Article 6

Désendettement de la SNCF

Commentaire : le présent article inscrit une dette de 125 milliards de francs au passif de RFN vis-à-vis de la SNCF.

La constitution d'une dette au passif de RFN vis-à-vis de la SNCF est le coeur du dispositif du présent projet de loi, car il est le principal levier du redressement de la SNCF. C'est pourquoi le Gouvernement, après l'avis du Conseil d'Etat, a souhaité l'isoler dans un article propre. De 125 milliards de francs dans le projet actuel, le montant de cette dette devrait être relevé à 134,2 milliards de francs par amendement du Gouvernement.

Deux aspects méritent d'être développés : une définition précise du montage réalisé, son appréciation économique, en particulier sur l'avenir de la SNCF.

I. DÉFINITION DU MONTAGE PROPOSÉ

Le présent article est d'une très grande simplicité, mais sa lecture seule est insuffisante pour comprendre le montage dans ses détails. Il convient d'expliciter trois éléments : la nature de l'opération réalisée ; la consistance de la dette ainsi constituée ; une appréciation au regard du critère d'endettement public du traité sur l'Union européenne.

A. UNE INSCRIPTION AU PASSIF DE RFN

L'opération réalisée par le présent article est inédite : il ne s'agit ni d'un transfert de dette, ni d'une défaisance (ou cantonnement), ni d'une réplique de la constitution en 1991 du service annexe d'amortissement de la dette.

En apparence, l'opération s'assimile à la reprise par RFN, agissant au nom de l'Etat, de 125 milliards de francs de dettes de la SNCF. Or il ne s'agit pas de cela. La SNCF conserve en effet l'intégralité de la dette inscrite dans ses comptes. Mais RFN devient débiteur vis-à-vis d'elle de 125 milliards de francs, ce qui neutralise l'équivalent au passif de l'entreprise.

La raison de ce montage est la simplicité. Il aurait en effet fallu substituer RFN à la SNCF comme débiteur des actuels (et très nombreux) créanciers de cette dernière, sur un grand nombre de lignes d'emprunt, négociables ou non.

Cette opération n'est pas non plus assimilable à une défaisance ou à un cantonnement, solution qui avait été envisagée en 1995. Un cantonnement consiste pour l'essentiel à se défaire d'actifs dévalorisés par rapport à leurs prix d'achat, et de créances comportant de grands risques de non-recouvrement. Le montage proposé par le présent projet ne correspond pas à cela. Le transfert d'actifs obéit à une autre logique, et contrairement à un cantonnement, l'objectif initial est de transférer une charge de dettes et non des pertes sur créances.

Enfin, cette opération n'est pas calquée non plus sur le précédent de la création du service annexe d'amortissement de la dette lors du contrat de plan 1990-1994 [26] . Le mécanisme du service annexe, toujours en vigueur aujourd'hui, consistait simplement à faire prendre en charge par l'Etat, de façon partielle et forfaitaire, les intérêts et l'amortissement d'une dette qui restait inscrite au passif de la SNCF.

Le montage était le suivant : la SNCF logeait, dans une ligne particulière de son passif, des emprunts dont le capital restant dû était égal à 38 milliards de francs, soit les pertes cumulées lors du contrat 1986-1990. L'Etat s'engageait à verser à ce service annexe 3,8 milliards de francs par an, la SNCF 0,1 milliard de francs par an, ces deux sommes étant indexées sur les prix du produit intérieur brut marchand [27] .

B. LA CONSISTANCE DE LA DETTE TRANSFÉRÉE

Le présent article est très insuffisant pour connaître la nature du "contrat" d'emprunt passé entre RFN et la SNCF. On ne connaît que son montant et la devise dans laquelle il est libellé. On ne connaît ni sa durée, ni son taux, ni les modalités de paiement des intérêts et de l'amortissement.

Il apparaît que cette dette est représentative de la dette moyenne de la SNCF au 31 décembre 1995.

Dès lors, il est possible de déduire les conditions approximatives de la dette de RFN vis-à-vis de la SNCF.

Caractéristiques moyennes de la dette (dette propre + service annexe)
de la SNCF au 31 décembre 1995


·
Devises

Francs français 86,1 %

Autres devises 23,9 %


·
Durée

Moins d'un an 11,6 %

D'un an à cinq ans 22,8 %

Plus de cinq ans 65,6 %


·
Nature de taux

Taux fixe 74,8 %

Taux variable 25,2 %


·
Taux d'intérêt moyen
7,88 %

Source : SNCF

RFN sera donc majoritairement endetté vis-à-vis de la SNCF à long terme, en francs et à taux fixe. Cependant, près du quart de la dette de la SNCF est libellé à taux variable en devises, ce qui crée un aléa non négligeable sur la valeur du capital remboursé in fine et sur le montant des intérêts versés par RFN à la SNCF sur la période. Si l'on s'en tient au taux d'intérêt moyen de 1996, les intérêts pour 1997 seraient de l'ordre de 9 à 10 milliards de francs. Il est difficile de se prononcer au-delà.

C. APPRÉCIATION AU REGARD DU CRITÈRE D'ENDETTEMENT PUBLIC DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE

Le montage proposé ne pose aucun problème d'appréciation au regard du critère d'endettement des administrations publiques au sens du traité de Maastricht, ce qui n'allait pas de soi tant que l'information diffusée à ce sujet se limitait à une "reprise de 125 milliards de francs de dette par l'Etat".

En effet, la structure endettée est un établissement public industriel et commercial. La dette de ces établissements, comme des entreprises publiques, n'entre pas dans le périmètre de la dette des administrations.

La France aurait pu courir un risque de requalification en ce sens, RFN étant voué par nature à réaliser son équilibre essentiellement grâce à des subventions de l'Etat, et assez peu par ses recettes commerciales. Cela aurait pu laisser penser qu'il n'est qu'une coquille destinée à recevoir une partie de la dette de la SNCF.

Or il n'en est rien, puisque RFN reçoit des actifs consistants, certes peu rentables dans l'immédiat compte tenu des frais de portage qu'ils génèrent, mais d'une valeur suffisante pour permettre à l'établissement de démarrer son existence avec un bilan équilibré.

II. APPRÉCIATION ÉCONOMIQUE DU MONTAGE

Au-delà de la rationalité incontestable du transfert d'une dette et d'actifs représentatifs de l'infrastructure à une entité séparée de la SNCF, il convient de s'interroger sur la réussite du nouveau mécanisme, et en particulier sa capacité à assurer le redressement de la SNCF.

A. LE MONTANT DE LA DETTE TRANSFÉRÉE EST UN COMPROMIS ENTRE LES CONTRAINTES DE L'ETAT ET LA NÉCESSITÉ D'ASSAINIR LA SNCF

Pour mettre au point l'ensemble des mécanismes prévus par le présent projet de loi, le Gouvernement s'est entouré de conseils d'experts professionnels : pour l'audit du compte des services régionaux de voyageurs, le cabinet KPMG - Peat Marwick ; pour l'audit du compte d'infrastructures et du transfert d'actifs, le cabinet Coopers et Lybrand; pour les simulations sur l'ensemble, le Crédit commercial de France.

Pourtant, aucun expert n'est intervenu dans l'estimation du montant de la dette à transférer, alors que celle-ci est censée représenter le montant de l'encours d'emprunts contractés pour financer l'infrastructure.

En réalité, ce calcul n'a pas été fait : le montant de 125 milliards de francs résulte d'un compromis entre le gouvernement s'exprimant au nom des Français contribuables et la SNCF. Ce compromis tient certes compte de ce qu'on peut estimer être le montant des dettes liées à l'infrastructure, mais aussi de la dette résiduelle de la SNCF - qui ne doit être ni trop lourdement chargée, ni déresponsabilisée - et de la viabilité financière de RFN.

En particulier, le montant initial de la dette reprise n'avait pas été calibré sur la valeur des actifs transférés. La meilleure preuve en est que cette valeur n'aura été connue exactement que bien après la définition du montant de la dette.

D'après la direction financière de la SNCF, à la fin de 1996, la dette liée au compte d'infrastructure sera de l'ordre de 144 milliards de francs, comprenant d'une part 50 milliards de francs de déficits accumulés du compte d'infrastructure et 94 milliards de francs correspondant à la valeur nette comptable des actifs transférés à RFN et qui ont été financés par emprunt. Il en résulterait pour elle une dette résiduelle liée à l'infrastructure de 19 milliards de francs.

Le Gouvernement a consenti un effort supplémentaire en portant la dette de RFN de 125 à 134,2 milliards de francs. Ce faisant, il a quelque peu changé la logique du calcul : la dette ne correspond plus à la valeur de l'infrastructure financée par emprunt, mais à la valeur de l'infrastructure transférée à RFN. Ce montant reste un compromis. L'essentiel est qu'il permette d'assainir les finances de la SNCF. C'et pourquoi votre rapporteur préconise que le Gouvernement réexamine cette question d'ici 1999. Il ne faudrait pas que la remise en cause éventuelle du niveau de dette reprise puisse remettre en cause l'ensemble de la réforme.

La SNCF aurait donc souhaité une reprise par RFN de ce montant. Le Gouvernement ne considère pas qu'il y ait débat, puisque la dette transférée n'est pas à ses yeux une dette résultant d'un calcul arrêté à une date donnée, mais un compromis entre une série de contraintes.

B. DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ENCORE INCERTAINES

A la demande du Gouvernement, le CCF s'est penché sur l'avenir financier du système ferroviaire français ainsi constitué. Aucun résultat n'a encore été rendu public, mais il apparaît, ce qui n'est pas une surprise, que le retour à l'équilibre de l'ensemble n'est pas possible sans une dose plus importante de fonds publics. Le CCF devrait prochainement travailler sur de telles hypothèses.

1. Les conséquences sur RFN

L'exercice consistant à tenter de projeter dans l'avenir le compte de résultat de RFN est des plus délicats. En effet, on ne peut guère se fonder que sur le compte d'infrastructures de 1995, or votre rapporteur rappelle (voir le commentaire de l'article 4) que celui de RFN sera sensiblement différent puisque la séparation des actifs ne correspond pas strictement à la logique de séparation de l'infrastructure et de l'exploitation, et que les clés d'imputation de la comptabilité analytique de la SNCF seront probablement réexaminées.

Cependant, si cet exercice n'est pas tenté, le présent article serait voté à l'aveuglette.

Les recettes courantes de RFN seront constituées du péage de la SNCF (5,8 milliards de francs), de ses redevances domaniales (0,9 milliard de francs), de la contribution de l'Etat aux charges d'infrastructures (11,8 milliards de francs) et d'autres recettes liées à l'infrastructure (environ 4,3 milliards de francs).

Ces recettes seraient donc de l'ordre de 22,8 milliards de francs.

Les dépenses courantes seront constituées pour l'essentiel de la charge de sa dette envers la SNCF (environ 10 milliards de francs), de sa redevance à la SNCF (environ 16,8 milliards de francs) et d'autres charges liées à l'infrastructure (7,7 milliards de francs), soit un total d'environ 34,5 milliards de francs.

Selon ces hypothèses, qui doivent être admises sous toutes réserves, les pertes de RFN seraient donc de l'ordre de 11,7 milliards de francs, ce qui n'est pas une surprise, puisque ce chiffre est voisin des pertes du compte d'infrastructure en 1995 (11,5 milliards de francs).

Deux facteurs d'amélioration de ces comptes sont néanmoins à prendre en considération.

D'une part, l'Etat aidera RFN grâce à une dotation en capital dont le Gouvernement a annoncé le 8 janvier qu'elle serait de 8 milliards de francs.

Au cours des premiers exercices de RFN, le Gouvernement cherchera probablement à améliorer la structure bilantielle de l'établissement par des dotations en capital. Par la suite, il prendrait en charge une partie des frais financiers par des dotations budgétaires.

D'autre part, la gestion du patrimoine foncier de RFN, structure légère, sera certainement plus efficace que n'est actuellement la gestion du même patrimoine par la SNCF. Ce patrimoine est absolument considérable (notamment 113.000 hectares de terrains ; 14,5 millions de mètres carrés d'immeubles dont une grande partie ira à RFN) et recèle un potentiel de valorisation.

Par conséquent, toujours selon les chiffres de 1995, RFN pourraît connaitre un résultat 1997 de - 3,7 milliards de francs. Les résultats de la SNCF en 1996 seront meilleurs qu'en 1995. En les projetant sur 1997, le résultat de RFN pourrait être de - 2,7 milliards de francs [28] . Il n'est pas exclu que ses efforts propres et la baisse des taux d'intérêt lui permettent d'approcher l'équilibre.

2. Les conséquences sur la SNCF

Au-delà de sa rationalité intrinsèque, l'objectif du présent article est de permettre le redressement de la SNCF. S'il ne le permet pas, il aura échoué.

Cependant, les conséquences de ce montage sur la SNCF sont encore plus difficiles à établir que les conséquences sur RFN. En effet, la réussite dépend pour une grande part des efforts propres de la SNCF, mais aussi de la politique d'ensemble de l'Etat en matière de transports.

Si l'on se contente de projeter la situation d'aujourd'hui, on ne peut que constater que la SNCF ne sera pas immédiatement tirée d'affaires par ce soulagement de 134,2 milliards de francs d'endettement.

A l'annonce du projet de loi, l'agence de notation Moody's a placé sous surveillance la notation des emprunts à long terme de la SNCF, avec implication négative.

L'implication négative n'était pas due à une appréciation a priori défavorable du projet, mais simplement au fait que la note de la SNCF est aujourd'hui la meilleure possible, et qu'elle ne pourrait être que dégradée.

Cette appréciation des analystes financiers de Moody's, alors même que l'entreprise continuera de disposer de la garantie implicite, indéfinie et inconditionnelle de l'Etat, montre que son redressement ne va pas de soi.

En principe, la SNCF est désormais placée dans d'excellentes conditions, et ce pour deux raisons : la première est que la reprise d'une partie de sa dette la soulagera d'environ 10 milliards de francs de frais financiers par an ; la seconde, qui est la plus importante, est qu' elle devrait entrer dans un cycle vertueux de désendettement puisqu'elle n'aura plus à emprunter pour investir sur le réseau qui était le principal facteur de ses difficultés. Ce cycle vertueux ne pourra toutefois s'enclencher qu'en l'absence de mouvements de grève importants (celle de 1995 a provoqué 5 milliards de francs de perte au compte du transporteur) et si le niveau de péage reste modéré [29] .

En pratique, cependant, sa situation financière restera fragile, en raison du niveau de désendettement proposé par le présent projet. D'une part, la SNCF connaîtrait en 1997 un déficit de l'ordre de 1,6 à 2,6 milliards de francs, à supposer que les pertes du transporteur soient les mêmes en 1997 qu'en 1996. Ce désendettement ne la ramène donc pas à l'équilibre que le président de la SNCF, M. Louis Gallois, escompte pour 1999. D'autre part, il restera à la SNCF à supporter la charge d'environ 70,3 milliards de francs d'endettement résiduel [30] (dont à son avis 9,8 milliards de francs relevant de l'infrastructure). Au taux d'intérêt prévisionnel de 7,5 % (on peut espérer qu'il sera plus bas), cette charge sera de l'ordre de 4,9 milliards de francs. Les facteurs d'une nouvelle augmentation de la dette ne seront donc pas totalement éradiqués. La SNCF continuera en effet d'investir seule pour le matériel roulant, et devra procéder à des appels aux marchés pour une somme comprise entre 5 et 15 milliards de francs (contre 15 à 25 milliards de francs en 1996).

Compte tenu de sa notation (AAA), ses conditions d'émission déjà excellentes - la SNCF emprunte quelques dizièmes de point d'intéret au-dessus de l'Etat - pourraient toutefois s'améliorer, la demande des investisseurs institutionnels étant plus forte pour les émetteurs qui se font plus rares.

Au-delà de ces raisons strictement financières, d'autres facteurs doivent intervenir. Un facteur psychologique fondamental : le désendettement doit redonner confiance aux cheminots dans leur entreprise et les efforts qu'ils feront pour elles. Un facteur commercial important : le chiffre d'affaires de la SNCF devra augmenter. Un facteur politique essentiel : les choix de l'Etat en matière de transports devront éviter une concurrence meurtrière financée par le contribuable.

En 1997, l'équilibre de la SNCF sera donc sur le fil du rasoir. Mais ses efforts devraient pouvoir rapidement la faire basculer dans un cycle de résultats positifs.

Décision de la commission : votre commission vous propose un amendement tendant à préciser les conditions de la dette de RFN envers la SNCF.

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