N° 321

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 avril 1997

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 avril 1997

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, adopté par l'assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre part,

Par Mme Paulette BRISEPIERRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, André Vallet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 10 ème législ.) : 3293 , 3376 et T.A. 680 .

Sénat : 280 (1996-1997).

Traités et conventions.

Mesdames, Messieurs,

La Conférence de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995 a donné un nouvel élan à la politique méditerranéenne de l'Union européenne. En effet, elle a cherché à forger un véritable partenariat entre les deux rives de la Méditerranée sur deux piliers complémentaires : d'une part, une coopération globale fondée sur le triptyque -politique et de sécurité, économique et financier, social et humain-, d'autre part, le renouvellement et le renforcement des accords de coopération conclus au cours des années 70 avec plusieurs pays du sud de la Méditerranée.

L'accord euro-méditerranéen établissant une association entre l'Union européenne et le Maroc, signé à Bruxelles le 26 février 1996, après les accords comparables conclus avec la Tunisie et Israël, constitue un jalon essentiel dans la mise en oeuvre d'une intégration régionale à l'échelle du bassin méditerranéen, mais aussi une étape historique dans la relation déjà longue et fructueuse entre l'Europe et le royaume chérifien.

Pôle de stabilité dans un environnement troublé, pays doté de riches potentialités économiques, le Maroc apparaît encore l'héritier d'une tradition historique nourrie du dialogue entre civilisations et du principe de tolérance. La signature de l'accord d'association doit ainsi constituer un jalon essentiel de l'effort d'intégration régionale entrepris à l'échelle du bassin méditerranéen.

Au-delà de cette dimension décisive pour le partenariat euro-méditerranéen dans son ensemble, l'accord d'association marque une nouvelle étape dans les relations entre l'Europe et le Royaume chérifien. En effet, il pose les bases d'une libéralisation programmée des échanges pour les produits industriels et ouvre également la voie d'un dialogue politique et d'une coopération renforcée dans de nombreux domaines.

L'accord scelle ainsi l'ancrage du Maroc à l'Europe : un choix résolu engagé de longue date par le roi Hassan II.

L'ouverture sur l'Europe a façonné la politique et l'économie du Maroc au cours des dernières décennies. Votre rapporteur souhaiterait présenter les principaux traits de cette évolution remarquable avant de présenter les lignes directrices de l'accord d'association.

I. LE MAROC, PARTENAIRE PRIVILÉGIÉ DU DIALOGUE EURO-MÉDITERRANÉEN

A. UNE VOLONTÉ D'OUVERTURE POUR SURMONTER LES DÉFIS DU PRÉSENT

1. Un pôle de stabilité

a) Un équilibre politique entre tradition et modernité

· Une monarchie éclairée

La monarchie puise sa force à deux sources principales : son ancienneté et sa capacité à incarner l'union nationale d'une part, son souci d'adaptation et de réforme d'autre part.

La dynastie alaouite remonte au XVIIe siècle. Le système monarchique a pu se perpétuer jusqu'à aujourd'hui grâce au concours de deux facteurs historiques décisifs. En premier lieu, le Maroc, seul pays arabe à avoir échappé à l'occupation ottomane, a pu préserver une organisation institutionnelle fondée sur l'"arabiya" -un appareil d'Etat appuyé par les tribus alliées et renforcé par une puissante confrérie religieuse. En second lieu, la colonisation française- inspirée dans ses grands principes par Louis-Hubert Lyautey- contribua au renforcement des structures politiques traditionnelles sous la forme d'un protectorat respectueux du statut de la monarchie marocaine.

La dynastie alaouite a su ainsi, à travers la continuité des institutions politiques, cristalliser un sentiment d'identité nationale . Elle a su également le renforcer et le vivifier à deux moments forts de l'histoire contemporaine du Maroc : l'indépendance et l' " affaire saharienne ". En 1975, la " marche verte " décidée par le roi Hassan II pour occuper le Sahara occidental libéré par l'Espagne -l'ancienne puissance tutélaire- a suscité une véritable adhésion populaire -jamais démentie depuis-, toutes opinions politiques confondues.

Aujourd'hui, le Maroc considère ces provinces sahariennes, où il a consenti des investissements considérables, comme partie intégrante de son territoire. Il s'efforce dès lors d'obtenir la reconnaissance internationale de l'appartenance du Sahara occidental au Maroc. Les autorités marocaines ont ainsi souscrit au règlement de paix proposé par les Nations unies ; toutefois le processus référendaire prévu initialement en janvier 1992 n'a cessé d'être différé : il se heurte aux conditions d'identification des électeurs -le Front Polisario refusant d'admettre cette qualité pour les habitants du Sahara occidental originaires du Maroc comme le proposent les autorités de Rabat.

Le régime marocain tire également sa force de sa capacité à se réformer. Depuis le début de la présente décennie, le Roi a choisi de poser les fondements d'un Etat de droit moderne et ouvert deux vastes chantiers, la démocratisation des institutions et la mise en place progressive d'un cadre juridique respectueux des droits de l'homme.

· Une démocratisation maîtrisée

La Constitution actuelle a reçu depuis son approbation en mars 1972, par référendum, deux inflexions majeures.

La première réforme instituait en 1992 un Conseil constitutionnel ; par ailleurs, sans remettre en cause le pouvoir réservé au souverain de " déterminer les grandes orientations et nommer le chef de gouvernement ", elle obligeait le Premier ministre à obtenir la confiance de l'Assemblée par un vote d'investiture. La seconde réforme approuvée par référendum le 13 septembre 1996, prévoit la mise en place du bicaméralisme avec la création d'une nouvelle " chambre des conseillers "- élue pour neuf ans au suffrage indirect et composée de conseillers communaux, d'élus des chambres professionnelles et de représentants des salariés-, aux côtés de la " chambre des représentants " -jusqu'alors composée pour un tiers de membres désignés- désormais élue dans son ensemble au suffrage universel.

Dans les mois prochains, l'organisation d'élections législatives, locales et professionnelles ouvrira pour les partis de l'opposition parlementaire -principalement l'Istiqlal, nationaliste et l'Union socialiste des forces populaires- la possibilité d'une alternance qui n'avait pu se concrétiser à la suite des élections législatives de juin 1993. La vie politique paraît de plus en plus dominée par la préparation des différents scrutins : vote par la chambre des représentants en mars dernier d'un nouveau code électoral, négociations de candidatures communes -nécessaires compte tenu du maintien du scrutin uninominal à un tour- ...

· Une meilleure prise en compte des droits de l'homme

Le Roi a adopté depuis 1990 un ensemble de mesures d'ouverture sur le plan institutionnel : désignation d'un ministre délégué chargé des droits de l'homme, mise en place d'un réseau de tribunaux administratifs, assouplissement des législations relatives à la garde à vue et à la détention préventive, abrogation du Dahir de 1935 très restrictif au regard du respect des libertés publiques. En outre, le roi a accompli plusieurs gestes significatifs : fermeture de certains camps de détention comme celui de Tazmamart, amnistie générale en faveur de 424 prisonniers politiques, promesse de régler le dossier des disparus.

Par ailleurs, des progrès ont été accomplis pour la minorité berbère et pour les femmes. Les Berbères forment une part intégrante de l'identité nationale marocaine comme le Roi l'a lui-même rappelé. A ce titre, la langue et la culture berbères pourront trouver une expression à travers la diffusion de journaux télévisés et bénéficier à terme d'un enseignement dans le cadre de certaines écoles primaires.

Enfin, depuis 1993, le Maroc a adopté le code du statut personnel et rendu plus difficiles, notamment, les conditions de répudiation (prise en compte des préjudices supportés par la femme répudiée, versement d'une pension équivalant en principe à la dot). Ces différentes mesures d'ordre procédurier constituent une première étape et doivent contribuer à améliorer progressivement la condition de la femme.

Ces évolutions récentes demeurent inachevées, elles n'en sont pas moins à porter au crédit du Maroc qui se singularise ainsi dans un environnement régional où les droits de la personne apparaissent encore largement méconnus.

b) Une diplomatie éclairée

Le Maroc s'attache à faire valoir, dans les relations internationales, un rôle de médiateur que paraît lui assigner son appartenance à trois cercles : arabo-musulman, africain et occidental. Le Royaume, fort de sa tradition de tolérance à l'égard de sa propre communauté juive, a joué un rôle de précurseur dans le dialogue entre Israël et les Etats arabes.

De même, en tant que président en exercice de l'Organisation de la conférence islamique, le royaume chérifien a exercé une influence modératrice sur les positions des Etats musulmans notamment dans les conflits en Bosnie et en Tchétchénie.

Les deux priorités de la diplomatie marocaine restent toutefois, d'une part, la reconnaissance internationale de l'appartenance du Sahara occidental au Maroc et, d'autre part, l'ancrage à l'Union européenne par la mise en oeuvre du présent accord d'association.

2. Les nouveaux défis du Maroc

Le système politique qui a témoigné à travers l'histoire de sa solidité se trouve aujourd'hui confronté à de nouveaux défis qu'il lui faudra relever.

En effet la société marocaine connaît depuis plusieurs années d'importantes transformations. Ces évolutions, ces bouleversements même, soulèvent plusieurs interrogations.

a) Une société en mouvement

La croissance démographique et l'essor de la population urbaine constituent les deux faits décisifs de cette fin de siècle pour le Maroc.

Le royaume chérifien comptait 8 millions d'habitants au moment de l'indépendance en 1956. Aujourd'hui, la population atteint 27 millions d'habitants et pourrait dépasser 31 millions à l'horizon 2000. Les jeunes de moins de 30 ans représentent 60 % de cette population dont le dynamisme démographique s'est certes ralenti mais demeure encore vigoureux (4,6 enfants par femme sur la période 1985-1990).

L'élan démographique s'est accompagné d'un mouvement d'exode rural . Ce phénomène s'explique par la conjonction de trois facteurs : l'essor économique des villes, la concentration foncière -liée à la recherche de rendements croissants dans le secteur agricole-, une raison conjoncturelle enfin -la répétition de graves sécheresses au cours des dernières années.

Ces évolutions ont eu des effets contrastés. La production agricole a doublé depuis l'indépendance. Cependant, les inégalités sociales ont eu tendance à s'accuser.

Les conditions de vie dans les villes se sont plutôt dégradées. Une agglomération comme Casablanca concentre près de 25 % de la population urbaine totale du Maroc. Les besoins, considérables, en termes de logements, d'infrastructures publiques, ne sont que partiellement satisfaits. Les fortes concentrations urbaines multiplient les sources de frustrations sociales tandis qu'elles peuvent leur donner une large amplification. Les milieux urbains ont été en effet le théâtre de plusieurs émeutes populaires.

Le Souverain a lui-même reconnu dans son discours du trône du 3 mars 1997 un " déficit social frustrant " et souligné que " les quatre ou cinq prochaines années seront décisives pour le Maroc s'il veut gagner le pari de l'émergence économique et sociale de façon définitive et irrévocable ".

b) Une politique à la mesure des obstacles à surmonter

Le Maroc est resté à l'abri de l'intégrisme et des violences qui déchirent l'Algérie. Le roi Hassan II " commandeur des croyants " en tant que descendant du prophète, a su incarner un Islam ouvert et tolérant. Les orientations du pouvoir n'ont pas, dans ces conditions, donné prise -comme cela s'est produit dans les pays voisins- aux passions de l'intégrisme. Au contraire, le renforcement du sentiment religieux, constaté par les observateurs de la société marocaine, ne peut que conforter un régime politique dont la légitimité repose pour une part essentielle sur l'Islam. Toutefois certaines mouvances islamistes ont cherché à trouver un écho au sein des universités. La population visée -267 000 étudiants répartis entre 15 villes universitaires- peut constituer en effet une cible privilégiée. L'importance de l'enjeu a d'ailleurs décidé le gouvernement à réagir avec vigueur aux récents incidents survenus à Casablanca et Marrakech : actions de répression destinées à frapper les esprits, mesures de sécurité et d'encadrement, avertissement solennel. Toutefois, la réévaluation du statut des étudiants -dont la précarité constitue un terreau propice aux extrémismes- demeure une priorité.

L'éducation constitue en effet de façon générale l'un des défis fondamentaux auxquels le pouvoir marocain reste confronté. Aujourd'hui le taux d'analphabétisme dépasse 60 % tandis que moins de 50 % des mineurs sont scolarisés. Dans cette perspective, la réforme et l'extension du système éducatif apparaissent indispensables. Le Roi a d'ailleurs annoncé dans son discours du trône la mise en place, au lendemain des élections générales, d'" une commission nationale restreinte composée de députés, de ministres, de professeurs et de formateurs avec pour mission de se pencher très sérieusement sur l'état de l'enseignement et de la formation professionnelle ".

Enfin, le développement d'une " économie de la drogue " dans la région défavorisée du Rif, ainsi que l'essor de la contrebande -particulièrement autour des présides espagnols de Ceuta et Mellila-, et les dysfonctionnements de l'administration qu'elles révèlent constituent un troisième thème d'action pour le gouvernement marocain. Celui-ci a toutefois pris la mesure des problèmes posés et conduit un campagne nationale " d'assainissement " dont l'ampleur a surpris ; plus de 200 personnes ont été interpellées et plusieurs dizaines ont déjà été traduites en justice. Ces actions ont principalement concerné les milieux d'affaires et l'administration, au risque, parfois, de susciter des problèmes d'organisation -surtout pour les douanes- dans les grands ports comme Tanger ou Casablanca.

Les différents problèmes que connaît la société marocaine soulèvent en filigrane une même interrogation : dans quelle mesure le Maroc peut-il répondre aux attentes et aux besoins d'une population soucieuse de ses conditions d'existence et de son bien-être ? La réponse repose en partie sur les capacités d'adaptation et la modernisation économique du Maroc. Il y a là sans doute pour le Maroc un grand dessein dont la réussite conditionnera le destin de ce pays dans les années à venir.

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