B. UN RÔLE DONT L'INTÉRÊT DEVRA SE CONFIRMER DANS LES ANNÉES À VENIR
Même si l'expérience de l'Unité "drogues" Europol (UDE) s'est révélée positive, les incertitudes sur le rôle et l'identité d'Europol n'ont pas toutes été levées.
1. Le bilan positif de l'Unité "drogue" Europol
Sans doute Europol peut-il se prévaloir des résultats satisfaisants de L'Unité "drogues" Europol. L'UDE. a été créée à la suite d'un accord signé par les ministères de la justice et de l'intérieur à Copenhague, le 2 juin 1993.
a) Le rôle
La mission de l'UDE a été étroitement
encadrée par l'accord ministériel. Trois traits principaux la
caractérisent :
- l'Unité n'a pas de compétence opérationnelle mais a pour
objectif d'aider la police à lutter plus efficacement contre le trafic
de stupéfiants à l'intérieur des Etats membres et entre
eux, en favorisant l'échange d'informations ;
- les officiers de liaison envoyés par chaque Etat agissent " dans
le respect de leurs lois nationales et des instructions données par
leurs ministres compétents " ;
- aucune donnée personnelle n'est stockée par l'Unité au
niveau central, automatiquement ou par d'autres moyens.
Des trois traits constitutifs de l'UDE, cette limitation, seule, n'est pas
retenue dans l'architecture d'Europol : elle pourra donc être
écartée après la ratification de la convention.
Le champ d'intervention de l'UDE, d'abord limité à la drogue, a
été ensuite étendu successivement au trafic illicite de
matières radioactives et nucléaires, à la
criminalité liée aux filières d'immigration clandestine,
au trafic des véhicules volés et au blanchiment de capitaux
liés à ces activités puis à la traite des
êtres humains par les actions communes du 10 mars 1995 et du 16
décembre 1996.
A la suite d'un compromis intervenu lors du Conseil européen de
Bruxelles, le siège de l'UDE a été fixé à La
Haye.
L'Unité comprend aujourd'hui un conseil de direction, 33 officiers de
liaison nationaux, 4 criminologues, 5 informaticiens, une "division du
personnel/planification et développement" et, enfin, un groupe de
soutien du pays d'accueil -soit 9 personnes en charge des questions
administratives et 15 agents de sécurité. En outre, une
équipe d'analystes apportent leur concours aux officiers de liaison.
b) L'activité
Les opérations de renseignement et de coordination
à la demande des Etats membres ont augmenté de près de 50
% entre 1995 et 1996 (de 1400 à 2000). La France recourt elle-même
de plus en plus souvent à l'UDE comme l'atteste le nombre de dossiers
traités (452 en 1996 contre 310 en 1995) et de messages
échangés (3750 en 1996 contre 2800 en 1995).
Malgré l'extension des missions assignées à Europol, la
lutte contre le trafic de stupéfiants représentait, en 1996, 66 %
des dossiers traités (cette part s'établit à 13 % pour le
blanchiment d'argent sale, à 13 % pour l'immigration clandestine et le
trafic d'êtres humains, à 8 % pour le trafic de voitures
volées et à 0,1 % pour le trafic de matières radioactives
et nucléaires). Au-delà de ces chiffres, quelques exemples
concrets témoignent de l'activité d'Europol. En avril 1997,
soixante-huit personnes ont été arrêtées
simultanément dans douze villes de cinq pays de l'Union (Italie,
Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Espagne). Ce coup de filet représente
le dénouement d'une enquête de deux ans au cours de laquelle les
policiers des cinq Etats ont remonté ensemble la filière -et
saisi 700 kg de hachisch à Malaga avant d'arrêter les
commanditaires du réseau.
Dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine, la coordination
conduite sous l'égide de l'UDE a permis le démantèlement
d'une filière clandestine aux nombreuses ramifications : des clandestins
asiatiques étaient transportés jusqu'en Russie ou en Pologne puis
en Belgique et aux Pays-Bas, avant d'être conduits par avions
privés jusqu'au Royaume-Uni... Cette enquête n'a pas seulement
été couronnée de succès : elle a également
permis la mise au point de techniques de travail en commun entre les services
chargés de l'immigration clandestine.
En outre, l'UDE procède à plusieurs études : la situation
des drogues et du trafic au niveau de l'Union européenne, le trafic de
drogue par les organisations criminelles turques, les conditions de circulation
de l'ectasy, etc.
Nul ne saurait contester l'intérêt d'une coopération
policière. Toutefois, au cours des dernières années, de
nombreuses initiatives ont été prises dans ce domaine et Europol
doit pouvoir démontrer, dans un contexte de foisonnement institutionnel,
son intérêt et sa spécificité.
2. Une mission difficile
a) Les risques de concurrence avec d'autres structures
La multiplication des enceintes dévolues à la
coopération policière conduit à s'interroger sur la
justification d'une nouvelle structure comme Europol.
En effet, pour se borner au seul domaine de la lutte contre le trafic de
stupéfiants, il convient de relever l'existence du Comité
européen de lutte anti-drogue (CELAD), du sous-groupe TREVI
"Stupéfiants", du sous-groupe drogue du groupe d'assistance mutuelle
(GAM), ainsi que de l'Observatoire européen des drogues et des
toxicomanies mis en place par un règlement du Conseil du 8
février 1993. Cette dernière institution, en particulier, a
été chargée de fournir aux Etats membres de l'Union
européenne des "informations objectives, fiables et comparables au
niveau européen sur le phénomène des drogues et des
toxicomanies et leurs conséquences". Un risque de concurrence existe
entre l'Observatoire et l'UDE : ainsi l'Unité Europol soucieuse de
disposer d'un indicateur de l'utilisation des drogues, a constitué un
système de surveillance du prix de la drogue en Europe dont l'initiative
aurait pu aussi bien revenir à l'Observatoire.
De façon plus générale, la coopération
policière constitue l'un des volets essentiels de la convention
d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990. Certes, les Etats
membres d'Europol ne recouvrent pas l'"espace Schengen". La principale
différence tient cependant aujourd'hui dans l'utilisation des
données informatiques. Le système informatique Schengen constitue
un "fichier de référence" : les données stockées ne
sont pas susceptibles de modifications liées à l'introduction de
nouvelles informations par les autres Etats. En revanche, dans le
système Europol, les informations apportées par les Etats membres
se complètent et se modifient pour générer de nouvelles
données. Il importe de souligner au chapitre des relations entre Europol
et Schengen que la convention Europol interdit toute connexion entre le
système d'Europol et d'autres systèmes.
Enfin, la question de la nécessité d'Europol se pose
également par rapport à l'Organisation internationale de police
criminelle (Interpol). Interpol a en effet pour mission "d'assurer et
développer l'assistance réciproque la plus large de toutes les
autorités de police criminelle" et "d'établir et de
développer les institutions capables de contribuer efficacement à
la prévention et à la répression des infractions de droit
commun".
Sans doute la mention des "infractions de droit commun" apporte des
limitations
à l'action d'Interpol en matière de lutte contre le terrorisme. A
l'inverse, la compétence d'Interpol s'étend à l'ensemble
des crimes et délits qu'ils soient ou non le fait d'une organisation
structurée. Toutefois le risque de double emploi existe dans les autres
domaines.
Certes, Interpol qui regroupe 174 Etats ne permet pas de faire valoir une
spécificité européenne. Cependant Interpol, dont le
siège est installé à Lyon, demeure centré sur
l'Europe -près de 80 % des demandes d'information émanent d'Etats
européens-. En outre, dans un souci de plus grande efficacité,
Interpol a renforcé la dimension régionale de son activité
: création d'un comité technique européen d'Interpol,
devenu en 1991 "Comité européen d'Interpol", institution d'un
"secrétariat régional européen" au sein du
secrétariat général d'Interpol en 1986.
En fait, l'ouverture d'Interpol à un nombre excessif d'Etats et
notamment à des pays considérés comme
"indésirables" semble avoir déterminé les Etats
européens à opter pour une nouvelle structure.
La création d'Europol ne résulte pas seulement d'une
nécessité pressante. Elle traduit également les
difficultés de la coopération policière dans le cadre des
structures existantes. Et, comme souvent en pareil cas, la recherche de
solution a conduit non pas à réduire le nombre des organisations
existantes, mais à ajouter une nouvelle structure à une
architecture passablement complexe.
Il faut donc espérer qu'Europol puisse, mieux que les institutions
précédentes, surmonter les faiblesses de la coopération
policière. Ces difficultés s'expliquent en partie par la
différence de vues sur les questions de sécurité entre
Etats européens comme l'atteste à sa manière
l'hétérogénéité du ratio de policier par
habitant dans les Etats de l'Union (la moyenne s'établit à un
policier pour 257 habitants avec des extrêmes de 1 pour 191 habitants en
Italie et 1 pour 499 au Danemark).
La coopération policière se heurte également à la
lenteur de progrès de la coopération judiciaire.
b) Une coopération judiciaire insuffisante
Comme le soulignait notre collègue M. Paul Masson, "la
progression du narco trafic en Europe (...) justifie la mise en place d'un
nouvel organe de coopération policière à la condition que
les politiques de répression des Etats convergent"
1(
*
)
.
Or la coopération judiciaire avance à pas comptés. Certes,
le Conseil d'Amsterdam a approuvé un plan d'action pour renforcer la
lutte contre la criminalité organisée. Toutefois ce plan ne
présente aucun caractère contraignant. Les conclusions d'une
réunion des ministères de l'intérieur et de la justice des
Quinze, tenue à Luxembourg le 28 avril 1997, apparaissent significatives
à cet égard : si elles prônent le renforcement de la
coopération pratique elles se limitent à recommander "si c'est
nécessaire, un certain degré de rapprochement des
législations nationales".
Comme le soulignait M. Pierre Fauchon dans un récent rapport de la
Délégation du Sénat pour l'Union
européenne
2(
*
)
, aucune des
conventions signées sous les auspices du Conseil (convention
d'extradition simplifiée du 10 mars 1995, convention d'extradition entre
les Etats membres de l'Union européenne du 27 septembre 1996) n'a
d'effet contraignant faute d'une ratification par l'ensemble des Etats membres.
Nous sommes loin aujourd'hui de l'"espace judiciaire européen"
appelé de leurs voeux par certains. La coopération judiciaire
constitue pourtant le complément nécessaire de la
coopération policière. En outre, à terme, le
développement d'Europol ne saurait se concevoir sans un renforcement du
contrôle des autorités judiciaires sur les activités
liées à la coopération policière.