avant de souligner les
lourdes conséquences de
son application aux investissements en outre-mer
.
A. LA " TUNNÉLISATION " DES DÉFICITS BIC NON PROFESSIONNELS
L'article 72 de la loi de finances pour 1996 a, en effet,
aménagé les modalités d'imputation des déficits
relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en
pratiquant une distinction entre les BIC professionnels, pour lesquels la
possibilité d'imputation du déficit sur le revenu global a
été maintenue et les BIC non professionnels, pour lesquels les
déficits ne peuvent plus s'imputer que sur des
bénéfices de même nature
(" tunnélisation ")
.
Il s'agissait en effet de
supprimer un " levier
fiscal " à
l'investissement des particuliers dans le domaine industriel et commercial
,
qui bénéficiait en particulier au secteur de l'hôtellerie,
dans la mesure où l'équipement hôtelier apparaissait en
France comme étant en surcapacité.
Concrètement, cette " tunnélisation " des
déficits BIC non professionnels
empêche le contribuable de
déduire ces déficits de son revenu global, ce qui en pratique
revient à supprimer un avantage fiscal
, puisque, dans la
quasi-totalité des cas, les contribuables ne disposent pas des revenus
industriels et commerciaux sur lesquels ils pourraient imputer leurs
déficits industriels et commerciaux.
Cette disposition prévoyait explicitement une
exception en faveur
des investissements outre-mer, en raison des contraintes économiques
particulières de ces territoires et de la nécessité d'y
attirer des investissements privés
.
Cette exception a été prévue dans la mesure où la
possibilité de déduire les déficits BIC du revenu global
constitue un complément essentiel du dispositif spécifique
d'incitation fiscale à l'investissement outre-mer, dit " loi
Pons ".
Or, la suppression de ce " deuxième étage " de
l'incitation fiscale à l'investissement outre-mer que comporte le
présent article est de nature à entraîner une importante
diminution de ces investissements.
B. UNE MESURE LOURDE DE CONSEQUENCES POUR L'INVESTISSEMENT OUTRE-MER
Au regard des conditions économiques
prévalant en outre-mer, force est de constater que l'existence d'un
puissant " levier fiscal "
est une
condition
déterminante de l'investissement
sur ces territoires.
En effet, la
décision d'investir en outre-mer
ne relève
pas, en général, de la pure rationalité économique,
dans la mesure où il s'agit d'un contexte très risqué pour
l'investissement. Investir en outre-mer, du point de vue de l'investisseur,
relève en effet fondamentalement d'une
logique de capital-risque
.
Les " marchés " que constituent ces territoires comporte en
effet des caractéristiques difficiles dues, en particulier, à
leur faible dimension et à l'environnement très concurrentiel
dans lequel il se trouvent.
C'est pourquoi les Gouvernements successifs ont tenté de
remédier au très faible flux d'investissement productif
qui caractérisait ces territoires en instituant un régime d'aide
fiscale.
A cet égard, il convient de citer quelques extraits du rapport
d'information de M. Alain Richard, alors rapporteur général de la
commission des finances de l'Assemblée nationale, sur la
fiscalité dans les départements d'outre-mer (n° 2215 du
11 juillet 1991). Les conclusions de ce rapport sont en effet d'autant plus
marquantes qu'elles ont été rédigées par une
personnalité qu'on ne peut guère suspecter de complaisance et
à une époque où le système d'incitation fiscale
n'avait pas encore été redéfini.
"
Ces critiques ne sont pas infondées, mais doivent être
maniées avec précaution. Somme toute, elles s'appliquent à
l'ensemble des aides fiscales et de plus elles restent difficiles à
évaluer concrètement, surtout si l'on admet que
l'abaissement
du seuil de rentabilité est la
condition sine qua non
de la
réalisation effective de l'investissement
." (p. 32)
"Quoiqu'il en soit, le légitime souci d'éviter quelques
dérapages réels
ne doit pas conduire à remettre en
cause un dispositif qui, globalement, fonctionne correctement
." (p.
36)