III. L'ENJEU DU DEVELOPPEMENT DU PROGRAMME ACROPOL
ACROPOL est un système de transmission numérique
que la police nationale a commencé à développer en 1993.
Il équipe la police nationale dans trois départements de la
région Rhône-Alpes, le Rhône, la Loire et l'Isère, et
trois départements de la région Picardie, la Somme, l'Aisne et
l'Oise. Votre rapporteur a effectué le 29 septembre 1997 une mission de
contrôle sur pièce et sur place de la mise en oeuvre du
réseau dans cette région. ACROPOL sera opérationnel dans
le département de la Seine-Saint-Denis à l'occasion de la coupe
du monde de football de 1998.
A. ACROPOL REPOND AUX FAIBLESSES DES EQUIPEMENTS ACTUELS
1. L'obsolescence des systèmes de transmission analogiques
a) Des équipements vétustes
Les systèmes de transmission analogiques qui
équipent la police nationale dans la grande majorité des
départements ont été installés dans les
annéessoixante-dix. Ces équipements sont maintenant
technologiquement dépassés. La direction de la police nationale
estime que 80 % du matériel est en dehors des normes de
maintenance. Certaines pièces de rechange sont introuvables sur le
marché et la maintenance n'est assuré que par la
" cannibalisation " des équipements remplacés par
ACROPOL.
L'entretien du parc radio existant a un coût budgétaire non
négligeable, évalué à 34 millions de francs en
1998. En outre, certains matériels défectueux doivent être
remplacés. L'enveloppe consacrée à ces dépenses
décroît à mesure qu'ACROPOL s'étend. Elle
s'élèvera à 53 millions de francs en 1998, contre 65 en
1997 et 70 en 1996.
Cet effort résulte notamment de dispositions contenues dans la loi
d'orientation et de programmation relative à la sécurité
du 21 janvier 1995. En effet, les policiers français étaient
plutôt moins bien dotés en matière d'équipement
radio que leurs homologues européens, avec seulement
0,3 équipements radio par policier contre 0,51 en Espagne, 0,57 en
Allemagne et 0,66 au Royaume Uni. En conséquence, le parc de terminaux a
été renforcé de 1.300 unités, 1.600 appareils ont
été remplacés et des salles de commandement ont
été rénovées au cours de l'année 1996.
b) Une fonctionnalité limitée
Les défauts des réseaux de communications
analogiques utilisés aujourd'hui par la police nationale sont connus :
- manque de confidentialité : les conversations peuvent être
interceptées au moyen de scanners disponibles dans le commerce à
des prix abordables ;
- zone de couverture limitée ;
- absence d'interconnexion entre les réseaux ;
- accès difficile aux bases de données centrales.
2. Les avantages des transmissions numériques
a) Une technologie performante...
Le système ACROPOL permet de remédier à
ces faiblesses :
- la confidentialité est garantie grâce au cryptage des
conversations ;
- la couverture est parfaite grâce à la qualité des
transmissions, comparable à celle de conversations
téléphoniques, et à une meilleure gestion des
fréquences attribuées au ministère ;
- l'interconnexion entre les réseaux est rendue automatique et des
passerelles avec d'autres services nationaux de sécurité sont
possibles ;
- les bases de données centrales (fichiers des permis de conduire, des
cartes grises, etc.) deviennent accessibles depuis le véhicule
grâce à l'intallation d'ordinateurs portables dans les
véhicules, les terminaux embarqués sur ACROPOL (TESA).
b) ...qui répond aux besoins des différents services
Les policiers en tenue rencontrés par votre rapporteur
ont tous confirmé que l'apport majeur du nouveau système
était le cryptage. La confidentialité retrouvée
améliore grandement la sécurité des fonctionnaires de
police et redonne un sens à la notion de flagrant délit. En
outre, l'automaticité du raccordement au réseau, quelque soit la
zone géographique dans laquelle on se trouve facilite le travail des
fonctionnaires itinérants, ceux de la DICCILEC ou des compagnies de CRS
par exemple.
A terme, ACROPOL et TESA permettront aux policiers de passer plus de temps sur
la voie publique, car ils pourront rédiger les comptes-rendus de leurs
opérations, la " main courante " depuis leur véhicule.
L'organisation d'ACROPOL s'inscrit dans le cadre des impératifs de
gestion de crise. Le réseau est structuré au niveau
départemental afin d'être cohérent avec la zone de
compétence du préfet.
Par ailleurs, l'infrastructure et le système ont été
dimensionnés et sécurisés pour absorber le trafic
correspondant à l'activité simultanée de l'ensemble des
services et à leur coordination par les autorités. ACROPOL
constitue donc une assurance de la continuité des communications
gouvernementales.
3. La police nationale rattrape son retard sur la gendarmerie
En développant le réseau ACROPOL, la police
française prend de l'avance sur le plan technologique par rapport
à ses homologues des pays occidentaux. La direction
générale de la police nationale présente d'ailleurs
très souvent les installations de Picardie et de la région
Rhône-Alpes à des délégations
étrangères intéressées.
Cependant, la police nationale est en retard sur la gendarmerie qui dispose
d'un système comparable, le système Rubis, dont le
développement a été confié à Matracom
dès 1987 et dont l'implantation sur l'ensemble du territoire sera
achevée en l'an 2000.
B. UN EFFORT FINANCIER SANS COMMUNE MESURE AVEC LES BESOINS
1. Les trois scénarios envisagés
Un comité interministériel réuni en 1996
a établi trois scénarios possibles du déploiement du
projet ACROPOL :
- un scénario rapide qui permet d'achever les travaux en 2005 moyennant
une dotation de 400 à 600 millions de francs (en crédits de
paiement) par an dès 1997.
- un scénario médian, qui s'étale jusqu'en 2009 et suppose
une dotation moyenne de 350 millions de francs (en CP).
- un scénario lent dans lequel, à raison d'une dotation annuelle
de 200 à 210 millions de francs (en CP), le réseau ACROPOL n'est
opérationnel qu'en 2015.
2. Des dotations depuis 1993 qui repoussent à 2015 l'achèvement du programme
a) Un effort budgétaire réel, mais insuffisant
L'ensemble des investissements nécessaires à la
réalisation du programme ACROPOL, depuis son lancement en 1993
jusqu'à la couverture de l'ensemble du territoire, a été
évalué à 4,5 milliards de francs.
De 1993 à 1997, 646,4 millions de francs ont été
consacrés à sa réalisation. Le projet de loi de finances
le dote de 214 millions de francs en crédits de paiement. Ces
crédits seront complétés par l'inscription de 46 millions
de francs dans la loi de finances rectificative pour 1997 qui sera
discutée au Parlement avant la fin de l'année. De plus, un
décret de virement de 30 millions de franc des crédits
immobiliers du chapitre 57-40 vers le chapitre 57-60 des équipements
informatiques est en préparation. Le gouvernement espère parvenir
à consacrer 315 millions de francs à ACROPOL en 1998 en puisant
dans les crédits d'équipement informatiques " hors
ACROPOL ".
La dotation pour 1998 permet de dépasser assez largement la limite haute
du scénario lent, mais pas de se situer sur le sentier du
scénario médian. La perspective d'un achèvement du
programme en 2008 n'est donc pas encore envisageable.
Les 315 millions de francs seront consacrés à l'installation du
réseau en Seine Saint-Denis, et au démarrage de
l'équipement des prochains départements inscrits au programme des
travaux : Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, qui établit la jonction entre la
Picardie et la Seine Saint-Denis, Paris, puis les départements de la
grande couronne. L'objectif est l'achèvement de la couverture du SGAP de
Paris en 1999.
b) Des arbitrages budgétaires structurellement défavorables au ministère de l'intérieur
Votre rapporteur constate que la gendarmerie nationale n'a
pas
eu les mêmes problèmes budgétaires pour le financement de
son système Rubis.
Il déplore que le cas du financement du programme ACROPOL ne soit pas
isolé et que les besoins du ministère de l'intérieur ne
soient généralement pas perçus comme prioritaires. Ainsi,
s'agissant de l'immobilier, le ministère de l'intérieur dispose
de 5% de l'ensemble des moyens de l'Etat, contre 50% au ministère de la
défense.
3. Les perspectives pour les années à venir
L'ambition du gouvernement est de parvenir au scénario
médian en 1999, et vise une dotation de 450 millions de francs en
crédits de paiement. Ce montant correspond a celui obtenu chaque
année par la gendarmerie dans le cadre du programme Rubis.
En termes de couverture du territoire, le ministre de l'intérieur
souhaite que les régions Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais,
Rhône-Alpes et provence-Alpes-Côte d'Azur, qui concentrent plus de
la moitié de la criminalité, soient couvertes en 2004.
Des actions en commun avec la gendarmerie sont envisagées, mais se
heurtent à des réticences au sein de chaque partie. Ces actions
pourraient consister en une gestion commune du développement de certains
logiciels, une politique commune avec Matra et un partage de la maintenance des
équipements.
Enfin, une programmation pluriannuelle des crédits consacrés au
développement du programme ACROPOL pourrait être envisagé.
En effet, la position du ministère de l'intérieure à
l'occasion des discussions tarifaires avec Matra est affaiblie par
l'impossibilité de s'engager financièrement sur plusieurs
années.
C. LES RISQUES D'UN DEVELOPPEMENT TROP LENT
1. La sécurité des fonctionnaires n'est pas garantie
Les difficultés auxquelles sont confrontées les
policiers aujourd'hui ne seront pas résolues avant une vingtaine
d'année et les nouveaux besoins croissants ne seront pas satisfaits.
La démocratisation de l'accès à des technologies
avancées renforce la nécessité de réduire le retard
de la police nationale en cette matière.
2. La fiabilité de la norme française peut être mise en cause
La France est le seul pays industrialisé à
posséder un système de transmission numérique totalement
opérationnel. Cette avance technologique conduit certaines entreprises
étrangères à mener des campagnes de désinformation
quant à la fiabilité du système français
auprès des pays intéressés par ce programme, en appuyant
leur argument sur la faible implantation géographique d'ACROPOL.
Compte tenu de l'enjeu industriel que représentent aujourd'hui les
technologies numériques, votre rapporteur souhaite que, dans le cadre de
la coopération policière européenne, le gouvernement
français fasse prévaloir la norme Tetrapol
développée par Matracom dans le cadre de Rubis et d'ACROPOL.
3. Les risques d'obsolescence précoce
Les systèmes analogiques qui équipent la police
nationale ont été mis en place il y a une vingtaine
d'année. Ils sont aujourd'hui absolument obsolètes. Les premiers
équipements ACROPOL auront l'âge des équipements
analogiques aujourd'hui lorsque la couverture de l'ensemble du territoire sera
achevée.
Un tel étalement a des incidences budgétaires (la mise à
niveau des équipements) mais également en matière de
sécurité et de fiabilité du système.
4. Le coût de l'entretien du réseau analogique
Le coût de l'entretien des équipements
analogiques décroît aujourd'hui car les exercices suivants la mise
en oeuvre de la loi d'orientation et de programmation pour la
sécurité ont permis de renouveler correctement le parc.
A moyen terme, le maintien en activité va se heurter à des
contraintes budgétaires et matérielles. Ces équipements
auront 40 ans lors de l'achèvement du programme ACROPOL. Il est permis
de se demander si l'accélération de la mise en place du
réseau numérique ne permettrait pas de réaliser des
économies budgétaires.