Rapport n°417 - Projet de loi relatif à l'inscription d'office des personnes âgées de dix-huit ans sur les listes électorales
M. Chrisitan BONNET, Sénateur
Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - Rapport n° 417 - 1996-1997
Table des matières
-
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
- I. L'OBJECTIF DU PROJET DE LOI
- II. LES MODALITÉS DE L'INSCRIPTION D'OFFICE
- III. LES RÉSERVES TENANT À L'OBLIGATION DE VERIFIER SI LES JEUNES À INSCRIRE REMPLISSENT BIEN LES CONDITIONS REQUISES POUR ÊTRE ÉLECTEUR
- IV. INSCRIRE D'OFFICE DE NOUVEAUX ÉLECTEURS NE GARANTIT PAS UNE PARTICIPATION ÉLECTORALE SENSIBLEMENT PLUS ÉLEVÉE
- V. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
- VI. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : LIER DANS UN SOUCI DE SIMPLIFICATION LA MISE EN UVRE DU PROJET DE LOI À LA GÉNÉRALISATION POUR LES NATIONAUX DES DEUX SEXES DU RECENSEMENT EN VUE DU SERVICE NATIONAL
N° 417
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1996-1997
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 septembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi relatif à l'inscription d'office des personnes âgées de dix-huit ans sur les listes électorales (urgence déclarée),
Par M. Christian BONNET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès,
vice-présidents
; Michel Rufin,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Michel
Charzat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt,
Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel
Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud
,
Georges
Othily, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir le numéro
:
Sénat
:
408
(1996-1997).
Elections et référendums.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie le 16 septembre 1997 sous la présidence
de M. Jacques Larché, Président, votre commission des Lois a
examiné, sur le rapport de M. Christian Bonnet, le projet de loi n°
408 (1997-1998) relatif à l'inscription d'office des personnes
âgées de dix-huit ans sur les listes électorales.
· Ce projet de loi prévoit l'inscription d'office des jeunes gens
atteignant leur majorité sur la liste électorale de la commune
où ils ont leur domicile réel.
Cette mesure, conçue pour encourager la participation des jeunes
à la vie civique, répond au souhait exprimé par le Chef de
l'Etat le 10 mars 1997 et à un engagement pris par le Premier ministre
lors de sa déclaration de politique générale le
19 juin 1997.
Techniquement, l'inscription serait réalisée à partir des
renseignements tirés du fichier du recensement en vue du service
national et des fichiers des organismes servant les prestations de base des
régimes obligatoires de sécurité sociale.
Les communes seraient informées par l'INSEE de l'identité des
jeunes susceptibles d'être inscrits d'office, à charge pour elles
de vérifier que tous remplissent bien les conditions légales -de
nationalité, en particulier- pour pouvoir être inscrits.
· Le rapporteur a considéré que si cette mesure ne
soulevait pas de problème juridique particulier, sa mise en oeuvre
risquait en revanche d'être très complexe et assez
aléatoire, faute d'un fichier permettant d'identifier à coup
sûr tous les jeunes Français de dix-huit ans.
Il a d'autre part souligné que cette procédure alourdirait
sensiblement les tâches des commissions administratives et des services
municipaux.
Il a enfin craint qu'elle n'ait qu'une faible incidence sur la participation
électorale des jeunes, l'accroissement du nombre des inscrits pouvant
avoir pour conséquence une augmentation du taux d'abstention.
En dépit de ces difficultés, le rapporteur n'a pas jugé
souhaitable de s'opposer à une mesure pouvant contribuer à
éveiller l'esprit civique chez certains jeunes.
· Votre commission des lois a engagé une discussion très
approfondie sur ce projet de loi.
Sans rejeter le principe de l'inscription d'office des jeunes majeurs, elle a
considéré que le mécanisme proposé était
très complexe, peu fiable, et alourdirait très sensiblement les
tâches des maires et des commissions administratives.
Elle a constaté que la limite du système résidait pour le
moment dans l'absence d'un fichier unique et suffisamment exploitable :
- le fichier du rencensement ne mentionne certes que des Français, mais
ne concerne encore que les jeunes de sexe masculin ;
- les fichiers de la sécurité sociale, nécessaires pour
identifier les jeunes filles, sont lacunaires, comportent des doublons et
surtout ne font pas état de leur nationalité.
Le recensement des jeunes filles étant envisagé dans le cadre de
la réforme du service national, il lui a paru préférable
de fixer l'entrèe en vigueur de la loi au jour où les nationaux
des deux sexes seront soumis à l'obligation de recensement.
En conséquence, votre commission des Lois a adopté l'article
premier du projet de loi et a confié à son rapporteur le soin de
lui soumettre, lors de la réunion consacrée à l'examen des
amendements extérieurs, un dispositif tendant, d'une part, à
éviter le recours aux fichiers de la sécurité sociale,
d'autre part, à fixer l'entrée en vigueur de la loi à
compter du jour où les nationaux des deux sexes seraient soumis à
l'obligation de recensement.
Mesdames, Messieurs,
Lors d'une intervention télévisée en direct depuis la
Cité des métiers du Parc de la Villette, le 10 mars 1997, le
Président de la République, M. Jacques Chirac, a
envisagé la possibilité d'instituer un mécanisme
d'inscription automatique des jeunes gens sur les listes électorales.
Interrogé sur les mesures à prendre pour que les jeunes
"
puissent se sentir un peu plus concernés par la vie de la
cité
", le Président de la République avait
répondu en ces termes :
"
Il faut d'abord se sentir motivé, je veux dire avoir l'esprit
civique, voter. A ce propos, je voudrais vous dire quelque chose : je suis
frappé de voir que bien des jeunes, notamment dans beaucoup de banlieues
ou de quartiers moins favorisés, ne votent pas pour une raison simple :
c'est qu'ils n'ont pas de carte d'électeur, et ils ne l'ont pas parce
qu'ils n'en font pas la demande, naturellement. Et ce n'est pas bien. C'est la
raison pour laquelle j'ai demandé au Gouvernement, j'ai demandé
cela tout récemment d'ailleurs au ministre de l'Intérieur, de
mettre à l'étude la possibilité pour les jeunes
d'être systématiquement, automatiquement inscrits, sur les listes
électorales, et donc de recevoir automatiquement leur carte
électorale.
".
Le nouveau Premier ministre, M. Lionel Jospin, a également
annoncé le dépôt d'un projet de loi à ce sujet lors
de la déclaration de politique générale du Gouvernement,
lue au Sénat le 19 juin 1997 :
"
Faire participer les jeunes, en particulier les jeunes des
quartiers,
à la vie démocratique représente un enjeu d'une
particulière importance. L'inscription de chaque citoyen sur les listes
électorales sera rendue automatique l'année de sa
majorité
".
Le projet de loi (n° 408) inscrit à l'ordre du jour de la
présente session extraordinaire a précisément pour objet
de permettre l'inscription d'office des personnes atteignant dix-huit ans sur
les listes électorales.
I. L'OBJECTIF DU PROJET DE LOI
A. L'INSCRIPTION AUTOMATIQUE DES JEUNES MAJEURS SUR LES LISTES ÉLECTORALES : UNE MESURE D'INCITATION À L'EXERCICE DU DROIT DE VOTE
A l'heure actuelle, l'inscription sur les listes
électorales est régie par trois principes de base :
1. L'inscription sur les listes électorales est obligatoire
,
ainsi que le prévoit l'article L.9 du code électoral ;
2. Nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes
électorales
(article L.10) ;
3. L'inscription n'est pas automatique ; elle suppose une demande de
l'intéressé
(article L. 11, alinéa premier).
Sauf cas particuliers (les Français de l'étranger, les mariniers,
les militaires, etc.), l'électeur peut formuler sa demande d'inscription
:
- dans la commune où il a son domicile réel ou bien y habite
depuis six mois au moins,
- dans la commune où il figure pour la cinquième fois sans
interruption, l'année de sa demande, au rôle d'une des
contributions directes communales et, s'il n'y réside pas, a
déclaré vouloir y exercer ses droits électoraux,
- dans la commune où il est assujetti à une résidence
obligatoire en qualité de fonctionnaire public.
Ainsi, l'inscription sur les listes électorales est une obligation
-même si la loi n'en sanctionne pas l'inobservation- mais c'est à
l'électeur et non à la collectivité, qu'il appartient d'y
satisfaire par le dépôt d'une demande.
Or, l'expérience démontre que trop de Français
négligent ou s'abstiennent intentionnellement de demander leur
inscription sur les listes électorales,
ce phénomène
ne touchant d'ailleurs pas uniquement les jeunes gens parvenant à leur
majorité.
L'absence de participation aux élections revêt différentes
formes.
Si l'abstentionnisme proprement dit (c'est-à-dire la non participation
d'électeurs dûment inscrits à telle ou telle consultation
électorale) et le vote blanc sont bien quantifiés, le
phénomène de la non-inscription demeure statistiquement mal
connu, les études conduites à ce sujet depuis une dizaine
d'années le situant aux alentours de 10 % de l'ensemble de la
population en âge de voter.
Pour être approximatifs, ces pourcentages n'en existent pas moins. Ils
révèlent que la non-inscription sur les listes électorales
est un phénomène d'envergure auquel les pouvoirs publics ne
peuvent rester insensibles.
La non-inscription sur les listes électorales résulte de facteurs
très divers, comme le refus de principe du système des
élections, l'indifférence pure et simple, la négligence,
le manque d'information sur les formalités à accomplir, etc.
Trop souvent, cette sorte d' " auto-exclusion civique " est
aussi le
prolongement d'une situation d'exclusion sociale. Tel est notamment le cas de
beaucoup de personnes en situation de grande précarité ou sans
domicile fixe, pour qui voter ne représente pas une priorité (il
est vrai qu'à l'inverse, quand elles en expriment l'intention, les
personnes sans domicile fixe rencontrent de réelles difficultés
pour exercer normalement leurs droits civiques, comme le Médiateur de la
République l'a souligné à plusieurs reprises).
C'est pour tenter de remédier -au moins partiellement- à cet
état de fait peu satisfaisant que le projet de loi soumis à
l'examen du Sénat propose d'instituer un mécanisme d'inscription
d'office, qui dispenserait les jeunes gens parvenus à l'âge de la
majorité d'avoir à formuler une demande pour pouvoir être
inscrits.
D'après l'étude d'impact réalisée par le
ministère de l'intérieur, la procédure d'inscription
d'office concernerait environ 750 000 personnes chaque année,
soit à peu près 2 % des électeurs inscrits
(évalués à 38 344 000 en février 1997).
Sur le plan des principes, à une époque où l'on
déplore à juste titre la trop fréquente
indifférence des citoyens -les jeunes, notamment- envers la vie de la
cité, une mesure de nature à favoriser la participation
électorale ne peut qu'être,
a priori
,
considérée avec intérêt.
Reste à s'interroger sur la compatibilité du système
proposé avec les principes régissant notre droit
électoral, sur les modalités pratiques de cette inscription
d'office, enfin sur les effets réels qu'on peut en attendre.
B. JURIDIQUEMENT, UNE TELLE PROCÉDURE EST-ELLE POSSIBLE ?
La mise en place d'une procédure d'office sur les listes électorales les électeurs légalement susceptibles d'y figurer ne représenterait pas un bouleversement juridique, d'autant qu'une procédure de ce type a existé dans notre droit électoral jusqu'en 1975.
1. Le retour, dans une certaine mesure, à la situation antérieure à 1975
· Avant l'entrée en vigueur de la loi n°
75-1329 du 31 décembre 1975, les commissions administratives avaient en
effet la faculté de procéder à l'inscription d'office des
personnes remplissant les conditions légales pour être
électeur dans la commune.
Cette procédure d'inscription d'office avait néanmoins
révélé plusieurs inconvénients, en particulier le
risque avéré des doubles -voire des triples- inscriptions, sans
même évoquer les cas de fraude électorale que cette
pratique pouvait favoriser.
C'est pourquoi le législateur de 1975 a modifié le dispositif
antérieur, en subordonnant désormais l'inscription de
l'électeur à une demande expresse de celui-ci.
Afin de prévenir les doubles inscriptions résultant d'une
manoeuvre frauduleuse, l'article L. 86 du code électoral punit d'un an
d'emprisonnement et d'une amende de 100 000 francs toute personne qui aura
réclamé et obtenu son inscription sur deux ou plusieurs listes.
· En pratique, le projet de loi propose d'en revenir à la
situation d'avant 1975, mais seulement en ce qui concerne les jeunes gens ayant
atteint leur majorité depuis la dernière clôture des listes
ou qui doivent l'atteindre avant la prochaine clôture de ces listes.
Le projet de loi entoure par ailleurs ce régime de garanties qui
n'existaient pas avant 1975, puisque l'inscription s'effectuera -non pas
à l'initiative discrétionnaire des commissions administratives-
mais d'après des renseignements nominatifs collectés dans des
fichiers administratifs et transmis aux communes par l'Institut national de la
Statistique et des Etudes économiques (INSEE).
Par ailleurs, la nouvelle procédure ne se substituerait pas à
celle de l'inscription sur demande de l'électeur, qui doit être
préservée pour deux raisons évidentes :
- tout d'abord, l'inscription d'office ne s'appliquerait qu'aux nouveaux
majeurs, donc à des personnes qui, par définition, n'ont pu
figurer jusque-là sur aucune autre liste électorale.
Or, tous les autres électeurs qui, pour une raison ou une autre, ne sont
pas inscrits sur les listes électorales, doivent pouvoir conserver la
possibilité de demander à y figurer. D'où la
nécessité de maintenir la procédure d'inscription sur
demande, telle qu'elle est prévue par l'article L. 11, alinéa
premier, du code électoral ;
- en second lieu, pour des motifs de simplicité, il est prévu que
le jeune majeur serait inscrit d'office sur la liste de la commune où
les fichiers administratifs de la sécurité sociale et du
recensement en vue du service national mentionnent qu'il a son domicile
réel.
Pour autant, on peut très bien concevoir que ce jeune majeur
préfère voter, non pas dans cette commune, mais dans telle ou
telle autre, où il serait légalement fondé à
demander son inscription (au titre d'une résidence d'au moins six mois,
ou parce qu'il y serait contribuable local). Il est donc indispensable
qu'à leur demande, les jeunes gens puissent être inscrits dans une
autre commune que celle de leur domicile réel s'ils remplissent les
conditions légales exigées à cet effet.
Le projet de loi prévoit donc que le nouvel article L. 11-1 s'applique
"
sans préjudice de l'application des dispositions de l'article
L. 11
", c'est-à-dire de l'article régissant
l'inscription effectuée à la demande de l'électeur.
2. la formule proposée par le projet de loi ne paraît pas soulever de difficulté d'ordre constitutionnel
Lors de l'annonce du dépôt du projet de loi, des
interrogations sur la constitutionnalité du mécanisme ont pu
être exprimées çà ou là. Sans en
méconnaître la légitimité, il apparaît
à l'examen que la mesure proposée ne se heurterait pas à
un obstacle constitutionnel manifeste.
· L'article 3, dernier alinéa, de la Constitution, dispose en
effet que "
sont électeurs, dans les conditions
déterminées par la loi, tous les nationaux français
majeurs des deux sexes, jouissants de leurs droits civils et
politiques
".
La qualité d'électeur étant constitutionnellement reconnue
aux majeurs français jouissant de leurs droits civils et politiques,
l'inscription sur la liste électorale ne confère donc pas cette
qualité : elle représente seulement la formalité
imposée pour pouvoir exercer effectivement le droit de vote dans une
commune donnée. Pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel
(dans sa décision du 9 mai 1991, à propos,
précisément, de la refonte générale des listes
électorales en Corse), l'inscription sur une liste électorale est
susceptible "
d'affecter le lieu d'exercice du droit de
vote
"
mais "
pas cet exercice lui-même
".
N'étant pas de nature à entraver l'exercice du droit de vote, la
mesure proposée restera donc sans incidence sur la qualité
d'électeur telle que définie par la Constitution.
Par ailleurs, le projet de loi n'impose pas d'obligation nouvelle aux
électeurs, puisque l'inscription sur les listes électorales est
déjà obligatoire.
Bien entendu, le projet de loi n'a pas pour objet et n'aura pas pour effet de
rendre le vote obligatoire mais, simplement, d'en faciliter l'exercice en
dispensant les nouveaux électeurs de formalités avant tout
administratives.
Sur tous ces points, le projet de loi ne semble pas encourir de grief d'ordre
constitutionnel.
· On pourrait également s'interroger sur le fait que
l'inscription d'office ne concernera que les seuls jeunes majeurs,
établissant ainsi une différence de traitement au sein de
l'ensemble des électeurs.
Cette différence de traitement ne paraît cependant pas contraire
au principe d'égalité, car selon la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, le législateur est fondé à traiter
différemment des situations différentes, à condition que
cette différence de traitement ne soit pas contraire à l'objectif
de la loi qui l'établit.
Or le fait d'acquérir pour la première fois la qualité
d'électeur en atteignant sa majorité représente bien une
situation particulière pouvant justifier un traitement
spécifique. Ce traitement spécifique serait quant à lui
conforme à l'objectif de la loi, à savoir faciliter la
participation électorale des nouveaux électeurs.
Cette différence de traitement au sein du corps électoral
s'atténuera d'ailleurs progressivement, et finira par disparaître
lorsqu'au fil des années, tous les électeurs auront pu
bénéficier de l'inscription d'office dès leur
majorité.
II. LES MODALITÉS DE L'INSCRIPTION D'OFFICE
· Simple dans son principe, l'inscription d'office des
jeunes majeurs n'est cependant pas sans soulever un certain nombre de
difficultés juridiques et pratiques pouvant être regroupées
sous trois rubriques :
1. L'identification des jeunes gens devant atteindre leur majorité dans
la période considérée, c'est-à-dire entre le 1er
mars de l'année précédente et le dernier jour du mois de
février suivant.
2. La ventilation des nouveaux électeurs sur les listes des
différentes communes, sur la base d'un critère donné. En
l'occurrence, le projet de loi propose de retenir comme critère le
domicile réel, sauf pour les intéressés à demander
leur inscription dans une autre commune en application de l'article L. 11 du
code électoral.
3. La vérification qu'ils remplissent bien les conditions légales
-de nationalité, en particulier- pour pouvoir être inscrits sur
les listes électorales.
· Par ailleurs, l'allégement des formalités
imposées aux jeunes électeurs ne doit pas avoir pour contrepartie
un alourdissement excessif des tâches des commissions administratives et
des services municipaux, notamment dans les villes où, au-dessus d'une
certaine population, il devient très difficile -pour ne pas dire
impossible- d'identifier tous les jeunes gens sur le point d'atteindre dix-huit
ans.
L'expérience avant 1975 a d'ailleurs montré les limites d'un
système où les commissions administratives procédaient
à des inscriptions d'office à partir des seules informations
collectées par les mairies.
· Enfin, le système reposant essentiellement sur l'exploitation
de fichiers informatisés, il convient de l'entourer de toutes les
garanties prévues en cette matière par la législation,
sous le contrôle de la commission nationale de l'informatique et des
libertés (CNIL).
A cet effet, le dernier alinéa de l'article 2 du projet de loi
prévoit que les informations nominatives réunies et
échangées en vue de l'inscription d'office seraient soumises
à la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux
fichiers et aux libertés.
A. L'IDENTIFICATION DES JEUNES GENS SUR LE POINT D'ATTEINDRE LEUR MAJORITÉ
· A défaut d'un fichier national qui permettrait
de connaître à un moment donné l'ensemble des jeunes gens
de nationalité française devant atteindre la majorité, le
projet de loi propose d'exploiter les renseignements contenus dans plusieurs
fichiers existants, assez vastes pour couvrir la majeure partie de la
population concernée :
- Le fichier du recensement établi en application du code du service
national.
Ce fichier, sur lequel les jeunes gens de sexe masculin sont tenus de
s'inscrire à dix-sept ans, est considéré comme fiable et
très complet, le taux des non-rencensements demeurant inférieur
à environ 3 %. Ce fichier offre en outre l'avantage de ne comporter
que des nationaux, ce qui facilitera d'autant, en aval, les
vérifications de nationalité des personnes concernées (la
participation volontaire de jeunes étrangers au recensement valant
manifestation de volonté au sens de l'article 21-7 du code civil).
Mais pour l'heure, le fichier du recensement ne concerne encore que les
garçons, et ne peut donc permettre l'identification que d'environ
50 % d'une classe d'âge.
- Les fichiers des organismes servant les prestations de base des
régimes obligatoires d'assurance maladie, considérés -avec
celui du recensement- comme les outils les plus fiables pour appréhender
une population statistique donnée.
Cette fiabilité n'est pourtant que toute relative, car d'après
les indications recueillies par votre rapporteur, les fichiers de
sécurité sociale sont à la fois lacunaires (ils recensent
tous les affiliés principaux mais pas tous les ayants-droit) et
redondants (ils comportent environ 20 % de doublons), ce qui impliquerait
à la fois de les compléter et de les " nettoyer " pour
rendre le système totalement sûr.
On aurait certes pu envisager de collecter les informations contenues dans de
nombreux autres fichiers administratifs (les fichiers scolaires et
universitaires, etc.) mais d'après les informations recueillies par
votre rapporteur, ces fichiers sont tous trop parcellaires pour être
utilement exploitables. D'autre part, s'agissant de données nominatives
et de fichiers informatisés, il importe de ne pas trop atomiser les
procédures, afin d'en préserver la fiabilité et la
confidentialité.
Les informations ne seront pas transmises directement aux communes, mais
à l'INSEE, déjà chargé par l'article L. 37 du code
électoral de tenir un fichier général des électeurs
et électrices en vue du contrôle des inscriptions sur les listes
électorales (la circulaire n° 80-108 du 18 mars 1980 définit
très précisément les procédures mises en oeuvre
à cette fin et devra, le moment venu, être complétée
pour tenir compte de la présente loi).
·
La principale question à ce propos réside dans la non
exhaustivité du système,
car en dépit de toutes les
précautions, il est inévitable qu'un certain nombre de jeunes
devant atteindre 18 ans ne soient pas répertoriées dans les
fichiers en question (les jeunes gens ayant échappé au
recensement ou ceux qui s'y soustraient intentionnellement et les jeunes gens
et jeunes filles non affiliés à un régime de
sécurité sociale), ou bien soient répertoriés sous
telle ou telle mention inexacte interdisant leur identification (une erreur sur
l'année ou le mois de naissance, par exemple).
Le risque, en l'occurrence, est que ces jeunes majeurs, informés de la
création d'une nouvelle procédure d'inscription d'office, soient
en toute bonne foi persuadés d'être inscrits et se
présentent au bureau de vote de leur domicile lors de la plus prochaine
élection. Il est vrai que le fait de ne pas avoir reçu leur carte
d'électeur devrait théoriquement avoir éveillé leur
attention. Mais on ne saurait leur reprocher de n'avoir pas réagi, ne
serait-ce que parce qu'un jeune venant d'atteindre sa majorité et votant
pour la première fois n'est pas encore accoutumé à toutes
ces procédures.
Pour remédier à ce problème, on aurait pu songer
à introduire dans la présente loi un " mécanisme de
rattrapage " permettant d'inscrire hors-délai de révision
les personnes venant d'atteindre dix-huit ans mais n'ayant pas
bénéficié de l'inscription d'office. Mais ce dispositif
pourrait se révéler complexe et poser de réelles
difficultés aux commissions administratives, surtout si -comme on peut
le supposer- l'omission n'est constatée que le jour du scrutin. Il
pourrait de surcroît accroître le nombre des contentieux.
Dans ces conditions, il paraît préférable de ne pas
légiférer, tout en tentant, à chaque fois que possible, de
régler la difficulté en se référant aux
dispositions existantes.
L'article L. 34 du code électoral, en particulier, permet
déjà au juge du tribunal d'instance, directement saisi, de
statuer "
jusqu'au jour du scrutin sur les réclamations des
personnes qui prétendent avoir été omises sur les listes
électorales par suite d'une erreur purement
matérielle
". Si la réclamation est prise en
considération par le juge, l'électeur est admis à
participer au scrutin. Votre rapporteur estime que, sous le contrôle du
juge, cette disposition devrait pouvoir être appliquée avec assez
de souplesse pour pouvoir être invoquée utilement par les jeunes
majeurs qui auraient échappé à l'inscription automatique
pour un motif ne leur étant pas directement imputable (tel ne serait pas
le cas, en revanche, si l'intéressé s'est
délibérément soustrait à l'obligation de
recensement).
B. LE LIEU DE L'INSCRIPTION D'OFFICE : LA COMMUNE OÙ LE JEUNE MAJEUR EST CENSÉ AVOIR SON DOMICILE RÉEL
· Comme l'indique l'exposé des motifs, l'article
premier du projet de loi "
retient comme lieu d'inscription
d'office la
commune du domicile réel de la personne concernée
",
tout en réservant le cas où celle-ci souhaiterait s'inscrire
ailleurs.
Techniquement, ce choix du domicile réel était sans doute le seul
possible, mais rien n'indique qu'il correspondra dans tous les cas au souhait
de l'électeur.
D'autre part, la notion du " domicile " mentionné dans les
fichiers peut différer de celle de " domicile réel " au
sens de l'article L. 11 du code électoral, entendu par la jurisprudence
comme "
le lieu du principal établissement
".
Il est vrai que, selon cette jurisprudence, le jeune atteignant sa
majorité est réputé avoir le domicile de ses parents
"
à moins qu'il n'ait établi son domicile
ailleurs
". De surcroît, les électeurs concernés
auront toujours la faculté de faire valoir leur droit à
être inscrits dans une autre commune dans les conditions prévues
à l'article L. 11 du code électoral.
· A l'heure actuelle, les règles d'inscription et de radiation
sur les listes électorales ne sont pas toujours toutes bien connues, des
électeurs comme de beaucoup de praticiens, suscitant ainsi d'assez
nombreux contentieux.
Or, d'un point de vue pratique, la coexistence de deux procédures va
compliquer encore un peu plus cette matière, avec un risque non
négligeable d'erreurs pouvant générer des inscriptions
multiples et des contestations. Comme le relève fort lucidement
l'étude d'impact transmise par le Premier ministre au Président
du Sénat pour l'information des sénateurs :
"
L'ordonnancement juridique sera rendu plus complexe par une
mesure
qui crée une dérogation à une règle
générale qu'il convient de maintenir.
"
Au surplus, cette mesure générera inévitablement
des cas d'inscriptions multiples auxquels il faudra mettre fin par un recours
plus large aux procédures, elles-mêmes complexes, prévues
par les articles L. 36 à L. 40 du code électoral
".
III. LES RÉSERVES TENANT À L'OBLIGATION DE VERIFIER SI LES JEUNES À INSCRIRE REMPLISSENT BIEN LES CONDITIONS REQUISES POUR ÊTRE ÉLECTEUR
· D'après l'exposé des motifs du projet
de loi, "
il appartiendra à chaque commission administrative de
vérifier, à l'instar des contrôles effectués
actuellement pour l'examen des demandes d'inscription, que les
intéressés répondent effectivement aux conditions
prescrites par la loi pour être inscrits sur une liste
électorale
".
La circulaire n° 69-352 du 31 juillet 1969, modifiée, portant
instruction relative à la révision et à la tenue des
listes électorales, énumère les contrôles auxquels
les services municipaux et les commissions administratives peuvent
procéder pour s'assurer de la capacité électorale des
personnes ayant demandé leur inscription.
S'agissant de la nationalité, en particulier, la commission
administrative peut, en cas de doute, inviter le demandeur à faire la
preuve de sa qualité de Français en produisant, soit une carte
nationale d'identité en cours de validité, soit un certificat de
nationalité française (paragraphe 8 de l'instruction
susvisée).
La commission a également accès au casier judiciaire national
(paragraphe 59 de l'instruction) pour contrôler, s'il y a lieu, que le
demandeur n'a pas privé du droit de vote.
Toutes ces procédures ont naturellement vocation à être
mises en uvre lors de l'inscription automatique des jeunes majeurs.
A cet égard, on peut supposer que l'inscription des jeunes filles
à partir des fichiers de la sécurité sociale
nécessiterait plus de contrôles que celle des garçons
à partir du fichier du recensement, car ce fichier -contrairement
à ceux de la sécurité sociale- ne comportera que des
indications récentes (fournies par l'intéressé à
l'âge de 17 ans, donc l'année précédant son
inscription d'office). De plus, ce fichier ne recense que des nationaux.
·
Pour être nécessaire et inévitable, le
contrôle de la situation des jeunes électeurs n'en soulève
pas moins deux questions
.
Tout d'abord, on doit craindre un net alourdissement des tâches des
commissions administratives.
Dans le système actuel, en effet, l'obligation de formuler une demande
constitue en soi un " filtre " qui limite le nombre des
dossiers
soumis aux commissions administratives. En outre, lors du dépôt de
la demande, les services municipaux s'assurent que ces dossiers sont bien
complets. Désormais, ce filtre ne jouera plus, et les commissions
administratives devront vérifier, un à un, la capacité
électorale de tous les jeunes qui leur seront signalés comme
ayant leur domicile réel dans la commune.
Là encore, l'étude d'impact ne cache rien des problèmes
auxquels les commissions administratives risquent d'être
confrontées :
"
Si les formalités supportées par les jeunes
électeurs vont disparaître, celles mises à la charge des
administrations publiques vont nécessairement augmenter. De plus, les
commissions administratives et les mairies seront contraintes de mettre en uvre
les diligences indispensables à la connaissance des personnes
concernées.
"
L'étude d'impact reconnaît pareillement que les organismes
gestionnaires des fichiers d'origine (les organismes de sécurité
sociale, notamment) "
verront eux aussi de ce fait leurs tâches
habituelles alourdies
".
En second lieu, et sur un plan plus général, on pourrait trouver
singulier de dispenser les jeunes majeurs d'une formalité " en
amont " -la demande d'inscription- tout en les invitant,
" en
aval ", à déférer à de nouvelles
procédures de contrôle. Le principe d'automaticité ayant
guidé l'élaboration du projet de loi pourrait en paraître
quelque peu contredit.
IV. INSCRIRE D'OFFICE DE NOUVEAUX ÉLECTEURS NE GARANTIT PAS UNE PARTICIPATION ÉLECTORALE SENSIBLEMENT PLUS ÉLEVÉE
L'exposé des motifs du projet de loi indique qu'il
"
tend à faciliter, pour les plus jeunes électeurs,
l'exercice du droit de vote
".
Faut-il pour autant admettre qu'une procédure d'inscription d'office
serait en soi la meilleure garantie d'une participation électorale plus
élevée ?
A l'heure actuelle, l'inscription sur les listes électorales suppose
certes d'en faire la demande mais pour l'électeur, cette
formalité n'est, somme toute, ni longue ni compliquée. Elle est
même beaucoup plus rapide et plus simple que bien d'autres
démarches administratives.
Rien n'indique, à tout le moins, que l'obligation d'une demande soit la
cause première du manque d'intérêt de trop de nos jeunes
concitoyens pour la vie civique.
Inscrire d'office les jeunes majeurs sur les listes électorales pourra,
certes, éveiller cet intérêt chez certains, mais sans doute
pas chez tous. Une proportion d'entre eux, difficile à évaluer
pour le moment, passera donc de la catégorie des " électeurs
non inscrits " à celle des " abstentionnistes ".
Dans cette optique, le projet de loi pourrait produire trois effets
inattendus :
- un gonflement " arithmétique " du taux d'abstention ;
- un nombre plus élevé de seconds tours dans des circonscriptions
où un candidat aurait pourtant obtenu dès le premier tour la
majorité des suffrages exprimés ;
- un durcissement de fait du seuil de maintien des candidats au second tour, ce
seuil étant exprimé en pourcentage du nombre des inscrits.
A. LE RISQUE D'AUGMENTATION DE L'ABSTENTIONNISME
Le taux des abstentions -c'est-à-dire la proportion des
électeurs dûment inscrits qui ne participent pas à un
scrutin- varie beaucoup selon l'élection considérée et
selon la tranche d'âge des électeurs. Mais globalement,
l'abstentionnisme est assez élevé et marque une tendance à
la hausse depuis des années.
Pour en donner la mesure, on note que sur les quatre scrutins organisés
en 1995 (les deux tours des présidentielles et les deux tours des
municipales), près de 45 % des électeurs inscrits se sont
abstenus à au moins un des scrutins. Aux dernières
élections législatives, les résultats cumulés du
premier tour révèlent que 12,5 millions d'électeurs se
sont abstenus, soit 32,08 % du total des inscrits.
De surcroît, l'abstention est traditionnellement plus
élevée chez les jeunes électeurs que chez les personnes
plus âgées, même s'il est vrai qu'en contrepartie, la
participation électorale est plus forte dans les toutes premières
années de l'inscription qu'après 25 ans.
Or, par définition, les taux d'abstention sont exprimés par
rapport au nombre des personnes inscrites sur les listes électorales. Y
inscrire systématiquement les jeunes en âge de voter, sans
certitude quant à leur participation électorale effective, expose
donc au risque d'accroître les taux d'abstention.
B. UN POSSIBLE ACCROISSEMENT DU NOMBRE DES SECONDS TOURS
L'augmentation du nombre des inscrits, si elle ne trouve pas
sa contrepartie dans l'augmentation du nombre des votants, pourrait aussi
rendre plus nombreux les seconds tours dans des circonscriptions où les
candidats ont pourtant obtenus la majorité absolue des suffrages
exprimés.
En effet, dans les élections au scrutin majoritaire, il ne suffit pas
pour être élu d'avoir obtenu au premier tour la majorité
absolue des suffrages exprimés. Les candidats doivent aussi avoir
recueilli un nombre de suffrages égal au quart du nombre des
électeurs inscrits. Si cette deuxième condition n'est pas
remplie, il est procédé à un second tour (d'après
les renseignements recueillis par votre rapporteur, cette disposition a
joué au moins dans trois circonscriptions lors des dernières
législatives, et dans onze cantons lors du renouvellement des conseils
généraux de 1994).
Là encore, l'augmentation du nombre des inscrits résultant du
projet de loi relèvera dans la même proportion le nombre des
suffrages à réunir pour atteindre le quart des électeurs
inscrits. Cette mesure rendra donc plus difficile l'élection dès
le premier tour des candidats ayant pourtant obtenu la majorité absolue
des suffrages exprimés.
C. UN RELÈVEMENT " MÉCANIQUE " DU NOMBRE DES VOIX REQUISES POUR POUVOIR SE MAINTENIR AU SECOND TOUR
Pour pouvoir se maintenir au second tour de certaines
élections, les candidats doivent avoir obtenu au premier tour un nombre
de voix au moins égal à pourcentage donné du nombre des
électeurs inscrits : 12,5 % dans le cas des élections
législatives et 10 % lors des élections cantonales.
L'augmentation du nombre des inscrits, si elle n'a pas pour contrepartie une
augmentation corrélative du nombre des suffrages exprimés, aurait
donc pour effet " mécanique " de relever à due
concurrence le nombre des voix requises pour pouvoir se maintenir au second
tour.
En définitive, votre rapporteur n'a pu que constater les nombreuses
difficultés d'application du projet de loi. Néanmoins, il a
jugé difficile d'aplanir ces difficultés plus techniques que
juridiques.
Aussi, approuvant l'intention exprimée par le Président de la
République, et sous le bénéfice de ses propres
observations, a-t-il proposé d'adopter le projet de loi dans son
principe.
V. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
Votre commission des lois a engagé une discussion
très approfondie sur ce projet de loi.
M. André Bohl a fait part de sa perplexité face à ce
texte, signalant par exemple que dans sa commune de
8.000 électeurs, la mairie avait adressé
160 convocations aux jeunes gens de 17 ans soumis à
l'obligation de recensement, mais que 30 seulement avaient
spontanément déféré à cette convocation.
Il a d'autre part évoqué le problème des jeunes tombant
sous le coup d'une incapacité électorale entre leur recensement
et leur majorité.
Il a estimé que le plus simple serait de donner aux maires le pouvoir
d'inscrire d'office les jeunes gens de la commune, possibilité que
l'article L. 25 du code électoral réserve au préfet et au
sous-préfet.
M. Charles de Cuttoli, constatant que le projet de loi n'avait pas pu inclure
le cas des jeunes Français de l'étranger dans son champ
d'application en raison des conditions particulières de leur
inscription, a indiqué que le Gouvernement avait consulté le
Conseil supérieur des Français de l'étranger, lequel avait
demandé de les y inclure selon les formes appropriées en les
inscrivant d'office sur les listes des centres de vote à
l'étranger.
Il a néanmoins jugé impossible de leur appliquer telles quelles
les dispositions du projet de loi, du fait de la spécificité des
règles régissant le vote des Français établis hors
de France, certaines d'entre elles relevant d'ailleurs du domaine de la loi
organique.
Dans ces conditions, il a souhaité que le Gouvernement prenne une
initiative répondant à ce voeu, soit en déposant un projet
de loi organique, soit en obtenant l'inscription à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale de la proposition de loi organique relative au
vote des Français établis hors de France (n° 145) dont
lui-même avait été l'auteur et le rapporteur et qui avait
été adoptée par le Sénat le 13 juin 1996,
cette proposition de loi organique pouvant ainsi être amendée en
conséquence.
M. Paul Masson a souhaité savoir si le projet de loi avait donné
lieu à une étude comparative et si l'étude d'impact
comportait une estimation précise et détaillée de ses
implications financières ou administratives, comme le recrutement
supplémentaire de fonctionnaires.
M. Guy Allouche a jugé que le rapporteur avait parfaitement mis en
évidence les difficultés pratiques soulevées par ce texte,
se déclarant cependant convaincu qu'elles s'atténueraient avec le
temps.
Il a demandé si l'inscription d'office concernerait aussi les
ressortissants communautaires résidant en France.
En réponse à cette question, M. Pierre Fauchon, rapporteur du
projet de loi organique sur le vote des ressortissants européens aux
élections municipales, a rappelé que la commission avait
adopté un amendement ayant précisément pour effet de ne
pas leur imposer cette inscription automatique. Il a ajouté que cette
extension n'était pas interdite par la directive du
19 décembre 1994, mais qu'elle supposerait en tout état
de cause une nouvelle disposition organique adoptée dans les mêmes
termes par les deux assemblées, ainsi qu'il était prévu
par l'article 88-3 de la Constitution.
M. Patrice Gélard a rappelé qu'avant 1975, les commissions
administratives étaient en droit d'inscrire d'office n'importe quel
électeur de la commune, ajoutant qu'à ses yeux, le retour
à cette formule représentait la solution la plus simple.
Il a, d'autre part, mis l'accent sur l'impossibilité de connaître
le domicile réel de beaucoup de jeunes -les étudiants, notamment-
ce qui augmenterait le risque des inscriptions multiples, ainsi que leur
nationalité, non mentionnée dans les fichiers de la
sécurité sociale.
Il a ajouté que cette mesure, par l'augmentation du nombre des
électeurs inscrits, aurait pour effet mécanique de relever le
nombre de voix requises pour le maintien des candidats au second tour.
Enfin, il a considéré que la formule proposée, si elle
réglait le problème des jeunes atteignant leur majorité,
n'apportait aucune réponse pour tous les autres électeurs
non-inscrits.
M. Michel Duffour a jugé le projet de loi très positif dans son
esprit. Sans contester les difficultés d'application, il s'est
déclaré moins pessimiste que le rapporteur sur la participation
électorale des nouveaux inscrits, comme en avait témoigné
le dépit de tous les jeunes de 18 ans qui n'avaient pu voter lors
des dernières législatives faute d'avoir pu s'inscrire pour ce
scrutin inopiné.
Il s'est enfin interrogé sur l'articulation entre l'inscription d'office
et le projet de réforme du code de la nationalité tendant au
retour à l'acquisition automatique de la nationalité
française à l'âge de la majorité.
M. Jean-Paul Delevoye a remercié le rapporteur d'avoir clairement
exposé toutes les questions soulevées par ce texte.
Il s'est demandé si l'objectif du projet de loi -c'est-à-dire
l'éveil à la citoyenneté- pouvait être atteint par
une simple mesure d'inscription automatique, ce qui amènerait tôt
ou tard à poser la question du vote obligatoire.
Il a craint que le projet de loi ne suscite de nombreux contentieux où
la responsabilité des maires risquait une fois de plus d'être
engagée, alors qu'ils agissaient dans cette matière en
qualité d'agent de l'Etat et sous l'autorité du préfet.
Plus généralement, il a vu dans l'inscription automatique une
inversion des responsabilités, la responsabilité et la
solidarité collectives prenant le pas sur l'initiative individuelle. Il
y a décelé la marque d'une " déresponsabilisation
collective " dans un domaine où, au contraire, l'intention
était d'inciter les jeunes à exercer leur responsabilité
de citoyen.
M. Pierre Fauchon a partagé cette opinion.
M. Jean-Jacques Hyest a relevé que le vote pouvait aussi bien être
considéré comme un droit que comme un devoir.
Il a souhaité savoir si les commissions administratives auraient le
droit de convoquer les jeunes afin de s'assurer qu'ils remplissent bien les
conditions pour être inscrits, en particulier celle de la
nationalité. Il a en outre estimé que le projet de loi allait
encore alourdir la charge des commissions administratives, alors qu'il
était déjà très difficile de trouver des
volontaires pour y siéger.
M. Philippe de Bourgoing a rappelé que, parlementaire en mission du
temps où le rapporteur était ministre de l'intérieur, il
avait préconisé la mise en place d'un mécanisme de
pré-inscription qui, à l'expérience, avait
fonctionné de manière satisfaisante.
Il a par ailleurs demandé si les maires pourraient procéder
d'eux-mêmes à l'inscription d'office des jeunes de leur commune
atteignant leur majorité.
M. Jacques Larché, président, a jugé le mécanisme
proposé très complexe, considérant qu'il imposerait des
contraintes supplémentaires aux élus locaux.
Plus globalement, il s'est demandé si la citoyenneté ne devait
pas résulter d'une démarche individuelle plutôt que d'une
procédure automatique, d'autant que cette démarche pouvait tout
aussi bien être encouragée par des campagnes de sensibilisation.
Il a également redouté que cette mesure ne finisse par relancer
le débat sur la reconnaissance du vote blanc.
Au total, il a estimé que l'inscription d'office, outre les
difficultés d'application qui seraient rencontrées par les
maires, n'aurait peut-être pas d'autre effet que l'augmentation du taux
d'abstention.
En réponse, M. Christian Bonnet, rapporteur, a apporté les
précisions suivantes :
- le dispositif ne vaudrait que pour les jeunes gens atteignant dix-huit ans,
les autres électeurs ayant toujours la possibilité de demander
leur inscription dans les conditions de droit commun de l'article L.11 du code
électoral ;
- le projet de loi n'avait à sa connaissance pas donné lieu
à une étude de droit comparé ni à des estimations
financières précises, l'étude d'impact se bornant à
envisager d'une manière générale un accroissement des
charges des services municipaux ;
- la différence de traitement entre les jeunes majeurs et les autres
électeurs était réelle mais non contraire au principe
d'égalité, le législateur pouvant traiter
différemment des situations elles-mêmes différentes ;
- le projet de loi ne saurait prendre en compte les mesures devant figurer dans
le futur texte sur la réforme de la nationalité, mais il serait
possible, le cas échéant, d'introduire dans ce dernier des
amendements de coordination ;
- la convocation des jeunes aux fins de contrôler leur nationalité
serait non seulement un droit, mais aussi un devoir pour les commissions
administratives dès lors qu'elles auraient un doute sur la
capacité électorale des intéressés ;
- les maires ne pourraient procéder à l'inscription d'office de
tous les jeunes de leur commune, mais seulement de ceux figurant sur
l'état transmis par l'INSEE.
S'agissant des jeunes Français de l'étranger, le rapporteur a
partagé le point de vue de M. Charles de Cuttoli et
précisé qu'il ferait part de ses suggestions dans le rapport
écrit.
Plus généralement, il s'est déclaré d'accord avec
les intervenants pour considérer qu'outre sa complexité, ce
projet de loi posait la question de la
" déresponsabilisation " des jeunes en substituant un
système d'inscription automatique à une initiative jusqu'à
présent individuelle.
En conclusion, M. Christian bonnet, rapporteur, a néanmoins tenu
à faire observer que la plupart des objections soulevées à
l'encontre du projet de loi tomberaient à partir du moment où, en
application de la réforme du service national, le recensement
s'appliquerait aux nationaux des deux sexes.
M. Jacques Larché, président, est convenu que la fiabilité
du système reposait sur la possibilité d'identifier à coup
sûr la nationalité des jeunes majeurs, le fichier du recensement
offrant à cet égard les garanties souhaitables mais seulement
pour les électeurs masculins.
Il a fait observer que la généralisation du recensement en vue du
service national permettrait de ne plus faire appel aux fichiers peu fiables de
la sécurité sociale, dispensant du même coup les
municipalités des contrôles en aval auxquels contraindrait
l'actuel projet de loi.
MM. Pierre Fauchon et Maurice Ulrich ont approuvé cette approche.
M. Michel Duffour a reconnu qu'elle simplifierait la mise en oeuvre de la
réforme, mais a craint qu'elle ne la retarde.
VI. LA PROPOSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : LIER DANS UN SOUCI DE SIMPLIFICATION LA MISE EN UVRE DU PROJET DE LOI À LA GÉNÉRALISATION POUR LES NATIONAUX DES DEUX SEXES DU RECENSEMENT EN VUE DU SERVICE NATIONAL
Après une nouvelle discussion, votre rapporteur a
constaté que si le principe de l'inscription automatique des jeunes
majeurs n'était pas réellement mis en cause, les
difficultés tenant à l'obligation de vérifier leur
nationalité conduisaient tout naturellement à lier la mise en
uvre de ce texte à la généralisation du recensement, qui
pourrait intervenir en principe dès le 1er janvier 1999.
Il y a vu, en définitive, un moyen de faciliter la mise en oeuvre de la
réforme.
La commission a approuvé cette proposition. Elle a adopté
l'article premier du projet de loi et a confié à son rapporteur
le soin de lui soumettre lors de la réunion consacrée à
l'examen des amendements extérieurs un dispositif tendant, d'une part,
à éviter le recours aux fichiers de la sécurité
sociale, d'autre part, à fixer l'entrée en vigueur de la loi
à compter du jour où les nationaux des deux sexes seraient soumis
à l'obligation de recensement.
Votre rapporteur estime qu'il est tout à fait du rôle du
Sénat, par delà l'intention louable du projet, de veiller
à ne pas alimenter l'inflation législative par une mesure dont la
mise en uvre serait telle qu'elle susciterait immanquablement des contentieux
et engagerait la responsabilité des maires, déjà trop
souvent confrontés à des textes inapplicables comme l'a
souligné fortement M. Jean-Paul Delevoye.
La formule proposée par votre commission des Lois ne consiste nullement
en un report puisque, compte tenu des délais de mise en place, cette
réforme ne permettrait pas d'inscrire automatiquement des jeunes gens
avant la révision des listes électorales de mars 1999,
c'est-à-dire trop tard pour qu'ils puissent participer aux
élections cantonales et régionales de 1998.
Si la réforme du service national est adoptée, en revanche, ils
pourront être inscrits automatiquement à compter de 1999 et
participer de cette sorte aux élections municipales et cantonales de
2001.