N° 311

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 avril 1997

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur :

1) la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à la promotion de l' apprentissage dans le secteur public non industriel et commercial,

2) la proposition de loi de MM. Louis SOUVET, Michel ALLONCLE, Jean BERNARD, Roger BESSE, Jean BIZET, Paul BLANC, Gérard BRAUN, Robert CALMEJANE, Jean-Pierre CAMOIN, Auguste CAZALET, Gérard CÉSAR, Jean-Paul DELEVOYE, Christian DEMUYNCK, Michel DOUBLET, Daniel ECKENSPIELLER, Yann GAILLARD, Alain GÉRARD, François GERBAUD, Daniel GOULET, Adrien GOUTEYRON, Georges GRUILLOT, Emmanuel HAMEL, Roger HUSSON, André JOURDAIN, Alain JOYANDET, Edmond LAURET, Dominique LECLERC, Jacques LEGENDRE, Maurice LOMBARD, Philippe MARINI, Paul MASSON, Lucien NEUWIRTH, Mme Nelly OLIN, MM. Joseph OSTERMANN, Jacques OUDIN, Alain PLUCHET, Victor REUX, Jean-Jacques ROBERT, Josselin de ROHAN, Michel RUFIN, Maurice SCHUMANN, Martial TAUGOURDEAU, Jacques VALADE, Alain VASSELLE et Serge VINÇON, apprentissage dans le secteur public et modifiant la loi n° 92-675 du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mmes Michelle Demessine, Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Roland Huguet, Jacques Machet, secrétaires ; François Autain, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain , Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Sosefo Makapé Papilio, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 10 ème législ.) : 3193 , 3332 et T.A. 655 .

Sénat : 225 et 107 (1996-1997).


Formation professionnelle et promotion sociale.

Mesdames, Messieurs,

Les profondes mutations du système productif de l'économie française depuis le début des années 1980 comme les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder au marché du travail ont renouvelé l'intérêt pour des dispositifs d'insertion professionnelle axés sur l'entreprise.

En effet, le projet, la pratique et l'analyse des erreurs, la recherche de l'innovation, -en un mot, l'esprit d'entreprise- ont été reconnus comme le facteur principal de la réussite économique et donc du plein emploi. Or, certains aspects de l'esprit d'entreprise sont de moins en moins étrangers au secteur public, ce qui le place en position d'acteur potentiel de la formation économique et professionnelle. De plus, le secteur public dispose d'un savoir faire et de certaines compétences spécifiques qui intéressent particulièrement les entreprises. C'est dans cet esprit que la loi du 17 juillet 1992 a pu esquisser les voies de l'apprentissage dans le secteur public non industriel et commercial.

Cette expérimentation, malgré des résultats mitigés, a révélé des potentialités inexplorées ; c'est pourquoi votre rapporteur a pris l'initiative de déposer le 28 novembre 1996 une proposition de loi organisant le soutien financier du dispositif. M. Michel Jacquemin, député, a déposé une proposition de loi proche qui après avoir été adoptée par l'Assemblée nationale le 6 février 1997 a été examinée par votre commission.

Pour que cette proposition réponde tout à fait à la politique en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes, considérée comme une priorité par le gouvernement, votre commission a jugé nécessaire d'enrichir ce texte. Il vous sera ainsi proposé d'approfondir son volet financier en se rapprochant de la proposition de loi que votre rapporteur a déposée avec ses collègues du groupe RPR et d'élargir sensiblement le champ des possibilités d'association pour la formation des apprentis, à travers la possibilité de partenariats entre employeurs-formateurs publics et privés, afin d'augmenter les débouchés professionnels.

I. LES MUTATIONS DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ONT RENOUVELÉ L'INTÉRÊT POUR LES DISPOSITIFS D'APPRENTISSAGE SOUS TOUTES LEURS FORMES

A. LES BESOINS DES ENTREPRISES ONT ÉVOLUE SOUS L'EMPRISE D'UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE NOUVEAU

1. Un contexte économique nouveau

L'économie française doit s'adapter depuis le milieu des années 1980 à trois phénomènes distincts : la mondialisation de l'économie, le marché unique européen et la libéralisation des marchés.

Pour les entreprises françaises, ces phénomènes ont pris la forme d'une déréglementation et d'une concurrence accrue. Elles ont dû s'adapter rapidement à un nouveau contexte privilégiant la rentabilité et la profitabilité des investissements et laissant beaucoup moins de marge de manoeuvre à la politique sociale et salariale de l'entreprise. Le coût du travail a été l'objet de toutes les attentions, les entreprises ont cherché à rentabiliser au plus vite les frais de personnel en perdant de vue l'aspect investissement à long terme qu'ils pouvaient prendre.

Ce changement de comportement des entreprises a été particulièrement marquant pour ce qui concerne l'insertion des jeunes. A un modèle privilégiant la formation en interne, voire " sur le tas ", des jeunes sortant du système éducatif, a succédé une relation de marché dans laquelle l'entreprise recherche des jeunes directement opérationnels. Ceux-ci restent dans l'entreprise pour une durée beaucoup plus courte que leurs prédécesseurs, ces derniers se sentaient en effet redevables d'un effort de formation qui impliquait une fidélité qui n'a plus cours. Dans cette perspective, la charge de la formation professionnelle est reportée en amont, sur le système éducatif, avec le risque d'un décalage croissant entre formation et emploi.

2. Des exigences de qualifications et de compétences différentes

La formation scolaire initiale se voit reconnaître une fonction de formation professionnelle. Traditionnellement axée sur l'acquisition des connaissances fondamentales, la culture générale et le développement de l'esprit critique, elle se devrait d'inculquer la culture de la performance, l'esprit de compétition, les contraintes de délais imposées à la production sans oublier des qualités comme le travail en équipe, le partage de l'information, le sens de l'organisation... En plus des savoirs, la formation initiale doit dispenser des savoir-faire et des " savoir-être " ou comportements souhaités qui ne peuvent pourtant pas être correctement appréhendés en dehors de la pratique.

Pour répondre à cette exigence de double compétence s'est imposée la nécessité du développement des formations duales associant à la fois les connaissances générales et l'expérience pratique.

B. LES DIFFICULTÉS D'INSERTION DES JEUNES ONT RENOUVELÉ L'INTÉRÊT POUR DES DISPOSITIFS D'APPRENTISSAGE AUTREFOIS TRADITIONNELS

1. Un dispositif de formation autrefois traditionnel

Le concept d'apprentissage remonte à l'organisation des corporations aux XIème et XIIème siècles. Les artisans devenus producteurs indépendants s'organisent pour défendre leurs intérêts et leur spécificité, ils prennent en charge l'accès à la profession par la définition d'un parcours de formation qui fait du jeune un apprenti puis un compagnon et enfin, un maître. La progression est sanctionnée par des épreuves, voire une durée d'exercice minimale. Le système devient traditionnel en France avant de péricliter au XVIIIème siècle lorsque les maîtres prennent leurs distances vis-à-vis des compagnons, qui s'organisent alors en confréries souvent secrètes.

La Révolution supprime ces organisations jugées trop élitistes. Les décrets d'Allarde du 17 mars 1791 instituent la liberté du travail et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 abolit les corporations. Le système de formation français porte encore les stigmates de la suppression de ce système traditionnel : l'enseignement scolaire général devient la norme et relègue les formations alternées à la marge, l'alternance sous " statut scolaire " sera privilégiée par rapport à l'apprentissage en entreprise. On peut voir dans cette spécificité française le produit de l'héritage révolutionnaire qui n'a pas donné la même importance aux valeurs économiques (travail, effort, esprit d'entreprise...) qu'aux valeurs citoyennes (esprit critique, culture générale, universalisme).

L'apprentissage réapparaît avec la loi du 22 février 1851 qui crée des écoles municipales. D'autres institutions sont mises en place, souvent à l'initiative d'ordres religieux, pour satisfaire des besoins auxquels ne répond pas le système officiel, des cours professionnels aux grandes écoles. La loi de 1880 crée des écoles manuelles d'apprentissage et la loi du 25 juillet 1919 dite loi Astier généralise les cours professionnels.

2. Depuis 1971, le législateur a entrepris de rééquilibrer le système de formation français au bénéfice de l'apprentissage

Bien que complété par quelques textes (création de la taxe d'apprentissage en 1925), le dispositif reste très marginal jusque la loi du 16 juillet 1971. Celle-ci entend lui donner la reconnaissance d'une véritable forme d'éducation : des centres de formation d'apprentis et un contrat de travail d'un type particulier sont créés ainsi que l'agrément de l'employeur, un système d'inspection et un mécanisme spécifique de financement.

Suite à l'adoption de cet ensemble de mesures, le nombre d'apprentis passe très rapidement à 200.000 contre 110.000 en 1950. Pour amplifier cette montée en puissance du dispositif, des mesures de simplification et de soutien financier sont adoptées en 1973 et 1977 alors que se développent d'autres formes de formations en alternance qui concurrencent l'apprentissage (stages, contrats aidés...).

L'apprentissage souffre toutefois d'une mauvaise image, de la méfiance de l'Education nationale et d'un cantonnement dans les formations de niveau V qui en font aux yeux des jeunes une voie marginale et dévalorisée. Le cap des 200.000 apprentis reste alors difficile à franchir malgré l'augmentation des difficultés d'insertion des jeunes et l'augmentation de l'échec scolaire.

Pour relancer et revaloriser la filière, la loi du 23 juillet 1987 ouvre l'ensemble des diplômes à l'apprentissage et fait varier de un à trois ans la durée du contrat. Les effectifs progressent légèrement, un plan de relance est tout de même prévu en février 1992 associant aides financières, campagnes d'information, et assouplissement des procédures d'agrément.

Dans cette perspective, et pour mobiliser l'ensemble des partenaires susceptibles de participer à l'insertion des jeunes, la loi du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l'apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail, prévoit notamment l'expérimentation de l'apprentissage dans le secteur public non industriel et commercial.

Ces mesures ambitieuses décidées en 1992 avaient pour objectif le doublement des effectifs d'apprentis ; elles n'ont cependant pas donné satisfaction dans ce domaine. Toutefois, les campagnes de promotion ont pu participer à l'évolution des mentalités. Les régions -investies d'une responsabilité en matière d'apprentissage par la loi quinquennale sur l'emploi de 1993- ont fortement appuyé ce développement, de telle sorte que ce nouveau contexte a pu donner un essor particulier en 1993-1994 aux mesures prises par le gouvernement Balladur (primes, crédits d'impôt, prise en charge partielle du salaire du tuteur...).

Le nombre d'apprentis a sensiblement augmenté depuis 1995, après un nouveau train de mesures adopté par le gouvernement Juppé, pour atteindre finalement les 310.000 en 1996, soit un taux d'augmentation de 10 % par an. Il semble que l'apprentissage est entré dans les moeurs ; cette banalisation tend à être confirmée par le redéploiement de l'apprentissage artisanal au profit de l'apprentissage industriel et tertiaire, qu'illustre notamment son développement dans l'enseignement supérieur.

Il reste à confirmer cette tendance en affirmant le rôle et en confortant la place de l'apprentissage dans le secteur des services à haute valeur ajoutée qui promet d'être un gisement d'emplois important dans les années à venir (communication, santé, informatique, ...). Ces activités tertiaires ne sont pas étrangères au secteur public, ce qui donne tout son intérêt au dispositif d'expérimentation de l'apprentissage dans le secteur public.

C. L'EXPÉRIMENTATION DE L'APPRENTISSAGE DANS LE SECTEUR PUBLIC NON INDUSTRIEL ET COMMERCIAL EST APPARUE COMME UNE EXTENSION NATURELLE DU DISPOSITIF

1. Le choix de l'expérimentation

Prenant acte de l'existence d'une capacité de formation inemployée dans le secteur public non industriel et commercial, le Législateur a décidé par la loi n°92-675 du 17 juillet 1992 d'ouvrir à titre expérimental et jusqu'au 31 décembre 1996, la possibilité de conclure des contrats d'apprentissage dans le secteur public. Il s'agissait de faire bénéficier les jeunes des capacités d'accueil et de formation des employeurs publics (collectivités territoriales, établissements publics non industriels et commerciaux...). Les diplômes préparés devaient répondre aux besoins exprimés par le marché du travail et s'appuyer sur des formations communes aux administrations et aux entreprises (bâtiment, espaces verts...), les apprentis étant destinés pour une part à intégrer la fonction publique après avoir passé le concours, et pour une autre part à rejoindre les entreprises du secteur privé.

La charge financière de la formation des apprentis dans les CFA incombe aux employeurs, les employeurs publics ne dérogent pas à ce principe.

Le contrat d'apprentissage signé par l'employeur public est de droit privé et ne donne pas possibilité à renouvellement ou succession de contrats. Il ne dispense pas du passage du concours, lorsque l'apprenti souhaite intégrer la fonction publique. L'apprenti, en contrepartie de son travail, perçoit une rémunération variant de 25 % à 78 % du SMIC en fonction de son âge et de son ancienneté dans le contrat (de 1 à 3 ans). Il est affilié au régime général de la sécurité sociale et au régime complémentaire de retraite institué au bénéfice des agents non titulaires de l'Etat, des collectivités territoriales ou au profit des agents des autres personnes morales de droit public concernées.

2. L'Etat a apporté son concours financier

L'Etat a souhaité encourager cette expérience en apportant son aide financière :

·  Il prend en charge la totalité des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales dues par l'employeur et des cotisations salariales d'origine légale et conventionnelle, imposées par la loi, dues au titre des salaires versés aux apprentis.

·  Il prend également en charge les cotisations patronales d'assurance chômage versées par les employeurs qui ont, en application de l'article L. 351-12 du code du travail, adhéré au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC.

•  Les employeurs publics ont pu également bénéficier de l'aide financière conjoncturelle versée aux entreprises pour l'embauche d'un apprenti, soit 7.000 francs du 1er juillet 1993 au 31 décembre 1995, en application de la loi du 27 juillet 1993 relative au développement de l'emploi et de l'apprentissage. Cette aide a été prorogée à deux reprises pour six mois, puis une nouvelle fois au mois d'août 1995 avec un montant porté à 10.000 francs. Depuis janvier 1996, les personnes morales de droit public ne sont plus éligibles aux aides financières à l'apprentissage.

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La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale s'appuie sur le bilan de cette expérimentation pour définir les modalités de pérennisation du dispositif.

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