V. LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PRÉCONISE QUE D'AUTRES MESURES MOINS ALÉATOIRES SOIENT EXPLORÉES OU POURSUIVIES
A. UNE MEILLEURE ADÉQUATION DES FORMATIONS AUX BESOINS DU MARCHÉ DU TRAVAIL RESTE UN PRÉALABLE À UNE BAISSE DURABLE DU CHÔMAGE
1. Les obstacles à l'emploi des jeunes doivent être identifiés et traités simultanément
Le plan qui nous est présenté par le ministre de
l'emploi et de la solidarité est un plan d'urgence. Derrière les
préoccupations légitimes de satisfaction de besoins collectifs
plus ou moins hypothétiques se cache en fait un souci bien réel
de trouver des débouchés pour les dizaines de milliers de jeunes
qui sortent de l'enseignement secondaire ou supérieur sans aucune
perspective, avec ou sans diplôme.
On sait que cette situation est la conséquence de la conjonction de
trois phénomènes :
-
la conjoncture économique
est le premier facteur explicatif. On
observe en effet une assez bonne concordance entre les variations de
l'activité et le taux de chômage des jeunes. La forte
récession de 1993 pourrait expliquer partiellement la forte augmentation
observée du taux de chômage des jeunes entrant sur le
marché du travail à cette époque, par exemple.
-
le diplôme et la formation
constituent le second facteur
explicatif. On sait en effet que les moins diplômés sont
près de trois fois plus exposés au chômage que les
diplômés de l'enseignement supérieur. Or, de nombreuses
études montrent que la nature de la profession exercée est assez
étroitement liée au diplôme obtenu.
- le
coût du travail
représente le troisième
facteur explicatif. Une entreprise ne peut pas en effet rémunérer
durablement un salarié davantage que sa productivité marginale,
or celle-ci est déterminée largement par son capital humain
(diplôme, formation, expérience...). L'existence d'un salaire
minimal supérieur à la valeur de marché du capital humain
d'un jeune entrant sur le marché du travail peut s'avérer une
barrière importante pour son accès à l'emploi. Le jeune se
trouve alors privé de l'opportunité d'accumuler de
l'expérience et du savoir-faire, ce qui tend à accroître
l'écart entre le salaire minimal et le salaire minimal justifié
par le marché. Dans ce cas, l'employabilité des jeunes, loin de
s'améliorer se détériore avec le temps.
L'examen des causes principales du chômage des jeunes laisse penser
que le retour de la croissance attendu pour 1998 devrait mécaniquement
améliorer la situation de l'emploi des jeunes. Une politique
déterminée d'amélioration de la structure productive de
l'économie française ne pourrait que renforcer cette tendance.
On peut faire observer que le dispositif proposé par Mme Martine Aubry
ne s'inscrit pas dans le cadre des remarques précédentes. En
effet, il s'avère un peu plus chaque jour que les candidats aux emplois
jeunes sont très majoritairement des jeunes ayant échoué
dans le cadre de leurs études, des jeunes qui s'étaient
spécialisés sur des créneaux peu porteurs ou au contraire
dans des filières encombrées.
Affecter ces jeunes sur des emplois spécialement créés
à leur intention et sans que ne soit prévu aucun dispositif de
formation pourrait être un dangereux contresens en termes de perspectives
de pérennisation. La démarche appropriée pour beaucoup
d'entre eux ne peut consister qu'à les former, la logique à
suivre doit être celle de la deuxième chance, un diplôme
spécialisé pouvant être obtenu à la clé.
Une critique importante qui peut être adressée au Gouvernement
réside dans le fait qu'on ne traite pas les racines du mal. Le plan
devrait diminuer à terme une partie du stock de jeunes chômeurs -
avec des perspectives à l'horizon de 5 ans à préciser
comme on l'a vu - mais il ne prévoit aucune disposition pour
empêcher que ce stock ne se reconstitue, ceci en particulier à
l'issue de la prochaine phase basse du cycle conjoncturel. Ce travail de fond
ne peut consister qu'en une évaluation systématique de
l'adéquation des formations et des filières aux besoins du
marché, une plus grande professionnalisation et une régulation
plus coercitive des flux d'entrées dans l'enseignement supérieur,
accompagnée d'un développement de nouvelles formations dans les
métiers d'avenir (nouvelles technologies,
télécommunications, électronique, services collectifs ...).
Le dernier point sur lequel il conviendrait d'agir serait la modulation du
coût salarial en fonction de la productivité. En clair, pour
faciliter l'accès de nombreux jeunes à l'emploi, il serait
nécessaire de réduire le coût du travail pour l'employeur.
La modulation du salaire minimal en fonction de la productivité
étant encore un sujet tabou, une réduction des charges sociales
pourrait être envisagée sur la première année qui
suit l'embauche d'un jeune.
2. La poursuite du développement des formations professionnalisées reste une priorité incontournable
Outre le diplôme, on sait que l'expérience et la
formation pratique permettent une insertion plus aisée des jeunes sur le
marché du travail, les formations par la voie de l'apprentissage et du
baccalauréat professionnel donnent à cet égard de bons
résultats. La préparation des baccalauréats comprend des
stages en entreprise qui font de cette filière une véritable
alternance sous statut scolaire ; elle permet ainsi aux jeunes de trouver un
emploi aussi rapidement que la moyenne des diplômés de
l'enseignement supérieur. Les apprentis quant à eux
reçoivent une formation en alternance dans le cadre d'un
véritable contrat de travail qui leur assure un rythme d'insertion
supérieur à celui des bacheliers.
Depuis 1993, la relance des politiques de formation en alternance et la
professionnalisation des filières universitaires était devenue la
pierre angulaire de la politique pour l'emploi des jeunes. Près de
200.000 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés
en 1996, dans les secteurs traditionnels d'accueil comme dans de nouveaux
secteurs où l'apprentissage est désormais parfois
sanctionné par une formation de niveau supérieur (industrie,
services aux entreprises...). Toutefois, l'apprentissage reste peu
implanté dans les secteurs de l'énergie, des activités
financières, de l'éducation, de la santé et de l'action
sociale. La commission des affaires sociales considère que la poursuite
de l'effort de développement de l'apprentissage doit demeurer l'axe des
politiques de formation des jeunes, faute de quoi on ne pourrait empêcher
la reconstitution du stock de jeunes chômeurs que s'apprête
à réduire conjoncturellement le plan emplois-jeunes.
Le développement de l'apprentissage n'est en rien contradictoire avec le
plan d'action proposé par le ministre de l'emploi ; ces deux actions
mériteraient même d'être menées de concert tant l'on
sait que l'absence de véritables projets de formation constitue le talon
d'Achille du dispositif examiné. Le ministre défend l'idée
que certaines des formations sont encore à imaginer, le rapporteur
soutient quant à lui que l'apprentissage a naturellement son rôle
à jouer.
A cet égard, le rapporteur se permet de rappeler qu'il avait
déposé le 28 novembre 1996 une proposition de loi
(n° 107) tendant à organiser le soutien financier du
dispositif de développement de l'apprentissage dans le secteur public
institué par la loi du 17 juillet 1992. Cette proposition de loi partait
d'un constat très simple : aujourd'hui, certains aspects de l'esprit
d'entreprise sont de moins en moins étrangers au secteur public, ce qui
le place en position d'acteur potentiel de la formation économique et
professionnelle. On observe également que ce même secteur public
dispose d'un savoir-faire et de certaines compétences spécifiques
qui intéressent particulièrement les entreprises.
Cette proposition de loi a été examinée par la commission
des affaires sociales du Sénat le 16 avril 1997 en même temps que
la proposition de loi n° 225 adoptée en première
lecture par l'Assemblée nationale le 6 février 1997,
déposée par le député Michel Jacquemin et relative
à la promotion de l'apprentissage dans le secteur public. Cet examen a
donné lieu à la publication du rapport n° 311 en annexe
au procès verbal de la séance du 16 avril 1997.
Le texte adopté par la commission des affaires sociales du Sénat
peu avant la dissolution de l'Assemblée nationale disposait que les
personnes morales de droit public employeurs pourraient conclure avec une autre
personne morale de droit public ou avec une entreprise des conventions
prévoyant qu'une partie de la formation pratique serait dispensée
par le partenaire. Le texte prévoyait également une aide à
l'embauche et une indemnité forfaitaire de soutien à l'effort de
formation.
On peut remarquer que ce projet présageait l'esprit du plan
emplois-jeunes du Gouvernement, à deux nuances près : le volume
des aides financières comme les effectifs n'avaient rien de commun avec
ce qui est envisagé aujourd'hui, le côté formation
était par contre au coeur de la démarche envisagée.
Autrement dit, il s'agissait de développer des filières de
formations à des métiers à la frontière du public
et du privé pour quelques milliers ou, au mieux, quelques dizaines de
milliers de jeunes, en définissant un dispositif de formation complet et
efficace alors que le plan d'aujourd'hui insiste plus sur le volume que sur la
qualité. Une question évidente pourrait consister à
s'interroger sur les possibilités de synthèse entre les deux
approches. Le dispositif proposé par la commission des affaires sociales
avait également pour avantage d'associer personnes morales de droit
public et entreprises pour la formation pratique des apprentis ; or, cette
disposition est très favorable pour encourager la migration des
activités vers le secteur marchand.
B. UNE PRÉFÉRENCE DOIT ÊTRE MARQUÉE POUR LE DÉVELOPPEMENT DES ACTIVITÉS MARCHANDES
1. Le recours à l'encadrement doit assurer la pérennité et la migration des activités vers le secteur marchand
L'encadrement est fondamental pour la réussite de tout
projet économique, il permet l'organisation en équipe, la
distribution des tâches et la gestion de l'avancée des travaux. Il
est le vecteur privilégié de la transmission des
compétences lorsqu'il prend la forme du tutorat, il devient alors
formateur et source de progrès, pour la structure comme pour les
individus qui la composent. L'absence d'encadrement est au contraire une cause
importante de l'affaiblissement des structures, de l'échec des projets
de développement économiques et des " erreurs de
pilotage ".
On peut ainsi définir les missions fondamentales de l'encadrement :
optimiser les décisions et la gestion, assurer la transmission des
savoir-faire et la meilleure organisation possible à travers
l'adaptation des structures et la recherche de solutions innovantes riches en
perpectives de développement.
Un projet de développement économique ne peut donc se passer
d'encadrement. Ceci est d'autant plus vrai qu'il aurait pour objectif
d'associer des jeunes sans expérience sur des activités nouvelles
à inventer. Un tel projet reviendrait en fait à
démultiplier les risques d'échec. Dans le cas précis du
plan présenté par le ministre de l'emploi, la
nécessité d'un recours à l'encadrement privé serait
d'autant plus importante que le personnel public d'encadrement n'est pas
forcément le mieux à même d'assurer la soutenabilité
économique de projets voués à rejoindre le secteur
marchand.
Ce besoin d'encadrement doit être examiné au regard des
capacités disponibles dans le pays, ce potentiel se répartit en
deux catégories : les salariés âgés qui partent
à la retraite sans faire bénéficier les nouvelles
générations et les projets de nouvelles activités de leur
expérience et les cadres au chômage qui pourraient être
disponibles pour lancer des projets propres à déboucher sur des
créations d'entreprises.
La commission des affaires sociales et son rapporteur sont largement
préoccupés par l'augmentation du chômage des cadres. En
mars 1986, un peu plus de 140.000 cadres étaient au chômage contre
environ 60.000 en mars 1986, soit plus du double. Il apparaît que la
plupart de ces cadres au chômage sont issus de l'entreprise, et qu'ils
occupaient des fonctions administratives ou commerciales. Cette augmentation du
chômage des cadres s'explique par une accélération des
restructurations, une augmentation du nombre de jeunes diplômés et
une insuffisance de créations de postes qualifiés. Ce
phénomène est un signe supplémentaire des
difficultés de l'économie française à créer
de nouvelles activités, de nouvelles entreprises, de nouvelles
richesses. Il traduit également un certain gâchis, humain bien
entendu comme pour l'ensemble des chômeurs, mais également
technique, professionnel.
La commission des affaires sociales considère qu'une politique active en
matière d'utilisation des compétences et des savoir-faire doit
être poursuivie et développée pour assurer et favoriser le
développement de nouvelles activités. Le projet de
développement d'emplois et d'activités nouvelles à
destination des jeunes doit pouvoir bénéficier d'un fort taux
d'encadrement propre à assurer la pérennisation d'un maximum de
projets et leurs structuration aux exigences de compétitivité du
marché. De nombreux dispositifs déjà existants pourraient
être sollicités pour assurer le financement des cadres qui
seraient embauchés pour travailler au développement des nouvelles
activités.
2. Le secteur privé doit être associé le plus possible au développement d'activités nouvelles dans le secteur public
La création d'entreprise doit être
encouragée, elle demeure le plus sûr moyen pour créer des
richesses, de la croissance et des emplois. Pour favoriser la création
d'entreprises, il convient de supprimer au maximum les formalités
administratives. Des progrès ont été
réalisés avec notamment la déclaration unique d'embauche,
mais beaucoup reste à faire. Un objectif pourrait consister à
instituer la déclaration unique de création d'entreprise, un seul
formulaire devrait permettre de faciliter la tâche à de nombreux
créateurs qui ont d'autres préoccupations que la
" paperasse ". Il serait souhaitable que toutes les
entreprises
créées par des jeunes ou par des cadres employés
travaillant sur ces activités nouvelles puissent
bénéficier à titre expérimental d'une
déclaration unique.
La discrimination entre privé et public ne peut se justifier lorsque
l'activité dont le développement est envisagée est
manifestement exercée par les deux secteurs d'activités. Le
non-respect de cette condition représenterait une rupture flagrante du
principe d'égalité comme l'exemple d'une concurrence
déloyale. On peut s'interroger par exemple sur une disposition qui
étendrait le plan emplois-jeunes au logement social géré
par des organismes publics tout en excluant les organismes privés. Plus
généralement, on pourrait s'interroger sur l'exclusion des
entreprises du champ des emplois liés à l'environnement et
à la dépollution.
La migration vers le secteur marchand des activités nouvelles rentables
qui viendraient à être créées durablement doit
être organisée pour s'assurer que le secteur non marchand ne
conserve pas indûment dans son périmètre des
activités qui seraient mieux exercées par le secteur
concurrentiel sans recours massif aux fonds publics. Pour s'assurer du respect
de ce principe de saine gestion et préparer au plus tôt la
pérennisation des activités, la commission des affaires sociales
propose qu'au terme de la deuxième année de chaque convention
signée par l'Etat, une commission établisse un bilan annuel de
l'emploi créé, de sa rentabilité, de ses perspectives et
puisse autoriser ou exiger une migration anticipée de l'emploi et du
marché correspondant vers le secteur privé, à travers le
cas échéant la création d'une entreprise. L'employeur
privé qui prendrait la suite du secteur public et non marchand devrait
pouvoir bénéficier d'une aide d'une durée proportionnelle
au reste du contrat à courir sous la forme d'une subvention ou d'un
allégement de charges.