EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 15 octobre 1997, sous la
présidence de M. Christian Poncelet, président, la
commission a examiné, sur le rapport de
M. Philippe Marini,
rapporteur spécial,
les crédits de la
fonction publique
et de la
réforme
de l'
Etat.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a
précisé que l'examen de ces crédits recouvrait à la
fois l'analyse des charges de personnel de l'Etat, qui sont des dépenses
transversales à l'ensemble des départements ministériels,
représentant plus de 600 milliards de francs en 1998, et l'examen
des crédits du ministère chargé de la gestion de la
fonction publique, dont les crédits sont individualisés dans le
budget des services généraux du Premier ministre, pour un montant
de 1,4 milliard de francs en 1998.
M. Philippe Marini
a tout d'abord rappelé que les
dépenses de la fonction publique progressaient de 2,9 % en 1998,
-soit deux fois plus vite que l'ensemble des dépenses de l'Etat- et
dépassaient le seuil de 600 milliards de francs, pour
représenter 38,4 % du budget général. Cette
progression de 17,4 milliards de francs des charges de personnel
s'explique notamment par les revalorisations salariales opérées
en 1997, qui occasionnent une dépense de 4 milliards de francs,
mais aussi par l'inscription de deux provisions de 3 milliards de francs
au budget des charges communes, et de 575 millions de francs au budget de
la défense, au titre des mesures diverses d'ajustement salarial de 1998,
et par les mesures catégorielles (dont le plan Jospin et le protocole
Durafour) qui devraient entraîner une dépense de
2,3 milliards de francs. Par ailleurs, la dérive spontanée
des dépenses de pensions est de 5 milliards de francs en 1998, et
le glissement vieillissement technicité contribue à une
dépense estimée à près de 4 milliards de
francs.
M. Philippe Marini
a également rappelé que la
fonction publique de l'Etat induisait des dépenses allant au-delà
des charges liées aux fonctionnaires, telles que les subventions
à l'enseignement privé sous contrat ou les pensions et
allocations aux anciens combattants : en 1998, le total des dépenses
induites de fonction publique devrait progresser de 3,1 % et atteindre
692,3 milliards de francs, soit 43,7 % du budget
général de l'Etat.
M. Philippe Marini
a ensuite présenté les crédits
du ministère chargé de la fonction publique, regroupés en
un seul "agrégat" au sein des services généraux du Premier
ministre : il s'agit des moyens consacrés à la mise en oeuvre
d'une politique d'ensemble de la fonction publique, à la modernisation
de l'administration et à la réforme de l'Etat et, enfin, à
la tutelle des écoles d'administration.
De 1997 à 1998 ces crédits progressent de 20,3 % pour
atteindre 1.414,5 millions de francs, essentiellement du fait de
l'inscription d'une provision de 230 millions de francs destinée
à accompagner la négociation salariale dans la fonction publique.
Par ailleurs, les subventions aux écoles représentent
329,27 millions de francs, en quasi-stagnation. Le fonds pour la
réforme de l'Etat s'élève à 112,5 millions de
francs, aucun crédit d'investissement ne figurant en 1998 pour ce fonds,
la dotation étant alignée sur la régulation
budgétaire pratiquée au mois de juillet dernier sur les
crédits du fonds. Enfin, les crédits de formation
interministérielle diminuent de 40 à 32 millions de francs,
les crédits de modernisation de 20 à 14,3 millions de
francs, là encore par alignement sur les dotations budgétaires
issues de la régulation de juillet 1997.
M. Philippe Marini
a enfin souligné l'inscription d'un
crédit de 7,4 millions de francs, consacré à une
réserve d'emplois destinée à la mobilité des
administrateurs civils, entre ministères, vers les services
déconcentrés et les organisations internationales.
M. Philippe Marini
a ensuite fait part de ses observations sur les
crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat pour
1998.
En premier lieu, il apparaît que le poids des dépenses de
personnel reflète celui des créations d'emplois
opérées depuis le début des années 1980 : entre
1980 et 1996, les effectifs budgétaires de l'Etat ont progressé,
à champ constant de + 115.700 emplois.
Il a fallu attendre 1997 pour que soit marqué un coup d'arrêt
à cette évolution inquiétante, avec une diminution de
0,4 % des effectifs hors Défense -soit - 5.499 emplois.
En 1998, cette orientation est abandonnée : le mouvement de
créations reprend avec un solde positif de 490 emplois civils, et
de 6.533 emplois en prenant en compte la Défense.
M. Philippe Marini
a ensuite fait remarquer que l'Etat ne
parvenait pas à maîtriser la dépense de fonction
publique : en effet, l'abandon de la politique de réduction
d'effectifs renforce encore la difficulté évidente pour l'Etat de
maîtriser ses coûts de personnel, car au poids des effets s'ajoute
celui du "glissement vieillissement technicité" positif,
reflétant les mesures catégorielles des années
passées.
M. Philippe Marini
a souligné, par ailleurs, que cette
absence de maîtrise naissait également de l'impossibilité
actuelle de scinder la négociation salariale, dont l'ouverture est
aujourd'hui annoncée sous sa forme traditionnelle avec l'ensemble des
syndicats de fonctionnaires. Ses répercussions touchent non seulement
l'ensemble des agents de l'Etat mais au total l'ensemble de la dépense
induite de fonction publique, soit plus de 39 % des dépenses du
budget.
M. Philippe Marini
a également fait remarquer que les
contours de l'emploi public étaient devenus flous. En effet,
au-delà des 2,2 millions d'agents de l'Etat, il faut comptabiliser
dans l'emploi public, les 200.000 emplois des établissements
publics nationaux (hors entreprises nationales), les 165.000 agents de
France Télécom et les 280.000 agents de La Poste, les
1,4 million d'agents de la fonction publique territoriale, les
845.000 agents de la fonction publique hospitalière. Au total, on
recense donc plus de 5 millions d'agents publics pour une population
active de 22,4 millions, soit plus d'un actif sur cinq.
Par ailleurs, les agents employés par l'Etat, les collectivités
territoriales et les établissements hospitaliers ne le sont pas tous
sous le même statut : le "noyau dur" de la fonction publique est
constitué des titulaires, soit à peu près les
quatre-cinquièmes des agents publics, le solde, soit environ un million
de personnes, étant constitué de non titulaires : contractuels,
auxiliaires, vacataires... Leur proportion est beaucoup plus grande dans les
établissements publics (plus de 60 %) et dans la fonction publique
territoriale (plus de 30 %) que dans la fonction publique d'Etat où
ils représentent toutefois plus de 13 % des effectifs.
De même, un troisième cercle d'agents est constitué de
personnes bénéficiaires de contrats emploi solidarité, qui
ne sont pas des contrats de droit public, et qui ne peuvent pas être
directement conclus par les services de l'Etat : toutefois de nombreux contrats
emploi solidarité sont conclus par les collectivités
territoriales et par les établissements publics, ce qui aboutit à
les considérer comme des contrats "fonction publique", dont le nombre
est supérieur à 200.000.
Enfin, les "emplois-jeunes" prévus dans le projet de loi de finances
pour 1998 peuvent être considérés comme des emplois
publics, puisque l'Etat prendra en charge 80 % de leur
rémunération, et même 100 % pour les jeunes
recrutés par l'éducation nationale : il y aura là encore
quelque 100.000 emplois publics relevant du droit privé.
Au total, l'Etat emploie donc une proportion non négligeable d'agents
dans des conditions non statutaires, même si quelques progrès ont
pu être réalisés grâce à la loi du
16 décembre 1996 relative à l'emploi dans la fonction
publique, qui comporte un plan de résorption de l'emploi précaire
s'adressant à environ 20.000 agents du niveau de la
catégorie C et près de 18.000 agents assurant des fonctions
d'enseignement ou d'éducation.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a ensuite fait part
de ses réflexions sur les lenteurs de la réforme de l'Etat. Alors
que l'utilité du fonds pour la réforme de l'Etat ne paraît
pas totalement démontrée, les mesures prises jusqu'au 31 mai 1997
en matière de déconcentration ont été
décisives, qu'il s'agisse du transfert des décisions
administratives individuelles aux autorités déconcentrées
de l'Etat à partir du 1er janvier 1998, de la définition de la
notion de contrat de service, de la création des services à
compétence nationale ou enfin des mesures prises pour faciliter la
déconcentration de la gestion des personnels et du dialogue social qui
devraient permettre, pour la première fois, de pouvoir pratiquer une
gestion avisée du personnel au plan territorial.
Par ailleurs,
M. Philippe Marini
a rappelé que le
précédent ministre de l'économie et des finances avait
réussi à amorcer un objectif de gestion patrimoniale de l'Etat et
qu'une mission avait été confiée à un
trésorier payeur général, qui devait publier un livre
blanc au cours de cet automne, contenant une expertise technique des
problèmes.
M. Philippe Marini
a donc considéré que les
avancées opérées par le Gouvernement
précédent sur la réforme de l'Etat avaient
été remarquables, même si elles avaient suscité peu
de publicité, mais qu'elles nécessitaient incontestablement
d'être poursuivies.
M. Philippe Marini
a notamment rappelé qu'en ce qui
concernait la gestion de la fonction publique, trois chantiers au moins
devaient aboutir : les fusions de corps administratifs, l'enrichissement de la
procédure de notation et l'élargissement de la mobilité
des fonctionnaires qui pourrait conduire à l'avènement de
"métiers" dans la fonction publique.
S'agissant de la négociation salariale, une étape
supplémentaire vers la modernisation de la fonction publique pourrait
permettre de sortir d'une gestion salariale à la fois rigide et à
courte vue : le Parlement pourrait fixer une enveloppe salariale maximale pour
la fonction publique (sur plusieurs années), la direction du budget
répartirait cette enveloppe entre les différents
ministères selon les modalités actuellement retenues pour le
contrat pluriannuel avec le ministère de l'équipement, et enfin
des contrats de service pourraient être conclus par les ministères
avec leurs services déconcentrés. Cette évolution devrait
s'inscrire dans le contexte plus général de la révision,
à l'évidence indispensable, de l'ordonnance du 2 janvier
1959 portant loi organique sur les finances publiques.
M. Philippe Marini
a enfin insisté sur le livre blanc
annoncé sur la gestion patrimoniale de l'Etat qui devrait pouvoir
permettre de soumettre au Parlement les bases d'un nouveau plan comptable.
Au regard de l'ensemble de ces objectifs,
M. Philippe Marini,
rapporteur spécial,
a estimé que les intentions du nouveau
Gouvernement n'apparaissaient pas clairement, hors la volonté
affichée de ne pas réduire les effectifs.
En effet, l'intervention toute récente de M. le ministre de la
réforme de l'Etat et de la décentralisation devant la commission
de modernisation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat,
le 24 septembre dernier, ne traduisait pas de véritable
volonté politique de réforme.
Au vu de ces incertitudes,
M. Philippe Marini, rapporteur
spécial
, a proposé de rejeter les crédits de la
fonction publique figurant aux Services généraux du Premier
Ministre.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la
commission.
Répondant à
M. Jacques Oudin
,
M. Philippe
Marini, rapporteur spécial,
s'est déclaré
disposé à effectuer des investigations, en sa qualité de
rapporteur spécial, sur le problème des fonctionnaires mis
à disposition d'organismes extérieurs à l'administration.
Par ailleurs, il est convenu de la nécessité absolue de
réformer la procédure de notation des fonctionnaires. Enfin, le
rapporteur spécial a rappelé qu'il avait abordé, au cours
de ses précédents entretiens avec le commissaire à la
réforme de l'Etat, les questions de la gestion prévisionnelle des
ressources humaines et de l'avènement d'une véritable
mobilité des fonctionnaires.
En réponse à
M. Roland du Luart
, le rapporteur
spécial a rappelé que la progression des charges de pensions
passait de 3 milliards de francs en 1997 à 5 milliards de
francs en 1998 et que les dépenses de pensions étaient
appelées à progresser de 65 milliards de francs après
l'année 2015, du fait de l'évolution démographique des
régimes.
Par ailleurs,
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a
précisé que l'inscription d'une provision de 230 millions de
francs au budget des Services généraux du Premier ministre
était destinée à l'accompagnement de la négociation
salariale entamée avec les syndicats de la fonction publique.
Enfin, il a rappelé que l'abaissement de la durée du travail
à 35 heures dans la fonction publique devait, d'après les
annonces faites par le Gouvernement, être précédé
d'un bilan de la durée effective de travail par corps de fonctionnaires.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a ensuite
souligné la convergence de ses analyses avec celles de
M. Denis
Badré
, qu'il s'agisse du flou de la gestion des emplois publics, des
incertitudes actuelles sur la poursuite de la réforme de l'Etat, du
risque de voir surgir la nécessité de titulariser dans la
fonction publique les bénéficiaires des emplois-jeunes, ou des
difficultés soulevées par la formation de ces jeunes. Il a par
ailleurs estimé que la constitution d'une réserve d'emplois
destinée à favoriser le retour des administrateurs civils
détachés auprès des services extérieurs de l'Etat
ou d'organisations internationales était une mesure qui paraissait
raisonnable dans son principe.
En réponse à
M. Jean-Philippe Lachenaud
, le
rapporteur spécial est convenu de la nécessité d'adapter
la réduction du temps de travail à des situations
particulières telles que celles des agents hospitaliers. Il a par
ailleurs reconnu les inconvénients liés à la nature des
emplois-jeunes, reposant sur des contrats de droit privé alors qu'ils ne
correspondent pas à une demande solvable. Il s'est enfin
déclaré prêt à effectuer, conjointement avec le
rapporteur des crédits de l'enseignement supérieur, un
contrôle de l'exécution des dépenses de
rémunérations et d'heures supplémentaires pour les
professeurs des universités.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a ensuite
donné acte de son désaccord avec les déclarations de
M. Gérard Miquel
, qui avait souligné
l'intérêt du maintien d'emplois au niveau départemental,
réaffirmé l'utilité de services de l'Etat suffisamment
solides tels que ceux chargés de la santé publique, et mis en
garde contre les surcoûts de services publics dévolus à la
gestion privée tels qu'il les constatait aux Etats-Unis.
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
a en effet
estimé qu'il fallait se donner les moyens d'une politique
cohérente de maîtrise des charges de personnel. Il a en outre
rappelé le risque de fonctionnarisation des emplois-jeunes, notamment de
ceux qui seront utilisés pour le service national.
Répondant ensuite à
M. Maurice Blin
, le rapporteur
spécial a estimé que la mobilité territoriale des
fonctionnaires devait pouvoir s'effectuer dans de meilleures conditions. Il a
par ailleurs rappelé l'intérêt de l'introduction de la
notion juridique de services à compétence nationale.
Enfin, en réponse à
M. Christian Poncelet,
président
, le rapporteur
spécial
a
rappelé que la loi de programme sur la justice adoptée en 1995
prévoyait la création pluriannuelle de postes de magistrats, mais
s'est interrogé sur la répartition inégale de magistrats
tels que les juges pour enfants dans des départements pourtant
comparables. Par ailleurs,
M. Philippe Marini, rapporteur
spécial,
a estimé qu'il n'était pas opportun de
prévoir l'affiliation des bénéficiaires des emplois-jeunes
à la caisse nationale de retraite des collectivités locales, ce
qui préjugerait injustement de l'intégration des
intéressés dans la fonction publique territoriale.
Enfin,
M. Philippe Marini, rapporteur spécial,
s'est
déclaré disposé à poursuivre des investigations sur
le passage des fonctionnaires au secteur privé, tout en soulignant la
nécessité d'en préserver le principe au nom de la
liberté de choix individuelle.
La commission a alors
adopté
le
rapport
présenté par
M. Philippe Marini, rapporteur
spécial,
et
décidé
de
réserver le
vote
sur
les crédits
de la fonction publique inclus dans le
fascicule budgétaire des services généraux du Premier
ministre
jusqu'à l'examen de ce budget.
Au cours d'une séance tenue le 20 novembre 1997, la commission a
adopté deux amendements, tendant à réduire les
crédits des mesures nouvelles du titre III du budget des services
généraux du Premier ministre de 276,6 millions de francs, et
du titre IV du même budget de 9,3 millions de francs. Elle a
ensuite décidé de recommander au Sénat l'adoption du
budget ainsi modifié.