4. Une fiscalité complexe
La
législation fiscale française
concernant les entreprises est par ailleurs perçue par les
opérateurs économiques français et étrangers comme
extrêmement complexe
. Cette perception tient notamment à la
multitude de taxes la caractérisant (impôt foncier, impôt
sur l'actif net, sur la mutation, sur les transactions, taxe professionnelle,
contributions au Fonds National pour l'Emploi). La France affiche 6 taxes
spécifiques contre 4 en Allemagne et en Italie et 3 au Royaume-Uni.
En 1995, l'impôt sur les sociétés était plus faible
en France mais les impôts spécifiques nettement plus
élevés (3,2 % du PIB contre 1,7 % en Allemagne et
2,3 % au Royaume-Uni). Contrairement à la situation de la
Grande-Bretagne, de l'Italie et des Pays-Bas, les impôts
spécifiques pesaient plus lourdement que l'impôt sur les
sociétés sur les entreprises françaises.
En outre, la législation fiscale française s'est fortement
compliquée depuis quelques années avec la création des
différentes catégories de zones franches dans le cadre du Pacte
de relance pour la ville, la modulation de certaines règles fiscales
suivant les zones d'aménagement du territoire, la multiplication des
dérogations sectorielles. Cette "déstructuration" de la
fiscalité vient en outre s'ajouter à un nombre déjà
très élevé de seuils, d'assiettes ou d'exemptions, aussi
bien en matière de prélèvement fiscaux que sociaux, qui
sont dépourvus le plus souvent de logique économique.
La complexité du système fiscal
français :
l'exemple de la taxation privilégiée des petites et moyennes
entreprises
L'exemple du traitement fiscal privilégié des
petites et moyennes entreprises est particulièrement significatif du
manque d'homogénéité et de lisibilité de la
fiscalité française.
La variabilité des critères de définition des
PME
Ainsi, si de nombreuses dispositions du code général des
impôts tendent à abaisser le poids de la fiscalité pour les
petites et moyennes entreprises afin d'encourager leur création et la
constitution de fonds propres, les critères de définition de ces
entreprises sont variables d'une disposition à l'autre, ce qui est
préjudiciable aux entreprises qui en sont précisément la
cible. En effet, les petites et moyennes entreprises, contrairement aux plus
grosses structures, ne disposent pas des services juridiques et fiscaux leur
permettant d'expertiser la réglementation fiscale pour en tirer le plus
grand bénéfice.
Un recensement de la totalité des mesures destinées aux PME
serait fastidieux mais on peut noter d'emblée que l'expression PME
apparaît assez peu dans les textes fiscaux. D'une manière
générale, on préfère parler de " petites
entreprises ".
Or,
l'appréciation de la "petite entreprise" peut varier en
fonction
de la nature de l'impôt en cause
: par exemple, pour les
impôts calculés sur les salaires, une entreprise employant un
faible nombre de salariés sera une petite entreprise, alors qu'elle peut
réaliser un chiffre d'affaires important, ce qui ne permet pas de la
classer parmi les " petites entreprises " pour
l'application de la
TVA ou de l'impôt sur les bénéfices.
Le
critère tiré du montant du chiffre d'affaires
est le
plus ancien et il demeure le plus fréquemment utilisé. C'est ce
critère qui conditionne l'application des divers régimes
d'imposition (forfait
22(
*
)
,
régime réel simplifié
23(
*
)
,
régime des
micro-entreprises). Mais ce critère pouvant conduire à des abus
(par exemple, la scission artificielle de l'entreprise en plusieurs filiales
afin de bénéficier des régimes de faveur), il a
été progressivement complété par des conditions
d'application plus contraignantes. En outre, des préoccupations de
nature plus "interventionniste" ont conduit à prendre en
considération des conditions tenant aux modalités d'exploitation.
Ainsi, les plus-values réalisées par une entreprise sont
exonérées lorsque les recettes n'excèdent pas le double
des limites du forfait ou de l'évaluation administrative, et à
condition que l'entreprise ait exercé son activité pendant une
durée minimale de 5 ans.
On retrouve des préoccupations de même nature pour l'application
de la réduction d'impôt au titre des souscriptions en
numéraire au capital de sociétés non cotées. La
société doit être soumise à l'impôt sur les
sociétés, ne pas réaliser plus de 140 millions de francs
de chiffre d'affaires hors-taxe ou bien ne pas totaliser plus de
70 millions de francs d'actifs à son bilan. Enfin, le capital doit
être détenu pour plus de 50 % par des personnes physiques.
Ces mêmes critères complétés par une
condition
relative au nombre de salariés
fondent l'éligibilité
à la disposition autorisant un amortissement égal à
25 % du prix de revient pour les matériels utilisés dans les
zones de revitalisation rurale ou dans les zones de redynamisation urbaine.
Outre la satisfaction des conditions ci-dessus, les entreprises doivent en
effet employer moins de 250 salariés.
Le critère du nombre de salariés peut également être
retenu à titre principal, essentiellement pour l'application des taxes
assises sur les salaires, la distinction essentielle, en la matière,
étant constituée par les entreprises employant plus ou moins de
10 salariés. Il peut enfin intervenir à titre principal en
étant complété par un
critère fondé sur
la nature de l'activité
.
C'est ainsi que les entreprises de moins de 50 salariés
installées dans les zones franches urbaines sont exonérées
de taxe professionnelle à hauteur de 3 millions de francs de bases
taxables lorsqu'elles exercent des activités de proximité. Le
plafond de 50 salariés tranche avec celui de 150 qui déclenche
l'exonération dans les autres zones prioritaires d'aménagement du
territoire, quelle que soit l'activité exercée par l'entreprise
bénéficiaire.
En outre, ni le seuil de 50 salariés, ni les conditions relatives
à la nature de l'activité ne déterminent
l'éligibilité au dispositif d'exonération de l'impôt
sur les bénéfices dans ces mêmes zones, ce qui aboutit
à un
véritable casse-tête pour les entreprises
. En
effet, pour ce dernier dispositif, toutes les entreprises sont éligibles
mais pour un montant de bénéfices limité à
400.000 francs, ce qui constitue un critère supplémentaire
de définition de la PME.
Au total, on constate que la définition de la PME varie, non
seulement selon la nature de l'impôt concerné, mais
également en fonction de l'administration qui est à l'origine de
la mesure, et des objectifs poursuivis
, en dépit de l'harmonisation
qui est opérée par le ministre des finances. Ainsi, le
ministère de l'aménagement du territoire et celui de la ville et
de l'intégration, qui sont à l'origine des mesures de
"
discrimination fiscale positive
" en faveur des
zones
prioritaires, ont-ils " enrichi " le code général des
impôts de conditions tenant à la localisation des activités
et à la nature des activités à encourager.
Un début d'harmonisation
Les définitions des " petites entreprises " se sont
succédé au gré des différents " plans
PME ". On peut cependant déceler un progrès dans la
période récente, la définition de la PME se rapprochant de
la
définition européenne de la petite entreprise
figurant
dans une recommandation de la Commission européenne datée du 3
avril 1996. Il s'agit des entreprises :
- dont le chiffre d'affaires n'excède pas 7 millions d'écus (50
millions de francs) ;
- et qui respectent le critère d'indépendance mesuré
à l'aune de la propriété du capital : sont ainsi
considérées comme indépendantes les entreprises
détenues à plus de 75 % par des personnes physiques.
Ainsi, le taux réduit (19 %) de taxation des
bénéfices des sociétés institué par
l'article 10 de la loi de finances pour 1997, en faveur des entreprises qui
capitalisent leurs bénéfices ainsi taxés, est-il
réservé aux entreprises satisfaisant à ces deux
conditions. De même, le Gouvernement a exonéré de la
contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés
instituée par la loi portant mesures urgentes à caractère
fiscal et financier, les entreprises répondant aux mêmes
critères.
On peut regretter néanmoins que ces deux dispositions soient
calquées sur la
référence la plus étroite de la
Commission européenne
et non sur la définition large de la
PME qui fixe à 40 millions d'écus (soit 260 millions de francs)
le plafond de chiffre d'affaires à ne pas excéder.
Une exception récente
Cependant, une disposition du présent projet de loi de finances diverge
assez radicalement des définitions évoquées ci-dessus en
faisant référence, pour définir les petites et moyennes
entreprises, au montant des provisions qu'elles ont constitué. En effet,
l'Assemblée nationale vient de décider de ne pas obliger les
entreprises qui ont constitué des provisions pour fluctuation des cours
à réintégrer ces provisions dans leur résultat
imposable en deçà d'un seuil de 60 millions de francs. Cet
amendement tend à amoindrir les conséquences relativement
pénalisantes pour les petites et moyennes entreprises transformatrices
de matières premières de la suppression de la provision pour
fluctuation des cours prévue par l'article 6 du projet de loi de
finances pour 1998. Cet article prévoit en effet de
réintégrer les dotations pratiquées à ce titre dans
les résultats imposables sur une durée de trois ans, ce qui a
pour conséquence d'accroître dans des proportions très
importantes l'impôt sur les sociétés à acquitter par
certaines entreprises.
Une pratique contraire à la neutralité fiscale
D'une façon générale, outre la complexité
engendrée par la variation des critères pris en compte,
votre
rapporteur général considère que l'institution de mesures
catégorielles et de seuils d'exonération,
quel que soit le
critère économique déterminant
, rompt
l'égalité des contribuables devant l'impôt et est contraire
au principe de la neutralité fiscale
. Au demeurant, la notion de
chiffre d'affaires, qui est la plus courante, n'a pas la même
signification en fonction des secteurs d'activité
considérés.
Enfin,
de telles pratiques encouragent les entreprises à optimiser
leurs décisions en fonction de considérations fiscales
plutôt qu'économiques
, ce qui n'est pas conforme à une
allocation optimale des ressources et favorise les comportements de fuite
devant l'impôt.
Or, l'exercice visant à "verrouiller" les divers dispositifs fiscaux
pour éviter l'optimisation fiscale des entreprises tend à
mobiliser un pourcentage croissant des experts fiscaux du service de
législation fiscale de Bercy. Les différents verrous ainsi
institués pour " moraliser " les entreprises alourdissent
à l'excès le code général des impôts, rendent
sa compréhension ardue pour les entreprises et obligent ces
dernières à consacrer une part croissante de leur temps et de
leurs ressources à "décrypter" la législation fiscale.